Le 20 octobre 2020, le bureau de l'Office a décidé que serait réalisée une note scientifique consacrée aux enjeux sanitaires et environnementaux de la viande rouge. C'est donc une double thématique. Dans le sillage de la COP 21, la question de l'alimentation et de son impact sur l'environnement est devenue un sujet de débat. Pour preuve, dimanche dernier, une tribune de 20 députés, dans le journal L'Opinion, plaidait en faveur d'une moindre consommation de viande, voire d'une suppression complète. Cette note vise donc à analyser l'état des connaissances scientifiques sur cette double question, ainsi que les pistes faisant l'objet de recherches.
Pour la clarté du propos, je vais aborder successivement la dimension sanitaire et la dimension environnementale. Il est compliqué de voir d'emblée les deux en résonance. Pour les besoins de la note, le terme viande rouge, retenu dans son intitulé, a été pris comme signifiant viande hors volaille. C'est l'acception généralement retenue par l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES).
La viande rouge est un enjeu de santé, mais aussi un enjeu culturel, puisque la consommation de viande fait référence à des habitudes alimentaires ainsi qu'à des notions d'éthique, voire des questions religieuses. Je ne les ai pas abordées dans cette note. Cela pourrait être un sujet à part entière.
Dans la gastronomie française, les plats sont en général nommés selon leur composante en protéines animales. La viande y tient une place très importante. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la consommation de viande varie comme le niveau de revenus. Santé Publique France indique qu'il est recommandé de ne pas consommer plus de 500 grammes de viande rouge par semaine. Cependant, 41 % des hommes et 24 % des femmes dépassent cette limite posée par le Programme national nutrition santé.
Quelles sont les caractéristiques de la viande rouge ? Sa composition chimique se caractérise d'abord par sa richesse en fer héminique, qui est contenu dans l'hémoglobine et la myoglobine. La teneur en fer héminique varie selon le type de viande. Elle est de 69 % pour le bœuf, 39 % pour le porc et le veau. Les modes de cuisson peuvent influer sur la teneur en fer. Par exemple, faire bouillir la viande provoque une dégradation très importante du fer héminique. Celui-ci présente l'intérêt d'être facilement assimilable par l'organisme : selon l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), il représente 30 % du fer ingéré, mais 80 % du fer assimilé par l'organisme. Ces pourcentages sont inverses pour le fer d'origine végétale. Le risque généralement pointé d'une non-consommation de viande est l'anémie ferriprive. C'est un risque relativement faible : il ne concerne que 3 % à 4 % de la population, surtout des femmes en âge de procréer, et il apparaît essentiellement dans les outre-mer.
Quels sont les risques sanitaires liés à la consommation de viande ? Le fer héminique est le principal responsable de la cancérogenèse colique. Il provoque une réaction enzymatique et catalyse l'oxydation des lipides pour former des alcénals, qui provoquent des cassures de l'ADN par effet cytotoxique et génotoxique. Ainsi, en 2015, 2 031 cancers étaient liés à la consommation de viande rouge, et 4 380 cancers étaient liés à la consommation de charcuterie, qui a donc des impacts beaucoup plus importants. Nous en avons débattu très récemment à l'occasion de l'examen d'une proposition de loi de notre collègue député Richard Ramos. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) classe la viande rouge comme cancérogène. Au-delà de 100 grammes de consommation de viande rouge par jour, le risque de cancer augmente de 17 %.
Je vous présente un tableau qui montre les recommandations du Programme national nutrition santé (PNNS). Font partie des catégories d'aliments à réduire la charcuterie, les produits sucrés gras, les produits salés, l'alcool et les viandes – porc, bœuf, veau, mouton, agneau, abats, en fonction des recommandations. Pour mémoire, il est recommandé de ne pas consommer plus de 50 grammes de charcuterie par jour pour ne pas avoir d'effets négatifs sur la santé.
Le deuxième tableau concerne l'impact sur le cancer. Pour les remettre en perspective, les cancers liés à l'alimentation représentaient au total 18 781 cas en 2015, dont 2 031 liés à un excès de consommation de viande rouge et 4 380 liés à un excès de consommation de viande transformée. Le cancer du côlon et du rectum représentait 1 699 cas pour 332 cas de cancer du pancréas en 2015. Il faut rappeler que celui-ci engage le pronostic vital de façon bien plus défavorable que le cancer colorectal. Ces nombres sont un point d'inquiétude pour les spécialistes de la nutrition santé.
Quelques risques cardiovasculaires sont également associés à une trop grande consommation de viande, comme le risque d'AVC : augmenter de 100 grammes la consommation de viande rouge majore ce risque de 13 % ; la majoration atteint 42 % pour 100 grammes de charcuterie.
Les messages de modération diffusés par le Programme national nutrition santé sont diversement reçus par la population, une partie n'y étant absolument pas sensible. D'où l'intérêt des recherches entreprises pour essayer de limiter l'impact sanitaire de la viande au stade de sa préparation ou de son ingestion.
L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) de Toulouse mène des recherches sur les effets de l'absorption concomitante d'antioxydants, comme les polyphénols, qui permettent de bloquer l'oxydation du fer héminique sans en limiter l'absorption. L'absorption de calcium ou de chlorophylle permet également de bloquer cette oxydation, mais elle empêche l'absorption du fer. Il n'y a donc pas de bénéfice pour l'organisme. Les modes de préparation peuvent également influer. Ainsi, les marinades diminuent le risque, de même que l'adjonction de curcuma, mais celui-ci modifie profondément la couleur de l'aliment, ce qui n'est pas forcément accepté par le consommateur.
Des recherches sont également en cours dans des élevages et portent sur l'ajout d'antioxydants dans la ration des bovins. Les graines de lin, en particulier, permettent d'améliorer la composition de la viande et ont un effet bénéfique sur les émissions entériques des bovins.
Cependant, le faible niveau de preuve de ces études ne permet pas, pour l'instant, d'élaborer des messages sanitaires suffisamment fondés. Nous en sommes toujours au stade de la recherche, même si celle-ci est engagée sur des pistes intéressantes.
Le deuxième volet de la note porte sur les enjeux environnementaux de la viande rouge. Le débat sur le changement climatique a eu une forte influence sur l'élevage en France. Il oscille entre la prohibition et l'adaptation, comme le débat sur la consommation de viande. Les recherches sont nombreuses pour limiter les impacts de l'élevage. L'élevage ruminant, en particulier bovin, est en première ligne. Son bilan carbone est cependant très variable selon les conditions dans lesquelles il est réalisé, selon les modes d'élevage. En moyenne, l'élevage bovin émet 25 kilos d'équivalent carbone sous diverses formes pour produire 100 grammes de protéines. Cette quantité est comprise entre 9 et 105 kilos selon le type d'élevage, ce qui montre qu'il existe un réel potentiel d'optimisation de l'impact environnemental du point de vue du bilan carbone. La Food and Agriculture Organization (FAO) attribue à l'élevage 14,4 % des émissions de gaz à effet de serre. Dans ces émissions, on trouve du méthane provenant des fermentations entériques et des déjections ; du protoxyde d'azote provenant des engrais et également des déjections ; enfin du CO2, essentiellement produit par les machines agricoles et le transport.
Entre 1990 et 2017 on a observé une baisse du cheptel de vaches laitières, qui résulte essentiellement de la réorganisation des politiques encadrant la production laitière européenne. Pour le Boston Consulting Group (BCG), qui a publié un rapport à l'occasion du projet de loi Climat et Résilience, il conviendrait de diminuer de 25 % la taille de l'élevage français pour répondre aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, les vaches permettent aussi de produire du lait et de la viande à partir de ressources fourragères non utilisables par l'homme. Le questionnement porte donc aussi sur l'utilisation optimale des terres et l'aménagement du territoire.
Le tableau suivant présente des flux en masse, depuis la production végétale primaire jusqu'au produit fini. Les chiffres viennent de la FAO et permettent en particulier d'observer la part d'importation d'aliments pour animaux, essentiellement le tourteau de soja – qui est aussi une forme de déforestation importée. Le tableau permet également de constater que la France exporte une partie de ses produits végétaux primaires, essentiellement des céréales. Elle exporte et importe des produits transformés. 50 millions de tonnes sont utilisées pour la population métropolitaine, dont 15 millions de tonnes pour les produits animaux et 35 millions de tonnes pour les produits végétaux. Cela représente la totalité de la consommation.
En matière d'émissions de gaz à effet de serre, on observe : l'impact de l'ammoniac, pour plus de 30 millions de tonnes en équivalent tonnes CO2 ; la fermentation entérique, premier poste, avec près de 45 millions de tonnes ; les effluents d'élevage qui produisent du méthane, pour plus de 10 millions de tonnes ; enfin, la consommation d'énergie qui est une contribution relativement faible comparée aux autres sources. Notons également – cela fait partie du débat qui a eu lieu récemment dans l'hémicycle – les émissions liées à l'utilisation des engrais, dont un peu plus de la moitié en équivalent CO2 pour leur fabrication et une partie résultant des émissions de protoxyde d'azote au moment de l'épandage dans les champs.
Comment mesurer les impacts de l'élevage sur l'environnement ? Les agronomes proposent de porter un regard large sur le sujet, en prenant par exemple en compte l'entretien des prairies qui en fait des puits de carbone, au même titre que les forêts. Ils proposent une approche au travers de cinq paramètres : les gaz à effet de serre et le stockage du carbone ; la qualité des eaux et de l'air ; l'emploi des ressources naturelles ; l'usage des terres ; l'impact sur la biodiversité.
Je vais illustrer cette approche par quelques exemples. Pour le cycle du carbone, les vaches au pâturage provoquent certes des émissions de gaz carbonique et de méthane, mais les rejets permettent d'alimenter le cycle du carbone, et notamment d'augmenter son stockage dans les sols. C'est un enjeu important.
Un autre impact de l'élevage est l'empreinte eau. Il existe une segmentation des usages de l'eau : l'eau dite « bleue » sert à l'abreuvement des animaux et représente 3,6 % du total ; l'eau dite « verte » – eau de pluie – qui tombe sur les prairies et fait pousser les fourrages, représente près de 94 % de la quantité d'eau utilisée par les animaux ; l'eau dite « grise » est une eau virtuelle provenant de l'effet de dépollution des prairies sur les eaux.
Des risques sont liés à une trop forte densité d'animaux, comme l'eutrophisation des rivières et les nitrates qui se retrouvent dans les nappes phréatiques – on peut avoir les deux selon le mode de conduite de l'élevage.
Une autre illustration de l'impact sur la biodiversité est un sujet qui a fait débat il y a quelques années, à savoir la valorisation des déjections par les insectes coprophages, qui sont à la base d'un véritable écosystème, notamment dans les prairies d'alpage. À l'époque, les produits vermifuges étaient remis en cause car ils tuaient indirectement les insectes coprophages lorsqu'ils se fixaient sur leurs ressources alimentaires, c'est-à-dire les bouses de vache. Ces produits cassaient toute la chaîne, tout l'écosystème qui se construisait derrière.
Quels sont les leviers d'action pour réduire les gaz à effet de serre ? Plusieurs mesures sont proposées : réduire la déforestation importée en accroissant l'utilisation de légumineuses et en cherchant une plus grande autonomie fourragère des exploitations d'élevage françaises, ce qui est actuellement l'un des axes forts de la politique du ministère de l'Agriculture ; développer des techniques de culture sans labour et améliorer la gestion des prairies afin d'en maximiser la fonction de stockage de carbone ; réduire l'utilisation des engrais de synthèse au profit d'une meilleure valorisation des engrais organiques ; développer l'agroforesterie et la plantation de haies qui permettent de fixer davantage de carbone ; développer l'agriculture biologique, globalement favorable à un meilleur cycle du carbone et à un moindre impact sur l'environnement.
Un tableau de l'INRAE retrace quelques-unes des pistes dans lesquelles des travaux sont engagés. Par exemple, l'accroissement du pâturage dans les prairies permanentes est très favorable au stockage du carbone. D'autres pistes sont à l'étude. De façon plus indirecte, la réduction des émissions dans les élevages peut être favorisée par le stockage des effluents dans des contenants couverts fermés, par l'installation de torchères pour brûler le méthane issu des fermentations et par l'installation de méthaniseurs qui valorisent les déjections animales.
Des pistes et des projets industriels émergent pour valoriser les déchets gras de l'industrie alimentaire en les transformant en biocarburant, dans le but d'améliorer globalement le cycle du carbone sur l'ensemble de la filière. Existent également des pistes pour améliorer la fermentation entérique dans le rumen par l'apport de lipides insaturés. Il s'agit en particulier de l'apport de graines de lin en substitution des tourteaux de soja. Certaines pistes sont plus directes et travaillent sur la génétique des bovins pour améliorer leurs caractéristiques de rumination, réduire l'âge du premier vêlage – ce qui permet d'améliorer le bilan carbone sur l'ensemble du cycle de vie d'un animal –, favoriser les vêlages de printemps, qui sont également plus favorables, ou réduire la durée d'engraissement des animaux mâles en produisant des animaux plus légers.
Avant de finir, je voulais, à titre plus anecdotique, vous faire part d'expérimentations intéressantes de renaturation, de retour à la nature sauvage. Un programme européen est en cours aux Pays-Bas, en Roumanie et au Portugal où, pour recréer un écosystème sans intervention humaine, on utilise de gros bovins, en tout cas de gros ruminants, pour structurer la masse végétale forêt/herbage et permettre ensuite à une chaîne de biodiversité de s'installer. Dans ce cas d'école, évidemment, c'est l'homme qui s'efface.
Une photo pour conclure : quelles sont les tendances de fond de la consommation de viande en France ? Le maximum de consommation a été atteint dans les années 1980-1990. On observe depuis une érosion, de l'ordre de 12 % ou 13 % ces dix dernières années, avec une forte baisse pour la viande bovine ; la viande porcine affiche une baisse moins marquée ; la viande de mouton connaît un fort recul ; en revanche, la viande de volaille augmente de façon importante.
La réduction de la consommation de viande est une donnée structurelle qui est déjà engagée, et nous consommons plus de viande blanche que de viande rouge. Cette évolution va dans le sens – et c'est heureux – des recommandations du Programme national nutrition santé. En revanche, du côté de la production, il existe beaucoup de marges pour améliorer l'empreinte carbone de l'élevage français. Il convient de ne pas négliger l'ensemble des composantes de ce bilan, en particulier pour l'élevage à l'herbe.