. – Ces questions balaient assez largement le champ que nous avons à couvrir aujourd'hui.
Tout d'abord, les questions les plus compliquées sont souvent celles qui sont le moins spécialisées. Je voudrais rassurer le rapporteur qui n'est pas médecin : je ne suis pas médecin non plus. D'ailleurs, je ne suis pas non plus professeur, mais docteur. Je suis ingénieur agronome, puis j'ai fait une thèse de sciences. Comme vous le voyez, nous n'avons pas tous besoin d'être médecin.
Face au cafouillage et au risque de défiance, comment rassurer ? La meilleure façon de rassurer est d'être le plus transparent possible et de dire ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. Il faut aussi considérer les citoyens français comme des adultes et pas comme des enfants à qui l'on doit cacher la vérité. Par exemple, nous savons que les premiers vaccins qui vont arriver sont assez réactogènes : leur niveau de sécurité semble être satisfaisant, mais l'injection fait mal au bras. La plupart des volontaires dans les essais vaccinaux vont avoir mal au bras, peu de fièvre semble-t-il, mais un sentiment de fatigue. Il faut que ce soit clair pour les citoyens à qui l'on va proposer la vaccination car ils doivent eux-mêmes, en toute conscience, décider à quel moment ils veulent procéder à la vaccination ou pas. C'est pour répondre à ce besoin de transparence que j'interviens souvent dans la presse. Il faut expliquer, parler et, autant que possible, parler vrai et faire un effort de pédagogie.
Les vaccins russes et chinois présentent effectivement un intérêt. Je demanderai à mon collègue Bernard Fanget, qui était avec moi en Russie, de faire un état du développement du vaccin Spoutnik. Pour ce qui est de la Chine, nous avons auditionné la société Sinovac, qui développe un vaccin inactivé. Nous suivons de près l'avancée de leurs recherches. C'est un vaccin qui devrait donner des résultats – positifs ou très positifs, nous n'en savons rien encore. Ils ont un essai en cours au Brésil qui semble avoir recruté beaucoup de volontaires. Nous attendons ces résultats avec intérêt. Ces vaccins ne sont pas écartés de nos analyses, mais ils auront un peu plus de difficultés à obtenir une AMM en France et en Europe, tout simplement parce que leurs producteurs ne sont pas aussi connus des régulateurs que Sanofi-Pasteur, Merck, etc. Les autorités de santé devront donc montrer une vigilance accrue pour s'assurer que les produits concernés ont une qualité suffisante pour pouvoir être distribués en France.
Les vaccins chinois seront-ils disponibles à grande échelle à l'export ? C'est une question qui se pose encore, car les besoins domestiques de la Chine sont importants : le pays doit immuniser plus d'un milliard de personnes. C'est aussi le cas pour la Russie, où le gouvernement a commencé une vaccination de masse, au moins dans la capitale.
S'agissant des relations avec la Commission européenne, la France – et je m'en félicite – a été précurseur dans la mise en place d'un comité scientifique vaccins. Dès le mois de juin, la task force qui s'occupe des négociations a pris acte du fait que la dimension scientifique n'est pas le seul facteur à prendre en compte dans l'achat des vaccins, puisqu'il y a aussi la disponibilité, le prix, la logistique, etc. mais l'importance des aspects scientifiques s'est imposée. Le comité vaccins a donc été mis en place rapidement. Quand la Commission européenne a commencé à évaluer les vaccins, il n'y avait pas de méthode bien établie. Suite aux discussions que nous avons eues avec les représentants d'autres États membres, la Commission a mis en place un système d'audit assez similaire à ce que nous faisons, sauf que des audits avec autant d'États membres sont assez compliqués. Il n'est pas possible de mettre en place un comité qui fonctionne avec presque 30 membres. La Commission invite donc les producteurs à une audition qui réunit des représentants scientifiques des États membres, et la France y est représentée par le comité. Je m'exprime donc au nom du comité français et je fournis à la Commission non seulement les avis écrits, mais aussi les recommandations finales.
Nous n'avons pas de relations formelles avec l'EMA. Nous avons échangé plusieurs fois, notamment à propos des critères sur lesquels ils pourraient fonder l'autorisation de mise sur le marché en Europe.
Pendant les deux à trois premiers mois de la vie du comité, une représentante de l'ANSM y siégeait. À partir du moment où la France est devenue pays rapporteur de dossiers d'enregistrement, l'EMA a considéré que les représentants de l'ANSM ne pouvaient être à la fois parties prenantes du comité puis responsables de l'instruction de dossiers auprès de l'Agence du médicament. Cette collègue de l'ANSM nous a donc quittés, mais nous continuons à échanger quand c'est nécessaire. Vous avez raison, le comité intervient en amont de l'ANSM, parce qu'il voit très souvent les résultats des laboratoires avant que ceux-ci ne soient fournis de façon formelle à l'ANSM pour un examen réglementaire.
Avons-nous une appétence pour certaines plateformes ? Oui et non. Dès la deuxième audition, nous avons estimé qu'il était impossible de considérer tous les vaccins les uns après les autres sans méthode. Nous sommes donc passés à un examen par plateforme, un examen comparatif. Nous avons regardé tous les vaccins ARN messagers et nous avons fourni un commentaire comparatif entre ces vaccins de la même plateforme. Nous avons ensuite auditionné tous les producteurs d'intérêt pour la France qui développaient des vaccins basés sur des plateformes d'adénovirus. Nous avons ensuite vu tous les producteurs ayant des vaccins de type sous-unitaire, comme Sanofi-Pasteur. Les vaccins ont donc été comparés par plateforme. On peut aussi les comparer de façon transverse, indépendamment des plateformes, mais cette comparaison est plus difficile parce que les modes de protection pourraient être basés sur des mécanismes immunitaires différents. On ne peut de toute façon faire de comparaisons que sur ce qu'on connaît bien, et les connaissances sur les vaccins ne sont venues au comité qu'au fil de l'eau. Au début de nos auditions, nous en savions assez peu.
Il est difficile de dire que le comité aurait une préférence pour certaines plateformes. Mais il a reconnu assez rapidement la valeur de la plateforme des vaccins à ARN. Cette évaluation, qui était très précoce, s'est confirmée, puisque ces vaccins ont donné des résultats qui semblent très intéressants pour l'avenir.
Certains vaccins pourraient avoir des indications particulières. C'est pour cela qu'il est très important de voir les protections que peuvent offrir les différentes plateformes, sur des populations différentes. Il est possible que certains soient plus efficaces que d'autres sur les personnes âgées. Comme vous le savez sans doute, les personnes âgées sont souvent moins réceptives à la vaccination, et les vaccins sont moins efficaces chez elles, par exemple pour la grippe. Mais ce n'est pas toujours le cas : les vaccins contre le zona, qui sont maintenant commercialisés par Merck et GSK, sont extrêmement efficaces chez les personnes âgées. Ce n'est donc pas forcément une malédiction. Certains vaccins en cours de développement pourraient être plus efficaces que d'autres chez les personnes âgées.
Le communiqué de presse publié par Sanofi-Pasteur ce matin fait état de retards à la livraison de vaccins. Sanofi entend repenser la formulation de son vaccin, qui semble induire peu de réponse immunitaire chez les personnes âgées. Nous voyons que c'est le cas, alors que les premières données sur les plateformes ARN messager, publiées par Pfizer-BioNtech et Moderna, semblent indiquer que les réponses immunitaires chez les personnes âgées de plus de 70 ans et chez les personnes plus jeunes semblent similaires.
Le comité va réaliser un suivi et continuera d'auditer les producteurs, même quand les contrats auront été signés et les achats réalisés, dans la mesure où ces vaccins pourraient protéger différemment les personnes âgées, mais aussi pourraient susciter une protection contre la transmission. On voit dans des modèles animaux, chez le primate non humain, que certains vaccins candidats semblent plus efficaces pour empêcher la présence de virus SARS-CoV-2 dans la sphère respiratoire supérieure – le nez, la gorge – des animaux infectés. Si ces résultats se confirmaient chez l'homme, ces vaccins pourraient bloquer la transmission par les personnes vaccinées alors que d'autres ne le feraient pas. Pour cette raison, nous allons continuer à suivre les développements et les connaissances relatifs à ces vaccins pour pouvoir éventuellement conseiller le gouvernement sur des stratégies adaptées.
Le comité a établi une grille d'évaluation. Toutes ses recommandations sont prises par consensus. Nous discutons les données de production, les données précliniques issues des modèles animaux, les données cliniques obtenues chez l'homme, à la fois dans les premiers essais et les grands essais d'efficacité. Les aspects logistiques sont pris en compte. Le fait que le vaccin de Pfizer-BioNtech doive être gardé à -70 degrés est effectivement un problème, qui n'est pas insoluble pour des pays comme la France. J'ai participé à un essai clinique d'un vaccin contre Ebola en Afrique de l'Ouest en 2015. Ce vaccin, comme celui de Pfizer, devait être gardé à -70 degrés, et nous avons pu, dans ce pays très pauvre, mettre en évidence l'efficacité de ce vaccin et, plus tard, l'utiliser dans les campagnes de vaccination réactive au Congo, à une température très basse. C'est un problème logistique, mais cela ne devrait pas bloquer l'utilisation de ce vaccin en France. Nous regardons aussi avec attention l'évaluation et l'évolution de vaccins qui pourraient être utilisés sous forme d'une dose unique. Pouvoir protéger après une dose plutôt qu'après deux serait souhaitable.
Nos conclusions sont transmises au gouvernement et celui-ci en communique une version anglaise à la Commission européenne. Nous ne communiquons pas par voie écrite nos recommandations aux industriels, mais par nos échanges nous leur suggérons un certain nombre d'améliorations et nous continuons d'interagir par le biais de questions-réponses. Encore aujourd'hui, nous attendons des compléments d'information du groupement Pfizer-BioNtech.
S'agissant de la priorisation pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), nous pensons que la séropositivité ne devrait pas être un obstacle à la vaccination. Nous ne savons pas combien de temps les personnes peuvent être protégées après avoir fait une Covid-19. Chez celles qui ont eu peu de symptômes, les anticorps disparaissent rapidement. Il n'est pas sûr que cela ait un impact sur la protection. Mais pour faciliter la distribution de vaccins, nous recommandons de vacciner sans faire préalablement de tests sérologiques. Le comité pense qu'il serait souhaitable de cibler dès le début de la campagne une catégorie de personnes éligibles peut-être plus large que les EHPAD. Pourquoi ? Le plus souvent, les EHPAD – c'est d'ailleurs pour cela qu'ils existent – hébergent des personnes très âgées, vulnérables, qui n'ont pas toujours leur indépendance cognitive. La mortalité dans les EHPAD, en dehors de la Covid, est plus importante que chez les personnes âgées vivant chez elles. Il semble donc qu'il y ait une mortalité inexpliquée chez les résidents des EHPAD, qui pourrait, à tort, être attribuée au vaccin. Si nous pouvions élargir au plus vite cette priorisation – dont la pertinence n'est pas contestable – à une tranche d'âge et d'état de santé plus large, cela permettrait de comprendre l'efficacité du vaccin, chez les personnes un peu moins âgées et qui n'ont pas les multimorbidités que l'on voit souvent dans les EHPAD.