Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Vendredi 11 décembre 2020
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition de Mme Marie-Paule Kieny, présidente du Comité scientifique sur les vaccins Covid-19, M. Stéphane Paul, professeur d'immunologie au CHU de Saint-Etienne, M. Bernard Fritzell, consultant indépendant dans le développement clinique des vaccins, et M. Bernard Fanget, consultant en vaccinologie, membres du Comité.
. – Chers collègues, mesdames et messieurs, bienvenue pour cette nouvelle audition publique de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), qui se tient dans le cadre de la préparation du débat à venir sur la stratégie vaccinale contre la Covid-19. Ce débat aura lieu au Parlement la semaine prochaine – le 16 décembre à l'Assemblée, le 17 décembre au Sénat –, après une déclaration du Gouvernement. L'OPECST instruit le dossier en organisant plusieurs auditions publiques, dont quatre ont déjà eu lieu, sous l'égide de quatre rapporteurs.
Deux rapporteurs sont issus de l'Assemblée nationale – les députés Jean-François Eliaou et Gérard Leseul – et deux sont issus du Sénat, les sénatrices Florence Lassarade et Sonia de La Provôté. Ce panel représente quatre sensibilités politiques différentes, qui travaillent sur ce dossier de la façon la plus objective possible. Cela reflète le mode de fonctionnement de l'Office, organe parlementaire bicaméral et transpartisan.
Ce matin, l'Office auditionne des membres de ce que nous connaissons sous le nom de « comité vaccins », présidé par Marie-Paule Kieny, directrice de recherche à l'In stitut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), lauréate du prix international INSERM 2018. Professeur Kieny, peut-être nous expliquerez-vous tout à l'heure, lors de votre première prise de parole, comment fonctionne ce comité. Vous nous parlerez aussi de votre parcours et de votre rôle. Vous êtes accompagnée par d'autres membres du comité, dont nous aurons à cœur de partager aussi l'expérience. Il s'agit de M. Stéphane Paul, professeur d'immunologie au CHU de Saint-Etienne, M. Bernard Fritzell, consultant indépendant dans le développement clinique des vaccins, et M. Bernard Fanget, consultant en vaccinologie.
Cette audition est publique à un haut degré, dans le sens où le public peut interagir. Toute personne qui assiste à l'audition a la possibilité de transmettre des questions via la plateforme Slido. Vous trouverez le lien sur le fil Twitter de l'OPECST. Je me chargerai de les relayer auprès des intervenants.
. – Je suis directrice de recherche à l'INSERM, dans le domaine de l'antibiorésistance : je suis la directrice du programme prioritaire de recherche sur l'antibiorésistance mis en œuvre dans le cadre des programmes Investissements d'avenir.
Le 4 juin 2020, j'ai été saisie conjointement par les ministères de la Santé et de la Recherche pour mettre en place un comité scientifique vaccins qui aurait trois missions principales – il y a quelques missions annexes :
– une mission de veille : il s'agit de savoir quels vaccins avancent, quel est l'environnement de la recherche et quels sont les vaccins qui pourraient avoir de l'intérêt ;
– une mission de conseil du gouvernement sur la pertinence d'essais cliniques de vaccins covid qui pourraient avoir lieu en France, en particulier sur la plateforme Covireivac ;
– une troisième mission qui s'exerce surtout vis-à-vis de la task force vaccins ; celle-ci était initialement placée auprès du Premier ministre mais elle l'est maintenant auprès du ministre de la Santé. La task force négocie les achats de vaccins et les précommandes en lien avec les actions de la Commission européenne.
Le comité auditionne des producteurs de vaccins qui viennent, à notre demande, présenter leurs résultats, dans des formats d'auditions standardisés. Chacun d'entre nous signe un accord individuel de confidentialité de façon à pouvoir accéder à tous leurs résultats confidentiels. Une présentation de 20 à 30 minutes précède une séance de questions-réponses. Par la suite, nous rédigeons une recommandation. Il y a plusieurs niveaux de recommandations : « avis positif », « nuancé », « restreint » ou « négatif ».
Depuis plusieurs mois, le gouvernement nous demande de fournir ces avis en français et en anglais. Cette traduction anglaise est partagée avec la Commission européenne et les représentants des États membres qui négocient, avec la France, les achats de vaccins.
Le comité est composé de 11 membres qui, outre moi-même, sont :
– 3 immunologues de haut niveau ;
– 1 membre spécialisé dans les études cliniques de vaccins ;
– 1 pharmacien qui représente les comités de protection des personnes (CPP) prévus par les lois de bioéthique ;
– 1 virologue ;
– 3 membres qui anciennement occupaient des responsabilités importantes dans des sociétés qui produisent des vaccins – chez Pfizer, GSK ou Sanofi –, qui n'ont plus ces activités, bien entendu, de façon à pouvoir éclairer le comité sur tous les aspects : la recherche et développement, l'immunologie, les réponses immunitaires, la sécurité ;
– 1 membre qui représente la Haute Autorité de santé (HAS).
. – Merci beaucoup pour cette introduction. Vous assurez donc trois rôles : la veille, le conseil sur les éventuels essais cliniques, et le conseil à la task force, sur la base des évaluations résultant de vos rencontres avec les producteurs de vaccins.
Oui, nous conseillons le gouvernement. Il y a la veille, qui donne lieu à un rapport de temps en temps. Nous conseillons le gouvernement sur la pertinence des essais cliniques en France, sur la plateforme Covireivac, et sur la pertinence d'achats ou de préréservations de vaccins. Tout ceci se fait à la suite d'auditions de différents producteurs. Nous n'auditionnons que les producteurs auprès desquels l'Europe ou la France expriment un intérêt à acheter des vaccins. Plus de 200 vaccins étant en développement, il serait impossible d'auditionner tous les fabricants. Parfois, nous auditionnons les laboratoires plusieurs fois. Nous avons en particulier auditionné Pfizer-BioNtech quatre fois, au fur et à mesure qu'ils apportaient de nouveaux résultats.
Je souhaite présenter les collègues qui sont présents avec moi :
– Stéphane Paul est immunologue au CHU de Clermont-Ferrand ;
– Bernard Fanget était responsable de la production des vaccins à grande échelle chez Sanofi-Pasteur ;
– Bernard Fritzell occupait des fonctions dans la R&D chez Pfizer.
. – Au fur et à mesure des questions, les différents membres du comité doivent se sentir libres d'intervenir en fonction des orientations de la question, sous l'égide de madame Kieny.
Si vous le voulez bien, commençons par les questions des rapporteurs.
. – Je vais commencer par une question qui ne paraît pas très scientifique – je suis le seul rapporteur qui n'est pas médecin.
Beaucoup de cafouillages ont eu lieu il y a quelques mois autour des masques et des tests, et ceci génère une certaine défiance et le sentiment d'une gestion approximative de la crise. Bien sûr, votre comité n'est pas du tout en cause. Que peut-il faire pour donner confiance aux citoyens quant à la rigueur avec laquelle les vaccins vont être choisis, autorisés et mis sur le marché, et quant à la pertinence de la stratégie que vous conseillez ?
Je me pose une question très pratique depuis quelques jours : vous venez de dire qu'il y avait 200 vaccins en cours de développement. Êtes-vous sollicités pour des vaccins chinois ou russes ? Cela m'intéresse, car je pense que, dans notre communication, nous avons intérêt à sortir du cadre franco-français, du mauvais questionnement ou de la mise en cause de notre gestion. Cela m'intéresse donc d'avoir votre avis sur ce qui se passe à l'extérieur.
. – Merci beaucoup pour votre présentation. Ma question porte sur les relations avec l'Europe, l'Agence européenne du médicament (EMA) et les structures équivalentes à votre comité ou, s'il n'y en a pas, susceptibles d'être en lien avec lui au plan européen. Vous conseillez sur la pertinence d'achat des vaccins et des études portant sur les vaccins. Mais l'EMA et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sont censées avoir cette compétence, puisque ce sont elles qui sont compétentes pour délivrer l'autorisation de mise sur le marché (AMM). J'imagine donc que vous vous situez très en amont, mais d'un autre côté, vous ne pouvez pas vous trouver en contradiction avec ces deux structures, qui sont celles auxquelles on se fie.
Ma deuxième question porte sur les vaccins que vous suivez. En l'état actuel, avez-vous identifié un type de vaccins dont vous auriez la conviction qu'il serait l'instrument le plus pertinent de la stratégie à adopter, tant au plan européen que national ?
. – J'ai un certain de nombre de questions qui portent sur la méthodologie et sur les critères que vous utilisez pour émettre vos recommandations.
Votre approche est-elle fondée sur une comparaison entre les différents candidats vaccins, ou bien est-ce une évaluation individuelle de leurs qualités et de leurs défauts ? C'est important, parce que la stratégie qui sera mise en œuvre formulera vraisemblablement des préférences, des indications particulières.
Les auditions d'hier nous ont montré qu'une AMM – quand elle sera effective – sera conditionnelle, c'est-à-dire avec des engagements demandés aux industriels dont le respect sera vérifié au fur et à mesure de l'utilisation des vaccins. Le comité vaccins sera-t-il mobilisé dans le suivi de ces engagements, et donc de l'AMM qui, de conditionnelle deviendra non conditionnelle, c'est-à-dire définitive ?
S'agissant de vos critères d'évaluation, votre grille d'analyse prend-elle en compte la logistique ? Selon les vaccins, les contraintes logistiques peuvent être importantes – chacun sait que le Pfizer nécessite d'être conservé à ‑80 degrés – non seulement en termes d'efficacité du vaccin, mais aussi, peut-être, d'effets indésirables ou d'effets négatifs, parce que l'acide ribonucléique (ARN) aura tout simplement disparu de la dose. C'est un élément important à prendre en compte.
Enfin, vous avez présenté l'échelle des recommandations. Vos conclusions sont-elles données au seul gouvernement ou aussi aux industriels, de façon transparente ? Est-ce un verdict définitif ou avez-vous des clauses de revoyure ? Par exemple, dites-vous aux industriels : « Ce point est fragile, pouvez-vous travailler dessus ? Pouvez-vous produire un résultat complémentaire ? », dans le cadre d'un dialogue constructif entre votre comité et l'industriel en question ?
. – Bonjour à tous. Plusieurs des questions qui m'intéressaient ont été posées. Je souhaite approfondir le sujet de la priorisation des maisons de retraite. Dans certaines zones, la majorité des pensionnaires d'EHPAD et établissements similaires ont été touchés par l'épidémie. Comme le nombre de doses disponibles va être relativement restreint dans un premier temps, ne faudrait-il pas prioriser les zones peu touchées ? Puisqu'il est très compliqué de déplacer le vaccin Pfizer et que c'est ce qui, vraisemblablement, va le plus ralentir la distribution des vaccins, n'a-t-on pas intérêt à affiner les priorités ?
Par ailleurs, combien de temps dure l'immunisation issue de la maladie ?
S'agissant des vaccins chinois, je rejoins mon collègue Gérard Leseul : avons-nous si peu confiance dans les Chinois pour ne pas évaluer leur vaccin qui, lui, est déjà produit et dispensé à très grande échelle ? Cela donnerait un recul important lorsque viendra le moment de nous vacciner.
Enfin, j'ai entendu ce matin que le vaccin Sanofi ne serait pas prêt avant fin 2021. Qu'en est-il d'après les informations dont vous disposez ?
. – Ces questions balaient assez largement le champ que nous avons à couvrir aujourd'hui.
Tout d'abord, les questions les plus compliquées sont souvent celles qui sont le moins spécialisées. Je voudrais rassurer le rapporteur qui n'est pas médecin : je ne suis pas médecin non plus. D'ailleurs, je ne suis pas non plus professeur, mais docteur. Je suis ingénieur agronome, puis j'ai fait une thèse de sciences. Comme vous le voyez, nous n'avons pas tous besoin d'être médecin.
Face au cafouillage et au risque de défiance, comment rassurer ? La meilleure façon de rassurer est d'être le plus transparent possible et de dire ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. Il faut aussi considérer les citoyens français comme des adultes et pas comme des enfants à qui l'on doit cacher la vérité. Par exemple, nous savons que les premiers vaccins qui vont arriver sont assez réactogènes : leur niveau de sécurité semble être satisfaisant, mais l'injection fait mal au bras. La plupart des volontaires dans les essais vaccinaux vont avoir mal au bras, peu de fièvre semble-t-il, mais un sentiment de fatigue. Il faut que ce soit clair pour les citoyens à qui l'on va proposer la vaccination car ils doivent eux-mêmes, en toute conscience, décider à quel moment ils veulent procéder à la vaccination ou pas. C'est pour répondre à ce besoin de transparence que j'interviens souvent dans la presse. Il faut expliquer, parler et, autant que possible, parler vrai et faire un effort de pédagogie.
Les vaccins russes et chinois présentent effectivement un intérêt. Je demanderai à mon collègue Bernard Fanget, qui était avec moi en Russie, de faire un état du développement du vaccin Spoutnik. Pour ce qui est de la Chine, nous avons auditionné la société Sinovac, qui développe un vaccin inactivé. Nous suivons de près l'avancée de leurs recherches. C'est un vaccin qui devrait donner des résultats – positifs ou très positifs, nous n'en savons rien encore. Ils ont un essai en cours au Brésil qui semble avoir recruté beaucoup de volontaires. Nous attendons ces résultats avec intérêt. Ces vaccins ne sont pas écartés de nos analyses, mais ils auront un peu plus de difficultés à obtenir une AMM en France et en Europe, tout simplement parce que leurs producteurs ne sont pas aussi connus des régulateurs que Sanofi-Pasteur, Merck, etc. Les autorités de santé devront donc montrer une vigilance accrue pour s'assurer que les produits concernés ont une qualité suffisante pour pouvoir être distribués en France.
Les vaccins chinois seront-ils disponibles à grande échelle à l'export ? C'est une question qui se pose encore, car les besoins domestiques de la Chine sont importants : le pays doit immuniser plus d'un milliard de personnes. C'est aussi le cas pour la Russie, où le gouvernement a commencé une vaccination de masse, au moins dans la capitale.
S'agissant des relations avec la Commission européenne, la France – et je m'en félicite – a été précurseur dans la mise en place d'un comité scientifique vaccins. Dès le mois de juin, la task force qui s'occupe des négociations a pris acte du fait que la dimension scientifique n'est pas le seul facteur à prendre en compte dans l'achat des vaccins, puisqu'il y a aussi la disponibilité, le prix, la logistique, etc. mais l'importance des aspects scientifiques s'est imposée. Le comité vaccins a donc été mis en place rapidement. Quand la Commission européenne a commencé à évaluer les vaccins, il n'y avait pas de méthode bien établie. Suite aux discussions que nous avons eues avec les représentants d'autres États membres, la Commission a mis en place un système d'audit assez similaire à ce que nous faisons, sauf que des audits avec autant d'États membres sont assez compliqués. Il n'est pas possible de mettre en place un comité qui fonctionne avec presque 30 membres. La Commission invite donc les producteurs à une audition qui réunit des représentants scientifiques des États membres, et la France y est représentée par le comité. Je m'exprime donc au nom du comité français et je fournis à la Commission non seulement les avis écrits, mais aussi les recommandations finales.
Nous n'avons pas de relations formelles avec l'EMA. Nous avons échangé plusieurs fois, notamment à propos des critères sur lesquels ils pourraient fonder l'autorisation de mise sur le marché en Europe.
Pendant les deux à trois premiers mois de la vie du comité, une représentante de l'ANSM y siégeait. À partir du moment où la France est devenue pays rapporteur de dossiers d'enregistrement, l'EMA a considéré que les représentants de l'ANSM ne pouvaient être à la fois parties prenantes du comité puis responsables de l'instruction de dossiers auprès de l'Agence du médicament. Cette collègue de l'ANSM nous a donc quittés, mais nous continuons à échanger quand c'est nécessaire. Vous avez raison, le comité intervient en amont de l'ANSM, parce qu'il voit très souvent les résultats des laboratoires avant que ceux-ci ne soient fournis de façon formelle à l'ANSM pour un examen réglementaire.
Avons-nous une appétence pour certaines plateformes ? Oui et non. Dès la deuxième audition, nous avons estimé qu'il était impossible de considérer tous les vaccins les uns après les autres sans méthode. Nous sommes donc passés à un examen par plateforme, un examen comparatif. Nous avons regardé tous les vaccins ARN messagers et nous avons fourni un commentaire comparatif entre ces vaccins de la même plateforme. Nous avons ensuite auditionné tous les producteurs d'intérêt pour la France qui développaient des vaccins basés sur des plateformes d'adénovirus. Nous avons ensuite vu tous les producteurs ayant des vaccins de type sous-unitaire, comme Sanofi-Pasteur. Les vaccins ont donc été comparés par plateforme. On peut aussi les comparer de façon transverse, indépendamment des plateformes, mais cette comparaison est plus difficile parce que les modes de protection pourraient être basés sur des mécanismes immunitaires différents. On ne peut de toute façon faire de comparaisons que sur ce qu'on connaît bien, et les connaissances sur les vaccins ne sont venues au comité qu'au fil de l'eau. Au début de nos auditions, nous en savions assez peu.
Il est difficile de dire que le comité aurait une préférence pour certaines plateformes. Mais il a reconnu assez rapidement la valeur de la plateforme des vaccins à ARN. Cette évaluation, qui était très précoce, s'est confirmée, puisque ces vaccins ont donné des résultats qui semblent très intéressants pour l'avenir.
Certains vaccins pourraient avoir des indications particulières. C'est pour cela qu'il est très important de voir les protections que peuvent offrir les différentes plateformes, sur des populations différentes. Il est possible que certains soient plus efficaces que d'autres sur les personnes âgées. Comme vous le savez sans doute, les personnes âgées sont souvent moins réceptives à la vaccination, et les vaccins sont moins efficaces chez elles, par exemple pour la grippe. Mais ce n'est pas toujours le cas : les vaccins contre le zona, qui sont maintenant commercialisés par Merck et GSK, sont extrêmement efficaces chez les personnes âgées. Ce n'est donc pas forcément une malédiction. Certains vaccins en cours de développement pourraient être plus efficaces que d'autres chez les personnes âgées.
Le communiqué de presse publié par Sanofi-Pasteur ce matin fait état de retards à la livraison de vaccins. Sanofi entend repenser la formulation de son vaccin, qui semble induire peu de réponse immunitaire chez les personnes âgées. Nous voyons que c'est le cas, alors que les premières données sur les plateformes ARN messager, publiées par Pfizer-BioNtech et Moderna, semblent indiquer que les réponses immunitaires chez les personnes âgées de plus de 70 ans et chez les personnes plus jeunes semblent similaires.
Le comité va réaliser un suivi et continuera d'auditer les producteurs, même quand les contrats auront été signés et les achats réalisés, dans la mesure où ces vaccins pourraient protéger différemment les personnes âgées, mais aussi pourraient susciter une protection contre la transmission. On voit dans des modèles animaux, chez le primate non humain, que certains vaccins candidats semblent plus efficaces pour empêcher la présence de virus SARS-CoV-2 dans la sphère respiratoire supérieure – le nez, la gorge – des animaux infectés. Si ces résultats se confirmaient chez l'homme, ces vaccins pourraient bloquer la transmission par les personnes vaccinées alors que d'autres ne le feraient pas. Pour cette raison, nous allons continuer à suivre les développements et les connaissances relatifs à ces vaccins pour pouvoir éventuellement conseiller le gouvernement sur des stratégies adaptées.
Le comité a établi une grille d'évaluation. Toutes ses recommandations sont prises par consensus. Nous discutons les données de production, les données précliniques issues des modèles animaux, les données cliniques obtenues chez l'homme, à la fois dans les premiers essais et les grands essais d'efficacité. Les aspects logistiques sont pris en compte. Le fait que le vaccin de Pfizer-BioNtech doive être gardé à -70 degrés est effectivement un problème, qui n'est pas insoluble pour des pays comme la France. J'ai participé à un essai clinique d'un vaccin contre Ebola en Afrique de l'Ouest en 2015. Ce vaccin, comme celui de Pfizer, devait être gardé à -70 degrés, et nous avons pu, dans ce pays très pauvre, mettre en évidence l'efficacité de ce vaccin et, plus tard, l'utiliser dans les campagnes de vaccination réactive au Congo, à une température très basse. C'est un problème logistique, mais cela ne devrait pas bloquer l'utilisation de ce vaccin en France. Nous regardons aussi avec attention l'évaluation et l'évolution de vaccins qui pourraient être utilisés sous forme d'une dose unique. Pouvoir protéger après une dose plutôt qu'après deux serait souhaitable.
Nos conclusions sont transmises au gouvernement et celui-ci en communique une version anglaise à la Commission européenne. Nous ne communiquons pas par voie écrite nos recommandations aux industriels, mais par nos échanges nous leur suggérons un certain nombre d'améliorations et nous continuons d'interagir par le biais de questions-réponses. Encore aujourd'hui, nous attendons des compléments d'information du groupement Pfizer-BioNtech.
S'agissant de la priorisation pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), nous pensons que la séropositivité ne devrait pas être un obstacle à la vaccination. Nous ne savons pas combien de temps les personnes peuvent être protégées après avoir fait une Covid-19. Chez celles qui ont eu peu de symptômes, les anticorps disparaissent rapidement. Il n'est pas sûr que cela ait un impact sur la protection. Mais pour faciliter la distribution de vaccins, nous recommandons de vacciner sans faire préalablement de tests sérologiques. Le comité pense qu'il serait souhaitable de cibler dès le début de la campagne une catégorie de personnes éligibles peut-être plus large que les EHPAD. Pourquoi ? Le plus souvent, les EHPAD – c'est d'ailleurs pour cela qu'ils existent – hébergent des personnes très âgées, vulnérables, qui n'ont pas toujours leur indépendance cognitive. La mortalité dans les EHPAD, en dehors de la Covid, est plus importante que chez les personnes âgées vivant chez elles. Il semble donc qu'il y ait une mortalité inexpliquée chez les résidents des EHPAD, qui pourrait, à tort, être attribuée au vaccin. Si nous pouvions élargir au plus vite cette priorisation – dont la pertinence n'est pas contestable – à une tranche d'âge et d'état de santé plus large, cela permettrait de comprendre l'efficacité du vaccin, chez les personnes un peu moins âgées et qui n'ont pas les multimorbidités que l'on voit souvent dans les EHPAD.
. – Je ne suis pas non plus médecin, mais ingénieur biochimiste. Nous avons été appelés à rendre visite à nos collègues russes pour analyser les données de leur vaccin. Le concept sur lequel repose le vaccin russe est très pertinent, et l'approche qui a été développée est tout à fait sensée. Mais la production rencontre quelques difficultés, notamment au regard du respect des normes applicables en Amérique du Nord et en Europe. Nous leur avons donné quelques conseils pour améliorer leur environnement et les conditions dans lesquelles le vaccin pourra être produit.
. – Merci beaucoup. Nous avons fait le tour pour cette première salve de questions, sauf si d'autres membres du comité souhaitent intervenir.
. – Je suis immunologiste au CHU de Saint-Étienne, où j'ai été nommé quelques années après avoir travaillé dans le secteur privé. Le comité a aussi auditionné CanSino, une autre société chinoise ayant développé un vecteur adénoviral sur lequel il a émis une recommandation. Les vaccins russes et chinois sont effectivement dans notre champ d'étude et nous en suivons les développements.
Bien que les analyses du comité fassent référence à des critères déterminés, la comparaison des plateformes est compliquée. Nous essayons de comparer des paramètres biologiques et immunologiques. Par exemple, chaque producteur présente des taux d'anticorps neutralisants, mais les tests sont assez différents selon les producteurs. Un expert du comité, Xavier de Lamballerie, qui travaille à Marseille, a essayé de normaliser les informations recueillies, sachant que chaque producteur arrive avec une comparaison de sa capacité à induire des anticorps neutralisants avec, par exemple, des sérums de patients convalescents. Ce sont les informations normalisées qui sont prises en compte dans le classement ou le comparatif des vaccins.
S'agissant de la durée d'immunisation, il n'est pas facile de savoir combien de temps les gens sont protégés. La littérature suggère que les patients qui ont fait une Covid ont des anticorps pendant environ six mois, mais on ne sait pas si cela les protège effectivement. Le critère de séropositivité est compliqué à gérer. Certains producteurs de vaccins l'ont pris en compte, d'autres non. Nous avons donc quelques données, notamment de Pfizer-BioNtech chez les patients séropositifs. A priori l'efficacité vaccinale est la même chez les gens séropositifs que chez les gens séronégatifs. Voilà où nous en sommes aujourd'hui.
. – Merci. Continuons donc un peu en immunologie. Les auditions précédentes nous ont appris qu'il y avait un vrai besoin de cerner le cadre général de l'efficacité d'un candidat vaccin : l'impact sur les signes cliniques, l'absence dans le groupe vacciné de formes graves ou même de formes symptomatiques, etc. Cela étant, l'analyse post-vaccinale de la réponse immunitaire est également très importante, d'autant que la première phase concerne des personnes âgées, dont l'immunité est relativement vieillissante – comme le reste du corps d'ailleurs. Stéphane Paul l'a évoqué et je souhaite y revenir : étant donné l'importance a priori de la réponse immunitaire cellulaire, faut-il évaluer – et si oui, comment le faire ? – cette réponse immunitaire cellulaire qui est importante dans la protection contre une infection ? Faudra-t-il réaliser un certain nombre d'études cliniques – pas dans la population générale, bien entendu, et pas pour toutes les personnes vaccinées ?
. – Après ces échanges, on aimerait bien en savoir un peu plus… J'attire votre attention sur le fait que les médecins généralistes et les autres professionnels de santé que nous avons rencontrés, pour être convaincus, sont demandeurs de beaucoup d'informations, et pas uniquement par voie de presse ou par les ondes. Quelle contribution vous voyez-vous apporter à la nécessaire communication en direction de ceux qui vont pratiquer la vaccination ? J'insiste là-dessus. : l'acte médical sera de leur responsabilité. Ils sont très demandeurs – comme nous d'ailleurs – de données précises qui puissent les conforter dans leur approche et les aider à exposer cela à leurs patients. La population elle aussi attend beaucoup d'informations, mais comme la vaccination va passer par les médecins, il faut que nos confrères soient éclairés. C'est une demande forte, et je pense que la campagne de vaccination ne réussira que si nous leur apportons cela.
. – Les représentants des médecins et professionnels de santé que nous avons auditionnés nous ont dit : « Nous voulons bien vacciner et transmettre la confiance, mais il faut que nous soyons informés. Pour l'instant, nous avons le sentiment de ne pas avoir les informations qui nous permettraient de juger et d'être considérés comme des interlocuteurs sérieux. » Cette remarque est revenue plusieurs fois et ce discours était assez en phase avec les interventions qu'Éric Caumes a pu faire dans les médias. Il y a un défi à relever.
. – Je souhaiterais réagir à ce qui vient d'être dit. J'insiste beaucoup. Par rapport à ce qui vient d'être dit sur la confiance, il y a un vrai sujet pour comprendre exactement quel est votre rôle dans ce dialogue dont l'importance économique est majeure – si on regarde les sommes en jeu – entre les laboratoires, le comité vaccins et le gouvernement, mais pas l'Agence européenne du médicament ni l'ANSM, avec – d'après ce que je comprends – des interactions fréquentes, des recommandations, des conseils, des questions posées aux laboratoires, avec lesquels nous sommes en contractualisation par ailleurs. Finalement, personne ne connaît le contenu de ce dialogue. Dans la construction de la confiance, votre rôle reste assez secret – je n'irais pas jusqu'à parler d'opacité. Il est difficile de comprendre la nature de vos relations avec des gens qui vont fournir des vaccins, payés par l'Europe et par la France. Le contenu du dialogue, dont on peut comprendre qu'il soit un peu secret, doit néanmoins être un peu connu de la population générale. Sinon, je ne vois pas comment l'édifice de la confiance pourrait être construit.
. – Je partage la question de Sonia de La Provôté. Nous avons besoin de transparence sur la relation financière. Vous l'avez dit, d'anciens membres de laboratoires siègent au sein du comité, et j'en comprends bien l'intérêt, car ils peuvent apporter une compréhension des logiques à l'œuvre dans un laboratoire, des limites du laboratoire, etc. Encore faut-il que soit expliqué très clairement le rôle collectif de votre comité auprès de la population. Je soutiens donc complètement la question qui a été posée.
Sur la démarche vaccinale, j'ai bien noté ce qui pourrait motiver un élargissement des priorités, notamment le souhait de sortir du risque de surmortalité lié à la situation des EHPAD. Envisagez-vous de recommander une vaccination de masse avec, pourquoi pas, des vaccinodromes – ce qui n'est pas l'option retenue pour le moment – ou, au contraire, une vaccination de proximité très progressive, qui permette à chacun de faire un choix librement, sans pression publique ?
. – Bernard Fritzell pourrait répondre à la question sur le suivi post-vaccinal, l'importance et la façon d'évaluer la réponse immunitaire cellulaire autour des lymphocytes T.
Nous sommes bien d'accord : il faut plus d'informations, il faut une information exacte, qui dit des faits et ne parle pas de sentiments. Je suis un peu déçue qu'un médecin français confie à la presse qu'il préfère la glace au chocolat plutôt que la glace à la fraise. C'est à peu près la teneur de ce qui a été communiqué : « Moi, je prendrais Astra-Zeneca plutôt qu'un vaccin à ARN messager. » Pour quelle raison ? Ce genre de propos publics est regrettable, car il faut parler de faits et pas de sentiments ou d'inclinations qui ne sont pas basés sur les faits.
Une chose est connue : qu'ils soient basés sur les plateformes à ARN messager ou sur la plateforme du vaccin d'Astra-Zeneca, ces vaccins sont assez réactogènes, comme on dit dans le jargon. Cela veut dire qu'ils font mal au bras, qu'ils créent une fatigue, etc., même s'ils ne donnent pas beaucoup de fièvre. Ces effets ne semblent pas plus importants que ceux des vaccins pédiatriques. Quand on vaccine un petit enfant, très souvent il n'est pas en forme, il pleurniche, il a un peu de température, il ne veut pas manger, etc. Si on pouvait lui poser la question, il dirait peut-être qu'il ne se sent pas bien, qu'il a mal au bras. Mais il ne peut pas nous le dire, donc on pense que tout va bien. Les vaccins contre la Covid semblent induire ce type de réactions, qui sont de courte durée. C'est désagréable pendant une journée, mais si ces réactions sont associées à de forts niveaux de protection, j'estime que cela doit être tolérable pendant une journée. Ce qui le montre d'ailleurs, c'est que, autant qu'on le sache, il n'y a pas eu, parmi les milliers de personnes appelées dans les essais cliniques, de volontaires ayant décidé qu'ils ne prendraient pas la deuxième dose de vaccin parce que c'était intolérable. Il faut donc être clair sur la communication.
L'une des missions confiées à Alain Fischer va consister à mettre en place et apporter un soutien à la communication vis-à-vis de la population. Il est absolument vital de faire monter en puissance une communication à plusieurs niveaux :
– un niveau destiné aux spécialistes, comme les médecins, qui peuvent comprendre des aspects plus techniques ;
– un niveau destiné au grand public, fondé sur une communication juste, sans éléments trop techniques, pour ne pas rebuter les personnes qui ne sont pas des spécialistes de la vaccination et de l'immunologie.
Nous n'avons aucun rôle dans le dialogue économique car c'est la task force qui est chargée des négociations. Je pense néanmoins que les recommandations du comité lui ont été bénéfiques car cela lui a donné des éléments factuels pour négocier avec les producteurs de vaccins – c'était d'ailleurs une excellente démarche que négocier dans le cadre de l'Union européenne. Les éléments dont disposaient les autorités leur ont permis de négocier avec moins de biais d'information. C'est un problème récurrent dans les achats de médicaments – pas seulement pour les vaccins contre la Covid : les industriels ont beaucoup d'informations tandis que les acheteurs en ont très peu. L'action du comité, à savoir informer les pouvoirs publics qui négocient, permet de corriger en partie le biais d'information.
S'agissant de la transparence, j'ai souhaité que toutes les déclarations d'intérêt soient mises de façon transparente sur le site Internet du ministère de la Santé. Ce n'était pas obligatoire, mais cela a été fait à ma demande. Tout le monde peut donc voir que j'ai une relation d'intérêt avec la société BioMérieux, qui fait du diagnostic, et je fais bien attention à ne donner aucun conseil, quel qu'il soit, au secteur public touchant au secteur du diagnostic. Je n'ai aucun autre intérêt moi-même, touchant soit aux médicaments, soit aux vaccins. Certains membres du comité ont eu ou ont encore des relations, de par leur activité de consultant, avec certaines sociétés que nous auditons. Le comité a pour règle déontologique que, quand un membre pourrait présenter ne serait-ce que l'apparence d'un conflit d'intérêts, il n'intervient ni dans la discussion ni dans la préparation des recommandations que nous faisons sur ce vaccin.
Pour ce qui est de la vaccination de masse ou progressive, le comité penche pour une vaccination progressive. Il y a plusieurs raisons à cela.
D'une part, une raison pratique : les vaccins et les doses seront disponibles petit à petit. Il n'y aura pas, pendant le premier trimestre, ni même pendant le deuxième, suffisamment de doses pour vacciner toute la population française. Ceci est d'autant plus vrai que le vaccin Sanofi-Pasteur, pour lequel la France a marqué son intérêt, sera retardé.
D'autre part, une raison de sécurité : nous n'avons pour le moment pas de recul sur la sécurité à long terme de ces vaccins. Il paraît donc préférable de vacciner tout d'abord les personnes pour lesquelles le rapport risque/bénéfice est clairement favorable, les personnes les plus vulnérables à la mortalité ou à des maladies graves liées à une infection par la Covid, plutôt que de vacciner des populations pour lesquelles le bénéfice serait plus faible. Il sera ainsi possible de construire une base de données plus importante sur la sécurité à long terme du vaccin, sur des populations plus nombreuses, avant de lancer des vaccinations de masse. D'ailleurs, la France profitera beaucoup des vaccinations de masse qui ont commencé en Grande-Bretagne et qui vont commencer au Canada et aux États-Unis.
. – Les études non cliniques et cliniques ont permis d'évaluer les caractéristiques de la réponse humorale et cellulaire attendue d'un vaccin, notamment vis-à-vis du risque potentiel de maladies graves. Les caractéristiques de la réponse immunitaire, telle qu'elle peut être définie dans ces études de phase 1 et 2, ont été satisfaites pour les vaccins qui ont fait l'objet d'études de phase 3.
Un objectif important des études de phase 3, qui sont contrôlées, randomisées en double aveugle, est de pouvoir mettre en place un plan d'identification des corrélats de protection. Pour le moment, les commanditaires de ces études n'ont pas beaucoup communiqué à ce propos. C'est pourquoi le comité a envisagé d'interroger Pfizer. Seul un suivi des sujets vaccinés permettra éventuellement d'établir une corrélation avec un biomarqueur de protection, humorale ou cellulaire. Cela facilitera aussi le développement de vaccins de seconde génération et permettra peut-être, si des réponses convaincantes sont apportées à cette question, de ne pas passer par des essais aussi lourds que ces études de phase 3.
. – Je souhaite apporter quelques compléments sur la présence dans le comité d'anciens membres des industries pharmaceutiques. Pour ce qui me concerne, je crois avoir quitté l'industrie pharmaceutique il y a quinze ans. Cette présence offre l'intérêt de pouvoir apporter des explications et contrarier les réponses que pourraient faire les industriels aux questions du comité. En sachant comment cela fonctionne de l'intérieur, nous pouvons démystifier certaines réponses des industriels. Je pense donc que cette présence au sein du comité est bénéfique.
. – Comme l'a dit Bernard Fritzell, des données ont été fournies au comité sur le suivi de la réponse cellulaire. Le consortium – ou la plateforme – Covireivac est mandaté pour faire divers essais, notamment pour générer des données sur la réponse cellulaire à long terme. Ces protocoles Covireivac vont débuter, le premier sans doute avec Moderna, afin de réaliser un suivi à très long terme où seront précisément surveillées l'ensemble des réponses humorales et cellulaires. Plusieurs tests sont en cours de développement par des sociétés de diagnostic, notamment les tests QuantiFERON, pour suivre la réponse cellulaire au fil du temps ; en effet, il faut des tests facilement praticables dans les laboratoires. De nombreuses actions sont entreprises, mais les protocoles Covireivac, mis en œuvre par un consortium de laboratoires français spécialisés, ont justement vocation, sur des protocoles de phase 2, à générer des données immunologiques à long terme. Il y aura par exemple des études sur la réponse cellulaire et la réponse mucosale – non fournies aujourd'hui par les producteurs – qui seront vraiment un complément des études de phase 2 réalisées par les fabricants.
Le choix d'un déploiement des vaccins par phase résulte de ce que les données d'efficacité obtenues jusqu'ici portent sur la limitation du nombre de cas de Covid, en particulier de cas de Covid sévères. La phase 1 de la vaccination doit donc cibler les personnes à risque de faire des Covid sévères. Faire une vaccination de masse n'a pas d'intérêt aujourd'hui, car nous ne connaissons pas l'efficacité des vaccins pour réduire la transmission du virus. La stratégie est adaptée à l'état des connaissances sur les vaccins.
. – Merci beaucoup. Les rapporteurs ont de nouvelles questions, ainsi que d'autres membres de l'OPECST.
. – Si nous allons au bout de ce que vous dites, il apparaît que nous sommes loin de pouvoir envisager l'éradication de la maladie. Sera-ce possible un jour ? Ou allons-nous assister à des successions de vagues épidémiques malgré le vaccin ? On peut protéger les personnes âgées, mais elles ne sont pas les plus contaminantes. Je suis donc un peu déçue de cette audition. On pourrait mettre beaucoup d'espoir dans le vaccin, mais j'ai l'impression qu'on gère la crainte des effets secondaires plus que la sortie de crise, tant du point de vue de la vie sociale que du point de vue économique. La situation que vous nous présentez ce matin annonce plusieurs années d'alerte générale. Le vaccin a également un intérêt psychologique, à savoir pouvoir reprendre une vie normale. Dans vos préconisations, intégrez-vous aussi ces facteurs humains et sociologiques ?
. – Je voudrais revenir sur la mission de l'OPECST. L'Office doit évaluer les choix scientifiques et technologiques. En tant que parlementaires, nous avons au titre de l'article 24 de la Constitution l'obligation de contrôler le Gouvernement et d'évaluer les politiques publiques. C'est dans ce cadre que nous travaillons. Il est important de le redire. Nous allons publier un rapport intermédiaire avant le débat à l'Assemblée nationale puis au Sénat les 16 et 17 décembre prochains. C'est un débat sans vote, mais il est important puisque le gouvernement se présentera devant la représentation nationale pour s'expliquer. C'est notre devoir de contrôler l'action du gouvernement, au nom des concitoyens qui nous ont élus.
A priori, les vaccins actuellement et prochainement disponibles n'ont pas d'action stérilisante – si j'ai bien compris ce que dit la littérature scientifique et ce que nous entendons dans nos auditions. Il s'agit de vaccins qui empêchent la survenue de symptômes et de formes graves. La communication va être délicate, car on va devoir dire : « Vous êtes vacciné, on a vacciné votre grand-mère ou vos père et mère. Toujours est-il qu'il faut continuer à se protéger par la distanciation physique, les mesures sanitaires, le port du masque. » Cela va être très compliqué à expliquer à nos concitoyens. Pourquoi ? Parce que 50 % de personnes ne croient pas au vaccin. De plus, il va y avoir des morts car on va vacciner des personnes très âgées qui ont un risque de décès plus élevé que les plus jeunes. Tout cela va susciter des messages négatifs portés par les médias ou les détracteurs de la vaccination. Il va falloir expliquer que les personnes de 90 ans ne sont pas forcément mortes parce qu'elles ont été vaccinées. Cela ne sera pas facile. Je pressens une difficulté dans la communication – et j'aime bien l'image que vous avez employée, madame Kieny : préférer la glace au chocolat plutôt que celle à la framboise. Ce genre de discours va émerger. En tant que législateurs, nous devons faire face à ce type de défiance vis-à-vis de la vaccination. Je voulais donc savoir si vous pensez qu'il y aura un jour des vaccins avec un effet de stérilisation, c'est-à-dire empêchant la contamination de personne à personne et permettant de communiquer sur le fait que le vaccin éradique la maladie infectieuse.
. – J'aimerais aller un peu plus loin que la protection vaccinale des humains. Il y a quelques jours, lors d'une audition de l'Académie de médecine, nous avons évoqué la question de la contamination des humains par les animaux – on a parlé du vison. La réaction, dans les pays européens, a été de tuer les visons. Aujourd'hui, les efforts se concentrent sur la vaccination des humains. Puisqu'il y a cette possibilité que des animaux puissent perpétuer l'épidémie, le comité vaccins réfléchit-il à la possibilité de vacciner les animaux au lieu de les éliminer ?
. – Je vais ajouter un complément, déjà évoqué par les rapporteurs, à cette salve de questions. Dans le sujet qui nous occupe, la tâche du politique est multifacette. La voix des scientifiques se fait entendre avec la plus grande rigueur possible : de nombreuses personnes ont une grande expérience, dans un parcours privé ou public, dans un laboratoire ou sur le terrain – Madame Kieny parlait du vaccin Ebola. D'un autre côté, la communication à venir est essentielle. Effectivement, nous sentons venir les difficultés, les problèmes avec lesquels il va falloir jongler : la propension des médias à amplifier telle ou telle coïncidence, et les injonctions contradictoires qui ne manqueront pas de survenir quand on dira d'un côté que la vaccination commence, de l'autre qu'il faut redoubler de prudence avec les masques. Arnaud Fontanet nous disait déjà que le simple fait de parler de vaccins va entraîner un relâchement qui va se traduire sur les courbes sanitaires. Le gouvernement doit avoir tout cela en tête.
Comment les différents comités scientifiques – le vôtre, celui d'Alain Fischer, celui de Jean-François Delfraissy, celui de Françoise Barré-Sinoussi – vont-ils se répartir les rôles en matière de communication ? Ont-ils des cibles différentes ? Comment éviter la cacophonie ou un effet délétère avec tant de comités ?
. – Avec ces questions, nous entrons dans le dur, qui est moins scientifique. Nous n'allons pas éradiquer le virus. Cela m'étonnerait, en tout cas. Le virus va rester avec nous. Mais avec le vaccin, on peut quand même penser qu'à l'échelle de quelques mois, peut-être une année, nous allons pouvoir vivre autrement ; pas retourner dans l'insouciance antérieure, mais vivre une vie plus normale, pouvoir se voir, voir les grands-parents, les petits-enfants, etc. La vaccination est un grand espoir. Cependant, à ce stade, il y a encore beaucoup d'interrogations. Nous sommes un comité scientifique : nous ne sommes pas là pour vendre du rêve mais pour vous dire ce que nous savons et ce que nous ne savons pas. Je n'ai pas de boule de cristal.
Malgré tout, même s'il n'est pas question d'éradication, ces vaccins pourraient avoir un impact très important dans la façon dont nous gérons la crise. Par exemple, si nous pouvions déjà protéger les personnes vulnérables, nous pourrions accepter que le virus circule un peu plus, parce que les personnes qui ont le plus de risques de mourir ou d'avoir une maladie sévère seront protégées. Et si les plus jeunes sont malgré tout infectés, ils feront, pour la plupart, une maladie peu sévère et se retrouveront protégés après ça.
La population pourrait-elle acquérir une immunité totale qui ferait que personne ne tombe malade ? On a parlé d'un taux de 60 % qui serait suffisant pour éviter que le virus circule. Ce sont des chiffres, des hypothèses, de la modélisation. Un article d'un spécialiste très crédible, le professeur Anderson au Royaume-Uni, suggère que pour arriver à arrêter la circulation du virus, il faudrait vacciner la quasi-totalité de la population avec un vaccin efficace à quasiment 100 % et qui conférerait une très longue immunité. On ne peut pas assurer que ce ne sera pas le cas, mais pour le moment, nous ne savons pas du tout si ce sera possible.
La plupart des vaccins ne sont pas stérilisants : ils protègent de la maladie et pas de l'infection. Certains vaccins contre la Covid, dans certains modèles animaux, chez le primate non humain, n'éliminent pas complètement la présence de virus dans les zones respiratoires supérieures, mais semblent capables d'en diminuer durablement la quantité. Ils pourraient avoir un impact sur la transmission, sans nécessairement être capables de la bloquer complètement. Si l'on parvient à ramener au-dessous de un le fameux coefficient R0, la transmission diminuera et la pandémie reviendra sous contrôle – sans aller jusqu'à l'éradication, peut-être. À l'heure actuelle, personne ne sait si le virus qui circule sera finalement comme les autres coronavirus hivernaux. Peut-être aura-t-on, à l'avenir, des épidémies hivernales contrôlées par la vaccination et peut-être faudra-t-il, comme pour la grippe, revacciner de façon périodique. Je ne peux pas être affirmative, car nos connaissances actuelles sont insuffisantes. Je ne peux pas vendre des connaissances que je ne possède pas.
Pour ce qui est des animaux, nous n'en sommes pas à envisager une vaccination. La réduction de l'exploitation de visons pour la fourrure est sans doute une bonne nouvelle pour les visons, même si un grand nombre a été tué. C'était un geste de précaution du Danemark et, dans une certaine mesure, de la France, pour s'assurer que les visons ne diffusent pas un virus non contrôlé par les vaccins en cours de développement. C'est donc un principe de précaution. Pour le moment, on cherche surtout à vacciner l'homme.
Il faut effectivement se poser la question de la pertinence de certains comités. Le comité qui était présidé par François Barré-Sinoussi – auquel j'appartenais – n'est d'ailleurs plus en fonction depuis le mois de juillet. Certains membres du comité vaccins vont rejoindre Alain Fischer dans le Conseil qu'il va former. La communication et le conseil sur la stratégie vaccinale ne font pas partie des missions du comité que je préside. Nous nous sommes récemment interrogés sur la poursuite en 2021 des auditions et du travail du comité que vous recevez aujourd'hui. J'étais prête à dire qu'il fallait arrêter, parce que la multiplication des comités peut rendre le dialogue plus complexe. Après discussions au sein du comité et avec la task force vaccins, je suis convaincue que nous avons encore notre pierre à apporter à l'édifice car nous pouvons continuer à fournir des informations précieuses à ceux qui sont responsables des achats et des stratégies vaccinales. Quand son action ne sera plus pertinente, vous pouvez me faire confiance, ce comité sera fermé.
. – Ce que vous appelez la task force vaccins est-elle européenne ou parlez-vous de la task force nationale ? Auquel cas, votre valeur ajoutée vis-à-vis de cette task force chargée de négocier l'achat des vaccins est d'être un intermédiaire ou un passeur de messages dans la négociation. Ai-je bien compris ?
. – Je parle de la task force qui était placée auprès du Premier ministre et qui est maintenant positionnée auprès du ministre de la Santé et qui est un des éléments moteurs de la négociation – sept pays sont rapporteurs pour les négociations au nom de la Commission européenne. Nos avis vont à la task force française qui partage ces avis avec les autres pays participant aux négociations. L'impact des recommandations du comité se traduit au niveau français et au niveau européen.
. – Je voudrais revenir sur Sanofi, un sujet qui intéresse la représentation nationale à double titre. Vous êtes l'une des représentantes très distinguées des sciences médicales en France. Le retard de Sanofi vous inquiète-t-il ? Est-ce qu'il traduit une déficience de l'expertise et de la qualité de la recherche française ?
. – Il est effectivement regrettable que Sanofi soit en retard. Nous les avons auditionnés au début de l'automne, et ils n'avaient aucun résultat à nous présenter. Nous allons les revoir avant la fin de l'année. Nous arriverons à comprendre quels sont leurs problèmes. Selon les informations parues dans la presse, le vaccin semble avoir de bonnes caractéristiques chez les personnes jeunes, mais pas chez les personnes âgées qui sont la cible principale. Développer un vaccin demande beaucoup de recherches et nécessite de bien comprendre les mécanismes immunitaires. La réussite n'est pas garantie. Sanofi arrivera, je l'espère, à adapter son vaccin aux réalités auxquelles il se confronte maintenant.
Avant les premiers résultats de Pfizer-BioNtech, nous discutions de l'usage possible de vaccins qui ne seraient efficaces qu'à 50 % et qui auraient une barre statistique de protection – les spécialistes ici savent ce que cela veut dire – qui serait négative. La situation est en fait bien meilleure : certains vaccins semblent avoir une efficacité extrêmement élevée, même si nous ne connaissons pas encore la durée de la protection qu'ils confèrent. Mais les déboires de Sanofi confirment que le développement d'un vaccin n'est pas toujours couronné de succès. Vous le savez, malgré des décennies d'efforts, il n'existe pas encore de vaccin contre le VIH. Toutes les réponses fournies par Pfizer, Moderna, Spoutnik, et même Astra-Zeneca montrent qu'il est possible de fabriquer un vaccin efficace contre la Covid-19. C'est un message d'espoir. Ces vaccins permettront de gérer la pandémie. Mais les nouveaux résultats montrent que certains vaccins auront peut-être plus de mal à être mis au point, et que tous ne seront peut-être pas au niveau d'efficacité souhaité.
. – Merci pour cette précision. Je répercute deux questions posées sur la plateforme en ligne.
À partir de quel niveau d'efficacité vaccinale chez les personnes âgées, notamment celles de plus de 75 ans – celles qui sont ciblées dans la première phase de la campagne – considère-t-on que le rapport bénéfice/risque reste intéressant pour elles ?
Peut-on espérer disposer des données relatives au niveau d'efficacité vaccinale chez les personnes très âgées avant le début de la campagne en France ? La question est motivée par le fait que ces personnes très âgées n'étaient pas très représentées dans les essais dont on a vu les résultats jusqu'à présent.
. – Je rappelle qu'on utilise le vaccin antigrippal chez les personnes âgées, y compris dans les EHPAD, alors que son efficacité chez les personnes très âgées est comprise entre 10 et 30 %. Malgré cela, on les vaccine chaque année parce que, même les « mauvaises années », lorsque l'efficacité est de 10 % seulement, c'est toujours ça. Il ne faudrait pas poser de limite à l'utilisation. Plus le vaccin est efficace, plus la vaccination est bénéfique, évidemment. Après, se pose la question de la balance risque/bénéfice : les vaccins à ARN et les vaccins basés sur les adénovirus semblent assez réactogènes. Pour le moment, il n'y a pas de signal important de sécurité, d'inductions de maladies ou d'effets secondaires graves. Cela pourra peut-être survenir. Je n'ai pas de boule de cristal, mais les caractéristiques des vaccins sont plutôt favorables. Il faut attendre plus de résultats pour mieux connaître le rapport risque/bénéfice chez les personnes très âgées. Chaque jour amène de nouveaux résultats. Je ne peux pas vous vendre des résultats que nous n'avons pas.
. – Puisque les personnes très âgées sont si peu réceptives, qu'est-ce qui a amené à si peu vacciner d'emblée le personnel des maisons de retraite ? A-t-on peur de leur réaction ? Ne peut-on pas leur laisser le choix de la vaccination, de manière à protéger les gens qu'ils côtoient chaque jour ?
. – À ma connaissance, on offre la vaccination au personnel dans les EHPAD. C'est ce qui est dit dans la stratégie.
. – Non, la vaccination est proposée uniquement aux personnels fragiles des EHPAD, et non à l'intégralité du personnel des EHPAD, ni d'ailleurs aux personnels qui interviennent à domicile auprès des personnes âgées. Ce n'est pas dans la stratégie immédiate.
. – Je ne peux pas commenter.
. – Vous pourriez nous donner votre préconisation.
. – À titre personnel, je pense que ce serait bien d'offrir la vaccination en même temps aux personnels qui travaillent dans les EHPAD au contact de ces personnes.
. – Merci beaucoup. Je voudrais revenir sur ce que vous évoquiez de votre expérience de terrain, les essais de vaccination contre Ebola auxquels vous participiez. Était-ce aussi un vaccin à ARN ?
. – Ebola est un virus très différent du SARS-CoV-2. Comme lui, c'est un virus ARN, mais les caractéristiques et le mode de contamination sont différents. Le trait commun à mon expérience Ebola et à mon expérience Covid est que les humains sont extraordinairement ingénieux et innovants en période de crise. Pour Ebola, des vaccins étaient dans les tiroirs des médecins depuis cinq ou dix ans, c'était une maladie connue depuis longtemps. Cependant, aucun de ces vaccins n'avait passé le cap des essais cliniques et il n'y avait pas encore eu de vaccination chez l'homme. En septembre 2014, quand on a vu le désastre humanitaire que causait Ebola en Afrique, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et les États membres ont décidé qu'il n'était pas possible de faire l'impasse et qu'il fallait essayer de développer au plus vite un vaccin en prenant tous les risques économiques que cela pouvait impliquer. Les premiers essais cliniques ont commencé au mois de septembre 2014. En juillet 2015, soit moins d'un an après, nous avons pu publier des résultats d'un vaccin très efficace, qui est maintenant enregistré par la société Merck.
Alors qu'il faut normalement dix ans pour développer un vaccin, le développement clinique du vaccin contre Ebola s'est fait en moins d'un an. C'est le cas aussi pour la Covid : on a vu une extraordinaire mobilisation des chercheurs, des biotechs, des industriels, des régulateurs pour agir au plus vite afin de contrôler cette pandémie, qui non seulement cause une mortalité et une morbidité importantes, mais aussi pousse de nombreuses personnes sous le seuil de pauvreté, surtout dans les pays pauvres. La communauté internationale s'est mobilisée pour développer le plus rapidement ces vaccins qui sont maintenant à nos portes. Il faut saluer cette extraordinaire avancée et le dévouement de chacun à travailler à des heures impossibles pour développer ces vaccins le plus vite possible. Aucune étape n'a été sautée : toutes les étapes nécessaires ont été conduites en parallèle et non successivement.
J'utilise souvent la métaphore de l'accordéon : quand vous étendez un accordéon, vous en voyez toutes les feuilles. Pour les vaccins, ces feuilles sont les études animales, les phases 1 et 2 et toutes les autres études. Avec l'épidémie de Covid, on a « replié » l'accordéon, ce qui ne veut pas dire que tous les feuillets ne sont pas là. Ils sont tous là, toutes les études qui doivent être réalisées l'ont été. La seule différence est qu'elles sont conduites en parallèle et que beaucoup de résultats sont publiés simultanément. Ce qui manque, c'est le recul. Mais l'accélération du développement du vaccin est amplement justifiée par l'urgence sanitaire et sociale que crée la pandémie.
. – Merci beaucoup pour ces propos. Pour autant, je vois sur les réseaux sociaux une certaine contestation de la létalité ou de la morbidité de la pandémie. Certains considèrent que le confinement et, surtout, la vaccination sont des réponses disproportionnées. Que répondez-vous à ces mauvais arguments, si je puis dire ?
. – Je ne suis pas médecin et encore moins médecin réanimateur, mais j'ai des amis qui le sont : beaucoup se sont demandé ce qu'ils allaient devoir faire pour accueillir dans leur service des malades à un stade sévère et qu'ils ne pourraient pas recevoir. Ceux qui s'expriment sur les réseaux sociaux de la manière que vous dites sont ceux à qui il faudrait demander s'ils sont capables de se mettre devant la porte et d'entendre : « Désolés, nous n'avons rien pour vous. » Je pense donc que ceux qui essayent de minimiser l'impact de la pandémie et l'urgence de la contrôler sont des adeptes des faits alternatifs, des fake news et de tous ces mouvements populistes qui se sont malheureusement développés dans tous les pays du monde.
. – Je partage votre regret. Cependant nous sommes confrontés, en tant que représentants de la nation, à beaucoup de fake news. Nous avons donc besoin d'un discours rassurant et complet de l'ensemble de la communauté scientifique. Il faut aussi une comitologie simple, expliquée, pour que nous puissions donner confiance aux citoyens. Nous avons besoin d'un discours clair – je ne reprendrai pas l'expression d'opacité employée précédemment – et de schémas explicatifs clairs pour rassurer nos concitoyens et pouvoir conseiller l'entrée dans un schéma de vaccination progressive.
. – Je suis tout à fait d'accord avec vous. C'est pour cela que je passe beaucoup de temps à répondre aux questions des journalistes, comme dans Le Monde, tout récemment. Je m'exprime dans tous les médias qui me semblent être prêts à donner la place à une parole scientifique et je continuerai à le faire. La communication n'est pas le rôle du comité que vous auditionnez aujourd'hui. Cette dimension sera couverte par le comité d'Alain Fischer, auquel je me réjouis de participer, ainsi que d'autres membres du comité scientifique vaccins. Il est absolument essentiel de parler à la population. Il n'y a pas de questions stupides qui seraient posées par nos concitoyens. Souvent, les questions naïves sont les plus difficiles auxquelles on peut devoir répondre. Il est légitime qu'on nous demande de témoigner.
Je pense et j'espère que le gouvernement va mettre en place une communication active sur les réseaux sociaux et faire appel à des personnalités auxquelles la population fait confiance – des artistes, des sportifs, etc. – de façon à délivrer un message juste. Il ne s'agit pas d'hypnotiser par des discours lénifiants. La communication doit être exacte, basée sur ce qu'on sait, sur les résultats scientifiques connus, et évidemment simplifiée pour être accessible à tout le monde. Je suis donc entièrement d'accord avec vous.
. – Les questions que je souhaite poser s'inscrivent dans ce contexte et relèvent peut-être de fake news. Premièrement, toutes les personnes dont le décès est imputé à la Covid ont-elles été testées ? Deuxièmement, la rumeur dit qu'à partir du moment où le décès est imputé à la Covid, il y aurait une surprime ou un apport financier complémentaire. À titre d'exemple, j'étais présidente du conseil de surveillance d'un EHPAD qui a dénombré 34 morts de la Covid au printemps. Lors d'une réunion du conseil, la question a été posée. Le médecin nous a répondu qu'un résident polypathologique en fin de vie avait été déclaré mort de la Covid alors qu'il était relativement bien dans la journée, avait fait un pic de température à 38 degrés le soir et avait été retrouvé décédé le lendemain ; il n'y avait pourtant pas plus de certitudes que cela quant à la cause effective de sa mort.
. – Ce n'est clairement pas mon rôle que d'apporter des réponses à ce genre de rumeurs. Cependant, je suis absolument sûre qu'il n'y a pas de « surprimes Covid » et que ce n'est pas pour une raison de ce genre que les décès sont imputés à la Covid. Vous savez comme moi que pendant longtemps, on a manqué de tests. Pendant cette période, a-t-on testé tous les gens pour attribuer leur décès à la Covid ? On a parlé au début, et l'OMS le fait encore aussi, des cas de Covid confirmés – ce qui veut dire qu'il y a eu un test – et des cas présumés, pour lesquels il n'y a donc pas de confirmation.
Pour autant, vous ouvrez un débat important, dans lequel je peux vous suivre même si je ne peux pas répondre à vos questions précises sur la Covid : à quoi peut-on attribuer un décès ? En fait, on finit tous par mourir d'un arrêt cardiaque. Cela veut-il dire que la mortalité cardiaque est la cause de la mortalité de toute la population ? Assurément pas. Il y a donc des accords, des règles, des normes, sur lesquelles travaille l'OMS, pour déterminer à quelle cause est attribué le décès, puisque celui-ci ne peut être attribué qu'à une cause et non à plusieurs. Dans le cas contraire, on recenserait chaque année plus de morts que la population de la Terre.
Je peux vous donner un exemple. On attribue au VIH les décès liés au syndrome de Kaposi, qui est un cancer. On dit donc que les personnes concernées sont mortes du sida, bien qu'elles le soient aussi du syndrome de Kaposi. De la même façon, les personnes qui ont des polypathologies, comme souvent les personnes âgées, meurent évidemment de leur polypathologie. Mais dans la mesure où l'on peut penser que la Covid a précipité la mortalité – celle-ci pouvant être liée à une défaillance rénale, par exemple –, la Covid sera dite cause du décès. On voit d'ailleurs certains gouvernements faire l'inverse pour essayer de masquer l'importance de la Covid chez eux : on dira d'une personne atteinte de la Covid qui meurt d'une bronchite qu'elle est morte d'une obstruction pulmonaire. De cette façon, certains pays arrivent à réduire de manière très importante la part de la Covid dans la mortalité globale.
. – Merci beaucoup pour cette réponse qui vient clore une audition riche. Nos échanges ont bien montré à quel point ces problématiques sont variées et difficiles. Nous avons compris, avec ces comités qui se font et qui se recombinent, que la situation n'est pas simple du point de vue institutionnel.
. – Merci pour le temps que vous nous avez consacré. Nous sommes honorés d'avoir été reçus par l'Office.
. – Je remercie encore une fois très chaleureusement les quatre représentants du comité vaccins. Nous vous souhaitons le meilleur dans la suite de vos tâches, aussi bien au sein de ce comité qu'au sein du comité Fischer ou d'autres comités.
Nous aurons l'occasion de rester en contact pour la suite de cette analyse de la stratégie vaccinale. Le premier rapport est à venir dans quelques jours, mais c'est une affaire de longue haleine et l'Office a plusieurs mois de travaux devant lui.
La réunion est close à 10 h 50.