Intervention de Christian Saout

Réunion du vendredi 11 décembre 2020 à 12h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Christian Saout, membre du collège de la Haute Autorité de santé (HAS), président de la commission sociale et médico-sociale et du conseil pour l'engagement des usagers de la HAS :

Nous ne sommes pas très nombreux, parmi les militants associatifs, à avoir intégré les autorités sanitaires. Cela offre une expérience dont je peux témoigner devant vous.

Beaucoup d'informations ont été données par Emmanuel Rusch et Claude Rambaud. Nous savons qu'en santé publique, quand on implique les populations, c'est toujours mieux que quand on ne le fait pas. Ceci a été amplement démontré par des travaux scientifiques en sciences de l'organisation, en sciences sociales ou sciences sanitaires pures. Il n'y a pas à douter de cette question. Du point de vue de ce qu'on appelle la démocratie en santé, impliquer des populations dans la définition des stratégies est efficace. La demande en a été faite par la Conférence nationale de santé et le Conseil scientifique Covid-19 – le président Delfraissy avait adressé une note à Matignon qui est restée sans effet. Le conseil pour l'engagement des usagers de la HAS, que je préside, avait également indiqué dès le début qu'il fallait associer les populations concernées aux enjeux de la lutte contre la Covid.

La mise en place du conseil citoyen vient un peu tardivement, et sur le seul segment de la vaccination. On peut se réjouir de sa création, mais on peut aussi penser que l'on n'a peut-être pas choisi la forme la plus agile : il est logé au Conseil économique et social ; il faudra passer un marché pour sélectionner les 30 citoyens par un opérateur de confiance ; il faudra les former, mettre en marche le conseil et ainsi de suite. Le conseil citoyen ne sera pas vraiment opérationnel avant mars-avril, c'est-à-dire au moment où la vaccination va concerner un cercle de population élargi, avant la vaccination générale offerte à tous. Cependant, nous aurions pu gagner beaucoup en impliquant les citoyens depuis le début sur l'ensemble de la chaîne, depuis les signes cliniques, les prises en charge, les tests, les dépistages jusqu'à la vaccination. C'est un premier point. Ces deux branches sont très importantes : impliquer les populations dans l'orientation stratégique – c'est l'intérêt d'un conseil citoyen – et impliquer les populations dans l'organisation de la vaccination – c'est plutôt « Monsieur Vaccin » et son conseil d'orientation qui vont pouvoir le faire. Tout cela est un peu tardif, mais c'est bien de le faire.

Pourquoi les Anglais nous précèdent-ils ? Tout simplement parce qu'ils se sont émancipés de l'Union européenne et qu'ils ne passent pas devant l'Agence européenne des médicaments (EMA). Ils ont donc pu examiner de leur propre fait, avant nous, la pertinence scientifique des vaccins proposés. Nous sommes tributaires du passage par l'EMA, qui devra avoir donné sa validation scientifique.

Pourquoi autant d'empressement pour obtenir un vaccin par rapport à ce que l'on a connu pour le sida ? Parce que le sida est un rétrovirus et que la construction d'une réponse vaccinale en devient compliquée. Pourtant, beaucoup d'argent a été investi. Nous sommes probablement confrontés à un écueil scientifique majeur qu'on ne sait pas traiter. Je me suis moi-même prêté à l'un des très nombreux essais vaccinaux qui ont été organisés en France et dans le monde. La vérité est qu'on est devant une difficulté scientifique majeure. Ce n'est pas le cas pour les vaccins contre la Covid, parce que nous connaissons bien ces virus et parce qu'au-delà du vaccin à ARN, qui est une innovation, les autres vaccins en projet sont assez classiques. La recherche peut donc aller beaucoup plus vite. Je ne pense pas que cette rapidité ait concerné les essais cliniques : ni la phase 1, ni la phase 2, ni la phase 3 n'ont été « grillées ». Nous nous sommes mis en situation de raccourcir les phases administratives. Tout le monde était prêt. La HAS était prête depuis longtemps.

L'information dont on dispose sur les vaccins suscite-t-elle des doutes et des interrogations ? Probablement, comme toujours, comme sur tous les médicaments. Ce n'est pas parce qu'un essai a été réalisé sur 35 000 personnes qu'il n'y aura pas d'aléas nouveaux sur la population générale. Lorsque la vaccination porte sur 2 millions de personnes, on observe probablement plus d'effets secondaires que sur les 35 000 de l'essai. Tous les documents relatifs à ces vaccins sont aujourd'hui sur la place publique dans une transparence que nous n'avions jamais vue, même s'il faut parfois cultiver et l'anglais et la connaissance scientifique.

Ce qui complique la crédibilité du processus, c'est probablement ce phénomène nouveau que constitue la fabrication de la science à la télévision devant les citoyens. La science est le résultat d'un débat, d'une confrontation entre sachants. C'est assez facile quand 1 égale 1 ; mais quand 1 égale 0,97 ou 0,98, il faut se mettre d'accord, et la situation devient beaucoup plus délicate. C'est l'essence de la confrontation scientifique. Cette fois, elle s'est faite sous l'œil des caméras, quand des scientifiques qui avaient l'habitude de débattre entre eux, dans des revues, des cercles spécialisés, ont été amenés à prendre position dans les médias. C'est tout à fait nouveau, et cela a d'ailleurs pu donner l'impression que, en même temps que se manifestait l'intérêt pour la science, se cultivait aussi une certaine infodémie nuisible à l'acceptabilité sociale des vaccins.

Le collège de la HAS a fait le point hier sur les informations relatives à la vaccination. Il n'y a pas moins d'une douzaine de sites Internet publics – je ne parle pas de ressources privées – qui informent sur la Covid-19 et les enjeux de la vaccination, et qui vont perfectionner leur mode d'information dans les semaines à venir. Comment nos concitoyens vont-ils s'emparer de cela ? Probablement dans le cadre des sphères auxquelles ils appartiennent. Quand ils sont membres d'une association de patients, c'est plus facile pour eux de savoir comment faire parce qu'ils sont aidés. Quand il y aura peut-être, pour une même indication, deux vaccins, il faudra accompagner le choix de nos concitoyens. Nous ne convaincrons probablement pas les 30 % de gens qui sont contre, ces fameux sceptiques ou rétifs à la science. Mais il nous faut gagner ceux qui se posent légitimement des questions sur la vaccination. D'ailleurs, pour la Haute Autorité, l'urgence, l'enjeu majeur, est de publier un document d'aide à la décision de vaccination plutôt qu'au choix d'un vaccin. L'aide à la décision pour un citoyen est l'une des missions de la HAS. Nous allons donc publier ce document.

Chacun doit prendre sa part à la progression de la vaccination. Je fais partie de la génération qui, comme certains d'entre vous, avait en classe des copains qui avaient la polio. On voyait très vite la différence entre être vacciné ou pas vacciné… Aujourd'hui, malheureusement ou heureusement – comme on voudra, en tout cas malheureusement pour la communication – tout le monde fait l'objet de vaccinations obligatoires et l'on ne voit plus les dangers de la non-vaccination. Il serait peut-être utile de les rappeler. Nos principaux gains d'espérance de vie viennent beaucoup de la vaccination – la cause est multifactorielle, bien sûr : l'hygiène, le niveau de richesse, de culture, etc. mais il faut rappeler les principes de bon sens.

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