. ‑ Je vais d'abord répondre à la sénatrice Procaccia, qui a posé une question très légitime. Les négociations ne sont pas menées par le ministère de la Santé, mais au niveau européen. L'objectif n'est pas de recevoir 200 millions de doses en France, mais de les sécuriser, avec un engagement contractuel. L'enjeu était, compte tenu des incertitudes qui demeurent quant à l'obtention de l'AMM et de la capacité des industriels d'assurer dans le temps imparti l'ensemble des livraisons, de sécuriser un nombre de doses supérieur à la population européenne. Je rappelle que deux injections seront nécessaires, et que le coefficient de perte est très important. En effet, lorsque le produit est reconstitué à partir de la poudre et de la solution de dilution, nous pouvons parfois perdre une dose par une erreur de manipulation, qui est malheureusement fréquente. Par ailleurs, le flacon n'est souvent pas terminé, car il ne peut être conservé au-delà de quelques heures. Nous n'aurons donc pas 200 millions de doses effectivement injectables, mais la France, comme les autres pays d'Europe, se met en situation d'aller jusqu'à ce niveau.
Pour répondre à Monsieur Eliaou, nous sommes très attentifs à l'efficacité vaccinale. Nous aurons donc deux approches. Une approche populationnelle sera portée par Santé publique France et l'INSERM, et surveillera les personnes vaccinées. Une approche d'immunologie sera conduite en parallèle : les personnes concernées se verront proposer un suivi de leurs anticorps neutralisants, de la réaction de leurs lymphocytes RT et de la durée de l'immunité. Nous le faisons actuellement avec les personnes infectées qui le souhaitent, dans des protocoles de recherche clinique, afin de savoir, dans quelques mois, si l'immunité d'une personne infectée diffère de celle d'une personne vaccinée. Ces connaissances seront très importantes.
Nous ne connaissons pas aujourd'hui la durée de l'immunité post-infectieuse ou post-vaccinale. Les virologues estiment qu'il est possible que ce coronavirus, très bien installé aujourd'hui, devienne endémique. Il circulera alors de façon persistante, peut‑être chez les plus jeunes, ce qui peut créer une immunité de rappel, voire une immunité croisée. Nous nous sommes par exemple aperçus que certaines populations, comme les populations africaines, étaient moins touchées que prévu par l'épidémie. Or les coronavirus circulent davantage au sein de ces populations, plus jeunes que les populations européennes.
Vous m'avez interpellé sur la vaccination des populations âgées qui ne résident pas en EHPAD. Nous partageons cette préoccupation. Nous commençons par les EHPAD pour deux raisons principales. D'abord, il existe un facteur de risque spécifique lié à la vie en collectivité. La seconde raison est la chaîne du froid, au moins pour le premier vaccin Pfizer, qui nécessite une chaîne du froid très technique, puisque nous ne pouvons garder les vaccins que quelques heures en dehors du congélateur. La vaccination à domicile serait donc très complexe. Je pense que les vaccins à venir, notamment celui de Moderna, suivront un circuit classique et permettront une vaccination individuelle plus aisée. Je rappelle toutefois que nous n'avons à ce stade que des vaccins multidoses, ce qui complexifie la vaccination individuelle.
Monsieur Leseul m'a ensuite interpellé sur l'Agence européenne du médicament et sur l'Union européenne. Les experts français sont très présents au sein de cette agence, qui est extrêmement rigoureuse. Ils ont ainsi interdiction de discuter ou d'envoyer des emails tout au cours de la phase d'évaluation. La France joue un rôle très actif dans l'expertise et l'évaluation des dossiers. L'ANSM a un rôle majeur quant à la réglementation des produits de santé pour la France. La commission technique des vaccinations de la HAS sera saisie immédiatement après l'AMM pour rendre un avis français sur les spécifications du produit. Il est très important que ce rôle de la France soit connu. Le fait que l'Union européenne ait négocié avec les industriels a permis de faire prévaloir une position de force. Les industriels des vaccins sont en outre des industriels européens. L'expertise vaccinale est européenne, et la production vaccinale se fait dans des usines européennes. Jusqu'à présent, nous avons adopté une approche très régalienne de la santé. La situation a évolué et l'Europe occupe une place importante du point de vue de la surveillance, des médicaments, des commandes et des échanges avec les industriels. Nous aurons probablement un calendrier commun de démarrage de la vaccination et un programme d'échange scientifique sur les données, qui est à mon sens fondamental. Je participe à des réunions de haut niveau avec mes homologues européens pour mettre en place ce dispositif, et obtenir des données partagées en temps réel.
Vous avez aussi parlé de communication. Je suis convaincu que celle-ci doit être massive, cohérente et locale. Les sources sont cependant multiples, et chacun a son rôle à jouer. Par exemple, Vaccination Info Service, le site de Santé publique France, est particulièrement consulté. Les professionnels et le grand public doivent pouvoir obtenir des informations en temps réel sur ce site. La CNAM a quant à elle un réseau très efficace de communication spécialisée avec les professionnels de santé, mais aussi avec les assurés. Je vous encourage également à consulter le portail Géodes, sur le suivi de l'épidémie, accessible au grand public. Des propositions sont soumises par les professionnels eux-mêmes. J'ai ainsi été contacté par le Centre national de gestion (CNG) des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ainsi que par des infectiologues qui souhaitent partager au niveau national et local des données validées susceptibles d'irriguer l'ensemble du circuit des médecins généralistes et des infectiologues de terrain. Ceci me semble être une très bonne idée. Les communautés et les réseaux sociaux existent par ailleurs. Je crois beaucoup au dispositif des « ambassadeurs de la vaccination ». Les Français ont besoin de figures de référence. Si un footballeur ou une chanteuse peut devenir un ambassadeur de la vaccination, nous avancerons grandement.
La comitologie est certes importante, mais ces comités ont un rôle différent. Le Conseil scientifique Covid-19 est placé auprès du gouvernement et du Président de la République et l'éclaire sur un certain nombre d'éléments, de façon indépendante. Le Comité scientifique vaccins Covid-19 a un rôle spécifique d'évaluation et analyse l'ensemble des dossiers, les études publiées, puis se prononce sur chaque vaccin. Avec le conseil d'orientation de la stratégie vaccinale, le professeur Fischer aura une triple mission : conseil du gouvernement, participation aux concertations avec les élus, les collectivités locales et les professionnels de santé, enfin communication dans les médias. Chacun joue son rôle, sans qu'il existe de distorsions. Le partage d'informations s'opère de façon fluide, grâce à des comités de pilotage quotidiens. La taskforce intervient quant à elle en appui. Les priorités d'organisation et de concertation me semblent bien engagées aujourd'hui.
Votre dernière question portait sur l'interprétation de l'avis de la HAS. Les priorités sont populationnelles, et l'organisation est quant à elle temporelle, considérant qu'il existe trois temps principaux : l'un lié à la chaîne du froid, le deuxième lié à la finalisation de la priorité des populations les plus fragiles, et le dernier lié à l'arrivée progressive de tous les vaccins, qui permettra d'élargir la couverture vaccinale à l'ensemble de la population.