. ‑ Je suis très heureux de m'exprimer devant vous, en particulier dans cette configuration bicamérale. Je suis professeur de maladies infectieuses et de santé publique, et la vaccination est au cœur de mon exercice. J'ai en effet beaucoup vacciné, mais j'ai également animé un centre de vaccination international et j'ai pu constater personnellement les bénéfices de la vaccination, notamment au sein des différents Instituts Pasteur du réseau international.
Il me semble important de rappeler plusieurs éléments, notamment l'impact des vaccins sur le devenir des maladies infectieuses au cours du XXe siècle. L'Organisation mondiale de la Santé (OMS) estime qu'il s'agit du principal progrès pour la santé humaine au cours de ce siècle, marqué par un effondrement de l'incidence des maladies infectieuses. Dans l'esprit du grand public, celles‑ci ont quasiment disparu, alors que nos grands-parents et arrière-grands-parents savaient combien elles étaient dangereuses. Des maladies comme la variole ont été totalement éradiquées, et d'autres comme la poliomyélite sont sur le point de l'être. Ces maladies étaient particulièrement dangereuses, et s'accompagnaient de séquelles définitives. De même, en France, nous n'avons quasiment plus de tétanos, de diphtérie ou de coqueluche. Le BCG, une vaccination française, a beaucoup diminué les formes graves de tuberculose. Nous savons aussi que l'hépatite B causait des ravages, sous sa forme aiguë ou chronique.
En France, nous avons en outre fait face à de véritables difficultés médiatiques. Une polémique très importante est née à la fin des années 1990 sur un lien potentiel entre la vaccination contre l'hépatite B et la survenue de scléroses en plaques. De nombreuses interrogations sur l'information avant la vaccination, la recherche de contre-indications, le consentement des patients, ont été soulevées lors de cette polémique. Aucune étude nationale ou internationale menée sur ce sujet n'a montré de sur‑risque après la vaccination. Des interrogations identiques ont surgi lors de la mise sur le marché du vaccin contre le papillomavirus, en particulier parce qu'il touchait la même cible des adolescents. Ce vaccin reste insuffisamment pratiqué selon les spécialistes, alors qu'il offre une bonne prévention des lésions pré-cancéreuses chez la jeune fille et le jeune garçon. Enfin, la vaccination contre la grippe H1‑N1 a entraîné quelques effets graves de narcolepsie et catalepsie, qui donnent lieu à une indemnisation par la solidarité nationale dans le cadre de l'Oniam (Office national d'indemnisation des accidents médicaux).
Nous parlons en revanche peu des dispositifs efficaces. J'en citerai deux : la vaccination des nourrissons, d'une part, qui se déroule dans de très bonnes conditions actuellement, depuis la mise en place de son caractère obligatoire, avec un fort soutien des médecins généralistes, des pédiatres, mais aussi des familles, et l'ensemble des vaccinations tropicales, d'autre part. Je souhaitais également vous faire part d'un succès plus récent, celui des campagnes locales de vaccination en réponse à des épidémies. Nous l'avons fait pour des épidémies de rougeole ou de méningite, auprès de jeunes, scolaires, collégiens et lycéens. Enfin, je mentionne le succès de la vaccination contre la grippe cette année. 80 % des personnes ciblées par cette campagne vaccinale ont été vaccinées. Année après année, la conviction sur l'utilité de ce vaccin augmente chez les personnes fragiles, âgées, touchées par une affection de longue durée (ALD), obèses, etc. ainsi que les femmes enceintes.
La direction générale de la santé (DGS) est chargée de la politique de santé, donc de la politique vaccinale. Depuis plusieurs décennies, elle a une approche de santé publique, c'est-à-dire une approche bénéfices/risques, à la fois dans l'animation de la commission technique des vaccinations (CTV) auparavant rattachée au Haut Conseil de la santé publique (HCSP) et désormais à la Haute Autorité de santé (HAS), et dans l'approche individuelle et collective. Nous avons récemment travaillé avec Alain Fischer, mais aussi à la demande des ministres Marisol Touraine puis Agnès Buzyn, sur un comité de suivi citoyen, rassemblant les professionnels de santé et les élus pour partager de façon transparente les connaissances sur la balance bénéfices / risques des vaccins.
Nous assurons la tutelle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui est chargée de la pharmacovigilance et de la vaccinovigilance. Elle étend cette activité à la vaccinosurveillance, qui est plus large : la vaccinovigilance s'intéresse aux effets secondaires directement liés au vaccin, la vaccinosurveillance concerne tout effet lié à la vaccination au sens large (oubli du rappel, mauvaise dose, mauvaises conditions de l'injection, etc.). La vaccinovigilance et la vaccinosurveillance seront particulièrement renforcées pour la vaccination contre la Covid-19.
L'autre tutelle est celle de Santé publique France, qui focalise son action sur l'aspect populationnel, du point de vue de l'efficacité vaccinale, que nous pouvons calculer, et de l'échappement vaccinal, qui est assez fréquent, c'est‑à‑dire la capacité de l'agent infectieux à s'adapter au vaccin. Ce dernier élément, important, est porté par le Centre national de référence (CNR) des virus des infections respiratoires, qui associe l'Institut Pasteur et les Hospices civils de Lyon. Je vous ai également parlé de la relation avec la commission technique des vaccinations de la HAS. Ces relations s'inscrivent dans une approche globale de stratégie de santé publique et de priorité internationale pour la France.
Mi-janvier, le séquençage du virus avait été effectué par le CNR, par l'équipe de Sylvie Van der Werf. Plusieurs équipes se sont alors lancées dans des travaux de recherche de vaccins, en lien avec l'OMS et avec d'autres chercheurs de l'Union européenne. Nous avons depuis poursuivi notre politique d'échange entre les acteurs (HAS, ANSM, Santé publique France, Comité consultatif national d'éthique, Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), assemblées citoyennes). Il est en effet indispensable de poursuivre la démarche de transparence totale et de communication à propos des vaccins. Je préfère d'ailleurs parler de vaccins au pluriel, puisque ceux-ci n'ont pas les mêmes spécificités techniques ni indications potentielles. L'indépendance de l'expertise est également primordiale. Tous les professionnels sont référencés dans la base de données publique Transparence - Santé, qui permet de vérifier tout lien d'intérêt déclaré par les industriels.
Nous avons conscience de l'importance des sciences humaines et sociales pour comprendre les raisons de la défiance, de la méfiance, de l'hostilité, de l'activité des réseaux sociaux, etc. Des enjeux sociologiques et psychologiques sont fondamentaux dans la relation à la vaccination, et influeront sur le rapport bénéfices/risques. Nous nous inscrivons de ce point de vue dans une logique de rigueur scientifique, puisque nous travaillons uniquement sur la base de publications, ne souhaitant pas nous intéresser aux communiqués de presse des industriels. Nous avons prôné cette approche dès le début de la crise, en lien étroit avec le ministère de la recherche, en créant une cellule de suivi de la recherche clinique, avec l'appui du Comité analyse, recherche et expertise, porté par Françoise Barré‑Sinoussi, qui a étudié l'ensemble des innovations dès le printemps, à la demande de la ministre de la recherche.
Nous suivons les vaccins au niveau international mais aussi français, la France étant impliquée dans des essais de phases 1, 2 et 3. Une plateforme spécifique, Covireivac, animée par le professeur Odile Launay, suit de près les réponses immunitaires cellulaire et humorale, avec une approche « One Health », c'est‑à‑dire en regardant l'animal, compte tenu des relations étroites entre l'infection chez l'animal et chez l'homme sur un plan physiopathologique. La DGS accorde une attention particulière à l'efficacité, à la durée et à la sécurité de la vaccination. Nous avons notamment beaucoup discuté du fait que nous disposions de données sur l'efficacité des vaccins sur les formes cliniques et les formes graves de la maladie, mais pas nécessairement sur le portage et la transmission du virus. Une priorité est également accordée à la sécurité des vaccins, avec une interrogation sur la durée des effets, qui peuvent être retardés, ainsi qu'à l'impact sur la santé publique de la vaccination. Celle‑ci peut notamment entraîner une modification dans le respect des mesures barrières, comme l'ont constaté certaines études.
Nous sommes en lien étroit avec nos homologues européens, et nous avons organisé un dispositif de vaccinovigilance renforcé au niveau de l'ANSM, afin de surveiller l'ensemble de la campagne de vaccination. Nous avons également défini un protocole de pharmacoépidémiologie, dans le cadre d'un étroit travail entre la CNAM et l'ANSM sur le suivi des données de santé. L'INSERM a construit une cohorte de personnes vaccinées, pour suivre sur le long terme les personnes qui le souhaiteraient. La direction générale de l'offre de soins (DGOS) est en lien étroit avec les établissements et les professionnels de santé en première ligne, et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) l'est avec les directeurs d'EHPAD et des autres établissements d'accueil pour personnes âgées ou handicapées. Nous avons en outre une relation avec la direction de la Sécurité sociale (DSS) et la CNAM, impliquées depuis plusieurs mois dans le suivi des patients et l'élaboration éventuelle de bons de vaccination pour les personnes prioritaires. La démarche que nous menons, en lien étroit avec Alain Fischer, le porte-parole de cette campagne, qui sera très attentif à la concertation et à la communication, requiert beaucoup d'humilité, car nous ignorons encore de nombreux éléments.
Tous nos concitoyens, dans les prochaines semaines, doivent en savoir le plus possible. Se posent également des questions de priorité de la vaccination et de lutte contre les inégalités. En effet, la Covid-19 a dessiné des inégalités de santé et d'accès à la santé, et a créé des difficultés dues à la promiscuité ou la précarité. Nous devons être très attentifs à ces populations précaires, aux personnes âgées, aux personnes atteintes d'un handicap, et il faut pour cela ouvrir un dialogue très étroit avec les élus. Nous participons ainsi à des concertations avec des représentants de l'Association des maires de France (AMF), de l'Assemblée des départements de France (ADF) et de Régions de France, et avec les élus nationaux que vous êtes. La France fait partie des pays européens qui ont le plus développé la concertation territoriale, avec notamment l'organisation du débat citoyen en 2016 à propos de la vaccination obligatoire. La France est très engagée au niveau international, à la fois dans le partage des données et dans le partage des produits, puisque le Président de la République s'est engagé à soutenir les pays en voie de développement, notamment pour l'accès à l'innovation, à la science et aux vaccins.
Nous portons trois priorités : réduire la morbi‑mortalité, protéger le système de santé, qui reste aujourd'hui fortement sollicité, et assurer le plus haut niveau de sécurité sanitaire. La première étape sera de vacciner les résidents des EHPAD. La deuxième population éligible sera celle des personnes âgées et atteintes de comorbidités. Nous élargirons progressivement la vaccination aux autres tranches de la population, en appliquant deux principes retenus par le gouvernement : le caractère non obligatoire et le caractère gratuit de cette vaccination. Trois piliers de la stratégie se poursuivront en 2021 : les mesures barrières et l'hygiène, l'isolement, notamment précoce, et l'impact de la vaccination sur la cinétique épidémique.