Je suis ravi de voir les nombreux commentaires et questions constructives des collègues. C'est un sujet qui passionne, nous avons vraiment bien fait de l'aborder. Je vais y ajouter quelques remarques et recommandations et je sais qu'Antoine Herth s'efforcera d'incorporer les remarques qui ont déjà été formulées.
Je m'associe à ce qui a été dit. Tout y est dans cette note, à quelques questions de périmètre près. C'est donc une note qui incorpore beaucoup de critères, beaucoup de sujets. Il faut arriver à l'organiser de la façon la plus claire et la plus accessible. Il s'agit d'un sujet d'abord culturel et, d'ailleurs, la note commence par cette dimension. En France, le sujet est encore plus sensible qu'ailleurs, notamment en raison de notre tradition culinaire. Pour information, la France compte trois fois moins de végétariens que la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou l'Italie.
De nombreux avis scientifiques ont été rendus sur la consommation de viande. Par exemple, l'Académie nationale des sciences américaine a depuis longtemps déjà rendu un avis dans lequel elle estime que l'alimentation végétarienne est parfaitement propre à assurer une bonne santé, y compris une bonne croissance, à condition que les apports protéiques soient bien réalisés sous certaines formes. Du côté de la France, nous en sommes encore au stade où l'ANSES a lancé un appel à la constitution de groupes de travail. En France, un pays où l'un des plus anciens livres de cuisine connu s'appelle Le Viandier, le débat est bien plus difficile que dans d'autres pays.
L'enjeu est aussi de bien définir les concepts. À cet égard, commencer la note en disant que la viande rouge est un concept culturel est bien. Attention cependant à ne pas évacuer la définition chimique.
Pour ce qui concerne la couleur de la viande, l'industrie agroalimentaire a suscité au moins deux polémiques que l'on peut dire « classiques ». La première se rapporte à la couleur rouge ou rosée de la charcuterie : dans leur récent rapport d'information sur les sels nitrités dans l'industrie agroalimentaire, les députés Richard Ramos, Barbara Bessot-Ballot et Michèle Crouzet estiment que l'une des fonctions majeures des additifs nitrités est de donner une couleur rouge « appétissante » à la charcuterie, bien plus que garantir l'innocuité contre le botulisme et autres risques.
La seconde concerne la couleur de la viande de veau. Ce que je vais dire n'est pas polémique dans le sens où c'est officiellement visible sur le site Internet du ministère de l'Agriculture, bien que, personnellement, cela me choque. Bien souvent, le veau d'élevage est anémié à dessein. Les carences en fer sont organisées précisément pour que la viande ait une couleur aussi pâle que possible. Le veau, avec une alimentation normale, a une couleur rosée. Le veau anémié a une couleur blanche. La seule justification – c'est indiqué sur le site du ministère de l'Agriculture – est la satisfaction du consommateur.
En termes de bien-être animal, cela pose des questions majeures. Certains auteurs ont considéré que cet élevage est l'un des plus terribles qui soit sur le plan éthique. Ce n'est pas forcément le sujet de la note, mais ce débat sur la couleur rouge ou pas, le sujet de l'élevage du veau, est bien là. C'est ce à quoi m'a fait penser l'évocation du curcuma, excellent condiment mais dont l'acceptabilité est faible dans la mesure où il affecte la couleur rouge de la viande. Ici comme ailleurs, quand nous disons « acceptable », il faut être clair : parlons-nous du critère de santé, du critère de l'appétence du consommateur ou d'autres critères ? Pour l'OPECST surtout, il faut déterminer ce que nous entendons par « acceptable ».
Même si la note inclut la viande de porc dans le périmètre de la viande rouge, elle se concentre sur le bovin plus que sur les autres mammifères. Ceci est parfaitement légitime car, tant en matière d'impact environnemental que de gaz à effet de serre, d'aménagement des pâturages, de déforestation importée, etc. l'élevage bovin a les impacts les plus importants. C'est moins évident pour ce qui concerne la pollution. Le débat sur ce dernier sujet est très animé en Bretagne, mais nous n'allons pas nous y lancer maintenant. C'est moins évident également si l'on inclut dans la notion d'environnement le critère du bien-être animal. Celui-ci n'est pas tellement problématique pour l'élevage bovin, il l'est beaucoup plus pour l'élevage porcin. Donc lorsque nous parlons d'environnement, quel périmètre donnons-nous à ce mot ? Cela se limite-t-il au paysage et au bilan carbone ? Si cela exclut le bien-être animal, disons-le clairement, parce que c'est un tout autre débat, pour lequel il est impossible de ne pas évoquer le cas du porc, qui est l'un des plus sensibles.
La question des labels a été évoquée, à très juste titre, par l'un de nos collègues. Il faut là aussi être clair sur le fait que la note exclut cette question de son périmètre.
Chacun sait que la méthode d'évaluation d'un impact environnemental est sujette à débat. Il faut donc être très rigoureux. Je prends pour exemple l'étude du Boston Consulting Group (BCG) mentionnée par la référence bibliographique n° 26. Vous n'ignorez pas que le BCG a fait l'objet de certaines controverses. Or son travail s'appuie forcément sur des études scientifiques. Autant citer directement les études sur lesquelles il se fonde. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a aussi pris position pour la réduction de la viande rouge dans l'alimentation, se basant sur d'autres chiffres. Référons-nous autant que possible aux sources et aux articles originels.
J'attire l'attention sur l'intérêt de donner aux éléments chiffrés leur précision la plus pertinente. Lorsqu'il est avancé qu'en France, en 2015, 4 380 cancers étaient attribuables à la consommation de viande transformée et 2 031à la consommation de viande rouge, il ne s'agit pas d'un diagnostic – relatif à la pathologie – mais d'une estimation – relative à sa cause. La précision d'une telle estimation n'est donc pas l'unité. Il vaut mieux dire « environ 2 000 » plutôt que « 2 031 ». Si la précision affichée excède ce qui est pertinent, le débat est faussé. C'est le matheux qui parle.
Dans le même registre, les conclusions que l'on peut tirer d'une analyse de cycle de vie sont très variables selon les paramètres utilisés – cela a donné lieu à quelques débats dans l'hémicycle ces jours-ci. Si l'on s'intéresse à l'efficacité seulement, l'analyse de cycle de vie pousse à des croissances rapides. Pour les animaux, ceci signifie des durées de vie courtes, avec des répercussions évidentes en termes de condition animale. Ce n'est pas le débat ici, mais il est clair qu'un poulet abattu après quarante et un jours en élevage intensif a un bien meilleur bilan au regard du cycle de vie que le poulet Label rouge qui a une durée de vie et d'élevage bien plus longue. Il faut donc faire attention à la méthode utilisée, l'afficher et dire quels critères ont été retenus.
Gérard Longuet disait : « Pourquoi pas deux notes ? » Pourquoi pas, en effet ? Mais à tout le moins, clarifions encore davantage le périmètre, les définitions, les critères, les enjeux de la note présente. Ceci lui permettra d'ailleurs d'améliorer sa visibilité et de la rendre plus accessible.
Un dernier point, à propos de la corrélation entre consommation de viande et niveau de vie, avec la référence faite à une étude de l'OCDE. C'est certainement une chose à nuancer. Les études montrent qu'en France, les personnes ayant de bas revenus ont une consommation de viande supérieure aux autres. Des études similaires existent aux États-Unis, dont l'une, spectaculaire, faite à partir d'analyses de la composition protéique des cheveux, qui montre une consommation de protéines animales plus élevée pour les bas revenus que pour les hauts revenus. Selon que les classements sont effectués entre pays ou, au sein d'un même pays, par catégories socioprofessionnelles (CSP), ils sont différents. Ce sont les grandes complexités qui résultent de ce qui est avant tout une pratique culturelle, avec de nombreuses composantes.