Je vous remercie pour l'hommage rendu à Michel Caboche. Il était fils d'agriculteur et a porté au plus haut niveau la réputation de la recherche agronomique française et le domaine de la génomique végétale.
Mon propos portera sur l'édition du génome et le système CRISPR-Cas9. Je traiterai d'abord des principes d'utilisation des technologies d'édition des génomes à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE). Pour mémoire, l'INRAE résulte de la fusion entre l'INRA et l'IRSTEA. Je donnerai ensuite des exemples de recherches conduites dans notre institut et fournirai enfin quelques éléments de conclusion.
Il y a près de cinq ans, la direction de l'INRAE a souhaité clarifier sa stratégie en matière d'utilisation de l'édition du génome. Cette stratégie s'inscrit pleinement dans les valeurs de l'Institut et dans sa volonté de contribuer au progrès environnemental, social et économique.
Elle a sollicité l'expertise du Comité consultatif commun d'éthique INRAE-CIRAD-IFREMER-IRD sur les nouvelles techniques d'amélioration génétique des plantes. Saisi fin 2016, il a rendu son avis début 2018. Disponible sur le site de l'INRAE, il met en lumière les enjeux éthiques et politiques de l'édition du génome. Il considère les risques environnementaux et sanitaires, le statut juridique de ces organismes et des produits dérivés, la propriété intellectuelle dans le secteur végétal, ainsi que la compatibilité avec l'agroécologie.
Cette stratégie s'articule autour de six principes. Le premier concerne le maintien d'une capacité d'expertise en accord avec la mission de recherche publique de l'INRAE. Nous considérons qu'il relève de nos missions de recherche publique et de notre responsabilité sociale d'explorer les bénéfices et les limites, mais aussi les risques éventuels des produits dérivés et de leur utilisation.
Le second principe est évident, mais doit être réaffirmé. Ces technologies sont indispensables à l'acquisition de connaissances. L'édition du génome permet d'explorer la variabilité génétique, d'étudier la fonction, la régulation et l'évolution des gènes. Ces recherches sont essentielles à l'amélioration des connaissances et à la compréhension du vivant.
Le troisième principe concerne l'utilisation des technologies d'édition du génome en amélioration des plantes. L'évaluation des possibilités offertes par cette technologie est parfaitement légitime et complémentaire des outils classiques de l'amélioration des plantes. Dans le cadre de nos travaux, les caractères et les espèces cibles sont choisis dans un objectif de bien commun. Nous les destinons à des usages et à des systèmes de production qui s'inscrivent dans une logique de durabilité environnementale, économique et sociale.
Les trois autres principes concernent la conduite des expérimentations dans le respect de la réglementation européenne et nationale. Ils énoncent aussi des principes d'ouverture de la recherche avec une coconstruction des projets dans le cadre de recherches pluridisciplinaires et si possible multiacteurs.
Le sixième principe traite de la question de la propriété intellectuelle. L'INRAE rappelle son attachement au certificat d'obtention végétale et son attachement à la non-brevetabilité des plantes issues de l'édition du génome.
Aujourd'hui, une vingtaine d'unités de recherche de l'INRAE utilisent ou mettent au point l'édition du génome chez une trentaine d'espèces végétales. Il s'agit d'espèces de grande culture, d'espèces pérennes (la vigne, les arbres fruitiers), d'espèces maraîchères d'oléagineux, de protéagineux, etc.
Ces programmes sont conduits dans un objectif de connaissance de la fonction des gènes ; ils vont parfois jusqu'à la « preuve de concept » qui vise à montrer que l'édition du génome fonctionne chez certaines espèces et pour certains caractères ou certaines combinaisons de caractères présentant un intérêt agronomique. À ce jour, les plantes issues de ces programmes ne font pas l'objet de diffusion et n'ont pas vocation à alimenter les programmes d'innovation variétale.
Les cibles que nous travaillons concernent la résistance aux maladies pour réduire l'usage des produits phytosanitaires, des caractères d'adaptation au changement climatique ou encore des caractères qui peuvent être mobilisés dans le cadre de la diversification des cultures et des pratiques.
Fabien Nogué a parlé de la résistance aux virus. L'idée est de s'inspirer de la diversité naturelle pour produire un petit nombre de mutations qui permettent d'obtenir des plantes résistantes aux virus chez les espèces pour lesquelles nous n'avons pas trouvé de variabilité naturelle. Ces résultats ouvrent des perspectives pour le développement de résistances à large spectre et plus durables, puisqu'on pourrait imaginer qu'ils soient transférés à la vigne et aux arbres fruitiers pour lutter respectivement contre le court-noué et la sharka.
Un autre programme porte sur une crucifère : la cameline (ou lin bâtard ou sésame d'Allemagne). Nous la voudrions plus précoce pour l'utiliser en couvert végétal entre deux cultures d'hiver. Cette espèce, très peu gourmande en intrants, est en train de se redévelopper. Nous travaillons sur les gènes qui régulent la transition florale et permettent donc de réguler la précocité de cette espèce.
L'édition du génome est intéressante, parce que plusieurs gènes contrôlent la transition florale. Ils sont au nombre de cinq chez Arabidopsis. La structure génétique de la cameline fait qu'il y a au moins quinze gènes impliqués dans la transition florale chez cette espèce. Or cette technologie nous permet de modifier simultanément tous ces gènes. Elle ouvre donc la possibilité d'obtenir chez un seul et même individu une diversité de combinaison de mutations pour un groupe de gènes qui serait extrêmement difficile à identifier dans la diversité naturelle.
Le bourgeonnement d'un arbre ou sa floraison correspond à des stades de la vie des plantes et des conditions météorologiques. C'est pourquoi les espèces pérennes sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Avec le réchauffement, la floraison est ainsi généralement plus précoce et induit des risques au gel printanier.
En conclusion, je souhaite rappeler que la génétique reste l'un des leviers de la transition agroécologique et que l'édition du génome est un outil de la génétique. J'ai rappelé les enjeux de recherche fondamentale et appliquée en tant que technologie indispensable à l'acquisition de connaissances.
Comme tous les outils, il possède des forces et des faiblesses qui exigent d'être vigilants quant aux promesses énoncées. Dans tous les cas, il convient de rappeler que cette technologie prise isolément ne permettra pas de répondre aux enjeux de l'agriculture et de la transition agroécologique. Par contre, l'INRAE porte activement l'idée d'une combinaison de leviers pour conduire cette transition agroécologique. On parle bien sûr de génotypes adaptés en mobilisant l'ensemble des méthodes disponibles, mais aussi de la mobilisation des régulations biologiques, du biocontrôle, de la diversification des productions et des systèmes de production.
L'INRAE est convaincu que l'édition du génome fait partie des outils de l'amélioration des plantes et que son utilisation pourrait dans certains cas contribuer au progrès génétique pour des caractères et des espèces cibles choisies dans un objectif de bien commun et pour des systèmes de production s'inscrivant dans une logique de de durabilité. C'est assez cohérent avec le fait que les usages de ces technologies et les résultats devraient prendre plus de place dans les débats.