Intervention de Jérôme Enjalbert

Réunion du jeudi 18 mars 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jérôme Enjalbert, directeur de recherche INRAE, responsable de l'équipe « Diversité, évolution et adaptation des populations » :

Je suis chercheur en génétique des populations à l'INRAE au laboratoire Génétique Quantitative et Évolution (Le Moulon). Comme le soulignait Bernard Rolland, nous sommes face à l'urgence de repenser une agriculture sans pesticides et à faible impact sur le climat. La diversification agricole est au cœur de cette transition.

Des travaux récents montrent que des paysages agricoles plus diversifiés en cultures et en variétés ont des propriétés de résilience ou de stabilité face aux émergences de maladies ou aux aléas climatiques. Je détaillerai deux stratégies de diversification à l'échelle de la parcelle : les mélanges de variétés et d'espèces, puis les populations.

Actuellement, une parcelle cultivée en France est généralement semée avec une seule espèce, elle-même constituée d'une seule variété homogène génétiquement, ce qui rend la culture vulnérable aux maladies et au stress climatique, car tous les individus de la parcelle sont identiques, avec les mêmes sensibilités.

Pour diminuer ces risques, de plus en plus d'agriculteurs mélangent dans une même parcelle soit des variétés différentes d'une même espèce, soit différentes espèces, par exemple des céréales et des légumineuses. Des milliers d'assemblages sont alors possibles à partir des variétés existantes. Par le choix du mélange qu'ils vont semer, les agriculteurs peuvent adapter chaque année le peuplement cultivé aux conditions locales de climat et de sol, à leurs pratiques et à leurs débouchés. Ils peuvent ainsi minimiser des risques. Dans le champ, les complémentarités entre variétés et espèces permettent une meilleure utilisation des ressources et une résistance accrue aux maladies. Une parcelle de mélange blé/pois produira un grain de bonne qualité avec une bonne teneur en protéines avec moins d'engrais grâce à la fixation symbiotique de l'azote de l'air par le pois.

Une seconde stratégie consiste en l'utilisation de populations qui seront autorisées à la commercialisation en agriculture biologique en 2022 sous le terme « matériel hétérogène biologique ». Dans ces populations, tous les individus d'une parcelle sont différents, ce qui à la fois confère des avantages de complémentarité en cas de stress et permet une évolution et une adaptation de la population au cours des cycles de récolte et de resemis.

De telles populations sont actuellement cultivées par les agriculteurs dans des programmes de sélection participative. Les analyses effectuées dans notre équipe par Isabelle Goldringer démontrent l'efficacité d'une telle sélection pour adapter localement les populations de blé tendre à des modes de culture sans pesticides ou intrants de synthèse. Cette grande diversité génétique déployée, qui est observée par de nombreux agriculteurs, permet également de repérer, dès les premières apparitions d'une nouvelle maladie, les individus résistants et de les sélectionner très rapidement. C'est donc aussi un moteur unique d'adaptation des cultures à l'émergence de maladies.

Pour développer ces nouvelles pratiques culturales, il est indispensable d'avoir accès aux ressources génétiques de nombreuses espèces et pouvoir ainsi sélectionner de nouvelles variétés et populations adaptées.

Ces adaptations demandent de combiner de nombreux caractères, par exemple l'architecture de la plante ou les résistances aux maladies, et chaque caractère est lui-même contrôlé généralement par de nombreux gènes.

Cette complexité génétique est donc gérée de façon très efficace par la sélection variétale classique et dès maintenant par les outils du marquage moléculaire. Pour que tous les acteurs de la sélection puissent répondre aux défis d'une agriculture sans pesticides et à faible impact sur le climat, il est donc essentiel de garantir l'accès le plus large possible à la diversité des variétés des populations développées.

C'est donc la place de l'édition du génome comme outil qui doit être ici questionnée, tant dans la nature des innovations proposées, qui peuvent être centrées sur le gène alors que nous avons une vision systémique, que dans l'impact de cette technique sur la propriété intellectuelle – le brevet sur les séquences –, qui risque de limiter l'accès aux variétés pour l'ensemble des acteurs de la filière.

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