Intervention de Luc Mathis

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Luc Mathis, président de Meiogenix et ancien directeur général de Calyxt :

Petit-fils d'agriculteurs du nord de la France, je suis issu de la formation universitaire française. Je ne peux malheureusement pas exercer mon métier dans mon pays. J'ai étudié à Orsay, à l'École normale supérieure et à l'Institut Pasteur. Je suis parti en postdoctorat en Californie, puis suis entré premier au concours du CNRS. Une belle carrière académique s'ouvrait à moi. Dans les années 2000, Nicolas Sarkozy puis François Hollande incitaient les chercheurs à développer leurs compétences d'entrepreneurs.

J'ai rejoint Cellectis, pionnière du gene-editing au plan mondial. Dans la lignée des travaux de François Jacob et d'Alain Fischer, cette start-up voulait révolutionner la thérapie génique. Le traitement des enfants-bulles avait montré que l'insertion de séquences d'ADN avait des effets assez extraordinaires pour restaurer le système immunitaire des bébés immunodéficients. On avait malheureusement constaté que l'insertion au hasard d'un morceau d'ADN dans le génome de ces enfants induisait des leucémies.

Cellectis avait pour objectif de réaliser la même opération, c'est-à-dire amener des corrections dans le génome induisant des maladies humaines, sans ajouter de séquences. C'est la révolution à laquelle nous assistons aujourd'hui en cancérologie avec les CAR-T. Ces technologies, basées sur le gene-editing, constituent une véritable révolution thérapeutique.

Je me suis rapidement intéressé aux applications du gene-editing en agriculture. Tout le monde souhaite limiter l'utilisation de produits chimiques, par exemple les néonicotinoïdes. Or les sélectionneurs avaient identifié des gènes qui donnaient des résistances naturelles aux pucerons porteurs des virus. Par gene-editing, il suffisait d'introduire ces variations dans le génome de la betterave commerciale pour éviter entièrement l'utilisation des néonicotinoïdes dans les champs.

Nous travaillions à l'époque avec l'INRA, notamment Fabien Nogué, Limagrain et Florimond Desprez. En 2012, le projet aurait pu se développer en France. Cependant la réglementation interdisait toute commercialisation. Nos investisseurs nous ont alors conduits à rejoindre Minneapolis où j'ai dirigé la société pendant cinq ans. Elle compte aujourd'hui 90 salariés et a offert des emplois à des étudiants en biologie, qui, en France, ne trouvent pas de tels débouchés puisqu'il n'existe pas ici de filière commerciale en « agrotech » : il n'y a que le secteur académique. L'entreprise, cotée au Nasdaq, développe des produits pour le marché américain.

L'huile de soja est très employée pour l'alimentation. En deux ans, nous en avons retiré les lipides trans qui altèrent le métabolisme cardiaque. Elle présente ainsi des qualités bénéfiques similaires à l'huile d'olive. En France, nous aurions pu utiliser la technologie pour améliorer le pois et trouver un remplaçant pour la nourriture animale, mais la législation l'interdisait. Nous préférons importer du soja OGM du Brésil qui contribue à la déforestation.

À l'inverse, en quelques semaines, l'USDA (le ministère de l'agriculture des États-Unis) nous a donné l'autorisation de développer commercialement ce soja parce qu'aucun ADN étranger n'y était ajouté. En 2021, je dirige la société Meiogenix. Notre start-up applique le gene-editing inventé à l'Institut Curie. Nous améliorons la technique en accélérant des processus naturels de croisement génétique. Aucun investisseur n'était prêt à s'impliquer en France en l'absence de marché. C'est pourquoi nous allons nous établir dans la région de New York.

À l'ENS, j'ai suivi des enseignements sur les lois bioéthiques. J'ai bien compris l'importance mise à juste titre sur le fait de ne pas modifier intentionnellement la lignée germinale chez l'homme. Mais en agriculture, comme le soulignait Fabien Nogué, nous opérons ces croisements intentionnels depuis la nuit des temps. Ils permettent par exemple de conserver des tomates pendant une semaine et, plus généralement, que nous consommions cinq fruits et légumes par jour.

Je ne comprends pas le raisonnement qui conduit à ne pas utiliser ces innovations, qui ne rajoutent aucune séquence au génome. Mon grand-père, qui était un fermier innovateur, aurait voulu utiliser cette technologie. C'est pourquoi je ne me résous pas à devoir partir aux États-Unis pour exercer mon métier alors que ces innovations viennent de France.

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