Je ferai part de trois interrogations.
La première concerne le contexte de la transition agroécologique. Le maître-mot est sans doute « diversité » : diversité des cultures, diversité génétique au sein des cultures, diversité des filières, diversité les produits alimentaires. Il y a des enjeux sociaux forts et cette transition est difficile pour tous : pour la recherche publique, pour le secteur économique et pour la société civile. Elle demande à remettre en cause des modes de pensée, des pratiques et des routines. La filière semencière sera sans doute « bousculée » par la transition agroécologique.
Nous venons d'éditer un ouvrage de 600 pages sur le sujet de la transition agroécologique avec un groupe de travail de l'Académie d'agriculture, 600 pages qui ont été nécessaires pour retracer l'histoire de l'agroécologie, ses échecs, son développement et ses enjeux.
La gestion de la diversité et de la complexité n'est pas aisée. L'agroécologie n'est pas envisagée de la même façon au Brésil, en Inde ou en Europe. Cette contextualisation géographique est très importante. J'éprouve des craintes eu égard au modèle économique présidant à l'agroécologie. La réflexion n'est pas suffisante. Les techniques évoquées sont prometteuses, mais j'estime, comme Daniel Boy, que nous manquons d'exemples convaincants dans le cadre de la transition agroécologique. La teneur des débats changera le jour où nous aurons ces exemples convaincants.
Ma deuxième interrogation porte sur les techniques. Il peut y avoir un effet systémique des techniques. En écologie scientifique, le concept émergent de « système adaptatif complexe » montre qu'une intention se diffuse dans le système social et écologique de telle sorte que chacun l'interprète à sa manière. Par exemple, les politiques publiques n'ont souvent pas l'effet attendu, car chacun s'y adapte.
Les plantes génétiquement modifiées sont un succès commercial considérable. Elles couvrent actuellement 200 millions d'hectares. Il est donc possible de dresser un bilan, même si, j'en conviens, le passé ne préjuge pas de ce qu'il adviendra. 90 % de ces plantes, en termes de surface cultivée, relèvent de quatre espèces : le maïs, le soja, le coton et le colza. 90 % de ces plantes correspondent à deux caractères : tolérance au glyphosate et production de BT. La diversité n'est donc pas fameuse.
Les plantes génétiquement modifiées sont essentiellement présentes en Amérique, seuls pays où elles couvrent 25 % des sols agricoles. Ce taux atteint 80 % en Uruguay et au Paraguay, 50 % aux États-Unis. Ce n'est que 10 % en Chine, même si ce pays nourrit une grande appétence à leur égard. Ce dernier chiffre s'explique sans doute par le fait que les plantes génétiquement modifiées ne sont pas adaptées à un système agronomique chinois constitué de petites exploitations agricoles. Celles-ci n'auraient pas le même intérêt à les utiliser que des grandes exploitations, qui y sont mieux adaptées, même si ce n'était pas l'intention initiale.
Ma troisième interrogation porte sur ce que David Hicks appelle un « différend épistémologique profond ». Il constate que les scientifiques ne sont quasiment d'accord sur rien dans cette controverse sur les OGM. Certains diront que nous savons presque tout sur la plante et sur la manière dont les systèmes agronomiques fonctionnent. D'autres feront part de leur grande ignorance. C'est pourquoi l'intervention des praticiens et des savoirs vernaculaires est particulièrement précieuse. Le différent épistémologique porte aussi sur la manière dont chacun se positionne dans la société vis-à-vis d'une problématique. Il y a des divergences profondes à ce sujet : agit-on pour le bien commun ? Les inventions sont-elles détournées au profit de quelques-uns ?
L'Académie d'agriculture a publié un avis sous le titre « Réécriture du génome, éthique et confiance », qui intègre, plus ou moins, ces interrogations. Notre groupe de travail a formulé quatre types de recommandations : 1. « Agir de façon responsable », 2. « Respecter le principe de précaution », 3. « Associer largement le public. Informer. Agir de façon transparente », 4. « Procéder à des réévaluations régulières ».
Enfin, une suggestion, à la lumière de ces interrogations. Peut-être l'OPECST pourrait-il constituer un groupe sur l'agroécologie et sur les semences paysannes. Car les enjeux scientifiques, techniques et économiques de la transition agroécologique ont été largement sous-estimés et demandent à être mieux envisagés