Intervention de Alain Fischer

Réunion du jeudi 10 décembre 2020 à 11h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Alain Fischer, président du conseil d'orientation de la stratégie vaccinale :

. – Sur la question qui a trait à la coordination entre les diverses parties prenantes, je rappelle que le conseil est indépendant et exempt de connotation politique particulière. Par définition, il doit travailler avec les décideurs et toutes les institutions qui jouent un rôle dans le domaine de la vaccination.

Quatre séries de parties prenantes sont concernées. La première est le ministère de la Santé avec, en particulier la Direction générale de la Santé. Puis vient la Haute Autorité de Santé, qui a défini les priorités de vaccination telles qu'on peut les envisager aujourd'hui avec le début de la vaccination des personnes âgées dans les EHPAD et des personnels de santé présentant des facteurs de risques, au mois de janvier. La troisième catégorie d'interlocuteurs est le Parlement, ses commissions et en particulier l'OPECST : le conseil répondra à toutes les demandes d'audition. Enfin, nous travaillerons avec les groupes mis en place par le gouvernement ou à travers le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Parallèlement au comité vaccin, seront en effet mis en place un comité des parties prenantes composé de professionnels de santé, un comité des élus locaux et, dans le cadre du CESE, un comité de citoyens. Le conseil devra interagir avec ces comités et recueillir leurs avis.

La troisième question que vous m'avez posée est celle, centrale, de la confiance et de la transparence. Il faut que nos concitoyens puissent acquérir les connaissances leur permettant de prendre une décision avec un libre-arbitre raisonné, dans le sens, on l'espère, de la vaccination.

S'agissant de la mise en œuvre de cette mission, je ne peux pas encore apporter de réponse précise. Celle‑ci passera nécessairement par des messages dont les émetteurs devront être nombreux pour cibler des groupes distincts de concitoyens.

Le premier groupe de nos concitoyens qui doit recevoir un message, puis le porter, est celui des professionnels de santé eux‑mêmes. Ils apparaissent en effet dans les deuxième et troisième priorités de vaccination. Ce sont eux qui porteront la parole auprès des autres personnes et qui seront les vecteurs d'explication. Il convient de les aider à acquérir une information de qualité puis à porter les messages auprès des différents groupes de la population.

D'autres émetteurs seront également parties prenantes. Toutes les personnes qui se sentent concernées par les questions de santé et de vaccination, en premier lieu les associations de patients atteints de maladies chroniques, pourront être ambassadeurs de la vaccination à travers leur propre expérience.

Je serais donc plutôt enclin à favoriser une communication « horizontale », parallèlement à l'information émanant des autorités de santé au plus haut niveau de l'État. Le travail de réflexion et d'élaboration des outils doit débuter dès à présent, même si nos concitoyens seront vaccinés dans plusieurs mois.

En réponse à madame Lassarade, je confirme qu'il n'est pas difficile de convaincre de vacciner les enfants. Si cela est vrai aujourd'hui, ce n'était toutefois pas nécessairement le cas il y a cinq ans. La décision de la ministre de la Santé en 2018 de rendre obligatoires les vaccins chez les jeunes enfants a porté ses fruits. Selon les données communiquées par Santé publique France il y a quelques semaines, les taux de vaccination des enfants de moins de deux ans atteignent près de 95 %. C'est un succès qui n'allait pas de soi.

La rapidité de mise au point du vaccin suscite des réactions totalement contradictoires. Elle est le fruit d'un travail de recherche et de développement industriel sans précédent qui a eu lieu au cours de l'année 2020. Il en résulte certaines craintes, notamment celle de prendre des risques excessifs. Cette rapidité n'est toutefois pas associée à un effritement des règles de reconnaissance de la possibilité d'administrer un vaccin.

Les autorités réglementaires européennes et françaises réalisent leur travail avec les mêmes critères et la même rigueur qu'à l'égard d'autres vaccins. Le vaccin Pfizer vient de recevoir son autorisation en Grande-Bretagne et au Canada. Cela pourrait être le cas en Europe au cours des prochaines semaines. Il sera suivi par le vaccin de Moderna. Il faut convaincre nos concitoyens que les processus de certification n'ont pas été accélérés.

La rapidité observée est liée au fait qu'un grand nombre d'équipes de recherche ont été mobilisées sur le vaccin, après que la séquence du virus a été identifiée. Par ailleurs, les technologies qui ont été élaborées, notamment à l'occasion des développements de vaccins contre Ebola au cours des dernières années, sont aujourd'hui utilisables. C'est notamment le cas pour les vaccins à adénoviraux comme celui d'Astra Zeneca ou même pour les vaccins à ARN, déjà utilisés depuis plusieurs années dans le traitement de cancers. Des patients reçoivent aujourd'hui des médicaments à base d'ARN à des doses bien supérieures à celles des vaccins, qui sont bien tolérées.

Cette question renvoie à celle de la communication et des craintes. 50 % de la population exprime des doutes liés à la vaccination, ce qui n'est pas illégitime dans le contexte de la grande nouveauté du développement de ces vaccins. La responsabilité collective impose de répondre à ces hésitations afin que les gens réfléchissent de façon informée et qu'ils acceptent la vaccination.

S'agissant de la logistique, je ne suis pas le mieux armé pour répondre aux questions. De plus, ce domaine ne sera pas couvert par le conseil. Les questions de logistique sont placées sous la responsabilité de Santé publique France, appuyée par la DGS. Malheureusement, les aspects logistiques resteront complexes, au moins dans un premier temps.

En effet, le vaccin à ARN est très fragile et doit être transporté à ‑70 degrés, et pendant quelques heures au maximum. À 4 degrés, il ne reste stable que quelques jours. De ce fait, il est très complexe de mettre en place un réseau d'approvisionnement adéquat, au bon endroit et au bon moment, avec les aiguilles et les seringues. Les équipes concernées travaillent ardemment sur cette question.

J'en viens aux vecteurs d'information évoqués par madame de La Provôté. Il s'agit d'abord des personnels de santé eux‑mêmes, qu'ils vaccinent ou non. Les pharmaciens et les infirmiers peuvent jouer un rôle d'information important, les associations de patients et les autres associations du domaine de la santé également. Quant aux élus locaux, ils auront deux fonctions : informer leurs populations, et pour cela ils devront être aidés notamment par les agences régionales de santé (ARS) ; organiser la vaccination, par exemple en mettant en place des centres de vaccination qui pourront être des structures adaptées dans certains endroits.

Les deux accidents allergiques survenus hier montrent que la prudence, à côté de la transparence, est essentielle dans le développement de la stratégie vaccinale. Il est sage de vacciner par paliers successifs un nombre croissant de personnes choisies au fur et à mesure de l'obtention des informations. Les toutes premières vaccinations du mois de janvier auront lieu dans un nombre restreint d'EHPAD, qui serviront de test pour s'assurer que tout fonctionne, ce qui permettra d'adapter la vaccination et de la rendre la plus fluide possible.

Sur la question de la défiance vaccinale et des priorités de vaccination, la communication ne doit pas être globale, mais ciblée : les professionnels de santé en priorité, puis les différentes parties de la population. Les patients à risques, les personnes âgées et les patients atteints de maladies chroniques, qui sont plus ouverts à la vaccination, devraient disposer d'informations par le réseau associatif.

La communication dépendra en grande partie de ce que permettra la vaccination et de son éventuelle fonction altruiste. Je m'explique : si le vaccin bloque la transmission du virus, il sera possible d'utiliser l'acte de vaccination à bon escient, comme acte de protection individuelle mais aussi collective. Ce serait une sorte de « contrat social » comme le qualifie un chercheur allemand.

L'articulation entre les intervenants est évidemment nécessaire. Il faudra éviter les injonctions, y compris de la part des autorités sanitaires, et coordonner les approches verticales et horizontales.

En réponse à monsieur Leseul sur la question de la parole publique, je voudrais insister sur la nécessité de la concertation. J'espère que les divers comités qui seront mis en place, notamment le comité des citoyens, apporteront des questions et des propositions visant à diffuser l'information de manière transparente, notamment sur l'analyse bénéfices-risques de la vaccination. Dans la mesure du possible, je m'efforcerai de faire en sorte que la concertation soit effective, à travers le conseil, les comités et les parties prenantes.

Les avis du conseil seront rendus publics, sur le même modèle que ceux du conseil scientifique. Les « cafouillages » ne pourront pas nécessairement être évités, car ils résultent en partie des interventions dans les médias de ceux qui y exercent leur liberté d'expression. Il faudra définir comment et jusqu'où répondre aux informations fausses ou partiellement fausses : qui doit répondre, de quelle manière, etc. La lettre de mission me demandera de m'engager personnellement sur ce point. Ce qu'il faut au minimum c'est éviter les incohérences de la parole publique. Le recours au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) pourrait être une aide, cela s'est déjà vu.

Quant aux conditions financières de la négociation des vaccins, elles s'éloignent du champ de mes compétences. Cette négociation est menée par la ministre Agnès Pannier‑Runacher qui pourra donc vous renseigner. La négociation est menée à l'échelle européenne, ce qui est une bonne chose.

En réponse à Cédric Villani, des leçons ont en effet été tirées de l'expérience de concertation nationale sur l'extension de la vaccination des enfants. Comme dans la situation actuelle, on touchait à des questions fondamentales pour notre société, liées à la vaccination et à l'acceptation des politiques de santé publique.

En fonction des contextes, on peut être amené à formuler des propositions différentes. Dans le contexte de la vaccination des enfants, l'idée qui a prévalu était celle de l'obligation, parce que les vaccins étaient pour la plupart très anciens, vieux de plusieurs dizaines d'années, et donc bien connus.

Dans le cas présent, le contexte est complètement différent et entièrement nouveau. Il faut encore recueillir des informations sur la tolérance, la sécurité de ces vaccins et leur efficacité. Il convient donc d'abord d'établir la confiance, l'obligation ne constituant qu'un dernier recours.

Enfin, vous avez évoqué le sujet du prix des thérapies innovantes, auquel je me suis intéressé avec des collègues, notamment belges, en publiant un article l'année dernière. Nous avons fait une proposition consistant à promouvoir des clauses de prix raisonnable lors des négociations entre les institutions publiques de recherche et les industriels. Cette bonne idée semble toutefois difficilement applicable à court terme dans le contexte de la vaccination contre la Covid‑19. Il faut être réaliste, c'est dans un ou deux ans que des leçons pourront être tirées de ce qui se sera passé sur les vaccins.

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