Intervention de Jean-Christophe Pagès

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jean-Christophe Pagès, Professeur des universités - praticien hospitalier (Université Paul Sabatier, Toulouse), président par intérim du Haut conseil des biotechnologies :

Le HCB, qui existe depuis un peu plus d'une décennie, a produit deux avis sur la question du jour. Le premier porte sur les NPBT en général. Il avait notamment soulevé les questions de la propriété intellectuelle et de l'information. Le comité scientifique, comme l'a rappelé Joël Guillemain, avait suggéré une approche proportionnée, un scénario intermédiaire, mais ouvert à l'évaluation des produits issus de ces nouvelles techniques.

Nous avions effectivement porté notre attention sur les produits dans la mesure où CRISPR est une technique qui permet de faire mille produits et modifications différentes. Pour répondre à Madame Bensaude-Vincent, il n'y a pas d'opposition étant donné que la contrainte de l'espèce biologique sur laquelle la modification est produite perdure au-delà de la modification et de l'utilisation de la technique. Il ne faut pas oublier que les contraintes biologiques sont énormes et limitent l'utilisation de la technique.

S'agissant des suites aux décisions de la CJUE et du Conseil d'État, Monsieur Prud'homme n'a pas précisé que ce dernier avait ajouté la distinction in vitro / in vivo. Or nous ne sommes pas capables de distinguer ce qui se produit in vitro ou in vivo par de la mutagénèse. Si cette distinction a un sens juridique, comme l'a reconnu le CEES (comité éthique, économique et social du HCB), elle ne repose pas sur une réalité biologique.

Pourquoi l'expérience du HCB, qui est amené à disparaître, a-t-elle été riche, mais un peu difficile ? Le HCB s'était vu accorder une place très proche du centre de la décision politique. La discussion dans ces conditions est nécessairement extraordinairement tendue, parce que les personnes savent que l'intervenant qui aura le dernier mot emportera la décision.

Il s'agissait néanmoins d'une expérience tout à fait originale dans le monde. Cette instance a montré les limites de la coexistence entre une expertise sur des questions extraordinairement « pointues » et un public qui ne dispose pas de toutes les « clefs » pour accéder à cette connaissance et à cette expertise. Les experts n'ont pas non plus l'habitude de discuter d'écologie dans ses aspects philosophiques, au-delà des aspects biologiques, il y a donc un déficit de formation de ce côté-là aussi.

Un autre aspect concerne cette fameuse « économie de la promesse ». Les experts scientifiques du HCB ne venaient pas défendre les OGM. Ils n'avaient pas pour mandat de convaincre de l'intérêt de leur utilisation.

Sur la question de l'appréciation des bénéfices et des risques, j'ouvre une parenthèse : le problème de l'acceptabilité du riz doré à cause de son changement de couleur ne se retrouvera certainement pas dans le cas de la patate douce dans laquelle on a introduit des gènes pour augmenter la production de carotène.

La notion de risque est aussi très importante. On a régulièrement cité l'aphorisme : « L'absence de preuve n'est pas la preuve de l'absence ». Or un comité scientifique ne peut pas gérer cette question. Jamais il ne signera un texte affirmant l'absence de risque, car les scientifiques pourront toujours établir des scénarios rationnels montrant qu'il existe un risque. Nous ne pouvions pas répondre à l'attente des pouvoirs publics en la matière. De l'extérieur, ces réflexions étaient interprétées comme des controverses. Le grand public se plaignait que nous ne soyons pas capables de le rassurer, alors que tel n'était pas notre objectif.

La question de la symétrie des argumentaires mérite également d'être posée. Je ne sais pas la résoudre. Toutes les publications et les expériences des laboratoires montrent que la précision des mutations est parfaite, c'est vérifié par séquençage des plantes. Dans les essais qui vont être réalisés chez l'homme, en médecine, notamment sur les bêta-thalassémies, il n'y a pas de différence et pas d'effets hors-cible. C'est pourquoi je m'inscris dans une logique optimiste qui permet ensuite de construire au plan réglementaire.

Le HCB était également confronté à des difficultés avec la question des données socioéconomiques. Il est en effet très difficile de faire de la prospective dans ce domaine car tout dépendra du modèle de développement. S'agissant de l'éthique, Madame Besaude-Vincent a bien monté que l'éthique diffère suivant les domaines auxquels elle s'applique. Si mettre en culture une bactérie dans un erlenmeyer est jugé comme allant contre les lois de la sélection naturelle, la modification d'un génome est certainement bien pire.

Dans le domaine sociologique, Daniel Boy a bien montré que la principale difficulté tient au fait que nous ignorons le degré d'information de l'opinion. Le seul fait de poser une question sur un risque oriente son attitude.

Enfin, sur la question juridique, je pense qu'il faut commencer par caractériser les nouvelles techniques, dire dans quels champs on souhaite les appliquer pour ensuite proposer un encadrement adapté. La réglementation peut toujours être modifiée, il ne faut pas rester bloqué sur une loi au motif qu'elle a été entérinée.

Monsieur Villani m'interrogeait sur la définition des OGM au sens de la directive 2001/18/CE. Tout entre dans ce champ d'application. Cela n'est pas si grave si l'on considère qu'elle prévoit un grand nombre d'exemptions. Tel était précisément le problème posé par la fameuse annexe 1B, à l'origine du contentieux soulevé auprès du Conseil d'État et des discussions au sein de la CJUE. Des techniques peuvent être ajoutées à la liste des exemptions et les tests à réaliser peuvent également évoluer, en ajustant la structure des dossiers déposés en fonction des techniques.

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