Intervention de Fabien Nogué

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Fabien Nogué, directeur de recherche INRAE, responsable de l'équipe « Réparation de l'ADN et ingénierie des génomes », membre du groupe de travail sur les organismes génétiquement modifiés à l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) :

La sélection végétale n'est pas nouvelle. Elle date du Néolithique, il y a environ 10 000 ans. Elle est basée essentiellement sur la diversité génétique. Sans diversité génétique, il est impossible de faire de la sélection, de rechercher de nouveaux caractères et de créer de nouvelles variétés. Différents caractères ont ainsi été sélectionnés au cours de la domestication puis de l'amélioration des plantes, comme l'adaptation à des stress biotiques (la résistance aux virus) ou abiotiques (la résistance à la sécheresse), ou des caractères se rapportant à la qualité nutritionnelle des aliments. Ces caractéristiques ont pour but de répondre à des besoins identifiés par l'Homme. J'entends le terme « besoins » au sens large. Par exemple, à l'heure actuelle, il peut s'agir de chercher de nouvelles variétés ouvrant à une agriculture plus respectueuse des écosystèmes.

La diversité génétique est basée sur l'instabilité intrinsèque des génomes. Quand nous sortirons de cette pièce, nos cellules auront subi plus de mutations que quand nous y sommes entrés. C'est la base de l'évolution des génomes et de la diversité génétique. C'est un principe universel. Il en va de même pour une plante.

Par exemple, dans un hectare de blé, c'est-à-dire une petite parcelle, les 90 000 gènes constitutifs du génome du blé auront muté. La sélection apparaît ainsi assez facile à opérer dans la mesure où la diversité génétique spontanée ou « naturelle » est immense. Cependant, la plante qui présente une nouvelle caractéristique intéressante se trouve comme perdue parmi tous les grains de blé produits dans cet hectare. La difficulté pour le sélectionneur ou l'agriculteur consiste précisément à trouver le grain de blé qui par exemple résistera mieux à la sécheresse ou aux virus.

Depuis quelques années, nous disposons de nouveaux outils pour essayer d'augmenter la diversité génétique, de mieux la contrôler et de créer des mutations dans des gènes à façon. Ces outils ont été développés par une chercheuse française, Emmanuelle Charpentier, et une chercheuse américaine, Jennifer Doudna. Leurs travaux datent d'il y a une décennie. CRISPR-Cas9 est un système bactérien de défenses immunitaires qui a été « détourné » pour permettre de modifier n'importe quel gène dans le génome. Au départ, il permettait de casser l'ADN à un endroit précis du génome afin d'entraîner des mutations relativement prévisibles.

Le système CRISPR-Cas9 a ensuite connu deux évolutions majeures. Depuis 2017, le base-editing consiste à ne plus procéder à des cassures double-brin de l'ADN, mais à simplement changer des bases (A, T, C, G) des gènes présents dans le génome des plantes ou des animaux. Quoique ces avancées technologiques interviennent surtout dans le domaine animal et humain, avec des visées de thérapie génique, la recherche végétale en profite. Depuis 2019, la deuxième grande innovation, ou prime-editing, est toujours une déclinaison du système CRISPR-Cas9. Elle permet, sans faire de cassures double brin, de remplacer n'importe quelle base dans le génome, et ce de manière contrôlée et prédictible. Il s'agit un peu de l'outil ultime pour faire de la modification de gènes dans les génomes.

Depuis dix ans, les chercheurs ont démontré que ces outils pouvaient fonctionner chez les plantes et que nous étions capables de « copier », par une sorte de biomimétisme, des mutations d'une variété pour la porter dans une nouvelle variété. On peut ainsi copier une mutation, par exemple une résistance à un virus, chez une autre espèce. L'INRAE a mené ce travail en copiant une mutation du poivron, qui lui donne une résistance à un virus, dans le génome de la tomate pour la rendre à son tour résistante au même virus. Plus de cinquante espèces végétales ont été utilisées pour faire de l'édition du génome, notamment les grandes espèces importantes pour la nutrition humaine tels le blé, le riz, la pomme de terre, la tomate, etc.

Parmi les caractères apportés, on peut noter les suivants : l'architecture des racines du coton a été modifiée pour améliorer l'utilisation du nitrate ; la taille des grains de riz ou de blé a été augmentée ; la conservation des pommes de terre a été améliorée afin qu'elles produisent moins d'acrylamide, une molécule cancérigène, au moment de la cuisson ; une diminution du gluten dans le blé a également été obtenue. Les chercheurs ont aussi travaillé sur la résistance à des bactéries, des champignons ou des virus de l'oranger, de la vigne, du riz ou de la tomate.

Les deux pays qui ont principalement utilisé ces techniques sont la Chine et les États-Unis. En 2019, plus d'une centaine de publications chinoises décrivaient l'utilisation de ces outils pour faire de l'amélioration variétale, contre 80 aux États-Unis et 25 en Europe, dont 7 publications issues de laboratoires français.

En conclusion, la technologie est en constante évolution. Elle commence à être utilisable chez un très grand nombre d'espèces. Elle connaît néanmoins des limites. Certaines espèces sont encore récalcitrantes. Chaque mois une publication démontre néanmoins que l'outil est employable sur une nouvelle espèce, y compris des espèces dites orphelines. Ces outils me semblent intéressants pour faire de l'innovation variétale. En tant que chercheur dans un laboratoire de recherche fondamentale, puisque je travaille sur la réparation de l'ADN chez les plantes, j'estime aussi que cet outil est à présent indispensable pour nos laboratoires de recherche.

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