Intervention de Dominique Salmon-Céron

Réunion du jeudi 8 avril 2021 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Dominique Salmon-Céron, présidente du groupe de travail sur le Covid long à la HAS :

Je suis professeur en maladies infectieuses et tropicales à l'AP-HP, Université de Paris, et je coordonne une consultation sur le Covid long. J'ai présidé aussi le groupe d'experts qui a rédigé les recommandations récentes de la HAS. L'Hôtel-Dieu de Paris a été un centre d'accueil en ambulatoire au début de l'épidémie de Covid-19. À la fin de la première vague, des patients sont revenus avec des symptômes qui persistaient. Nous avons donc ouvert une consultation spécialisée qui nous a permis de prendre le temps nécessaire pour recueillir tous les symptômes déclarés par ces patients, les classifier et établir les diagnostics correspondants. Nous avons travaillé avec différents spécialistes de façon multidisciplinaire et avons pris contact avec des unités de recherche à la fois fondamentale, en sciences sociales, en psychiatrie, sur différents aspects. La majorité des patients ont accepté d'intégrer un protocole de recherche observationnelle, et pour 200 d'entre eux le recul approche désormais un an.

Les symptômes ont déjà été bien décrits par les orateurs précédents. Je rappellerai juste qu'ils sont très variés et que ceux qui prédominent sont cette fatigue souvent majeure, des signes neurologiques et des signes cardiothoraciques. Mais il existe aussi d'autres signes : digestifs, cutanés, vasculaire. Presque tous les organes sont atteints.

Concernant les facteurs de risque, ces symptômes touchent en majorité des femmes, pour 75 à 80 %, des sujets d'âge moyen, environ 45 ans, assez souvent allergiques. Très peu de nos patients, 10 %, ont été hospitalisés, ce qui peut être dû au fait que nous étions un centre d'accueil ambulatoire lors de la première vague.

L'une des caractéristiques des symptômes déjà mentionnés est qu'ils évoluent de façon fluctuante, avec une alternance de périodes calmes et de périodes d'exacerbation. Ces résultats ont été publiés récemment dans Journal of Infection.

Les enfants ne figurent que très peu parmi ces patients, ce qui est confirmé par les collègues pédiatres que j'ai interrogés. Mais les enfants plus âgés, notamment les adolescents, représentent malgré tout un nombre faible, mais croissant, des appels que nous recevons, avec des conséquences sur leur comportement scolaire qu'il faudra certainement analyser.

Avec le recul actuel d'un an, qui reste insuffisant, nous constatons une amélioration globale, mais certains symptômes, tels que les signes neurologiques, peuvent persister. Or nous constatons maintenant des conséquences non médicales très importantes : professionnelles ou financières, avec l'impossibilité pour certains de reprendre leur travail, le coût des soins, quelquefois la nécessité de changer d'emploi, voire la perte d'emploi, et avec l'entourage.

Nous trouvons des similitudes entre les symptômes de Covid long et certains syndromes post-viraux, comme après la mononucléose infectieuse, en particulier l'existence d'une fatigue chronique majorée par l'effort. Mais, globalement, les tableaux de Covid long sont beaucoup plus complexes et plus sévères.

Par ailleurs, dans les syndromes post-viraux, les examens réalisés sont en général normaux. Dans les Covid, il existe parfois des signes objectifs d'atteinte aux organes. Les tests neurocognitifs objectivent des atteintes cognitives, des troubles de la concentration, des troubles de la mémoire, des troubles de l'attention. Des tests spécialisés trouvent également une réduction du métabolisme cérébral dans certaines zones profondes du cerveau. Des troubles du système nerveux autonome sont parfois objectivés : les atteintes du cœur comme des péricardites, des myocardites, des troubles de l'odorat. Il est donc vraiment important d'établir au plus vite la nature des mécanismes à l'origine de ces symptômes, car c'est une condition indispensable à la mise au point d'un traitement adapté.

Quelles sont les hypothèses actuelles ? La première hypothèse est celle d'une persistance virale faible dans des réservoirs difficiles à déceler. Les travaux préliminaires avec l'Institut Pasteur et d'autres équipes, à la fois chez l'homme et chez l'animal comme le cobaye, vont dans ce sens. Mais ils sont très préliminaires et doivent être confirmés sur un plus grand nombre de patients et avec de bons témoins.

La deuxième hypothèse est celle d'une réponse immunitaire non adaptée ou insuffisante. En effet, il est constaté que la moitié des patients environ ne développe pas d'anticorps contre le virus ou a développé des anticorps à des taux tellement faibles qu'ils ont disparu quand nous les testons.

La troisième hypothèse est celle d'une inflammation persistante dans certains organes, notamment peut-être les petits capillaires sanguins, qui expliquerait que les troubles soient fluctuants. Ils ne touchent pas directement l'organe, mais peut-être sa vascularisation. Mais c'est encore vraiment une hypothèse.

Il peut exister des facteurs génétiques, hormonaux, voire auto-immuns associés.

Enfin, la dernière hypothèse est celle de troubles psychosomatiques. C'est une hypothèse qui doit être explorée, car il est vrai que, devant ces symptômes qui persistent, nous retrouvons souvent une anxiété, voire plus rarement une dépression, et celles-ci peuvent participer à l'entretien des symptômes. Ces troubles sont malgré tout inconstants et semblent davantage pour moi être la conséquence plutôt que la cause de leur survenue.

Où en sommes-nous maintenant concernant la prise en charge des patients ? À l'heure actuelle, il n'existe malheureusement pas de traitements antiviraux efficaces. La prise en charge repose sur quatre piliers.

Le premier est celui des traitements symptomatiques pour soulager les patients et, à ce titre, les anti-inflammatoires sont parfois efficaces et non contre-indiqués.

Le deuxième pilier est la rééducation. Elle est très importante et peut prendre la forme d'une rééducation respiratoire pour les syndromes d'hyperventilation, olfactive, psychocognitive très prolongée, ou de sport.

Le troisième pilier est la participation du patient : il s'agit de l'informer de façon aussi précise et complète que possible pour lui apprendre à reconnaître lui-même les facteurs qui déclenchent les crises et les éviter. C'est un apprentissage à l'autogestion de sa maladie.

Enfin, le quatrième pilier est la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs, voire psychosomatiques quand ils sont présents.

Selon les données publiées au Royaume-Uni, et bientôt en France, il existe plusieurs centaines de milliers de patients atteints. Tous ne peuvent être dirigés vers des centres de prise en charge spécialisée. En France, il est donc indispensable que la médecine de ville, au même titre que les médecins hospitaliers, puisse prendre en charge les Covid longs. C'est ce qui a guidé l'esprit des recommandations de la Haute Autorité de Santé. Cependant, certaines situations resteront complexes ou difficiles à gérer, et il est nécessaire que des réseaux et des circuits de soins soient organisés et que quelques centres de prise en charge spécialisée soient définis, qui pourraient reposer sur des services de rééducation et des médecins ayant une expertise dans cette prise en charge.

Pour conclure, les symptômes sont aujourd'hui de mieux en mieux décrits, mais leurs conséquences sur le long terme et leurs causes restent en grande partie inconnues. Les priorités, selon moi, sont de renforcer la recherche sur l'origine de ces symptômes, car c'est la condition indispensable à la mise au point d'un traitement efficace, et d'organiser des parcours de soins adaptés aux patients Covid long sur l'ensemble du territoire.

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