Intervention de Pr. Elisabeth Bouvet

Réunion du mercredi 9 décembre 2020 à 11h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Pr. Elisabeth Bouvet, membre du collège de la Haute Autorité de Santé :

. – Merci pour votre première série de questions, déjà très complète. Nous ne pouvons pas répondre à tout, parce que nous ne savons pas tout. Il y a un an, le risque n'existait pas et il y a trois mois, il n'y avait pas de vaccin. Il faut bien voir que nous avons travaillé en prenant en compte, au fur et à mesure, les informations disponibles sur l'épidémie, le virus et les potentiels vaccins. Tout cela a abouti à la proposition de stratégie que nous avons publiée la semaine dernière.

Dès le printemps, nous avons commencé à imaginer l'existence d'un vaccin et à définir une stratégie. Il existe deux types de stratégie vaccinale. La première vise à vacciner un nombre suffisamment important de personnes pour ralentir l'épidémie et limiter la transmission du virus. Dans le cas où ce ne serait pas possible, la seconde vise à protéger les personnes les plus vulnérables. Comme vous le savez, depuis le début de l'épidémie, il existe des facteurs de risque de forme grave et de décès : la maladie Covid peut-être extrêmement bénigne et souvent asymptomatique chez les personnes jeunes n'ayant pas de maladie sous-jacente, alors qu'elle touchera préférentiellement les personnes âgées et celles ayant d'autres maladies.

Nous avons donc commencé à réfléchir à ces deux possibilités et à les expliquer dans une note de cadrage publiée au mois de juillet. Il s'agissait soit d'agir sur l'immunité collective, soit d'agir en visant les personnes les plus à risque, l'objectif essentiel étant alors de réduire la morbi-mortalité en stimulant l'immunité individuelle des personnes vaccinées.

Pour raisonner en termes d'immunité collective, il faut avoir des données et la certitude que les vaccins soient actifs sur la transmission du virus. Pour l'instant, ce n'est pas le cas avec les vaccins disponibles actuellement. Nous avions réfléchi sur plusieurs scenarii : le virus continuait de circuler dans tout le pays de façon active ; il n'y avait que des foyers épidémiques assez localisés ; il n'y avait plus de circulation du virus ou celle-ci était très modérée, etc. Nous avons réfléchi à ce que nous pourrions proposer en fonction de chaque scénario. Assez rapidement, au sortir de l'été, il est apparu que l'hypothèse d'une circulation à nouveau intense sur tout le territoire national se vérifiait et qu'il fallait donc raisonner sur cette base. Compte tenu de ce que nous savions des futurs vaccins, la proposition dès lors la plus logique était de cibler les personnes les plus à risque vis-à-vis de l'infection, c'est-à-dire les personnes âgées – nous pourrons préciser à partir de quel âge il est considéré qu'il y a un surrisque –, ainsi que les personnes atteintes de comorbidités.

Cela nous a conduits à faire pratiquer des travaux très importants de modélisation. Il fallait étudier de façon extrêmement précise les facteurs de risque, à partir des données d'hospitalisations et de décès. L'âge est apparu comme le facteur de risque principal, puisque l'incidence des formes graves augmente à partir de cinquante ans. À partir de 65 ans, la pente s'infléchit sensiblement et l'aggravation du risque est encore plus importante au-delà de 75 ans. Ce qui ressort également des données de Santé publique France – qui a largement étudié les modèles utilisés –, c'est que l'âge est le principal facteur de risque à la fois pour l'apparition des formes graves et pour la mortalité. C'est extrêmement important.

Un travail a été réalisé, avec Santé publique France et des modélisateurs, sur les données de la littérature française, mais surtout internationale, qui sont plus riches, pour déterminer les facteurs de risque que l'on ne peut pas lier à l'âge. Cela nous a permis de définir les populations qui sont les plus vulnérables à l'infection et de les dénombrer.

L'autre partie du travail consistait à savoir quels étaient les vaccins qui se profilaient à l'horizon. Nous avons très vite su qu'un certain nombre de candidats vaccins franchissaient les différentes étapes – phase 1, phase 2, phase 3.

La plupart des vaccins dont nous avons connaissance, qui arrivent au stade de la production de masse où il sera possible de les utiliser sur la population française, ont été évalués sur leur capacité à protéger les personnes des formes graves. La démonstration d'efficacité porte sur ce que l'on appelle la morbi-mortalité, c'est-à-dire sur l'incidence des formes symptomatiques et des formes graves de l'infection. Les deux premiers vaccins – qui sont des vaccins ARN – n'ont pas fait la démonstration qu'ils agissent sur la transmission du virus. En revanche, nous savons que chez les personnes vaccinées, le taux d'infection symptomatique et le taux d'infection grave sont très significativement diminués par rapport aux personnes qui ont reçu le placebo. Le taux d'efficacité, de protection par rapport aux formes symptomatiques et graves est de l'ordre de 95 %. À vrai dire, c'était une bonne surprise, parce que nous ne nous attendions pas à un tel taux d'efficacité. Pour le vaccin antigrippal, les taux d'efficacité sont de l'ordre de 60 % à 70 %, guère plus.

Nous avions donc la perspective de disposer de vaccins agissant essentiellement sur la morbidité, les formes symptomatiques, mais de ne disposer que d'une quantité limitée de doses, au moins au début – nous pourrons y revenir. En effet, les fabricants sont dépendants des capacités de développement et de production de leur vaccin. Dans les premiers mois de 2021, le nombre de doses de vaccins pourrait ne pas dépasser trois ou quatre millions. Comme ces vaccins nécessitent deux injections, ils ne pourraient être utilisés que pour 1,5 à 2 millions de personnes.

Enfin, il fallait intégrer à l'analyse le risque d'être exposé au virus. Évidemment, les établissements pour personnes âgées – les EHPAD ou d'autres types d'établissements – sont les lieux où la probabilité d'être exposé au virus est la plus élevée. D'ailleurs, par l'étude de l'épidémiologie des infections Covid, nous savions que 15 % des clusters sont survenus dans les EHPAD et qu'environ un tiers des décès est survenu chez des résidents d'EHPAD.

Le vaccin agissant essentiellement sur la morbi-mortalité, la quantité de doses étant limitée, les facteurs de risque principaux étant l'âge et les comorbidités, et les personnes âgées étant très exposées au virus : tous ces éléments ont convergé vers la proposition de stratégie que nous avons formulée, à savoir prioriser les établissements accueillant les personnes âgées.

Un autre élément important de notre raisonnement concerne les professionnels de santé au contact des populations : ils ont davantage de risques d'être infectés. Ils ont le risque d'être exposés et malades, mais également de transmettre l'infection. Comme je vous l'ai dit, à ce stade, nous n'avons pas beaucoup d'informations sur l'efficacité des vaccins en termes de transmission du virus. Néanmoins, par principe de réciprocité, d'exemplarité et dans le but de préserver le système de santé, c'est-à-dire pour faire en sorte que les professionnels de santé soient le plus épargnés possible et que le système de santé puisse continuer de fonctionner, il nous a semblé important d'associer la vaccination des professionnels de santé aux priorités liées à la vulnérabilité.

Nous avons élaboré une stratégie structurée en plusieurs phases. La première phase est centrée sur les établissements de santé pour personnes âgées et le personnel y travaillant, en priorisant les professionnels de santé ayant un risque pour eux-mêmes, c'est-à-dire qui ont soit des facteurs de risque, soit un âge supérieur à 65 ans. Ensuite, nous déclinons cette priorisation en descendant en âge et en rejoignant la population générale et ambulatoire : les personnes âgées de 75 ans et plus, les personnes entre 65 et 75 ans, les personnes avec comorbidité, puis le reste des professionnels de santé : d'abord ceux âgés de plus de cinquante ans, puis les plus jeunes.

Voilà la façon dont nous avons réfléchi et raisonné, en nous fondant sur les données de l'épidémiologie pour apprécier le risque de vulnérabilité et le risque d'être exposé au virus, afin de viser en priorité la morbi-mortalité. Le but est de faire baisser les hospitalisations et la mortalité et de protéger le système de santé pour qu'il puisse fonctionner par ailleurs. L'un des problèmes de la Covid est que pendant la première vague, et à nouveau maintenant, l'afflux de personnes dans les services hospitaliers a contraint le système de santé à se pencher uniquement sur ces malades. Il n'a donc pas pu prendre en charge correctement les patients qui présentaient d'autres pathologies, ce qui a eu de graves conséquences sur les soins en général.

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