Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 18 mars 2021
La réunion est ouverte à 9 h 05.
Audition publique sur « Les nouvelles techniques de sélection végétale en 2021 : avantages, limites, acceptabilité » (Catherine Procaccia, sénateur, et Loïc Prud'homme, député, rapporteurs)
L'audition publique de cette matinée porte sur le sujet passionnant des nouvelles techniques de sélection végétale. L'Office s'est déjà très fortement impliqué dans cette problématique, notamment sous la présidence et vice-présidence de Jean-Yves Le Déaut, dont je salue la présence. Il a travaillé sur ce thème au cours de son dernier mandat parlementaire, avec Catherine Procaccia, sénateur du Val-de-Marne et vice-présidente de l'OPECST.
La commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale a saisi l'Office pour faire le point sur les avantages et les risques des nouvelles techniques de sélection végétale dont la forme la plus connue est l'édition génomique. Ce sujet est parfaitement maîtrisé par nos rapporteurs, Catherine Procaccia et Loïc Prud'homme. Trois tables rondes se succéderont.
Le rapport publié en 2017 avait été rédigé par Catherine Procaccia et Jean-Yves Le Déaut au terme d'un grand nombre d'auditions, d'entretiens et d'enquêtes. Il traitait des avancées de la recherche sur les biotechnologies, de leur application potentielle en médecine humaine, dans la lutte contre les moustiques vecteurs de maladies, ainsi que de leur utilisation dans le secteur agricole. Vingt ans auparavant, la première concertation citoyenne, chargée de réfléchir à l'emploi des OGM en agriculture, avait également été organisée à l'initiative de Jean-Yves Le Déaut. Daniel Boy, qui interviendra ce matin, faisait déjà partie de l'équipe de 1998 et il avait participé à la concertation citoyenne. L'idée consistait à recueillir les avis des scientifiques et des acteurs de la société. La démarche a conduit à la création en 2008 du Haut conseil des biotechnologies (HCB). Celui-ci a connu des difficultés qui ont entraîné des démissions parmi ses membres. Le projet de loi de finances pour 2020 prévoyait sa dissolution, mais celle-ci a été été repoussée d'un an. Un article de la récente loi de programmation de la recherche prévoit que le gouvernement légiférera par ordonnance pour « redéfinir les modalités selon lesquelles les avis et recommandations relatifs aux biotechnologies sont élaborés, en séparant l'évaluation des risques et des bénéfices des considérations éthiques et de conduite du débat public ».
L'actualité depuis 2017 est très vivante, et même conflictuelle, sur les plans politique et juridique. La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), qui avait été saisie par le Conseil d'État dans le cadre d'un recours de la Confédération paysanne contre la réglementation française, a rendu sa décision le 25 juillet 2018.
La question posée était la suivante : ces nouvelles techniques de sélection végétale doivent-elles être exemptées de la réglementation, comme la mutagenèse aléatoire, ou au contraire être réglementées comme le sont les variétés OGM issues de la transgenèse ? La CJUE a retenu la deuxième option. Cette décision a été très critiquée, notamment en raison de l'utilisation de critères qui manquaient de « recul » sur les nouvelles techniques.
Le Conseil d'État a demandé au gouvernement de tirer les conséquences de cette décision dans la réglementation française. Le décret n'est toujours pas publié à ma connaissance. Le Conseil européen a de son côté demandé que, d'ici le 30 avril 2021, la Commission européenne rende un avis sur une potentielle évolution de la réglementation qui couvrirait les nouvelles techniques de sélection végétale. Nous attendons cet avis.
L'Office est ainsi au cœur de l'actualité et nous sommes très désireux de vous entendre. Le sujet est majeur pour l'avenir de notre agriculture et plus généralement pour notre conception globale de l'alimentation. Quels sont les avantages et les inconvénients des nouvelles techniques de sélection végétale ?
Cette audition porte sur un sujet pleinement d'actualité et rempli de chausse-trappes. Il aborde de grands enjeux scientifiques et technologiques, mais aussi sociétaux et économiques. L'Office n'a pas reculé devant les difficultés du débat. Nous savions pertinemment que nous doter d'un binôme de rapporteurs appartenant à des familles politiques dont les positions sont plutôt éloignées en matière d'OGM nous permettrait de faire vivre le débat démocratique dans ce qu'il a de plus noble.
L'Office est fier de pouvoir organiser ces échanges dans le respect du contradictoire et en abordant toutes les facettes de la question. Les citoyens qui assistent à nos échanges par Internet auront aussi la possibilité de poser des questions, dont je relaierai certaines.
* * *
Première table ronde : Les nouvelles techniques de sélection végétale : intérêts, limites, place dans le paysage de l'innovation végétale
Permettez-moi de commencer cette table ronde en saluant un ancien membre du conseil scientifique de l'Office. Jean-Yves Le Déaut vient en effet de nous apprendre le décès de Michel Caboche, qui a été directeur de recherche à l'INRA, membre de l'Académie des sciences, directeur adjoint du laboratoire de biologie des semences à Versailles, et a aussi dirigé l'unité de recherche en génomique végétale de 2002 à 2007. Nous l'avions rencontré en 2007 ou 2008 pour l'établissement d'un rapport sur la pollution au chlordécone aux Antilles – un autre sujet qui continue à faire l'actualité.
Comme l'ont rappelé Gérard Longuet et Cédric Villani, l'OPECST a toujours été un précurseur en matière de réflexion sur l'innovation végétale. Mes collègues ont déjà salué le travail de Jean-Yves Le Déaut, notre ancien président, qui fut mon corapporteur. Ce rapport était paru en 2017. Pour ma part, j'avais davantage travaillé sur les questions de santé et sur les moustiques. Ce document mettait en lumière la technique CRISPR-Cas9. Nous étions persuadés de son importance pour la recherche, mais aussi pour les applications concrètes que l'on pourrait lui donner.
Avant 2020, nous étions aussi convaincus que Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier recevraient le prix Nobel. Nous avions inscrit cette technique dans la continuité des précédents outils comme les TALEN et les nucléases à doigts de zinc. CRISPR et ses déclinaisons sont aujourd'hui massivement utilisés dans de très nombreux laboratoires de recherche pour mieux comprendre la fonction des gènes chez les mammifères et chez les plantes. Cet outil ouvre de nombreuses perspectives pour les améliorer, mais nous avons également veillé à ce que les autres techniques soient évoquées aujourd'hui.
La première table ronde permettra de faire le point sur les avancées technologiques intervenues depuis le dernier rapport de l'OPECST sur le sujet en 2017. Les intervenants vont nous faire mieux comprendre ce que ces techniques permettent de faire. Comment interviennent-elles au niveau de l'ADN ? À quelles modifications peuvent-elles conduire ? Quelles perspectives ouvrent-elles ? On entend souvent parler de plantes plus résistantes à la sécheresse ou aux pucerons, mais quelles sont les autres applications ? Les exemples concrets seront les bienvenus.
La sélection végétale n'est pas nouvelle. Elle date du Néolithique, il y a environ 10 000 ans. Elle est basée essentiellement sur la diversité génétique. Sans diversité génétique, il est impossible de faire de la sélection, de rechercher de nouveaux caractères et de créer de nouvelles variétés. Différents caractères ont ainsi été sélectionnés au cours de la domestication puis de l'amélioration des plantes, comme l'adaptation à des stress biotiques (la résistance aux virus) ou abiotiques (la résistance à la sécheresse), ou des caractères se rapportant à la qualité nutritionnelle des aliments. Ces caractéristiques ont pour but de répondre à des besoins identifiés par l'Homme. J'entends le terme « besoins » au sens large. Par exemple, à l'heure actuelle, il peut s'agir de chercher de nouvelles variétés ouvrant à une agriculture plus respectueuse des écosystèmes.
La diversité génétique est basée sur l'instabilité intrinsèque des génomes. Quand nous sortirons de cette pièce, nos cellules auront subi plus de mutations que quand nous y sommes entrés. C'est la base de l'évolution des génomes et de la diversité génétique. C'est un principe universel. Il en va de même pour une plante.
Par exemple, dans un hectare de blé, c'est-à-dire une petite parcelle, les 90 000 gènes constitutifs du génome du blé auront muté. La sélection apparaît ainsi assez facile à opérer dans la mesure où la diversité génétique spontanée ou « naturelle » est immense. Cependant, la plante qui présente une nouvelle caractéristique intéressante se trouve comme perdue parmi tous les grains de blé produits dans cet hectare. La difficulté pour le sélectionneur ou l'agriculteur consiste précisément à trouver le grain de blé qui par exemple résistera mieux à la sécheresse ou aux virus.
Depuis quelques années, nous disposons de nouveaux outils pour essayer d'augmenter la diversité génétique, de mieux la contrôler et de créer des mutations dans des gènes à façon. Ces outils ont été développés par une chercheuse française, Emmanuelle Charpentier, et une chercheuse américaine, Jennifer Doudna. Leurs travaux datent d'il y a une décennie. CRISPR-Cas9 est un système bactérien de défenses immunitaires qui a été « détourné » pour permettre de modifier n'importe quel gène dans le génome. Au départ, il permettait de casser l'ADN à un endroit précis du génome afin d'entraîner des mutations relativement prévisibles.
Le système CRISPR-Cas9 a ensuite connu deux évolutions majeures. Depuis 2017, le base-editing consiste à ne plus procéder à des cassures double-brin de l'ADN, mais à simplement changer des bases (A, T, C, G) des gènes présents dans le génome des plantes ou des animaux. Quoique ces avancées technologiques interviennent surtout dans le domaine animal et humain, avec des visées de thérapie génique, la recherche végétale en profite. Depuis 2019, la deuxième grande innovation, ou prime-editing, est toujours une déclinaison du système CRISPR-Cas9. Elle permet, sans faire de cassures double brin, de remplacer n'importe quelle base dans le génome, et ce de manière contrôlée et prédictible. Il s'agit un peu de l'outil ultime pour faire de la modification de gènes dans les génomes.
Depuis dix ans, les chercheurs ont démontré que ces outils pouvaient fonctionner chez les plantes et que nous étions capables de « copier », par une sorte de biomimétisme, des mutations d'une variété pour la porter dans une nouvelle variété. On peut ainsi copier une mutation, par exemple une résistance à un virus, chez une autre espèce. L'INRAE a mené ce travail en copiant une mutation du poivron, qui lui donne une résistance à un virus, dans le génome de la tomate pour la rendre à son tour résistante au même virus. Plus de cinquante espèces végétales ont été utilisées pour faire de l'édition du génome, notamment les grandes espèces importantes pour la nutrition humaine tels le blé, le riz, la pomme de terre, la tomate, etc.
Parmi les caractères apportés, on peut noter les suivants : l'architecture des racines du coton a été modifiée pour améliorer l'utilisation du nitrate ; la taille des grains de riz ou de blé a été augmentée ; la conservation des pommes de terre a été améliorée afin qu'elles produisent moins d'acrylamide, une molécule cancérigène, au moment de la cuisson ; une diminution du gluten dans le blé a également été obtenue. Les chercheurs ont aussi travaillé sur la résistance à des bactéries, des champignons ou des virus de l'oranger, de la vigne, du riz ou de la tomate.
Les deux pays qui ont principalement utilisé ces techniques sont la Chine et les États-Unis. En 2019, plus d'une centaine de publications chinoises décrivaient l'utilisation de ces outils pour faire de l'amélioration variétale, contre 80 aux États-Unis et 25 en Europe, dont 7 publications issues de laboratoires français.
En conclusion, la technologie est en constante évolution. Elle commence à être utilisable chez un très grand nombre d'espèces. Elle connaît néanmoins des limites. Certaines espèces sont encore récalcitrantes. Chaque mois une publication démontre néanmoins que l'outil est employable sur une nouvelle espèce, y compris des espèces dites orphelines. Ces outils me semblent intéressants pour faire de l'innovation variétale. En tant que chercheur dans un laboratoire de recherche fondamentale, puisque je travaille sur la réparation de l'ADN chez les plantes, j'estime aussi que cet outil est à présent indispensable pour nos laboratoires de recherche.
– Vous donniez l'exemple de la copie d'une mutation du poivron sur la tomate. Dès lors que vous l'avez identifiée, pouvez-vous confirmer que vous n'avez plus besoin du poivron en tant qu'être vivant ? Vous travaillez juste directement sur l'organisme tomate.
Tout à fait. Nous avons des connaissances sur les gènes et sur les mutations qui donnent tel ou tel caractère. Ces données sont issues de la recherche fondamentale, d'où son importance. Cette connaissance peut ensuite être transférée chez la tomate et chez un grand nombre d'espèces. Nous travaillons actuellement sur la pomme de terre.
La mutation transférée existe probablement chez la tomate, sauf que nous ne l'avons pas encore identifiée. Nous n'allons pas créer une mutation qui n'aurait jamais existé ou qui n'a jamais existé. On va simplement la réaliser dans un laboratoire et avoir une tomate modifiée, sans devoir aller chercher dans la diversité génétique existante, qui peut être vraiment très diffuse, cette mutation spécifique.
Dans un gène de poivron qui donne une résistance à un virus, il faut muter deux paires de bases, pour obtenir deux acides aminés différents dans la protéine. Or la fréquence de cette double mutation est très rare. Un calcul rapide montre qu'il faudrait attendre 140 000 ans, avec toutes les tomates qui sont produites sur Terre en ce moment, pour être sûr qu'une tomate présente cette double mutation.
Cette double mutation est donc peut-être déjà dans une tomate que nous avons consommée ou dans une serre, mais nous ne le savons pas. Par contre, nous pouvons générer cette double mutation grâce aux outils de prime-editing sur une tomate et augmenter nos chances de voir l'effet de cette mutation chez la tomate, sachant que l'effet n'est pas garanti.
Merci d'avoir rappelé que ces outils sont utilisés en thérapie génique. Ils ont déjà permis d'accomplir beaucoup de progrès pour la prise en charge des maladies monogénétiques et de sauver des vies. Je pense aux recherches sur la maladie de Leber ou sur les hémoglobinopathies.
Des essais de CRISPR-Cas sont effectués sur la drépanocytose en réactivant un gène d'une hémoglobine fœtale chez l'homme. La démarche a commencé aux États-Unis et se poursuit en Europe. Des maladies de surcharge hépatique sont également concernées.
Je vous remercie pour l'hommage rendu à Michel Caboche. Il était fils d'agriculteur et a porté au plus haut niveau la réputation de la recherche agronomique française et le domaine de la génomique végétale.
Mon propos portera sur l'édition du génome et le système CRISPR-Cas9. Je traiterai d'abord des principes d'utilisation des technologies d'édition des génomes à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Pour mémoire, l'INRAE résulte de la fusion entre l'INRA et l'IRSTEA. Je donnerai ensuite des exemples de recherches conduites dans notre institut et fournirai enfin quelques éléments de conclusion.
Il y a près de cinq ans, la direction de l'INRAE a souhaité clarifier sa stratégie en matière d'utilisation de l'édition du génome. Cette stratégie s'inscrit pleinement dans les valeurs de l'Institut et dans sa volonté de contribuer au progrès environnemental, social et économique.
Elle a sollicité l'expertise du Comité consultatif commun d'éthique INRAE-CIRAD-IFREMER-IRD sur les nouvelles techniques d'amélioration génétique des plantes. Saisi fin 2016, il a rendu son avis début 2018. Disponible sur le site de l'INRAE, il met en lumière les enjeux éthiques et politiques de l'édition du génome. Il considère les risques environnementaux et sanitaires, le statut juridique de ces organismes et des produits dérivés, la propriété intellectuelle dans le secteur végétal, ainsi que la compatibilité avec l'agroécologie.
Cette stratégie s'articule autour de six principes. Le premier concerne le maintien d'une capacité d'expertise en accord avec la mission de recherche publique de l'INRAE. Nous considérons qu'il relève de nos missions de recherche publique et de notre responsabilité sociale d'explorer les bénéfices et les limites, mais aussi les risques éventuels des produits dérivés et de leur utilisation.
Le second principe est évident, mais doit être réaffirmé. Ces technologies sont indispensables à l'acquisition de connaissances. L'édition du génome permet d'explorer la variabilité génétique, d'étudier la fonction, la régulation et l'évolution des gènes. Ces recherches sont essentielles à l'amélioration des connaissances et à la compréhension du vivant.
Le troisième principe concerne l'utilisation des technologies d'édition du génome en amélioration des plantes. L'évaluation des possibilités offertes par cette technologie est parfaitement légitime et complémentaire des outils classiques de l'amélioration des plantes. Dans le cadre de nos travaux, les caractères et les espèces cibles sont choisis dans un objectif de bien commun. Nous les destinons à des usages et à des systèmes de production qui s'inscrivent dans une logique de durabilité environnementale, économique et sociale.
Les trois autres principes concernent la conduite des expérimentations dans le respect de la réglementation européenne et nationale. Ils énoncent aussi des principes d'ouverture de la recherche avec une coconstruction des projets dans le cadre de recherches pluridisciplinaires et si possible multiacteurs.
Le sixième principe traite de la question de la propriété intellectuelle. L'INRAE rappelle son attachement au certificat d'obtention végétale et son attachement à la non-brevetabilité des plantes issues de l'édition du génome.
Aujourd'hui, une vingtaine d'unités de recherche de l'INRAE utilisent ou mettent au point l'édition du génome chez une trentaine d'espèces végétales. Il s'agit d'espèces de grande culture, d'espèces pérennes (la vigne, les arbres fruitiers), d'espèces maraîchères d'oléagineux, de protéagineux, etc.
Ces programmes sont conduits dans un objectif de connaissance de la fonction des gènes ; ils vont parfois jusqu'à la « preuve de concept » qui vise à montrer que l'édition du génome fonctionne chez certaines espèces et pour certains caractères ou certaines combinaisons de caractères présentant un intérêt agronomique. À ce jour, les plantes issues de ces programmes ne font pas l'objet de diffusion et n'ont pas vocation à alimenter les programmes d'innovation variétale.
Les cibles que nous travaillons concernent la résistance aux maladies pour réduire l'usage des produits phytosanitaires, des caractères d'adaptation au changement climatique ou encore des caractères qui peuvent être mobilisés dans le cadre de la diversification des cultures et des pratiques.
Fabien Nogué a parlé de la résistance aux virus. L'idée est de s'inspirer de la diversité naturelle pour produire un petit nombre de mutations qui permettent d'obtenir des plantes résistantes aux virus chez les espèces pour lesquelles nous n'avons pas trouvé de variabilité naturelle. Ces résultats ouvrent des perspectives pour le développement de résistances à large spectre et plus durables, puisqu'on pourrait imaginer qu'ils soient transférés à la vigne et aux arbres fruitiers pour lutter respectivement contre le court-noué et la sharka.
Un autre programme porte sur une crucifère : la cameline (ou lin bâtard ou sésame d'Allemagne). Nous la voudrions plus précoce pour l'utiliser en couvert végétal entre deux cultures d'hiver. Cette espèce, très peu gourmande en intrants, est en train de se redévelopper. Nous travaillons sur les gènes qui régulent la transition florale et permettent donc de réguler la précocité de cette espèce.
L'édition du génome est intéressante, parce que plusieurs gènes contrôlent la transition florale. Ils sont au nombre de cinq chez Arabidopsis. La structure génétique de la cameline fait qu'il y a au moins quinze gènes impliqués dans la transition florale chez cette espèce. Or cette technologie nous permet de modifier simultanément tous ces gènes. Elle ouvre donc la possibilité d'obtenir chez un seul et même individu une diversité de combinaison de mutations pour un groupe de gènes qui serait extrêmement difficile à identifier dans la diversité naturelle.
Le bourgeonnement d'un arbre ou sa floraison correspond à des stades de la vie des plantes et des conditions météorologiques. C'est pourquoi les espèces pérennes sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Avec le réchauffement, la floraison est ainsi généralement plus précoce et induit des risques au gel printanier.
En conclusion, je souhaite rappeler que la génétique reste l'un des leviers de la transition agroécologique et que l'édition du génome est un outil de la génétique. J'ai rappelé les enjeux de recherche fondamentale et appliquée en tant que technologie indispensable à l'acquisition de connaissances.
Comme tous les outils, il possède des forces et des faiblesses qui exigent d'être vigilants quant aux promesses énoncées. Dans tous les cas, il convient de rappeler que cette technologie prise isolément ne permettra pas de répondre aux enjeux de l'agriculture et de la transition agroécologique. Par contre, l'INRAE porte activement l'idée d'une combinaison de leviers pour conduire cette transition agroécologique. On parle bien sûr de génotypes adaptés en mobilisant l'ensemble des méthodes disponibles, mais aussi de la mobilisation des régulations biologiques, du biocontrôle, de la diversification des productions et des systèmes de production.
L'INRAE est convaincu que l'édition du génome fait partie des outils de l'amélioration des plantes et que son utilisation pourrait dans certains cas contribuer au progrès génétique pour des caractères et des espèces cibles choisies dans un objectif de bien commun et pour des systèmes de production s'inscrivant dans une logique de de durabilité. C'est assez cohérent avec le fait que les usages de ces technologies et les résultats devraient prendre plus de place dans les débats.
Puisque vous avez parlé de l'édition génomique et d'une combinaison de leviers, je donne la parole à Monsieur Luc Mathis.
Petit-fils d'agriculteurs du nord de la France, je suis issu de la formation universitaire française. Je ne peux malheureusement pas exercer mon métier dans mon pays. J'ai étudié à Orsay, à l'École normale supérieure et à l'Institut Pasteur. Je suis parti en postdoctorat en Californie, puis suis entré premier au concours du CNRS. Une belle carrière académique s'ouvrait à moi. Dans les années 2000, Nicolas Sarkozy puis François Hollande incitaient les chercheurs à développer leurs compétences d'entrepreneurs.
J'ai rejoint Cellectis, pionnière du gene-editing au plan mondial. Dans la lignée des travaux de François Jacob et d'Alain Fischer, cette start-up voulait révolutionner la thérapie génique. Le traitement des enfants-bulles avait montré que l'insertion de séquences d'ADN avait des effets assez extraordinaires pour restaurer le système immunitaire des bébés immunodéficients. On avait malheureusement constaté que l'insertion au hasard d'un morceau d'ADN dans le génome de ces enfants induisait des leucémies.
Cellectis avait pour objectif de réaliser la même opération, c'est-à-dire amener des corrections dans le génome induisant des maladies humaines, sans ajouter de séquences. C'est la révolution à laquelle nous assistons aujourd'hui en cancérologie avec les CAR-T. Ces technologies, basées sur le gene-editing, constituent une véritable révolution thérapeutique.
Je me suis rapidement intéressé aux applications du gene-editing en agriculture. Tout le monde souhaite limiter l'utilisation de produits chimiques, par exemple les néonicotinoïdes. Or les sélectionneurs avaient identifié des gènes qui donnaient des résistances naturelles aux pucerons porteurs des virus. Par gene-editing, il suffisait d'introduire ces variations dans le génome de la betterave commerciale pour éviter entièrement l'utilisation des néonicotinoïdes dans les champs.
Nous travaillions à l'époque avec l'INRA, notamment Fabien Nogué, Limagrain et Florimond Desprez. En 2012, le projet aurait pu se développer en France. Cependant la réglementation interdisait toute commercialisation. Nos investisseurs nous ont alors conduits à rejoindre Minneapolis où j'ai dirigé la société pendant cinq ans. Elle compte aujourd'hui 90 salariés et a offert des emplois à des étudiants en biologie, qui, en France, ne trouvent pas de tels débouchés puisqu'il n'existe pas ici de filière commerciale en « agrotech » : il n'y a que le secteur académique. L'entreprise, cotée au Nasdaq, développe des produits pour le marché américain.
L'huile de soja est très employée pour l'alimentation. En deux ans, nous en avons retiré les lipides trans qui altèrent le métabolisme cardiaque. Elle présente ainsi des qualités bénéfiques similaires à l'huile d'olive. En France, nous aurions pu utiliser la technologie pour améliorer le pois et trouver un remplaçant pour la nourriture animale, mais la législation l'interdisait. Nous préférons importer du soja OGM du Brésil qui contribue à la déforestation.
À l'inverse, en quelques semaines, l'USDA (le ministère de l'agriculture des États-Unis) nous a donné l'autorisation de développer commercialement ce soja parce qu'aucun ADN étranger n'y était ajouté. En 2021, je dirige la société Meiogenix. Notre start-up applique le gene-editing inventé à l'Institut Curie. Nous améliorons la technique en accélérant des processus naturels de croisement génétique. Aucun investisseur n'était prêt à s'impliquer en France en l'absence de marché. C'est pourquoi nous allons nous établir dans la région de New York.
À l'ENS, j'ai suivi des enseignements sur les lois bioéthiques. J'ai bien compris l'importance mise à juste titre sur le fait de ne pas modifier intentionnellement la lignée germinale chez l'homme. Mais en agriculture, comme le soulignait Fabien Nogué, nous opérons ces croisements intentionnels depuis la nuit des temps. Ils permettent par exemple de conserver des tomates pendant une semaine et, plus généralement, que nous consommions cinq fruits et légumes par jour.
Je ne comprends pas le raisonnement qui conduit à ne pas utiliser ces innovations, qui ne rajoutent aucune séquence au génome. Mon grand-père, qui était un fermier innovateur, aurait voulu utiliser cette technologie. C'est pourquoi je ne me résous pas à devoir partir aux États-Unis pour exercer mon métier alors que ces innovations viennent de France.
Je vous remercie. Vous avez posé la question qui est au cœur de nos débats : pourquoi des recherches sont-elles possibles en matière de santé humaine et non pour la sélection végétale ? Madame Mazza va nous faire part des préoccupations des semenciers en la matière.
L'Union française des semenciers (UFS), au nom de laquelle j'interviens aujourd'hui, représente 122 entreprises semencières implantées dans 62 départements français. Elles sont actives dans l'amélioration des plantes, la production et la mise en marché des semences pour l'agriculture, les jardins et les paysages. Comme indiqué précédemment, l'amélioration des plantes prend sa source dans des gestes ancestraux : observer et identifier des individus d'intérêt, collecter des graines, réaliser des croisements et multiplier des semences.
Nous savons aujourd'hui que ces interventions consistent à agir directement sur l'ADN des plantes en mettant à profit deux phénomènes imprévisibles : la recombinaison des gènes lors de la fabrication des gamètes et la mutation spontanée décrite par Fabien Nogué. Ces deux phénomènes sont les principaux moteurs de l'évolution et de l'adaptation des organismes vivants. Au fil du temps, des règles empiriques se sont dégagées pour donner sens au métier de semencier né en 1743.
En trois siècles, le métier s'est rationalisé. En intensifiant le contrôle interne, il a réduit la part laissée au hasard pour garantir la promesse formulée par la semence. Cette trajectoire s'est appuyée sur des avancées scientifiques diverses, en biologie, avec la découverte des lois de l'hérédité et de la structure de l'ADN, mais aussi en chimie. Des développements technologiques tels que la mécanisation agricole, la télédétection et le digital y ont également contribué. Grâce à ces outils, le patrimoine génétique et la composition biochimique des plantes sont entièrement analysés. Leur comportement est observé dans de multiples environnements de culture et pendant de nombreuses années. Ce travail d'observation et de caractérisation s'inscrit dans un processus de contrôle qualité interne. Il constitue toujours aujourd'hui la part essentielle de l'effort de R&D des entreprises semencières qui y consacrent en moyenne 13 % de leur chiffre d'affaires.
Dans cette longue histoire de l'amélioration des plantes, la France a toujours été aux avant-postes. Elle reste aujourd'hui encore dans le peloton des quelques pays en pointe, qu'il s'agisse de l'Allemagne, des États-Unis, de la Chine ou des Pays-Bas.
La France peut se targuer de disposer d'une filière d'excellence, composée d'acteurs de tailles diverses, organisée logistiquement pour répondre à différents débouchés, générant un excédent commercial de près de 1 milliard d'euros et offrant plus de 12 000 emplois en France. La France est le premier exportateur mondial de semences, le premier producteur européen de semences.
Les nouvelles techniques de sélection viennent aujourd'hui enrichir la panoplie des outils utilisés en amélioration des plantes. Comme indiqué précédemment, elles reposent sur des mécanismes biologiques et permettent d'intervenir de façon très précise. En cela, leurs effets ne diffèrent pas de ceux des techniques utilisées couramment à l'heure actuelle.
En revanche, elles permettent de s'affranchir de la dimension aléatoire des techniques utilisées actuellement grâce à la combinaison de deux éléments qui ont été rappelés : une précision sans précédent, puisque l'on parle d'un ciblage à la base près, et la possibilité de réécrire localement le génome.
Ces deux atouts sont amplifiés par les progrès réalisés au cours des vingt dernières années en matière de séquençage des génomes et de compréhension du rôle et du fonctionnement des gènes.
En tant que semenciers, nous comptons et avons commencé à utiliser ces nouvelles techniques de différentes façons, bien évidemment pour mettre au point de nouvelles variétés.
À très court terme et dans la continuité des processus actuels de création variétale, ce sera en développant des caractéristiques gouvernées par un petit nombre de gènes. L'exemple que vous avez mentionné, du poivron et de la tolérance à certaines maladies, s'inscrit tout à fait dans cet esprit. Différentes cibles sont regardées ainsi que la tolérance aux maladies et aux ravageurs, par exemple la résistance de la tomate au mildiou, mais aussi des caractères liés aux propriétés nutritionnelles des plantes.
À plus long terme, ces techniques nous permettront de rechercher et de développer des caractères plus complexes, car gouvernés par plusieurs gènes, par exemple une meilleure utilisation de l'eau ou une plus grande productivité. Vous avez également mentionné l'importance de la diversité dans l'amélioration des plantes. Nous pourrons développer de nouvelles formes de diversité, dites diversité allélique.
Ces techniques sont également un facteur de compétitivité pour nous car elles permettent d'optimiser le processus même d'amélioration des plantes. Cela passe d'abord par la production de nouvelles connaissances, en partenariat avec la recherche publique : nous en avons besoin pour mieux comprendre le fonctionnement des plantes. Cela passe aussi par le développement de caractères d'intérêt, non pas pour les producteurs, mais pour nous, sélectionneurs, par exemple un caractère de production de pollens. Nous avons besoin de plantes qui produisent beaucoup de pollen. C'est un caractère qui a peu d'intérêt pour un producteur de fruits ou de légumes, mais qui en a beaucoup pour nous.
Ces nouvelles techniques permettent donc de faire mieux et de faire plus. Leurs atouts pour l'amélioration des plantes sont nombreux. Elles sont potentiellement applicables à tout type de système de culture, à tout type de caractère et à tout type d'espèces. Leur intérêt pour la sélection est reconnu. Une enquête récemment diligentée par l'association européenne Euroseeds le démontre.
Des entreprises de toutes tailles ont confirmé leur intérêt pour ces techniques en vue d'améliorer des espèces qui sont à la fois des grandes espèces comme les céréales, le maïs, les oléagineux, les fourragères, mais aussi des cultures plus spécialisées, ornementales ou médicinales, ou même des espèces de diversification comme le chanvre, le pissenlit, la stévia.
Enfin un dernier atout, qui pour moi n'est pas le moindre : ce sont des techniques dont aujourd'hui on n'a pas complètement exploré le potentiel. C'est important qu'on puisse le faire. L'exploration de ce potentiel fait l'objet de nombreux travaux. Au cours du seul dernier trimestre 2020, 45 brevets ont été publiés sur le sujet, en majorité par des acteurs chinois et américains, dans le domaine des plantes ou applicables aux plantes.
Ces techniques ne sont pas sans limites. Ce sont des outils qui reposent sur des processus biologiques avec des rendements qui ne sont pas 100 %. Tous les gens qui font de la biologie le savent. Ces techniques nécessitent un contrôle a posteriori par l'observation et l'analyse des plantes et de leur descendance. Le contrôle a posteriori permet notamment d'éliminer les éventuelles mutations indésirables. Par ailleurs, ces techniques ne sont actuellement pas applicables à certaines espèces. Vous avez compris que certains travaux sont en cours pour y remédier.
En conclusion, l'amélioration des plantes est l'un des leviers pour relever les défis agricoles actuels, au même titre que l'agronomie, le biocontrôle et le digital. En Europe, elle prendra sa part dans la réussite de la stratégie Farm to Fork (de la ferme à la table). Les nouvelles techniques de sélection sont d'ores et déjà mises en œuvre pour des améliorations ciblées et encadrées par des processus de contrôle qualité interne éprouvés au fil des ans. Leur potentiel n'a pas été complètement exploré. Elles ouvrent de nombreuses perspectives pour l'amélioration des plantes qu'il faut continuer à travailler. Enfin, pour le secteur semencier français, elles sont indispensables pour maintenir ses compétences, son savoir-faire et rester dans la course internationale.
Merci, Madame Mazza. Vous avez évoqué la longue histoire de la sélection et des semenciers. J'ai appris que le métier était né au siècle des Lumières. Cédric Villani comme moi étions un peu étonnés.
Vous avez été étonnés à tort. C'est le développement agricole, à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, qui a présidé à la révolution industrielle. Je n'oublie pas que j'ai présidé un lycée agricole pendant deux ans !
Je cède la parole à deux chercheurs de l'INRAE qui vont nous parler de la sélection conventionnelle. Permet-elle de relever les mêmes défis que les exemples évoqués auparavant ? Allons-nous réussir à utiliser moins d'intrants ? L'adaptation aux modifications du climat peut-elle s'opérer grâce aux New Breeding Techniques (NBT) ?
Je suis sélectionneur de blé tendre d'hiver à l'INRAE de Rennes pour des systèmes de culture économes en intrants chimiques, dont l'agriculture biologique. Je suis né dans une toute petite ferme de la pointe du Finistère. Nous allons vous présenter un ensemble de nouvelles approches autres que les NBT. Elles permettent de répondre aux enjeux des changements globaux et à la réduction des intrants de synthèse.
Pendant quarante ans de modernisation d'une agriculture portée par la mécanisation et la chimie, les choses étaient simples. Le plus, c'était le mieux, dans des itinéraires techniques de plus en plus artificialisés. Répondre à la demande, c'était augmenter les quantités produites par hectare et par animal. L'amélioration des plantes y a apporté une contribution majeure. Après des années de débat, le constat d'échec d'un modèle productiviste arrivé à sa limite est désormais partagé, notamment dans le plan stratégique INRAE 2030.
En effet, nous sommes dans le rouge dans tous les domaines : de la biodiversité perdue au renouvellement en panne des générations d'agricultrices et d'agriculteurs. Les productions végétales ont une part de responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre qui accélèrent le changement climatique. Les solutions techniques du XXe siècle vont-elles répondre aux attentes pressantes du XXIe ? La question se pose aux généticiens et sélectionneurs.
C'est la question des voies à explorer pour y répondre, alors que le temps ne joue plus pour nous. Le Grenelle de l'environnement n'a pas été suivi d'actes et quinze années ont été gâchées. Le temps presse. Les différentes prospectives (Agrimonde, Afterres) interrogent dans leur scénario le degré de sortie partielle ou totale des intrants chimiques. Pour assurer sa durabilité, l'agriculture va devoir se diversifier et s'accorder avec les potentialités des milieux avec beaucoup moins d'intrants.
En effet, les interactions génotype/environnement, en partie lissées par les apports d'engrais et de pesticides, vont se démultiplier. Comment l'amélioration des plantes va-t-elle apporter sa contribution à ce défi ? Comment interagir avec les agronomes pour arbitrer les caractères à privilégier ? Ainsi, réintroduire des rotations plus longues ou réduire la fertilisation azotée dispensera d'un fastidieux travail d'amélioration de la résistance vis-à-vis de telle maladie ou de tel insecte.
Dans le domaine de la création variétale, il y a vingt ans, l'INRAE a lancé un programme pionnier de sélection de variétés de lignées pures pour l'agriculture biologique. Avec bientôt 10 % de la surface agricole utile, l'agriculture biologique est envisagée ici comme un prototype d'agroécologie utile au progrès des autres formes récentes d'évolution de l'agriculture, par exemple en explorant comment le levier génétique peut contribuer, en céréales à paille, à un itinéraire technique sans herbicides, par une stratégie agronomique d'innovation en profondeur telle que définie par Bernard Chevassus-au-Louis et Michel Griffon. La variété est une pièce du dispositif.
Pour avoir des chances de réussite, l'indispensable transition agroécologique demande le même effort de recherche et développement que celui dont bénéficia la modernisation de l'agriculture dans les années 1960. La place des NBT comme outil doit être questionnée ici.
En effet, les approches nouvelles proposées (sélection bas intrants, notamment dans le cadre de l'agriculture biologique, agroécologie, sélection participative) agissent sur un niveau de complexité très élevé, alors que l'on peut s'interroger sur la contribution des NBT, qui agissent au mieux sur quelques gènes. Seront-elles décisives en la matière ? L'optimisme technologique ne peut servir d'échappatoire.
Je suis chercheur en génétique des populations à l'INRAE au laboratoire Génétique Quantitative et Évolution (Le Moulon). Comme le soulignait Bernard Rolland, nous sommes face à l'urgence de repenser une agriculture sans pesticides et à faible impact sur le climat. La diversification agricole est au cœur de cette transition.
Des travaux récents montrent que des paysages agricoles plus diversifiés en cultures et en variétés ont des propriétés de résilience ou de stabilité face aux émergences de maladies ou aux aléas climatiques. Je détaillerai deux stratégies de diversification à l'échelle de la parcelle : les mélanges de variétés et d'espèces, puis les populations.
Actuellement, une parcelle cultivée en France est généralement semée avec une seule espèce, elle-même constituée d'une seule variété homogène génétiquement, ce qui rend la culture vulnérable aux maladies et au stress climatique, car tous les individus de la parcelle sont identiques, avec les mêmes sensibilités.
Pour diminuer ces risques, de plus en plus d'agriculteurs mélangent dans une même parcelle soit des variétés différentes d'une même espèce, soit différentes espèces, par exemple des céréales et des légumineuses. Des milliers d'assemblages sont alors possibles à partir des variétés existantes. Par le choix du mélange qu'ils vont semer, les agriculteurs peuvent adapter chaque année le peuplement cultivé aux conditions locales de climat et de sol, à leurs pratiques et à leurs débouchés. Ils peuvent ainsi minimiser des risques. Dans le champ, les complémentarités entre variétés et espèces permettent une meilleure utilisation des ressources et une résistance accrue aux maladies. Une parcelle de mélange blé/pois produira un grain de bonne qualité avec une bonne teneur en protéines avec moins d'engrais grâce à la fixation symbiotique de l'azote de l'air par le pois.
Une seconde stratégie consiste en l'utilisation de populations qui seront autorisées à la commercialisation en agriculture biologique en 2022 sous le terme « matériel hétérogène biologique ». Dans ces populations, tous les individus d'une parcelle sont différents, ce qui à la fois confère des avantages de complémentarité en cas de stress et permet une évolution et une adaptation de la population au cours des cycles de récolte et de resemis.
De telles populations sont actuellement cultivées par les agriculteurs dans des programmes de sélection participative. Les analyses effectuées dans notre équipe par Isabelle Goldringer démontrent l'efficacité d'une telle sélection pour adapter localement les populations de blé tendre à des modes de culture sans pesticides ou intrants de synthèse. Cette grande diversité génétique déployée, qui est observée par de nombreux agriculteurs, permet également de repérer, dès les premières apparitions d'une nouvelle maladie, les individus résistants et de les sélectionner très rapidement. C'est donc aussi un moteur unique d'adaptation des cultures à l'émergence de maladies.
Pour développer ces nouvelles pratiques culturales, il est indispensable d'avoir accès aux ressources génétiques de nombreuses espèces et pouvoir ainsi sélectionner de nouvelles variétés et populations adaptées.
Ces adaptations demandent de combiner de nombreux caractères, par exemple l'architecture de la plante ou les résistances aux maladies, et chaque caractère est lui-même contrôlé généralement par de nombreux gènes.
Cette complexité génétique est donc gérée de façon très efficace par la sélection variétale classique et dès maintenant par les outils du marquage moléculaire. Pour que tous les acteurs de la sélection puissent répondre aux défis d'une agriculture sans pesticides et à faible impact sur le climat, il est donc essentiel de garantir l'accès le plus large possible à la diversité des variétés des populations développées.
C'est donc la place de l'édition du génome comme outil qui doit être ici questionnée, tant dans la nature des innovations proposées, qui peuvent être centrées sur le gène alors que nous avons une vision systémique, que dans l'impact de cette technique sur la propriété intellectuelle – le brevet sur les séquences –, qui risque de limiter l'accès aux variétés pour l'ensemble des acteurs de la filière.
Ne peut-on pas utiliser concomitamment la sélection conventionnelle et l'édition du génome ? Sont-elles vraiment incompatibles ? Vous avez évoqué, Monsieur Enjalbert, une technique qui pourrait avoir le même effet qu'une sélection plus biologique ou scientifique. Permettrait-elle également de nourrir toute la population ? La polémique a-t-elle toujours lieu d'être ? Vos positions ne sont-elles pas en train de se rapprocher ?
Après que chacun aura pu apporter des réponses, je formulerai des questions complémentaires. Je donnerai aussi la parole à la Confédération paysanne. Pour être transparents, nous avions convié deux syndicats. La FNSEA n'a pas répondu à notre invitation. Je le regrette. Nous serons en contact avec eux pour recueillir leurs réactions. Il nous paraissait important d'entendre des représentants du monde agricole, qui est en première ligne.
Je souhaiterais auparavant revenir sur deux points. Le premier concerne la brevetabilité et la non-brevetabilité. Madame Caranta l'a notamment évoquée comme un principe auquel l'INRAE est attaché. J'aimerais connaître les positions des uns et des autres sur ce sujet. Le deuxième point concerne une application polémique du gene-editing, à savoir la génération de plantes résistantes aux herbicides. L'ANSES, il y a deux ans, a lancé une alerte à ce sujet. Qu'en pensez-vous ?
Permettez-moi également de formuler quelques remarques, notamment sur CRISPR et la prédictibilité. La technique est-elle aussi précise que vous l'avez présentée ? Les controverses sur les conséquences de l'édition d'un gène sont nombreuses.
Monsieur Nogué, vous affirmez que nous ne faisons finalement rien de plus que créer des mutations qui pourront survenir dans le futur. Comment parvenez-vous à avoir cette assurance ? Quels sont les fondements scientifiques de cette visibilité ?
Messieurs Rolland et Enjalbert ont évoqué, si j'ai bien compris, l'enjeu d'une adaptation à des échelles locales. Les NBT ont-elles une maille d'intervention quasi parcellaire ?
Ma première question s'adresse à Madame Caranta. Comment l'INRAE gère-t-il ses contradictions ? Vous avez notamment évoqué un schéma prospectif 2030. Par ailleurs, qu'en est-il des traitements des plantes qui mobilisent les insectes ? Cette problématique s'inscrit-elle dans la continuité de vos recherches ?
En réponse à Monsieur Prud'homme, le taux de mutation entre chaque génération est étonnamment universel. Il est approximativement le même dans un génome de cellule humaine, végétale ou d'un insecte. Ces données ont été démontrées notamment à partir de l' Arabidopsis. On a pu mettre en évidence qu'en moyenne, entre une graine et la plante porteuse, chaque génération présentait une mutation. Une extrapolation sur la tomate permet de constater que chaque paire de bases de son génome aura en moyenne muté 80 fois sur Terre au cours d'une année de production. Le taux d'apparition de ces mutations est immuable et les données robustes.
Permettez-moi aussi de réagir à une remarque sur l'utilisation du CRISPR pour la modification des gènes. J'ai donné des exemples où un gène modifié donnait un caractère comme la résistance au virus. Cependant, l'interaction entre les plantes et les bactéries du sol, par exemple, correspond à des phénomènes extrêmement complexes et multigéniques. Je ne vois toutefois pas pourquoi l'outil CRISPR ne pourrait pas être utilisé à cette fin.
Par exemple, le travail mené sur l'architecture de la racine du coton résulte de la modification de plusieurs gènes. Avec cet outil, on a pu en modifier près d'une cinquantaine, dans un génome, pour une expérimentation. Il n'existe donc pas forcément d'opposition entre les objectifs poursuivis et l'utilisation de cet outil. Il reste toutefois un outil complémentaire d'une sélection classique.
Je ne partage votre optimisme. Il est l'expression d'une « économie de la promesse ». Il y a vingt ans, la promesse consistait à régler les problèmes avec les clones ; il y a trente ans, c'était avec les OGM. On nous affirme maintenant qu'avec la biologie moléculaire des années 1970, il suffirait de trouver une séquence pour la transposer.
Il n'en va pas ainsi. En raison de la structure tridimensionnelle des noyaux, nous savons qu'un nucléotide changé peut complètement modifier la disposition de deux chromosomes ; or, la structure tridimensionnelle de l'ADN régule l'expression des gènes. C'est pourquoi les entreprises se rachètent, non seulement pour récupérer leurs fonds génétiques, mais pour acquérir leurs savoir-faire, touchant notamment aux rétrocroisements.
Je suis donc assez sceptique. Aux États-Unis, la sélection variétale a accru la sensibilité des variétés de maïs à la sécheresse. Les variétés issues des laboratoires améliorent d'environ 10 % la tolérance à la sécheresse, alors qu'au Mexique, le Centre internal d'amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) a produit par sélection classique une variété qui présente une résistance de 30 % et est notamment utilisée en Afrique.
Il faut cesser d'avoir une vision aussi simpliste de la biologie moléculaire. On s'est notamment rendu compte que la réalité était beaucoup plus complexe et que l'ADN dit « poubelle » servait à réguler par des micro-ARN un grand nombre d'éléments.
Beaucoup d'intervenants ont insisté sur le fait que ces techniques étaient devenues plus précises. On ne serait plus obligé d'introduire de l'ADN d'une autre espèce dans la nouvelle variété, mais seulement de changer une ou deux paires de bases.
J'ai beaucoup aimé la formule de Madame Mazza qualifiant la semence de « promesse de résultat ». J'ai senti que l'argument sous-jacent était que cette précision accrue au niveau de l'ADN permettrait également de rendre plus précise cette promesse.
Pensez-vous vraiment qu'il existe une adéquation entre la précision moléculaire et la précision de la promesse faite à l'humanité en matière de rendement économique, de lien social, de durabilité ou de maîtrise du risque ?
S'agissant de la résistance aux herbicides, les produits que présentent les sociétés pour la commercialisation concernent surtout des traits de qualité de résistance à des maladies ou des traits agronomiques. Je n'ai rien vu concernant la résistance aux herbicides hormis dans des publications académiques.
Pour ce qui est de la brevetabilité, l'importance des investissements dans les OGM avait conduit au développement d'une nouvelle ingénierie et à la multiplication des brevets. En matière de gene-editing, nous reproduisons des choses qui existent naturellement. Un débat s'est dès lors engagé, suivant les pays, pour savoir quelle force auront ces brevets dans la mesure où il est impossible de breveter ce qui est naturel. Certains aspects sont brevetables, comme les processus techniques. L'utilisation des produits développés sera-t-elle libre en France ? C'est assez probable.
La question de la brevetabilité joue-t-elle un rôle dans les projets de start-up auxquels vous prenez part ?
Nous pouvons breveter les processus. Quand une technologie nouvelle apparaît, elle est souvent copiée. Tel a été le cas avec les TALEN, les CRISPR et maintenant avec le base-editing. Nous sommes dans un paysage brevetaire complexe. Chacun peut emprunter des brevets pour développer son produit. Le poids d'un brevet n'est pas le même qu'il y a vingt ans.
Monsieur Bertheau parlait d'« économie de la promesse ». L'argument n'est pas recevable. Pour avoir eu un long parcours dans ce domaine, puisque j'ai été à l'origine du premier rapport parlementaire sur le sujet, je sais que les opposants ont cherché l'enlisement réglementaire. Alors que la France accueillait environ 800 essais dans les années 1990, plus aucun n'est pratiqué aujourd'hui. Le dernier, portant sur des peupliers, est intervenu en 2013, à Orléans.
Madame Caranta soulignait, à juste titre, que nous avons perdu notre capacité d'expertise internationale. Vous ne sauriez donc parler d'économie de la promesse en empêchant la recherche. J'ai aussi été touché par le témoignage de Monsieur Mathis qui déplorait ne plus pouvoir exercer son métier en France.
Je regrette d'avoir passé beaucoup de temps à élaborer, en vain, la loi de 2008. Alors qu'elle fixait des conditions et introduisait de la transparence, nous avons abouti à un moratoire et à une interdiction de fait. Or aujourd'hui, avec les décisions du Conseil d'État et de la CJUE, la même stratégie de l'enlisement réglementaire se déploie. A mon sens, une économie de la promesse laisserait les gens travailler sur ces sujets importants.
Monsieur Nogué soulignait précédemment que l'agroécologie et les biotechnologies peuvent être complémentaires. Elles pourraient effectivement avoir des objectifs partagés, mais pas dans la situation idéologique actuelle de notre pays, où deux camps s'affrontent et ne dialoguent plus. Mon collègue Denis Couvet, ici présent, et moi-même avons mené un travail intéressant à l'Académie d'agriculture. Nous n'avions pas les mêmes opinions, mais nous avons abouti à un texte commun. L'OPCEST doit procéder de même. Vous avez aujourd'hui une responsabilité très importante sur le sujet.
Je pense avoir été assez circonspecte et ne pas avoir péché par excès de promesses. J'ai fait la différence entre des caractères simples, qui sont à notre portée dans la continuité de nos connaissances ou pratiques actuelles, et des perspectives pour l'étude de caractères complexes dans une approche systémique. Cette technique présente néanmoins un fort potentiel. Il serait en conséquence dommage que le cadre réglementaire nous prive d'explorer ses possibilités.
S'agissant des approches systémiques, Limagrain est détenue par une société coopérative. Mes actionnaires sont des agriculteurs qui se lèvent très tôt le matin pour essayer de gagner leur vie. Ils sont en pleine transition, en pleine réflexion sur une agriculture systémique et à la recherche de solutions. Tout le monde est aujourd'hui engagé dans une transition technique et agricole, mais pas dans la logique tendant à substituer de nouvelles approches à d'autres. Nous cherchons plutôt à « enrichir la panoplie ».
La raison d'être des brevets est de fixer des règles du jeu entre les différents acteurs d'un secteur économique. Ils sont un moyen de réguler la compétition et de faire en sorte que les acteurs qui ont pris des risques et ont remporté des succès puissent logiquement en tirer un avantage. Nous passons beaucoup de temps chaque jour à négocier des accords de licence. Les brevets et la propriété intellectuelle en général sont des règles du jeu entre acteurs d'un domaine.
Dans le domaine de l'amélioration des plantes, la profession a eu la sagesse et la grande intelligence, dans les années 1950, de développer un outil de protection sui generis. Il est adapté aux enjeux du vivant, au caractère polygénique et complexe de l'innovation variétale. C'est le certificat d'obtention végétale (COV), qui est capable de couvrir 95 % des situations. Cet outil date d'une époque où les biotechs n'existaient pas. De nouvelles questions se posent qui nécessitent sur certains points particuliers d'avoir recours au brevet. La question de la propriété intellectuelle est cependant indépendante des nouvelles techniques de sélection.
Concernant la tolérance aux herbicides, les sondages auprès des entreprises européennes de sélection montrent qu'elle ne correspond qu'à 5 % des cibles travaillées. Les semenciers n'ont pas attendu l'édition du génome pour développer ce caractère. Les premières variétés présentant cette qualité étaient simplement issues de l'observation des plantes. Il s'agit pour moi d'un caractère parmi beaucoup d'autres. Je comprends que des questions se posent sur l'utilité et les conséquences de variétés tolérantes aux herbicides. Je ne saisis cependant pas le lien avec les outils d'édition du génome, qui ne se réduisent pas à la recherche de tolérance aux herbicides.
Je suis paysan, fils de paysan et petit-fils de paysan. Je suis ingénieur agronome spécialisé en amélioration des plantes. J'ai exercé le métier de sélectionneur pendant dix ans, de 1990 à 2000, pour Cargill et Monsanto.
Je tiens à m'inscrire en faux. Madame Mazza soulignait que, si nous n'adoptons pas ces nouvelles technologies, notre pays ne sera plus dans la course internationale. Le même discours était tenu chez Monsanto dans les années 1990. Sans les OGM, la culture semencière était censée disparaître de France et d'Europe. Or nous appartenons aujourd'hui à la deuxième zone mondiale exportatrice de semences. Ce succès résulte précisément du fait que notre continent est un milieu protégé exempt d'OGM.
S'agissant de la « stratégie de la promesse », on nous promettait effectivement que les plantes transgéniques résisteraient à la sécheresse et permettraient la réduction d'intrants, avec l'introduction de caractéristiques propres aux légumineuses dans les céréales. Cela ne s'est jamais produit. Elles ont été abandonnées. Une stratégie de la promesse avait donc bien été élaborée visant à faire accepter aux populations les plantes transgéniques. Or celles-ci n'étaient que des « plantes à pesticide » qui toléraient un herbicide ou produisaient un insecticide.
Concernant les brevets, la situation nous inquiète tout particulièrement. J'entends Madame Mazza dire que nous passons beaucoup de temps à signer des accords de licence. Le risque majeur consiste effectivement à voir l'ensemble des semences brevetées. Si la réglementation sur les OGM n'est pas appliquée, l'ensemble des brevets risque de s'étendre au gène natif. Si tel est le cas, alors que les semences constituent la base de l'alimentation, nous perdrons totalement notre souveraineté alimentaire.
Il a également été fait référence à l'adaptation des plantes au changement climatique. Elle est extrêmement polygénique. Nous la pratiquons dans nos champs. Les semences paysannes, avec le brassage d'énormément de plantes dans un champ, permettent d'adapter nos variétés à des situations locales. En revanche, avec une ou deux modifications et une diffusion sur l'ensemble du territoire, il est beaucoup plus difficile d'adapter ces plantes. Les systèmes monogéniques sont souvent beaucoup moins durables que les systèmes polygéniques.
Concernant la stabilité du génome, je tiens à rappeler que le langage génétique est identique sur l'ensemble du vivant, depuis les virus jusqu'aux plantes supérieures. Or aujourd'hui nous savons lire ce langage, mais ne le comprenons pas entièrement. En d'autres termes, je trouve extrêmement dangereux d'intervenir et de diffuser dans la nature des gènes, alors que nous n'avons pas forcément connaissance de l'ensemble de leurs interactions avec le milieu.
La sélection de plantes résistantes aux herbicides s'inscrit dans la lignée des progrès génétiques du XXe siècle. Depuis le Grenelle de l'environnement, nous évoluerions vers une nouvelle agriculture ? Le plan Écophyto 2018 voulait réduire de 50 % l'usage des pesticides. Or le rapport du député Dominique Potier en atteste, leur utilisation a augmenté. Nous avons maintenant conscience de l'effondrement des populations d'oiseaux et d'insectes.
Nous nous trouvons à un carrefour. Soit nous basculons vers une autre agriculture, qui utiliserait moins, peu, voire pas du tout d'intrants chimiques, qui demanderait une autre sélection végétale, une autre amélioration des plantes, soit nous adoptons des monocultures de blé résistant aux herbicides, dont la superficie passerait en France de 5 à 15 millions d'hectares.
Nous disposons de différents leviers. Par exemple, pour orienter la compétition entre les céréales à paille et les adventices, il y aura moins de levées d'adventices si l'on sème plus tardivement ; la pression adventice sera également bien moindre si les rotations sont plus longues, avec notamment des polycultures et des prairies ; on pourra aussi sélectionner des céréales plus compétitives vis-à-vis des adventices correspondant à de nouvelles variétés issues de l'ingénierie génétique.
Nous sommes aujourd'hui confrontés à un choix. Quelle sera notre agriculture ? Vous avez fait référence à Farm to Fork. Cette stratégie vise à atteindre 25 % d'agriculture biologique en 2030 et à réduire l'usage des pesticides de 50 % à cet horizon. Il va ainsi falloir que nous changions de paradigme en fixant de nouveaux buts pour la sélection et l'amélioration des plantes.
Pour répondre à Monsieur Longuet, l'INRAE « gère ses contradictions » dans le cadre de sa mission de recherche publique grâce à la diversité de ses recherches. L'enjeu réside dans la compatibilité et la complémentarité de nos approches. Nous menons des réflexions au cas par cas. Une solution pour une espèce ou un système de culture ne sera pas la même que pour une autre espèce ou un autre système de culture.
La combinaison des leviers est une nécessité. Notre vision est celle de la complémentarité, voire de l'antagonisme, entre diverses approches. Nous évoquons aujourd'hui les NBT, mais nous pourrions aussi traiter du contrôle numérique ou de l'agronomie. Les recherches dans toutes ces directions sont importantes. Elles sont à concevoir pour différents modèles qui conjointement contribueront à améliorer la durabilité des systèmes agricoles et alimentaires.
S'agissant de l'économie de la promesse, je suis persuadée qu'une unique technologie ou approche ne permettra pas à elle seule de répondre aux enjeux de l'agriculture. Il en va ainsi pour les NBT, mais également pour les mélanges variétaux, les semences paysannes, etc. Il ne s'agit pas de les opposer, mais de penser une combinatoire au cas par cas, aux différentes échelles de l'agriculture : la parcelle, l'exploitation voire la région.
Je souhaite vous faire part des réactions des citoyens qui nous regardent. Une personne nous dit : « Il me semble plus approprié de s'intéresser aux produits et aux solutions qui en découlent plutôt qu'aux techniques qui sont des moyens évoluant jour après jour. » Certaines des interventions ont justement trait aux moyens, d'autres aux produits. La question est de savoir si le produit est vraiment le même. Nous reviendrons, dans la troisième table ronde, sur la question des moyens. Elle ne peut pas être complètement éludée dans un débat démocratique.
Une autre interrogation est la suivante : « Est-il possible d'innover dans le monde et d'avoir un retour sur investissement de la recherche intellectuelle sans protection de la propriété intellectuelle ? » En mathématiques, il n'y a pas de propriété intellectuelle. Nous innovons et avons un retour sur investissement dans les institutions. Tout dépend du modèle. Dans l'industrie, Elon Musk avait fait sensation en annonçant que ses brevets seraient libres pour favoriser le développement de solutions.
J'ai encore deux commentaires d'auditeurs auxquels j'aimerais que vous répondiez rapidement. Premièrement, « La brevetabilité empêche-t-elle des entreprises et laboratoires publics d'accéder à des licences pour les technologies CRISPR-Cas9, ZFN, TALEN et ODM ? » Deuxièmement, « L'OPECST est-il conscient que les deux produits issus de l'édition génomique commercialisés aujourd'hui dans le monde émanent de petites structures : Calyxt Inc. aux États-Unis et Sanatech Ltd au Japon ? »
Calyxt est effectivement la société que j'ai dirigée à Minneapolis. Sanatech, au Japon, a augmenté la teneur en acide gamma-aminobutyrique ( Gamma-AminoButyric Acid – GABA) dans une variété de tomate, ce qui pourrait contribuer à la réduction de la pression artérielle.
On peut utiliser dans tous les laboratoires des techniques telles que CRISPR, TALEN, etc., sans licence. Au-delà de l'exemption de recherche, la valorisation est une autre question.
* * *
Deuxième table ronde : Quelle évaluation des risques sanitaires et environnementaux en France ? Quelles réglementations ?
Les questions posées comme cadre structurant de la deuxième table ronde – Quelle évaluation des risques sanitaires et environnementaux en France ? Quelles réglementations ? – sont d'actualité parce que le contexte a changé. D'une part, l'organisation de l'évaluation des risques sanitaires et environnementaux en France va prochainement évoluer puisque les missions du HCB vont prendre fin. D'autre part, la CJUE a rendu un arrêt, le 25 juillet 2018, stipulant que les organismes issus d'édition du génome doivent être régulés comme les OGM issus de la transgénèse, conformément à la directive 2001/18/CE.
Depuis, le Conseil d'État a rendu une décision sur la mutagenèse le 7 février 2020, reprenant les arguments de la CJUE et enjoignant le gouvernement d'établir par décret, après avis du HCB, la liste des techniques permettant l'obtention d'OGM non soumises aux dispositions du code de l'environnement relatives aux OGM. Le gouvernement devait publier un décret avant le 7 août 2020 pour modifier l'article D.531-2 du code de l'environnement. Malgré un projet daté du 6 mai 2020, le décret n'est toujours pas publié. Jean-Yves Le Déaut évoquait un « enlisement ». Je parlerais plutôt d'un nécessaire encadrement.
Quels sont les risques environnementaux identifiés associés aux applications permises par les NBT dans l'édition du génome ? Une coexistence des cultures conventionnelles avec les NBT est-elle envisageable ? Nous répondrons à ces questions avec Monsieur Bertheau. Comment l'évaluation des risques sanitaires va-t-elle s'adapter à cette coexistence ? Comment la toxicologie permet-elle de l'envisager ? Cette interrogation sera traitée par Monsieur Guillemain.
Les entreprises sont évidemment concernées par les questions réglementaires puisque la réglementation peut soit interdire ou autoriser une technique, soit fixer des conditions d'évaluation des risques très strictes ou pas. Cette problématique sera évoquée par Monsieur Desprez.
En 2017, l'Office s'était positionné pour une révision de la réglementation européenne qui considèrerait les techniques relevant des biotechnologies en fonction non de leur ancienneté mais de l'évaluation de leurs risques. Jean-Yves Le Déaut interviendra aujourd'hui en tant que grand témoin pour nous faire part de ses observations, notamment sur ces questions d'organisation et d'évaluation des risques, mais aussi d'évolution de la réglementation.
Enfin nous terminerons avec Monsieur Ferreira. Nous aimerions connaître la stratégie du ministère sur la réorganisation de l'évaluation des risques. Nous souhaitons également connaître la position française sur le décret auquel j'ai fait référence et sur une éventuelle évolution de la réglementation européenne.
Les citoyens ont également posé des questions. « En quoi l'édition génétique serait-elle dangereuse ? », « Pourquoi la réglementation actuelle interdit-elle leur usage ? » et « Pourquoi faudrait-il traiter ces substances différemment ? »
La production d'une plante génétiquement ou épigénétiquement modifiée – c'est-à-dire le fait de modifier l'ADN, les histones et les ARN, donc l'épitranscriptome – par les techniques NBT, de type CRISPR-Cas9 ou autres, est souvent présentée comme une opération très précise. Mais pensons aux vidéos de missiles atteignant leur cible durant la première guerre du Golfe : on louait leur précision, mais on ne nous présentait jamais les dommages collatéraux.
Ces techniques in vitro nécessitent l'utilisation de procédés qui n'ont quasiment pas évolué depuis une quarantaine d'années. Un colloque en 2016 à Londres en dressait le constat. En résumé, il faut produire des protoplastes, introduire dans leur noyau des molécules particulièrement grosses comme CRISPR-Cas9, avec des systèmes de délivrance comme Agrobacterium. Ces opérations laissent de très nombreuses traces. Par la suite, comme l'efficacité de l'opération n'est pas extraordinaire, ainsi que l'a rappelé Madame Mazza, il faut recourir à un système de sélection qui doit lui-même être éliminé parce qu'il repose sur un gène de résistance aux antibiotiques. On cherche ensuite à régénérer ces plantes.
J'ai rapidement évoqué ces détails pour introduire la notion de traçabilité. Deux programmes nationaux et un programme international portent actuellement sur la traçabilité. Je participe à deux d'entre eux.
Il existe quatre sources de traçabilité possible :
- le fonds génétique
La majorité des variétés commerciales utilisées (Monsanto, Vilmorin, Limagrain, etc.) peuvent être tracées par ce qu'on appelle une signature de sélection. Ces biomarqueurs sont d'ailleurs utilisés pour l'identification variétale en cours de normalisation à l'ISO ou à l'OCDE.
- le système de délivrance
Les réactifs utilisés pour la délivrance introduisent des modifications dans le génome. Nous sommes actuellement capables par intelligence artificielle d'identifier non seulement le laboratoire, mais parfois même l'individu qui a réalisé tel ou tel OGM.
- les techniques connexes
Les procédés in vitro donnent la variation somaclonale avec de petites mutations et d'épimutations qui sont mal contrôlées. Auparavant on procédait à de la mutagénèse au hasard in vitro et on faisait face à de nombreux problèmes de criblage et de sélection. Les OGM de transgénèse sont apparus comme une nouvelle ouverture. Avec la technique de TILLING, développée en 2000, qui permet la sélection assistée par marqueurs, on est capable d'utiliser cette variabilité in vitro due à la mutagénèse aléatoire.
- les signatures
Par exemple, chaque fois que vous observez les on-target et les off-target dus à du CRISPR-Cas9, vous retrouvez une séquence PAM (Protospacer adjacent motif) qui permet l'accrochage de l'enzyme Cas9 ou d'une autre enzyme Cas. Elle permet de formuler des hypothèses. Il est également possible d'examiner le degré de mutilation, la différence entre les zones de coupure pour différencier du ZFN du TALEN, etc.
Toutes ces techniques produisent des marqueurs utilisables. Un certain nombre n'ont été découverts qu'en raison de changement de techniques. Par exemple, le séquençage « court fragment » ne permettait pas de repérer les réarrangements chromosomiques dus à Cas9, parce que les bioinformaticiens n'étaient pas formés à la chromothripsie.
Toutes ces sources sont utilisables, par une reconnaissance multiparamétrique, pour détecter et identifier les OGM – ces travaux vont prochainement faire l'objet d'une publication. Les rétrocroisements n'éliminent pas toutes ces cicatrices et signatures pour la simple raison qu'il y a des lignées cellulaires, des haplotypes, etc. Si l'on parvenait à opérer davantage de modifications de variétés élites, ce travail sera encore plus aisé à réaliser puisque le moindre nombre de rétrocroisements réduirait les mutations non intentionnelles.
On sait très bien procéder à ce traçage, qui ne serait pas onéreux. Il suffirait de faire valider les méthodes fournies par le Réseau européen de laboratoires de référence pour les OGM (ENGL). Cela permettrait aux laboratoires de routine de procéder à une PCR quantitative en temps réel classique sur le caractère revendiqué. Ensuite, si la détermination de l'origine – naturelle ou pas – de la mutation prêtait à controverse, il suffirait de faire une ou deux PCR supplémentaires.
En conclusion, la coexistence des filières est très importante parce qu'elle offre une liberté de choix au consommateur, mais assure aussi sa protection contre les aliments industriels – on se souvient du maïs StarLink –, contre les alicaments, ainsi que l'a rappelé Gérard Pascal, et contre la perte des repères ancestraux.
Merci. Monsieur Guillemain va maintenant nous parler de la manière de faire entrer dans le champ de la toxicologie ces nouvelles biotechnologies.
J'aborderai brièvement trois points. Le premier concerne les deux notions nécessaires à une évaluation de la sécurité sanitaire : le danger et l'exposition. Seule la conjonction de ces deux éléments permet de procéder à une évaluation du risque.
Le second point renvoie à la fin des années 1990 quand, sous l'égide du CSHPF (Conseil supérieur d'hygiène publique de France), il avait été demandé de proposer une stratégie d'évaluation des risques sanitaires liés aux OGM. Deux approches avaient été alors envisagées. La première, dite maximaliste, consistait à considérer qu'une PGM (plante génétiquement modifiée) était une nouvelle entité qui pouvait être apparentée à un nouvel aliment ; dans ces conditions, il y avait lieu d'appliquer tout le cortège d'études en toxicologie, depuis l'administration à court terme jusqu'à la reprotoxicité. La deuxième approche, dite d'optimisation, considérait la PGM comme un produit mixte entre une plante receveuse parfaitement connue et une protéine exprimée ; il convenait en conséquence d'évaluer la sécurité de cette protéine en tant que telle et au sein de la plante de façon à mettre éventuellement en évidence des interactions.
Ces considérations ont débouché sur une évaluation en six points : la construction génétique, le phénotype de la plante, la composition, l'alimentarité (en particulier des études chez le poulet), les risques allergiques et la toxicité. On s'était déjà demandé à l'époque s'il fallait évaluer la technique ou les produits issus de la technique. Il avait été convenu que cette stratégie n'était pas figée et que des études au cas par cas pouvaient être réalisées.
Ces exigences ont évolué avec notamment une actualisation des méthodes pour la construction moléculaire, le renforcement de l'analyse de composition, en associant aux analyses statistiques de différence des analyses d'équivalence. L'utilisation des techniques Omics a également été proposée. Elles ont d'ailleurs été mises en œuvre dans les programmes européens GRACE, G-TwYST et OGM90+.
Comme le rappelait Monsieur Le Déaut dans le rapport de l'OPECST en 2017, les conséquences sanitaires des PGM sont relativement peu évoquées. Après vingt-cinq ans de mise en œuvre de très nombreuses études chez l'animal, il convient peut-être de s'interroger sur leur systématisation pour les végétaux.
Mon troisième point concerne plus spécifiquement les NPBT (new plant breeding techniques) et l'avis que le HCB a rendu sur le sujet. Deux chapitres de ce document sont consacrés au risque direct pour la santé et l'environnement et à des propositions intermédiaires entre l'inscription au catalogue européen et l'application de la directive 2001/18/CE. Le sujet du risque de mutations non observées dans la nature avait été posé. Il avait également été question de la capacité à réaliser des ciblages précis, évoquée par Claire Marris, qui permettrait éventuellement d'alléger les procédures d'évaluation.
Une question portait sur la traçabilité non liée à l'ADN, ou traçabilité technique. Les techniques de détection moléculaire ne permettraient pas de distinguer les techniques à l'origine des produits examinés. Si les organismes sont indiscernables au regard de leur technique de production et que certaines de ces techniques sont soumises à évaluation et d'autres non, le toxicologue doit s'interroger sur la nécessité et sur les modalités d'une telle évaluation.
Ces questions avaient notamment été évoquées par l'OPECST en 2017 et par l'EFSA à deux reprises. En 2012, cette dernière avait émis deux opinions scientifiques : sur la cisgénèse et l'intragénèse, donc sur l'insertion ciblée d'un gène (SDN3). En 2020, elle s'est interrogée sur la transposition des conclusions formulées sur ces techniques à d'autres techniques, en particulier les évènements de type SDN1 ou 2 (inactivation d'un gène par coupure et réparation défectueuse et édition ciblée de quelques nucléotides), ainsi que la mutagénèse dirigée par oligonucléotides (ODM).
Ces deux avis ont conclu à l'absence de danger nouveau spécifiquement lié à la modification génomique produite par SDN1, SDN2 et ODM. Cette affirmation est extrêmement importante pour le toxicologue. J'ai fait précédemment référence au couple danger/exposition. Si je ne suis pas en mesure d'identifier un danger et qu'il n'est pas supérieur aux méthodes conventionnelles, il me sera extrêmement difficile de procéder à une évaluation du risque.
Le HCB a proposé des pistes intermédiaires entre les dispositions prises pour l'inscription au catalogue européen et celles de la directive 2001/18/CE. Deux balises sont prises en compte pour proposer une approche intermédiaire qui s'appuie sur les notions de différence et d'équivalence en dehors des caractéristiques apportées.
Le HCB évoquait un certain nombre de pistes, en particulier l'utilisation des techniques Omics, notamment la métabolomique. Il a finalement proposé une évaluation au cas par cas en fonction des produits concernés et des techniques utilisées en se basant sur la traçabilité et la déclaration documentaire de l'obtenteur.
Merci. Monsieur Desprez va à présent nous expliquer la façon dont son interprofession envisage la question réglementaire et la problématique de l'évaluation des risques.
Je suis ingénieur agronome avec une formation de sélectionneur, et exploitant agricole dans la zone périurbaine de Lille. J'interviens au nom de l'interprofession des semences et plants, la SEMAE (ex-GNIS). Il s'agit de l'organisation collective d'une filière qui a réalisé, l'année dernière, un chiffre d'affaires de 3 milliards d'euros et dégagé un excédent commercial de 1 milliard d'euros.
À l'occasion du précédent rapport de l'Office sur les techniques d'édition du génome, les représentants de la filière semencière avaient déjà été reçus. Ils avaient, à partir de l'exemple du développement d'une variété de blé résistante à l'oïdium, démontré tout l'intérêt d'une technique telle que CRISPR-Cas9. Leur conclusion était qu'il convient d'évaluer les produits issus de ces techniques plutôt que les techniques elles-mêmes, car celles-ci sont appelées à se renouveler plus rapidement que le cadre juridique.
Les décisions récentes des instances juridiques européennes vont à rebours du progrès scientifique. Elles entretiennent un débat sur la mutagenèse et conduisent à des destructions illégales d'essais relevant de la R&D, commises au prétexte de la présence d'« OGM cachés ». En septembre 2020, à Druelle, en Aveyron, deux hectares de tournesol ont encore été détruits. C'est pourquoi je saisis l'occasion de cette audition pour stigmatiser le retard pris par l'UE et la France.
Depuis 2017, date de votre dernier rapport, des décisions réglementaires favorables aux NBT ont été prises sur tous les continents à l'exception de l'UE. En 2018, au moment où la CJUE rendait son arrêt, des pays comme le Chili, le Brésil, la Colombie ou l'Argentine ont adopté une approche réglementaire favorable aux produits issus de l'édition du génome. De grands exportateurs de matières premières agricoles, tels l'Australie, les États-Unis ou le Canada, sont en train de faire évoluer leur réglementation dans un sens favorable à ces techniques. C'est aussi le cas de la Chine et du Japon. Dernier en date, le Nigeria vient d'adopter, le premier en Afrique, un cadre réglementaire favorable à ces techniques.
Je veux aussi parler du Royaume-Uni. Je ne peux m'empêcher de citer, même si elle est provocatrice, une phrase qui a été prononcée le 7 janvier dernier par le ministre de l'Agriculture britannique : « Maintenant que nous avons quitté l'UE, nous sommes libres de prendre des décisions politiques cohérentes, basées sur la science et les preuves. » Son ministère a lancé une consultation publique qui s'est achevée hier pour recueillir le point de vue des citoyens anglais sur l'opinion du ministère : « les organismes produits par édition du génome ou par d'autres technologies génétiques ne devraient pas être réglementés en tant qu'OGM s'ils auraient pu être produits par des méthodes de sélection traditionnelle ».
Pendant ce temps, la situation est complètement bloquée en France du fait des fondements purement juridiques des décisions de la CJUE. En 2001, le législateur ne pouvait évidemment pas exempter des techniques qui n'existaient pas encore. La directive 2001/18/CE n'offre aucune flexibilité pour tenir compte de l'évolution des techniques. Parallèlement, les agences européennes rendent des avis favorables sur l'évaluation des risques relatifs à la santé et à l'environnement.
Concernant la comparaison des produits obtenus par les méthodes d'édition du génome et par les méthodes dites classiques, il est clair que les mutations provoquées par la mutagénèse dirigée ne diffèrent pas par nature de celles que produit la mutagénèse aléatoire ou spontanée.
Tel est d'ailleurs l'avis du Scientific Advice Mechanism (SAM) qui, dans un avis de 2017, avait considéré que des produits génétiquement et phénotypement similaires, découlant de l'utilisation de techniques différentes, ne devraient pas présenter de risques significativement différents. Un avis de l'EFSA de novembre 2020 dit qu'il n'y a pas plus de risque avec les techniques de mutagenèse dirigée (SDN1, SDN2) qu'avec les techniques de sélection conventionnelle.
Si elle se révèle plus précise que la mutagénèse aléatoire, qui nécessite un « tri » considérable des plantes obtenues, la mutagénèse dirigée est parfois critiquée pour ses effets non intentionnels, comme vient de le faire Monsieur Bertheau. C'est tout de même ignorer que le travail de sélection ne s'arrête pas après l'opération d'édition de gènes. Il continue très longuement pour s'assurer de la sécurité des plantes obtenues avant leur mise sur le marché.
Selon nous, les obtenteurs et les sélectionneurs, une plante obtenue à l'aide d'une technique d'édition de gènes, qui pourrait être obtenue par une technique de sélection classique, ne devrait pas être réglementée comme un OGM.
Nous attendons avec impatience – et un peu d'angoisse – les conclusions de l'étude de la Comission européenne sur les New Genomic Techniques. Elles doivent être rendues à la fin du mois d'avril. Nous espérons qu'elles seront à la hauteur des enjeux, des attentes des filières agricoles et qu'elles déboucheront sur une évolution réglementaire significative.
Les agriculteurs français sont totalement engagés dans la transition agroécologique. Ils nourrissent de très fortes attentes vis-à-vis des semenciers. Elles sont multiples, même si l'agronomie, le biocontrôle et le numérique ont un rôle essentiel à jouer. Mais, pour répondre à ces défis, notre filière a besoin d'utiliser cette technique qui ne ressortit absolument pas à la transgénèse.
Elle requiert un cadre réglementaire qui ne soit pas celui de la directive 2001/18/CE. Il faut tenir compte de l'opinion publique, faire œuvre de transparence et de pédagogie envers les citoyens, mais le débat public doit avoir lieu sous l'égide des élus de la Nation, plutôt que de laisser ces questions être tranchées par les magistrats, qu'il s'agisse de ceux du Conseil d'État ou de la CJUE.
Je ne suis pas sûr qu'on puisse taxer l'UE de rétrograde, en tout cas sur ces questions de compétitivité. Vous opposez l'encadrement des résultats et l'encadrement des méthodes. Nous aurons effectivement à discuter de l'équivalence entre la mutagénèse dirigée et la sélection traditionnelle. Je vous propose d'entendre Jean-Yves Le Déaut sur les questions de réglementation.
On me connaît comme parlementaire, mais je suis aussi fils de paysan breton et j'ai dirigé un laboratoire de biosciences de l'aliment associé à l'INRA.
La technique dont nous parlons constitue sans doute une avancée majeure utilisable dans de nombreux secteurs, pas seulement l'agriculture, car elle se caractérise par son efficacité, son universalité, sa facilité d'usage, sa rapidité de mise en œuvre et son coût modéré. Avec cette technique, l'échelle des temps comme les domaines du possible changent.
Elle ne doit pas être utilisée seule. Une seule technique ne révolutionnera pas l'agriculture. Mais l'ostracisme en direction d'une technique n'est pas non plus la solution. Il fait que nous n'avançons pas sur ces sujets. J'ai écrit sur cette question en octobre au Président de la République.
Il ne faut pas que nous aboutissions à un enlisement parlementaire et réglementaire. Les décisions de la CJUE et du Conseil d'État présentent d'abord le défaut d'être prises par des juges qui malheureusement ne possèdent pas les connaissances techniques nécessaires pour se prononcer.
S'ils les avaient, ils auraient sans doute dit qu'on ne peut pas juger aujourd'hui des demandes juridiques en se fondant sur les technologies des années 2000. C'est pourtant ce qu'ils ont fait. Ils n'ont pas tenu compte de l'évolution des technologies. La directive 2001/18/CE prévoit un certain nombre d'exceptions pour des techniques qui étaient traditionnelles et dont la sécurité était avérée.
Les techniques de mutagenèse par voie chimique ou par radiation, que nous utilisons depuis soixante ou soixante-dix ans, ont vu leur sécurité démontrée par l'effet du temps. Mais, comme l'a souligné Monsieur Bertheau, les risques résultant, à l'époque, de ces techniques étaient sûrement beaucoup plus grands que ceux auxquels nous nous exposons aujourd'hui avec une méthode bien plus précise.
En quelque sorte, on exonère des techniques anciennes parce que leur sécurité est avérée et pour les nouvelles techniques, on estime nécessaire d'attendre. Nous sommes finalement à la frontière entre le principe de précaution et le principe d'inaction. Aurions-nous pris les bonnes décisions si nous avions appliqué ces idées à la médecine ? Une centrale nucléaire de cinquante ans est-elle plus sûre qu'un réacteur récent ?
Depuis dix-huit ans, les responsables politiques se sont défaussés de cette question. Ils n'ont pas voulu ouvrir le débat – majeur – avec les citoyens. Il n'y a pas d'innovation possible sans débat avec les citoyens. On le voit avec la question des vaccins aujourd'hui. Les fausses nouvelles viennent polluer ce débat.
En réponse à Monsieur Evain, pour cette génération nouvelle de produits, on ne va pas chercher à l'extérieur un gène nouveau, mais on modifie simplement un gène existant. La question posée par Monsieur Bertheau est très importante. Ces interventions laissent-elles des « cicatrices » ? On ne s'était pas posé la question des cicatrices de la mutagénèse. Elle mérite d'être formulée.
Je suis parfois en colère contre une stratégie qui n'avait pour but que d'aboutir à un enlisement réglementaire. Résultat : nous n'avons pas avancé sur ces sujets. Nous avons même reculé. Nous n'avons pas mené une réflexion en complémentarité ou engagé le débat public. C'est précisément contre cet immobilisme que nous devons lutter. Nous devons essayer sur ce sujet de trouver un certain nombre de solutions.
Qu'en est-il des évaluations, notamment sur la santé ? Comme indiqué précédemment, nous avons trente-cinq ans de recul. On ne peut plus dire, comme le faisait Corinne Lepage dans Vox Pop, le 19 janvier 2019, que des risques de cancer sont associés aux NBT. Les questions relatives à l'impact sur l'environnement doivent néanmoins être traitées sérieusement.
Il convient en outre de répondre à des interrogations fondamentales. Comment l'humanité va-t-elle résoudre la question de la démographie, avec une Terre accueillant 10 milliards de personnes ? Allons-nous y répondre sans faire courir de nouveaux dangers à la planète ? Cette technologie peut-elle compléter celles qui composent déjà notre panoplie pour relever ce défi ?
Les biotechnologies, qu'évoquera ultérieurement Monsieur Couvet, peuvent-elles être complémentaires de l'agroécologie ? Je crois que oui. Aujourd'hui, ce n'est pas la technologie en tant que telle qui est importante, qui risque de détruire notre environnement et la biodiversité, mais la pratique intensive de l'agriculture.
Si jamais l'Office élabore de nouvelles propositions, je suggérerai d'établir des règles éthiques, avec des limites à ne pas dépasser dans un certain nombre de cas. Il faut, comme le disait Monsieur Desprez, clarifier la définition des OGM au niveau européen. C'est d'ailleurs ce que Julien Denormandie, ministre de l'Agriculture, vient de déclarer, il y a quelques jours.
À ma grande surprise, Monsieur de Rugy a indiqué hier, dans une déclaration au Point : « en s'appuyant sur la précision de la technique, la traçabilité, le retour d'expérience, et en analysant le produit final et non la technique utilisée, les autorisations de techniques éprouvées devraient se faire au cas par cas, se transformer en procédures, dans certains cas, déclaratives, afin de simplifier les démarches administratives avec des dossiers mieux calibrés, de modifications proportionnées au danger potentiel. »
En contrepartie, il est évident que la question de la brevetabilité doit être posée. Comme l'a dit Madame Caranta, il faut imposer le modèle du COV. L'OPECST devrait formuler des propositions pour assurer un libre accès aux technologies pour réguler les plateformes de licencing et exiger des semenciers une totale transparence sur les technologies utilisées pour de nouvelles variétés végétales.
Sur de tels sujets, il est important, comme le Parlement l'a dit en 2017 à l'unanimité, de s'appuyer davantage sur les savoirs que sur les croyances ou les opinions. C'est confronter les savoirs avec le public qui nous permettra d'avancer sur un sujet majeur pour la France. Je ne voudrais pas qu'un certain nombre de jeunes, comme Monsieur Mathis ou Madame Charpentier, soient contraints de quitter notre pays.
Nous allons à présent entendre Monsieur Ferreira sur la question stratégique de l'évaluation des risques et la réglementation.
La réglementation sur les OGM de la directive 2001/18/CE est très contraignante. Elle constitue souvent un frein majeur pour le développement d'un certain nombre de techniques du fait notamment des coûts liés aux nombreuses études exigées pour pouvoir constituer un dossier de demande d'autorisation. Il faut souligner que cette réglementation, qui visait spécifiquement la transgénèse, n'a pas été écrite pour les produits issus des nouvelles techniques, notamment de mutagénèse, pour lesquelles aucun gène exogène n'est inséré dans le produit final.
La question qui se pose est donc de savoir si cette réglementation est adaptée ou non à ces produits, et si ce n'est pas le cas, quelles seraient les modifications à prévoir. Compte tenu de la complexité du sujet et des enjeux, les États membres au sein du Conseil, ont demandé à la Commission une étude sur le sujet à la suite à l'arrêt de la CJUE de juillet 2018. L'étude est en cours et doit donner des pistes sur le statut des nouvelles techniques génomiques dans le droit de l'UE au mois d'avril 2021.
En fonction des résultats, l'étude pourra conduire à une proposition législative ou à d'autres mesures au niveau européen. Je rappelle que, sur ce volet, c'est la Commission européenne qui aura le pouvoir d'initiative et d'apprécier si elle pourra déposer une proposition de modification de la réglementation européenne.
La France a bien sûr contribué à ce travail, par des contributions qu'elle a adressées à la Commission. Elle examinera avec grande attention les résultats de cette étude. Les principes de proportionnalité et de précaution devront être pris en compte, ainsi que les enjeux pour la compétitivité de nos entreprises et, bien sûr, les impacts potentiels sur le plan sanitaire, environnemental ou socioéconomique, qui devront être examinés attentivement.
Il faut s'assurer que la réglementation continue à garantir un haut niveau de protection de la santé de l'environnement, tout en évitant des contraintes disproportionnées qui pénaliseraient inutilement les entreprises européennes. Nous souhaitons que ce cadre juridique permette de continuer à innover en matière de sélection variétale dans cet objectif de sécurité sanitaire et environnementale, et au service d'une agriculture plus durable.
Vous m'avez interrogé sur l'évaluation des risques et sur le devenir du HCB. Sur le sujet des nouvelles technologies en génomique, plus généralement sur l'ensemble des biotechnologies, il est essentiel que le gouvernement puisse s'appuyer sur une expertise robuste et sur un éclairage concernant les différentes implications sociales, économiques et éthiques de ces techniques et de leurs applications.
Ces missions sont actuellement assurées par l'ANSES et par le HCB, sur lesquels le gouvernement s'appuie pour les décisions prises en matière d'OGM comme les votes sur les dossiers de mise sur le marché au niveau européen et sur des questions plus transversales relatives aux biotechnologies.
Le gouvernement avait d'ailleurs saisi le HCB sur cette technique et celui-ci a publié en 2017 un avis très complet sur le sujet. Plus récemment, l'ANSES a été saisie par les ministères chargés de l'environnement et de l'agriculture de questions relatives à l'évaluation sanitaire liée à ces technologies.
Au cours de ses deux mandats, le HCB a conduit un débat constructif et fourni un travail conséquent. Pour autant, il a rencontré des difficultés sur certains sujets complexes et clivants, comme ce sujet des nouvelles technologies, qui l'ont empêché de fonctionner correctement. Le gouvernement a donc mené une réflexion avec les objectifs suivants :
- assurer une évaluation des risques environnementaux rigoureuse grâce à une expertise scientifique qualifiée et indépendante ;
- renforcer l'analyse socioéconomique des innovations dans le domaine des biotechnologies ;
- consolider le débat public avec les parties prenantes sur ces innovations ;
- aborder les questions éthiques avec compétence ;
- distinguer clairement ses différentes composantes.
Afin de consolider et de pérenniser les fonctions essentielles à l'éclairage de la décision publique, le gouvernement envisage un transfert des missions du HCB à différentes instances déjà existantes : l'ANSES pour l'évaluation des risques environnementaux liés à la dissémination d'OGM et l'expertise socioéconomique ; le ministère de la Recherche pour les dossiers de demande d'utilisation confinée d'OGM ; le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) sur les considérations éthiques relatives aux biotechnologies. Enfin, le gouvernement explore différentes pistes pour renforcer la mise en œuvre du débat public au-delà du comité de dialogue qui sera mis en place à l'ANSES. Cette mission pourrait être confiée au Conseil économique, social et environnemental (CESE).
Cette nouvelle organisation permettra, en séparant l'évaluation des risques et des bénéfices des considérations éthiques et de conduite du débat public, de consolider l'indépendance et la qualité de l'expertise scientifique mobilisée et d'améliorer les conditions du débat public.
Les parties aujourd'hui représentées, notamment au conseil économique, éthique et social du HCB (les associations, les industriels, les syndicats agricoles), auront toute leur place dans le comité de dialogue de l'ANSES et dans un espace de débat public permanent sur les biotechnologies qui pourrait être le CESE.
S'agissant de la mise en œuvre de la décision du Conseil d'État, les techniques de mutagénèse aléatoire ne faisaient pas partie des NBT. Le Conseil d'État a néanmoins considéré que la mutagénèse aléatoire in vitro sur les cellules de plantes doit être soumise aux obligations imposées aux OGM, alors que la CJUE ne s'était pas prononcée sur cette technique. La France est le seul État membre à avoir cette interprétation.
Le gouvernement a engagé différentes actions visant à mettre en œuvre la décision du Conseil d'État. Un projet de décret modifiant le code de l'environnement et deux projets d'arrêtés listant les variétés radiées du catalogue national et les variétés du catalogue commun ont été notifiés à la Commission le 6 mai 2020. La Commission, ainsi que cinq autres États membres, a émis des avis circonstanciés qui contestent la compatibilité juridique des projets de texte avec la législation de l'Union européenne.
Le Conseil d'État a été saisi d'un nouveau recours, le 7 février 2020, par les organisations à l'origine du contentieux initial. Il devrait se prononcer dans le courant de l'année 2021. Concernant l'injonction du Conseil d'État, une habilitation à légiférer par ordonnance est prévue dans la loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche afin de mettre en place les bases législatives nécessaires à la fixation des conditions de traçabilité et d'utilisation des variétés rendues tolérantes aux herbicides. Ces conditions seront définies sur la base d'expertises de l'INRAE et de l'ANSES.
Un intervenant a indiqué que seuls les nouveaux traits devaient être évalués. Quand un nouveau produit arrive sur le marché à la suite d'une mutation naturelle, il n'est jamais évalué. Au motif que les mutations provoquées peuvent se produire dans la nature, d'aucuns estimeront à présent que leur évaluation n'est pas nécessaire. La technique n'est cependant pas naturelle puisqu'elle permet la délivrance d'un brevet sur le caractère obtenu.
Ces techniques doivent être évaluées et étiquetées. L'IFOAM, la fédération internationale des mouvements de la bio, les refuse, mais doit pouvoir disposer de l'information indispensable pour les repérer. La démarche vaut tant pour les agriculteurs que les consommateurs. Le droit de l'environnement stipule que nous avons le droit de consommer avec ou sans OGM. Tous les produits, quels qu'ils soient, doivent être clairement étiquetés.
Le produit correspond à l'ensemble de la plante. Le trait est un caractère de la plante qui a fait l'objet de la modification, mais n'est pas nécessairement représentatif de l'ensemble de la plante. Par exemple, c'est la faculté pour elle de contenir un peu plus d'amidon ou de lipides, tout en restant un blé ou un soja.
L'évaluation du risque porte à la fois sur le produit et sur l'utilisation du produit. Ainsi les variétés tolérantes aux herbicides exposent potentiellement le consommateur aux herbicides. Dans la vision systémique des solutions proposées, l'introduction de ces innovations dans le paysage agricole et la chaîne alimentaire est donc très importante. Cela pose aussi des questions sur la transposition de ces innovations dans différents systèmes de culture. Comme le soulignait Carole Caranta, nous devons intégrer cette diversité.
Une mutation peut intervenir naturellement, même si cela est très improbable. Ma question est la suivante. Dans un système de recroisement entre ces plantes, la dissémination des gènes va-t-elle permettre la conservation de propriétés bénéfiques ou ces composantes risquent-elles d'avoir des effets négatifs voire délétères ? Comment assurez-vous le suivi de ces constructions et de la cohabitation entre des secteurs non OGM et OGM ? Face au développement de cette « biologie de garage », n'êtes-vous pas contraints d'envisager un « nettoyage » du pool génétique ? Comment gère-t-on la propriété intellectuelle ?
Le réseau ENGL, cité par Monsieur Bertheau, est un ensemble de laboratoires chargés par la Commission européenne de mettre au point des techniques de détection des OGM pour l'Europe. Or ils ont avoué, dans un rapport récent, qu'ils étaient dans l'incapacité de distinguer une plante modifiée par du CRISPR d'une plante issue d'une mutagénèse spontanée.
Dès lors, si nous ne sommes pas en mesure de distinguer une plante issue d'une sélection traditionnelle d'une plante issue des NBT, est-il raisonnable de se poser des questions différentes en termes de risques entre ces deux plantes ?
Quand nous choisissons une plante résistante à un insecte par sélection classique, comme le suggérait Monsieur Evain, pourquoi ne cherchons-nous pas à savoir si la molécule forcément produite par cette plante, qui détermine cette résistance à un insecte, n'a pas un effet sur l'homme ? Peut-être commettons-nous une erreur ? C'est bien le produit qu'il faut analyser et pas la technique.
Dans un certain nombre de situations, il sera effectivement impossible de distinguer ces plantes, notamment en cas de conversion génique. On ne crée pas un allèle qui n'existe pas dans la nature, mais on prend un allèle dont on a observé qu'il présente une caractéristique particulière, telle qu'une résistance à un insecte ou un changement de composition, et on le convertit.
Cette conversion aurait très bien pu intervenir spontanément. On aurait pu choisir de l'obtenir par croisement ou par mutagénèse aléatoire. En conséquence, il n'y a pas de possibilité biochimique d'opérer le distinguo. Ce n'est pas que nous cherchons à cacher quoi que ce soit. Il s'agit simplement de la réalité biologique.
Le vivant se définit comme un être qui se reproduit et évolue. Cette définition est antinomique, mais représente exactement ce que nous sommes, c'est-à-dire de la reproduction dans l'impermanence, dans le changement et dans l'évolution. Nous sommes issus de la fusion de trois bactéries il y a 3 milliards d'années.
La variabilité est en nous. Entre deux cellules, il y a 1 500 différences en moyenne. Par rapport à n'importe qui, j'ai 3 millions de différences. Nous générons de la diversité à chaque instant dans nos gamètes et dans notre corps, parfois malheureusement pour le cancer, mais c'est un autre débat.
Nous devons produire plus et mieux avec moins. Pour ce faire, nous devons continuer à renforcer l'innovation en agriculture et poursuivre l'amélioration génétique des espèces cultivées. De précédents orateurs ont évoqué l'arrêt de la CJUE. Ils ont omis de souligner qu'il avait entraîné un arrêt total de l'utilisation à des fins commerciales dans l'UE des végétaux issus de ces technologies.
En concertation avec le WGG (Wissenschaftlerkreis Grüne Gentechnik e.V.), nous avons transmis à la Commission européenne et à différents ministères en France et en Allemagne, une proposition d'adaptation de la législation actuelle aux plantes issues de l'édition génomique. Les évaluations réalisées par le HCB, l'EFSA et le SAM (Science Advice Mechanism) ont conclu que ces nouvelles plantes ne sont pas différentes dans leurs effets sur la santé et l'environnement de celles issues de méthodes de sélection traditionnelle.
Pour établir nos propositions, nous avons considéré que les applications de l'édition génomique étant très diverses et les technologies en constante évolution, il serait approprié de considérer la nature de la plante éditée en comparaison de ce qui est potentiellement réalisable par sélection traditionnelle.
Cela nous a conduits à proposer d'établir des catégories de plantes qui seraient exclues de l'application de la législation sur les OGM. Elles pourront évoluer dans le temps en fonction des acquis scientifiques et techniques.
Par exemple, la première catégorie correspondrait à « une plante éditée pour reproduire un caractère existant dans l'espèce, équivalente à un croisement d'une plante sauvage avec une variété cultivée sexuellement compatible ». Le soja de Calyxt entre selon nous dans cette première catégorie. La tomate dont Fabien Nogué a fourni un exemple correspondrait à une deuxième catégorie, la tomate GABA de Sanatech à une troisième catégorie.
De plus, nous proposons que la validation de l'appartenance à une catégorie, et donc l'exclusion de la législation OGM, soit confirmée par une autorité compétente. Les variétés obtenues à l'aide de la plante éditée seront ensuite soumises aux réglementations « semences et plants ».
J'interviens pour relayer deux questions des internautes. « Admettons qu'il soit impossible pour certains produits de distinguer s'ils ont été obtenus par une mutation dirigée ou spontanée. Comment est-il possible dans ces conditions d'avoir un brevet ? » et « Quelle est la définition actuelle d'un OGM dans la législation européenne ? En quoi les techniques envisagées aujourd'hui entrent-elles dans cette catégorie ? L'Europe se singularise-t-elle en s'intéressant davantage aux techniques d'obtention qu'aux produits ? Si oui, pourquoi ? »
Monsieur Evain a souligné que sa fédération rejetait ces techniques. Les positions des différents acteurs évoluent cependant. En Suisse, le directeur du FIBL (Forschungsinstitut für biologischen Landbau) a jugé préférable de recourir aux biotechnologies plutôt qu'au sulfate de cuivre pour résister au mildiou ou à l'oïdium.
Nous nous sommes rendus à Gruissan, dans l'Aude, à la rencontre des membres du laboratoire de l'INRA spécialisé dans la vigne au sein duquel a travaillé Alain Bouquet. Les agriculteurs présents nous ont confié qu'ils étaient obligés d'utiliser du sulfate de cuivre et que le cahier des charges de l'agriculture biologique le permet, alors que cette substance tue les sols et la biodiversité.
Concernant la « biologie de garage », je regrette, si la technique est si simple, qu'il soit envisagé de mettre en place une réglementation onéreuse et compliquée. Elle n'aura pour conséquence que de favoriser les multinationales au détriment de nos PME et de l'Europe.
En réponse à Monsieur Freyssinet qui envisageait de « produire plus et mieux avec moins », je voulais souligner l'impossibilité d'un tel objectif, compte tenu de l'épuisement des ressources. Par ailleurs, l'interdiction des OGM n'a-t-elle pas au contraire fortifié le secteur semencier ?
Il faut que les agriculteurs et les consommateurs puissent choisir. Pour ce faire, nous avons besoin de transparence. Les sélectionneurs français sont en pointe, avec le Comité technique permanent de la sélection (CTPS) du Ministère de l'Agriculture, qui gère le catalogue, pour que les modes d'obtention des variétés végétales proposées à l'inscription soient bien décrits.
Comme le soulignait Monsieur Le Déaut, il n'y a effectivement pas de consensus en matière d'agriculture biologique. Certains souhaitent avoir accès aux technologies que nous évoquons aujourd'hui.
On parle de « nourrir le monde ». Premièrement, la guerre et les déplacements de populations sont la principale cause des famines. Deuxièmement, entre 30 et 70 % de l'alimentation est perdue, près de la production ou du consommateur. Troisièmement, la majorité des agriculteurs cherchent des débouchés et n'arrivent pas à vivre de leur production.
J'étais heureux d'entendre évoquer l'ENGL dont j'étais l'un des cofondateurs en 2002. Son rapport sur les techniques NBT et la capacité de détection comprend deux parties. L'une souligne la relative difficulté d'une telle tâche et l'autre indique qu'elle est envisageable en disposant d'un minimum de renseignements. Or un certain nombre de laboratoires de l'ENGL sont impliqués dans la démarche au plan réglementaire.
Vous avez également évoqué la question de l'ADN non utilisé. Avec les systèmes de type RNP (ribonucleoprotein), il reste cependant toujours de l'ADN. Il convient donc d'être précis dans le langage et de parler d'ADN non utilisé intentionnellement.
Un autre argument, que développe par exemple Monsieur Pagès, consiste à dire que nous ne parviendrions pas à identifier ces végétaux à partir d'une mutation ponctuelle d'un nucléotide, donc une conversion de gène. Cette impossibilité valait pour l'ancien système. Elle n'a plus cours pour celui sur lequel portent ces trois projets de recherche, qui est un système multiparamétrique requérant une approche matricielle. Dans ce contexte, il est parfaitement possible d'identifier l'origine naturelle ou pas des mutations. La détection de plusieurs traits, qui, chacun, auraient pu se produire naturellement, mais dont il est peu probable de les trouver dans un même organisme, renseignera également sur l'origine, naturelle ou pas, des mutations.
Je ne suis ni pour ni contre ces nouvelles technologies. Il m'est simplement insupportable qu'on mente aux citoyens, même par omission.
* * *
Troisième table ronde : Quelle place pour les NBT dans la société́ ?
Cette troisième table ronde vise à associer aux débats sur les techniques, les risques et les réglementations, les enjeux sociétaux, éthiques et politiques. Sont-ils différents ? Pouvons-nous constater une évolution sociétale depuis les années 1990 ? Quand la question porte sur l'usage des biotechnologies pour la santé humaine, les obstacles éthiques sont clairement identifiés, notamment la question des cellules souches. Les sujets sont-ils les mêmes dans le cadre de la production végétale ? Des nuances doivent-elles être apportées ? Les intérêts sont peut-être moins évidents pour le grand public. Le débat est parfois vif quant aux profits des grands semenciers. Le cas des variétés résistantes au glyphosate commercialisées par Monsanto a été largement commenté.
Je suis intervenu pour la première fois devant l'OPECST en 1998. Vingt-trois ans plus tard, je me retrouve à traiter d'une question similaire. Je m'efforcerai d'y répondre en quatre points : le degré de confiance dans la science, les attitudes à l'égard de l'alimentation, la confiance sociale et la construction de la perception du risque.
Premier point, le sentiment assez répandu est que la confiance dans la science s'est effondrée. Au début des années 2000, environ 90 % des personnes déclaraient avoir confiance dans la science. En 2011, ce taux était de 87 %. En avril 2021, le CEVIPOF donnait un résultat de 78 %. Ce paramètre a ainsi connu une baisse, qui n'est pas un effondrement, de dix points. Notons que ce sont les résultats d'enquêtes, qui peuvent être fragiles, mais ils permettent de faire des comparaisons, dans le temps et par rapport à d'autres secteurs, institutions ou pays.
La science reste néanmoins devant toutes les autres institutions pour ce qui est de la confiance : 69 % pour la police, 48 % pour la justice, 28 % pour les médias. Par comparaison avec les pays voisins, le taux de confiance, s'il est de 78 % en France, atteint 81 % en Allemagne et 86 % en Grande-Bretagne. Alors que le degré de confiance en France est traditionnellement très faible, qu'il s'agisse de politique ou d'institutions, le déficit de confiance par rapport aux autres pays est réel, mais modeste.
Deuxième point, un baromètre de 2019 nous livre trois enseignements sur la question de l'alimentation : la France est au premier rang de l'UE pour le pourcentage de personnes qui s'intéressent au problème de la sécurité alimentaire : 60 % contre 40 % en moyenne, voire beaucoup moins. La France est au premier rang de l'UE pour le pourcentage de personnes qui estiment que les produits alimentaires regorgent de substances nocives : 63 % contre 29 % en Grande-Bretagne. 20 % des Français pensent que les autorités nationales les protègent contre les risques alimentaires, contre 61 % aux Pays-Bas. Ces taux permettent de définir autrement le périmètre du problème, reposé à intervalles réguliers, des nouvelles technologies alimentaires en France.
Troisième point, la confiance sociale possède à mon sens deux composantes fondamentales : croire à la compétence et croire à la probité. Elles se retrouvent dans beaucoup de domaines, aussi bien en politique qu'en science ou dans les rapports avec des prestataires privés. Elles sont mises en question à la fois dans la science et évidemment dans le problème des nouvelles technologies alimentaires.
Quatrième point, la question du risque est évidemment essentielle. Sa complexité se manifeste avec la campagne vaccinale contre la COVID 19. Beaucoup de scientifiques et de politiques estiment sûrement qu'elle devrait être abordée rationnellement, mais elle est pour partie émotionnelle et la population évalue mal les probabilités. Pour les NBT et les OGM, nous voyons bien que chacun pose sa propre équation bénéfices/risques.
Or le défaut considérable de ces technologies réside dans le fait que jamais il n'a été démontré qu'elles avaient un effet bénéfique pour les consommateurs. Pourquoi prendraient-ils un risque, même infinitésimal, dans ces conditions ? Tel était déjà le cas du riz doré censé lutter contre la carence en vitamine A en 1998. Tant que cette interrogation ne sera pas résolue, le problème perdurera.
Je conviens également que nous n'avons guère avancé depuis la conférence citoyenne organisée par Jean-Yves Le Déaut et l'OPECST en 1998, mais je voudrais néanmoins nuancer et expliquer ce constat. Chercheure associée à l'INRAE, j'ai travaillé dans cet institut et je vis depuis 2005 au Royaume-Uni. Vue de l'étranger, la France a progressé sur les questions du rapport entre science et société. Cette matinée en témoigne.
Je suis très impressionnée d'assister à un débat assez contradictoire, y compris au sein d'une même institution comme l'INRAE. Cette liberté d'approche ne se rencontre pas ailleurs, et certainement pas au Royaume-Uni où l'institut de recherche pour l'agriculture et l'alimentation a été renommé BBSRC (Biotechnology and Biological Sciences Research Council), au début des années 1990, pour ne plus se concentrer que sur les techniques, et pas sur l'alimentation ou l'agriculture.
Le HCB a aussi été extrêmement innovant. Cette instance était presque unique au monde. Je comprends qu'elle a rencontré des difficultés et subi des démissions. L'annonce de sa suppression est toutefois très triste. Cette décision est un retour en arrière. J'aimerais qu'on explique mieux et de façon plus transparente pourquoi on a décidé de revenir à une séparation entre l'analyse des risques comparés et les discussions économiques, sociales et éthiques.
Au-delà de ces éléments positifs, je pense que nous n'avons pas avancé lorsque j'entends formuler à nouveau les mêmes promesses qu'auparavant. Comme le soulignait à l'instant Monsieur Boy, l'idée que ces aliments allaient nourrir le monde, présenter des avantages pour les consommateurs et permettre une agriculture plus durable, était déjà présente en 1998. Aucun exemple ne prouve jusqu'à présent que ces avancées sont réelles.
D'aucuns affirment que cette situation résulte d'un enlisement réglementaire propre à l'Europe. Ces soi-disant obstacles n'existent pas en Chine, aux États-Unis, au Canada ou en Australie. Dès lors, les innovations devraient y apparaître. Elles ne s'y manifestent pourtant pas davantage. Les OGM qui présenteraient de vrais avantages pour une agriculture plus durable ne sont pas produits. Certains de ces organismes existent bien, mais le débat sur leurs bénéfices réels se poursuit.
Un autre argument couramment avancé consiste à dire que les nouvelles techniques seraient plus précises et donc moins risquées. Le même discours était tenu dans les années 1990 pour promouvoir les OGM. Le gain de précision apporte-t-il une réduction des risques ? La précision au niveau moléculaire va-t-elle nécessairement de pair avec une plus grande précision au niveau de la plante en général ? Nous n'avons toujours pas répondu à cette question.
Que cherchons-nous à faire avec ces nouvelles technologies ? Quels sont nos problèmes prioritaires ? Le débat sur les causes et les problèmes demeure sous-jacent. À mon sens, nous devrions être beaucoup plus explicites sur les raisons des problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui.
Parmi la multiplicité des avis des comités d'éthique sur les techniques de mutation dirigée, celui de l'INRAE et des autres organismes se distingue par deux originalités : il replace la problématique dans le contexte socioéconomique et il développe une approche axiologique.
Du point de vue l'approche contextuelle, les techniques de mutagénèse dirigée n'ont pas émergé dans un vide culturel. Elles se sont développées dans un contexte marqué en Europe par la contestation des organismes génétiquement modifiés. C'est pourquoi les chercheurs de l'INRAE ont développé, lorsque nous les avons auditionnés, des réactions très hostiles. Ils étaient traumatisés par les violences des commandos anti-OGM. Ils ont manifesté une grande méfiance envers l'éthique, considérée comme une « police » accusée de limiter, voire contester leur liberté de recherche.
Nous avons donc dû montrer que nous ne contestions pas l'utilité de CRISPR comme outil de recherche, mais que la distinction entre recherche finalisée et recherche non finalisée ne permet plus, dans un régime technoscientifique, d'éluder les questionnements éthiques et politiques.
Nous avons de plus souligné que la bioéconomie encouragée par le gouvernement recouvre deux conceptions très différentes. La première consiste à recourir aux biotechnologies pour augmenter la compétitivité économique tout en assurant le développement durable ; la seconde consiste à définir un nouveau rapport de l'économie au vivant qui implique de renoncer à privilégier la productivité, la rentabilité, la standardisation et l'impératif de croissance au profit d'impératifs écologiques.
Pourquoi une approche axiologique, c'est-à-dire une évaluation technique en fonction des valeurs associées, est-elle nécessaire ? Beaucoup d'acteurs considèrent cette technique comme un simple moyen en vue d'une fin, mais une technique est toujours une médiation entre les humains et leur milieu. Elle engage une vision implicite des rapports entre l'homme et la nature. L'examen des controverses révèle que la technique n'est pas neutre. Elle véhicule toujours des valeurs de la communauté qui la porte et de la société où elle émerge.
Si la technique n'est pas un simple moyen en vue d'une fin, les bienfaits de la fin, par exemple adapter les plantes à la sécheresse due au changement climatique, ne suffisent pas à justifier l'absence de risque. La technique peut provoquer attraction ou répulsion suivant qu'elle exprime les valeurs de la société ou qu'elle s'en écarte. C'est pourquoi notre comité s'est penché sur les discours critiques et a proposé une lecture originale du débat axé sur l'analyse des systèmes de valeurs et de représentation symbolique qui sous-tendent les techniques de mutation dirigée.
Le statut des OGM dépend du conflit des systèmes réglementaires européen et américain qui sont respectivement basés sur le procédé et le produit. Or ces deux systèmes reposent sur des représentations symboliques divergentes de la plante. Réglementer les produits, c'est considérer la plante comme l'expression d'un programme sur lequel on peut intervenir. La plante est alors définie comme une structure biologique d'où dépendent ses performances. C'est une définition scientifique de la plante, séparée de son milieu, de son histoire.
Cette vision abstraite s'oppose à une éthique biocentrique, laquelle accorde une valeur en soi à la plante. Justement, la réglementation focalisée sur le procédé d'obtention correspond à une vision de la plante comme objet d'un travail de, sur et avec la nature. Si le travail d'amélioration respecte la normativité propre aux plantes, c'est-à-dire la téléonomie de l'organisme, alors il est acceptable dans une perspective biocentrique.
S'agissant de la propriété intellectuelle, notre comité s'est prononcé en faveur du COV parce qu'il résout le mieux la tension entre les valeurs de partage des connaissances, de compétitivité et de rentabilité. Le COV reconnaît un droit d'auteur, c'est-à-dire un droit exclusif d'exploitation au créateur, mais permet néanmoins au sélectionneur d'utiliser cette variété en tant que ressource génétique. Il permet en outre à l'agriculteur d'utiliser des semences de ferme. Il correspond en outre à une vision humaniste du bien commun.
Par contraste, le brevet favorise les pays riches et les semenciers importants. Il agit donc à l'encontre d'une conception distributive de la justice. Nous avons aussi encouragé la démarche de l' open - source, il est possible de considérer l'édition du génome comme un traitement de texte, qui relèverait de la réglementation des logiciels. Ce régime, déjà mis en place dans le secteur de la biologie de synthèse, permettrait l'accès aux ressources génétiques grâce à l'octroi de licences gratuites : il y a là un domaine à explorer.
La question de la compatibilité entre l'édition du génome et l'agroécologie a également été posée ce matin. Cependant, l'agroécologie présente une version faible et une version forte. Dans sa version faible, l'approche systémique de l'agronomie vise à comprendre et maîtriser les interactions entre les organismes au sein des écosystèmes pour permettre de substituer des intrants biologiques aux intrants chimiques. En revanche, la version forte ajoute aux innovations techniques la notion d'innovation sociale pour assurer l'autonomie des agriculteurs à l'égard du marché.
La compatibilité entre l'édition du génome et l'agroécologie n'est possible que dans la version faible de cette dernière. La version forte montre un conflit entre le paradigme écologique et le paradigme scientifique. Dans le premier, on doit faire et agir avec la nature, alors que dans le deuxième, les préoccupations sont la qualité et la surveillance des produits.
Je ferai part de trois interrogations.
La première concerne le contexte de la transition agroécologique. Le maître-mot est sans doute « diversité » : diversité des cultures, diversité génétique au sein des cultures, diversité des filières, diversité les produits alimentaires. Il y a des enjeux sociaux forts et cette transition est difficile pour tous : pour la recherche publique, pour le secteur économique et pour la société civile. Elle demande à remettre en cause des modes de pensée, des pratiques et des routines. La filière semencière sera sans doute « bousculée » par la transition agroécologique.
Nous venons d'éditer un ouvrage de 600 pages sur le sujet de la transition agroécologique avec un groupe de travail de l'Académie d'agriculture, 600 pages qui ont été nécessaires pour retracer l'histoire de l'agroécologie, ses échecs, son développement et ses enjeux.
La gestion de la diversité et de la complexité n'est pas aisée. L'agroécologie n'est pas envisagée de la même façon au Brésil, en Inde ou en Europe. Cette contextualisation géographique est très importante. J'éprouve des craintes eu égard au modèle économique présidant à l'agroécologie. La réflexion n'est pas suffisante. Les techniques évoquées sont prometteuses, mais j'estime, comme Daniel Boy, que nous manquons d'exemples convaincants dans le cadre de la transition agroécologique. La teneur des débats changera le jour où nous aurons ces exemples convaincants.
Ma deuxième interrogation porte sur les techniques. Il peut y avoir un effet systémique des techniques. En écologie scientifique, le concept émergent de « système adaptatif complexe » montre qu'une intention se diffuse dans le système social et écologique de telle sorte que chacun l'interprète à sa manière. Par exemple, les politiques publiques n'ont souvent pas l'effet attendu, car chacun s'y adapte.
Les plantes génétiquement modifiées sont un succès commercial considérable. Elles couvrent actuellement 200 millions d'hectares. Il est donc possible de dresser un bilan, même si, j'en conviens, le passé ne préjuge pas de ce qu'il adviendra. 90 % de ces plantes, en termes de surface cultivée, relèvent de quatre espèces : le maïs, le soja, le coton et le colza. 90 % de ces plantes correspondent à deux caractères : tolérance au glyphosate et production de BT. La diversité n'est donc pas fameuse.
Les plantes génétiquement modifiées sont essentiellement présentes en Amérique, seuls pays où elles couvrent 25 % des sols agricoles. Ce taux atteint 80 % en Uruguay et au Paraguay, 50 % aux États-Unis. Ce n'est que 10 % en Chine, même si ce pays nourrit une grande appétence à leur égard. Ce dernier chiffre s'explique sans doute par le fait que les plantes génétiquement modifiées ne sont pas adaptées à un système agronomique chinois constitué de petites exploitations agricoles. Celles-ci n'auraient pas le même intérêt à les utiliser que des grandes exploitations, qui y sont mieux adaptées, même si ce n'était pas l'intention initiale.
Ma troisième interrogation porte sur ce que David Hicks appelle un « différend épistémologique profond ». Il constate que les scientifiques ne sont quasiment d'accord sur rien dans cette controverse sur les OGM. Certains diront que nous savons presque tout sur la plante et sur la manière dont les systèmes agronomiques fonctionnent. D'autres feront part de leur grande ignorance. C'est pourquoi l'intervention des praticiens et des savoirs vernaculaires est particulièrement précieuse. Le différent épistémologique porte aussi sur la manière dont chacun se positionne dans la société vis-à-vis d'une problématique. Il y a des divergences profondes à ce sujet : agit-on pour le bien commun ? Les inventions sont-elles détournées au profit de quelques-uns ?
L'Académie d'agriculture a publié un avis sous le titre « Réécriture du génome, éthique et confiance », qui intègre, plus ou moins, ces interrogations. Notre groupe de travail a formulé quatre types de recommandations : 1. « Agir de façon responsable », 2. « Respecter le principe de précaution », 3. « Associer largement le public. Informer. Agir de façon transparente », 4. « Procéder à des réévaluations régulières ».
Enfin, une suggestion, à la lumière de ces interrogations. Peut-être l'OPECST pourrait-il constituer un groupe sur l'agroécologie et sur les semences paysannes. Car les enjeux scientifiques, techniques et économiques de la transition agroécologique ont été largement sous-estimés et demandent à être mieux envisagés
Ces sujets ont déjà été portés au Parlement, notamment par le député Dominique Potier et le sénateur Joël Labbé. J'ignore si l'Office a travaillé sur le sujet. Il serait naturel que nous l'abordions à l'avenir.
Le HCB, qui existe depuis un peu plus d'une décennie, a produit deux avis sur la question du jour. Le premier porte sur les NPBT en général. Il avait notamment soulevé les questions de la propriété intellectuelle et de l'information. Le comité scientifique, comme l'a rappelé Joël Guillemain, avait suggéré une approche proportionnée, un scénario intermédiaire, mais ouvert à l'évaluation des produits issus de ces nouvelles techniques.
Nous avions effectivement porté notre attention sur les produits dans la mesure où CRISPR est une technique qui permet de faire mille produits et modifications différentes. Pour répondre à Madame Bensaude-Vincent, il n'y a pas d'opposition étant donné que la contrainte de l'espèce biologique sur laquelle la modification est produite perdure au-delà de la modification et de l'utilisation de la technique. Il ne faut pas oublier que les contraintes biologiques sont énormes et limitent l'utilisation de la technique.
S'agissant des suites aux décisions de la CJUE et du Conseil d'État, Monsieur Prud'homme n'a pas précisé que ce dernier avait ajouté la distinction in vitro / in vivo. Or nous ne sommes pas capables de distinguer ce qui se produit in vitro ou in vivo par de la mutagénèse. Si cette distinction a un sens juridique, comme l'a reconnu le CEES (comité éthique, économique et social du HCB), elle ne repose pas sur une réalité biologique.
Pourquoi l'expérience du HCB, qui est amené à disparaître, a-t-elle été riche, mais un peu difficile ? Le HCB s'était vu accorder une place très proche du centre de la décision politique. La discussion dans ces conditions est nécessairement extraordinairement tendue, parce que les personnes savent que l'intervenant qui aura le dernier mot emportera la décision.
Il s'agissait néanmoins d'une expérience tout à fait originale dans le monde. Cette instance a montré les limites de la coexistence entre une expertise sur des questions extraordinairement « pointues » et un public qui ne dispose pas de toutes les « clefs » pour accéder à cette connaissance et à cette expertise. Les experts n'ont pas non plus l'habitude de discuter d'écologie dans ses aspects philosophiques, au-delà des aspects biologiques, il y a donc un déficit de formation de ce côté-là aussi.
Un autre aspect concerne cette fameuse « économie de la promesse ». Les experts scientifiques du HCB ne venaient pas défendre les OGM. Ils n'avaient pas pour mandat de convaincre de l'intérêt de leur utilisation.
Sur la question de l'appréciation des bénéfices et des risques, j'ouvre une parenthèse : le problème de l'acceptabilité du riz doré à cause de son changement de couleur ne se retrouvera certainement pas dans le cas de la patate douce dans laquelle on a introduit des gènes pour augmenter la production de carotène.
La notion de risque est aussi très importante. On a régulièrement cité l'aphorisme : « L'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence ». Or un comité scientifique ne peut pas gérer cette question. Jamais il ne signera un texte affirmant l'absence de risque, car les scientifiques pourront toujours établir des scénarios rationnels montrant qu'il existe un risque. Nous ne pouvions pas répondre à l'attente des pouvoirs publics en la matière. De l'extérieur, ces réflexions étaient interprétées comme des controverses. Le grand public se plaignait que nous ne soyons pas capables de le rassurer, alors que tel n'était pas notre objectif.
La question de la symétrie des argumentaires mérite également d'être posée. Je ne sais pas la résoudre. Toutes les publications et les expériences des laboratoires montrent que la précision des mutations est parfaite, c'est vérifié par séquençage des plantes. Dans les essais qui vont être réalisés chez l'homme, en médecine, notamment sur les bêta-thalassémies, il n'y a pas de différence et pas d'effets hors-cible. C'est pourquoi je m'inscris dans une logique optimiste qui permet ensuite de construire au plan réglementaire.
Le HCB était également confronté à des difficultés avec la question des données socioéconomiques. Il est en effet très difficile de faire de la prospective dans ce domaine car tout dépendra du modèle de développement. S'agissant de l'éthique, Madame Besaude-Vincent a bien monté que l'éthique diffère suivant les domaines auxquels elle s'applique. Si mettre en culture une bactérie dans un erlenmeyer est jugé comme allant contre les lois de la sélection naturelle, la modification d'un génome est certainement bien pire.
Dans le domaine sociologique, Daniel Boy a bien montré que la principale difficulté tient au fait que nous ignorons le degré d'information de l'opinion. Le seul fait de poser une question sur un risque oriente son attitude.
Enfin, sur la question juridique, je pense qu'il faut commencer par caractériser les nouvelles techniques, dire dans quels champs on souhaite les appliquer pour ensuite proposer un encadrement adapté. La réglementation peut toujours être modifiée, il ne faut pas rester bloqué sur une loi au motif qu'elle a été entérinée.
Monsieur Villani m'interrogeait sur la définition des OGM au sens de la directive 2001/18/CE. Tout entre dans ce champ d'application. Cela n'est pas si grave si l'on considère qu'elle prévoit un grand nombre d'exemptions. Tel était précisément le problème posé par la fameuse annexe 1B, à l'origine du contentieux soulevé auprès du Conseil d'État et des discussions au sein de la CJUE. Des techniques peuvent être ajoutées à la liste des exemptions et les tests à réaliser peuvent également évoluer, en ajustant la structure des dossiers déposés en fonction des techniques.
Je relaie deux questions posées par les internautes. Le premier participant se demande si le fait que des techniques de recherche couronnées par un prix Nobel accordé à une Française ne puissent pas être utilisées dans le développement agricole sur notre sol ne constitue pas un « camouflet » pour la France.
La seconde intervention cite Michel Serres en 2006 : « [l]a vie n'est rien d'autre que la sélection conjuguée à la mutation. Au néolithique, l'homme a inventé la sélection. Aujourd'hui, dans les laboratoires, les biochimistes tentent de maîtriser la mutation. » « Pouvez-vous interdire à l'homme de maîtriser la mutation ? »
Je ne suis pas d'accord avec Monsieur Le Déaut quand il parle de « biologie de garage ». Ces techniques ont besoin d'être utilisées par des personnes disposant de moyens d'observation, d'analyse et d'un système de gestion de la qualité robuste. Telle est d'ailleurs la demande des start-up dans leurs partenariats avec l'UFS.
En réaction à un commentaire de Monsieur Evain, je veux souligner que ce n'est pas celui qui détient la propriété intellectuelle qui influe sur la chaîne agroalimentaire, mais celui qui détiendra l'autorisation de mise sur le marché. Beaucoup ont déploré un système agro-industriel trop industriel. Seuls ces groupes sont cependant en mesure de déposer un dossier réglementaire, seules les grandes cultures telles que maïs et soja le permettent car elles sont au cœur de marchés énormes. Il nous faut savoir si nous voulons procéder de même pour les nouvelles techniques de sélection. Il s'agit d'un vrai choix de société.
On a effectivement beaucoup parlé du coût des dossiers réglementaires. Or les études ont montré que ceux-ci sont vingt fois moins élevés que ce qui est annoncé par les firmes.
Il est assez étonnant de critiquer les décisions du Conseil d'État et de la CJUE alors qu'elles sont uniquement fondées sur des considérations juridiques. Une fois de plus, nous sommes confrontés à une « politisation de la science » et une « scientifisation de la politique ».
On dit aussi que 200 millions d'hectares cultivés représentent un vrai succès commercial. C'est moins de 7 % de la surface agricole utile mondiale. C'est l'équivalent de 802 exploitations en Argentine, à peine la surface agricole utile de l'Union européenne. Il faut donc relativiser ces chiffres.
En réponse à Daniel Boy, je souhaite revenir sur la question de la science et de la confiance. On s'aperçoit que la confiance dans la science reste assez bonne, mais que c'est la confiance dans les scientifiques qui pose problème, en particulier quand ils ont un lien d'intérêt ou qu'une application possible est envisagée.
Il convient également de noter l'importance des brevets. Corteva a vendu à Vilmorin un panel pour faire du NBT. Plus de 95 % des brevets d'application des techniques NBT concernent la tolérance aux herbicides et la résistance aux insectes. Le modèle économique est donc toujours le même.
Concernant la continuité in vitro / in vivo, on nous dit en résumé que les éléments biologiques de base de la matière biologique sont les mêmes.
Madame Mazza exprime son incrédulité sur la question des panels développée par Monsieur Bertheau.
En réponse à Michel Serres, François Jacob disait : « [la mutation] est la somme des réussites, puisque la trace des échecs a disparu. » Ce sont ces évolutions qui ont abouti à la grande diversité génétique d'aujourd'hui, diversité qu'il faut conserver.
Daniel Boy disait que nous alimentons le même débat depuis vingt-cinq ans. La situation n'évolue effectivement guère en France et en Europe, mais il en va tout autrement ailleurs. Lorsque nous nous sommes rendus, avec Catherine Procaccia, en Amérique du sud, nous avons pu le constater. Le président Lula da Silva avait interdit les OGM, mais les paysans sont allés se procurer du colza en Argentine.
J'en profite pour souligner que de petites exploitations utilisent aussi des OGM. J'ai pu en visiter en Afrique du sud. Cela pose d'ailleurs problème quand le produit final ne correspond pas aux licences qu'elles ont acquises. On a pu le constater avec le coton au Mali.
Je termine en soulignant que l'argument de l'impact des OGM sur la santé n'est plus guère avancé. Comme le disait Daniel Boy, les gens veulent bien prendre des risques pour se soigner, mais pas pour manger. La question du risque en alimentation ne se pose plus dans la mesure où nous mangeons de l'ADN tous les jours.
J'étais membre du HCB. J'en ai démissionné en 2016. Le gouvernement nous avait demandé de nous prononcer sur de nouvelles techniques de modification du génome en excluant les techniques dont nous parlons aujourd'hui. C'est pourquoi nous l'avions quitté. Nous sommes revenus à la suite de l'arrêt de la CJUE qui nous a donné raison.
Nous avions réclamé une évaluation éthique des OGM et de ces nouvelles techniques. Nous nous sommes toujours vus opposer un refus. Je le regrette. Les pouvoirs publics sont en train de supprimer le problème en éclatant le HCB dans différentes structures.
Dernier point : tout le monde est d'accord pour maintenir le COV et rejeter le système américain des brevets. Par contre, les semenciers sont favorables au brevet sur les traits ou les informations génétiques. Nous allons ainsi cumuler le COV et le brevet et les paysans se trouveront dans l'impossibilité de reproduire les espèces cultivées, alors que c'est possible pour les espèces uniquement protégées par COV.
Lors de la dernière enquête du CEVIPOF, nous avons opéré la distinction que vous suggériez. La différence n'est pas considérable : 78 % pour la confiance dans la science, 75 % pour la confiance dans les scientifiques.
Contrairement à ce que disait Monsieur Bertheau, le HCB n'a pas prétendu que l' in vitro et l' in vivo étaient strictement identiques, mais qu'il n'y avait pas de support biologique pour opérer un distinguo entre les deux.
Il me semble important de considérer que l'évidence biologique est certes nécessaire, mais pas suffisante. Il convient également de prendre en compte des évidences éthiques, économiques et politiques.
Par ailleurs, j'ai beau avoir été l'élève de Michel Serres, je ne suis pas d'accord avec sa phrase. D'un point de vue éthique, ce qui a été ne dictera jamais ce qui doit être. Je pense qu'on fait une analyse malencontreuse des propos de Michel Serres.
À propos du fait que des évolutions s'observent sur les autres continents, j'aimerais souligner que l'Europe de l'ouest aura peut-être davantage de facilité à engager une transition agroécologique parce qu'elle n'aura pas basculé dans de grandes monocultures résultant de l'emploi des OGM.
Nous ne maîtrisons ni la mutation ni la sélection. La COVID 19, les ravageurs des cultures et le changement climatique le montrent aisément.
Je vais maintenant faire une brève synthèse de ce que je retiens, à chaud, des échanges qui ont eu lieu ce matin.
Premier point, je me félicite que nous ayons pu mener le débat contradictoire. Des opinions divergentes ont pu s'exprimer les unes à côté des autres, les unes après les autres.
Jean-Yves Le Déaut avait raison d'observer que nous n'avons presque pas parlé aujourd'hui de la santé. En 2012, toute la controverse portait au contraire sur l'étude menée par Gilles-Éric Séralini et sur les effets des OGM sur la santé. Il est également important, compte tenu de la technicité des sujets, que nous nous mettions d'accord sur un vocabulaire, des déterminants et de grandes catégories. Jusqu'à mon élection au Parlement en 2017, je faisais partie du SAM. J'ai pu constater combien le dossier est complexe notamment parce que la technique permet de faire quantité de choses, il est impossible de tout mettre dans le même panier, y compris au niveau de la règlementation. Il était nécessaire de laisser la possibilité à la législation d'évoluer en fonction des techniques. Le débat politique doit tenir compte des évolutions, le droit qui court après le progrès scientifique est toujours en retard. Rajouter une technique à une liste d'exemptions ne me semble pas satisfaisant. Il vaudrait mieux tout remettre à plat et évaluer des objectifs recherchés.
Mon deuxième point concerne le débat sur les moyens et les produits. Nos échanges ont montré que la question de la distinction a un caractère central. Il faudrait que nous parvenions à nous mettre d'accord sur cette question. En tout cas, nous avons compris qu'à mesure que le progrès technique se développe, la distinction devient de plus en plus difficile, mais que d'autres technologies, via l'analyse matricielle, permettraient peut-être d'opérer cette distinction. Cela étant, le débat politique et citoyen ne saurait faire l'impasse sur le procédé, notamment parce que la question de l'étiquetage et de la distinction réglementaire est parfaitement légitime au plan sociétal et politique, de la même façon qu'un gramme de sucre n'a pas la même valeur, selon la façon dont il a été produit. C'est un sujet qui pourra être tranché par le Parlement.
Je retiens des propos de Madame Bensaude-Vincent qu'une des acceptions de l'agroécologie accorde de l'importance aux valeurs sociétales sous-jacentes aux procédés.
Le troisième point porte sur les applications et les impacts. Le débat a notamment porté sur la question de la promesse. Monsieur Couvet a relativisé le développement de ces produits en Amérique et en Afrique. Le constat présent ne tranche pas la question de l'utilité future de ces technologies dans un contexte de transition environnementale. On voit que les OGM développés sont majoritairement des variétés ayant une résistance à un herbicide ou à un insecte, et on nous a également dit que les efforts de R&D pour produire de nouvelles espèces issues des NBT ne recherchent pas ces traits. Certains ont mis en garde contre une perte de compétitivité au niveau européen, alors que d'autres ont mis en avant des choix de société. Madame Mazza a bien insisté sur le fait que celui qui détient l'autorisation de développement est bien celui qui a la possibilité de déposer des dossiers réglementaires.
A travers l'exemple des agriculteurs d'Amérique du Sud développé par Jean-Yves Le Déaut, on a vu que certains trouvaient des avantages clairs à ces semences, mais il n'y a toujours pas de bénéfices démontrés pour les consommateurs, du moins pas dans le débat public.
Le quatrième point concerne la propriété intellectuelle et les brevets. En admettant l'existence d'une indiscernabilité, il paraît difficile d'envisager de breveter. Nous avons clairement mis en évidence que nous ne nous inscrivons pas dans une logique de récompense de la vertu d'un inventeur, mais de progrès global et de bien global pour la société.
Le cinquième point touche à la démocratie, à l'interface entre le scientifique et le politique. Nous avons pu évoquer la disparition du HCB à cette occasion. Encore une fois, je me félicite que le débat ait eu lieu et que toutes les parties aient pu exprimer leur point de vue. Il est important que nous puissions prolonger ce genre de débats même en dehors du HCB. On peut regretter que le HCB ait cessé de fonctionner. Si les conditions sont réunies, ce qu'une loi a défait, une autre loi peut le refaire.
Sur le sujet des arrachages, il est important que la science puisse se faire, dans un cadre agréant à tous. Le travail de concert, dans le respect des opinions divergentes, doit pouvoir avoir lieu.
Le sujet traité ce jour avait des composantes économiques, sociales, politiques. Je suis confiant dans le fait que le débat est possible, le débat transpartisan et de bonne volonté va dans le bon sens.
Je remercie l'ensemble des intervenants pour la clarté de leurs propos et l'excellente tenue des échanges que nous avons eus lors de cette audition publique.
La réunion est close à 13 h 50.