J'ai commencé ma carrière au CEA avec Georges Vendryes qui était à l'origine du programme de réacteurs à neutrons rapides, commencé par Rapsodie, puis Phénix et Superphénix. Ces gens avaient vu le potentiel du nucléaire. À l'époque, nous ne parlions pas encore beaucoup du réchauffement climatique, mais il fallait faire face aux besoins de l'humanité en matière d'énergie. En voyant l'arrêt de Superphénix, et maintenant la suppression du programme ASTRID, je ne comprends plus très bien. Que cherchons-nous ? De quoi avons-nous peur ? Qui intervient ?
Pour apprécier l'importance de la production d'électricité dans le bilan d'émission du CO2, il faut se mettre au niveau du monde, car c'est à ce niveau que nous pourrons gérer le réchauffement climatique, et pas au niveau de la région parisienne. Actuellement, les émissions totales sont d'environ 33 milliards de tonnes de CO2, et les émissions liées à la production d'électricité sont de 14 milliards de tonnes. Ceci peut expliquer pourquoi les Allemands produisent 719 millions de tonnes de CO2 et la France 308 millions de tonnes. Les émissions de CO2 sont largement dues à la production d'électricité et aux modes de production d'électricité.
Comme indice de la « qualité climatique » d'une économie, nous pouvons utiliser le rapport entre les émissions de CO2 et le PIB. L'Allemagne est à 0,2, la France à 0,1 – soit deux fois moins – et le monde à 0,4. Si le mix énergétique de la France était étendu au monde, nous aurions pratiquement réglé le problème du CO2, puisque les émissions actuelles seraient divisées par quatre.
Des scénarios du GIEC comportent plus ou moins de nucléaire. Un de ces scénarios – qui est plus exactement celui de l' International Institute for Applied Systems Analysis (IIASA), l'institut de Vienne travaillant pour le GIEC – s'appelle Efficiency. C'est un scénario particulièrement sobre en énergie, qui limite les émissions de CO2 pour se conformer à ce que demande le GIEC, soit 1,5 degré d'augmentation de la température. Ce scénario, bien que très sobre, utilise beaucoup la technique de capture et stockage du CO2, au point que, jusqu'en 2100, la quantité de CO2 séquestrée serait de 800 milliards de tonnes, qu'il faudra mettre sous terre.
Un autre scénario, fondé sur le développement des surgénérateurs – sinon, nous n'y arriverions pas – limiterait la séquestration à 276 milliards de tonnes. Si nous n'utilisons pas le nucléaire, nous envoyons dans l'atmosphère 1 270 milliards de tonnes ; si nous l'utilisons avec à des réacteurs surgénérateurs, nous envoyons 627 milliards de tonnes. Les émissions globales d'ici 2100 sont divisées par deux grâce à l'utilisation du nucléaire sous la forme de la surgénération.
Alors que d'autres pays continuent dans cette voie, la France ne sait plus très bien ce qu'elle veut. Il suffit d'écouter le CEA pour en être convaincu. Des pays comme la Chine, la Russie, l'Inde et la Corée restent fidèles à cette perspective et développent des réacteurs surgénérateurs. Pour ces pays, il est évident que l'uranium que nous appelons appauvri – en réalité essentiellement de l'uranium 238 – est une ressource fondamentale. L'efficacité d'utilisation de l'uranium naturel est pratiquement 100 fois meilleure quand on utilise des surgénérateurs que quand on utilise des réacteurs thermiques ou à neutrons lents, comme ceux dont nous disposons actuellement. Si nous n'utilisons pas les surgénérateurs, il faudra stocker sous terre des milliers de milliards de tonne de CO2.