Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, président de l'Office :

. – Je redis ici la qualité de l'audition et la qualité de cette note de synthèse. Félicitations aux rapporteures. Je vous rappelle que l'audition a été réalisée en partie en traduction simultanée. Les conditions étaient assez complexes et la qualité du rendu est remarquable. Je souhaite juste vérifier que la synthèse cite explicitement tous les intervenants des tables rondes, à un moment ou à un autre. J'attire également votre attention sur une proposition de résolution à venir du Modem, portée par Frédérique Tuffnell, visant à inciter le gouvernement à agir en faveur de la création d'aires marines protégées en Antarctique et dans laquelle Jimmy Pahun s'est largement impliqué. Il sera important de la suivre et, le moment venu, de participer à la discussion afin d'exprimer la position de l'OPECST par la voix d'Huguette Tiegna. Je crois comprendre que l'examen de cette proposition est prévu pour le mois de juin, mais la date n'est pas encore connue. Si le Sénat souhaitait la reprendre, nous en serions bien sûr ravis, tout cela étant en cohérence avec la date de mi‑juin à laquelle la France prendra la présidence de la RCTA.

En ce qui concerne la synthèse des auditions, je ferai les remarques suivantes. D'abord, nous pouvons signaler que les scientifiques eux‑mêmes nous avaient sensibilisés à ce rendez‑vous. C'est bien de le saluer. Nous sommes toujours ravis de répondre aux attentes d'une demande, soit politique, soit scientifique.

Les cartes sont très intéressantes. Dès le début, on parle du Conseil de l'Antarctique, du Conseil de l'Arctique. On comprend qu'il y a des similitudes et des différences importantes. D'un côté, il y a des États consultatifs et non consultatifs, de l'autre, les États du Conseil et les États observateurs. Il serait intéressant d'avoir, même si nous n'en avons pas discuté en détail, soit en note de bas de page, soit en appendice, une comparaison des deux systèmes. Géographiquement, le contraste est très bien expliqué. J'aimerais que l'on en dise un peu plus sur les systèmes de gouvernance. Dans un cas, il y a un moratoire sur l'exploitation ; dans l'autre cas, au contraire, l'exploitation augmente. Il serait intéressant d'avoir, du point de vue politique, une brève comparaison.

Au cours de l'audition publique, plusieurs intervenants ont exprimé leurs inquiétudes sur les évolutions observées aussi bien en Arctique qu'en Antarctique. Même si celles‑ci ont été décrites clairement, il serait bien de les souligner davantage : inquiétudes sur l'impact de l'exploitation minière, des forages, de la course aux hydrocarbures, des conditions dans lesquelles cela se fait, de la pollution qu'elle induit. On nous a parlé de rivières qui prennent feu dans des contextes très pollués, etc. Il faudrait insister également sur l'impact du tourisme en Antarctique, notamment avec le développement du tourisme chinois. Enfin, il faut insister sur la mise en danger des peuples autochtones Il me semble qu'il serait légitime d'ajouter une recommandation supplémentaire pour tenir compte de ces inquiétudes.

Les grands points de la conclusion sont de renforcer les moyens logistiques et financiers de la recherche, de renforcer les coopérations et de définir une stratégie polaire nationale ambitieuse. Il me paraît important d'ajouter que l'un des enjeux est aussi, pour la France, d'avoir une stratégie d'influence pour renforcer la protection de l'Arctique et de l'Antarctique sur les trois sujets que nous avons évoqués. Cet enjeu est évidemment lié au précédent, parce sans une stratégie nationale forte, la France ne sera pas crédible pour influer sur les autres parties prenantes, mais cette stratégie d'influence pourrait être explicitement visée dans les objectifs que la France doit se donner. Il est bien expliqué aussi que la Russie comme la Chine incitent à une exploitation croissante des ressources halieutiques en Antarctique, sachant que la Chine serait peut‑être prête à y renoncer si la Russie abandonnait ses prétentions.

Concernant la biodiversité, je suggère d'insérer un paragraphe spécifique, même s'il est bref, sur ce qu'apporte l'étude de la biodiversité. Il est bien expliqué comment on peut l'étudier sans la perturber. On peut développer le passage sur la robotique, parce que c'est spectaculaire, comme le petit robot qui se déguise en bébé manchot. Il faut aussi insister sur ce que cela peut avoir d'intéressant. Un thème qui est mentionné, mais qui pourrait être davantage abordé, concerne le fait que les pôles sont des réservoirs de spéciation, d'apparition de nouvelles espèces, peut‑être sous l'influence des conditions extrêmes. De façon générale, les conditions extrêmes font que les pôles sont particulièrement intéressants pour les enjeux climatiques, mais aussi pour les enjeux de biodiversité en tant que tels. Comme le dit très bien la note, les pôles sont aussi un laboratoire d'innovations, avec des éléments sur le repérage, le RFID et le GPS.

Sur l'histoire française, dans la lignée de la grande tradition d'exploration, j'aurais aimé que l'on dise quelques mots, bien que ce ne fût pas abordé dans l'audition, sur les motivations de cette exploration. Il me semble qu'il existe en particulier un idéal d'exploration de la France ‑ l'idéal universaliste ‑ et qu'un lien peut être fait entre le passé et le présent, même au plan symbolique, en rappelant par exemple que L'Astrolabe était le nom du navire de Dumont d'Urville, qui portait lui‑même le nom du navire de La Pérouse. La note pourrait encore davantage insister sur le fait qu'aujourd'hui, la France ne rend pas honneur à cette grande tradition d'universalisme et de connaissance qui l'a animée et l'a poussée à faire partie des grandes nations polaires, aussi bien au niveau des moyens accordés à la science qu'au niveau des ambitions et des idéaux qu'elle défend. On pourrait parler de trahison.

La note évoque l'excellence de la recherche française reconnue internationalement. Le terme est trop faible. Les chiffres que vous évoquez prouvent qu'elle n'est pas seulement reconnue internationalement, elle est vraiment l'un des premiers acteurs mondiaux. C'est une raison supplémentaire de donner à la recherche, à nos chercheurs et à nos chercheuses, les moyens de leurs ambitions.

Le lien avec le précédent rapport de l'OPECST est bien fait. Je n'ai rien à redire.

Laure Darcos évoquait tout à l'heure l'excellente intervention d'Olivier Poivre d'Arvor. Nous avons réalisé des comparaisons internationales, mais elles sont assez compliquées parce que les périmètres ne sont pas exactement les mêmes. Il me semble que se dégageait de cette audition l'idée que les ajustements financiers nécessaires ne représentent pas des progressions de 10 ou 15 %, mais de l'ordre d'un facteur 2. Nous sommes la seule grande nation de recherche à ne pas avoir de navire brise‑glace et nos équipements sur place sont délabrés par rapport aux autres. Je pense qu'il faut être plus ambitieux sur les recommandations en termes budgétaires, pour dire clairement que le compte n'y est pas, d'un facteur 2 ou 3. En comparant avec les investissements énormes réalisés dans d'autres secteurs stratégiques, c'est juste incompréhensible. Olivier Poivre d'Arvor fait la comparaison avec les équipements militaires. Il dit que le budget de l'IPEV représente une mini‑fraction de ce qui est dépensé pour la défense. La comparaison est justifiée au sens où les intérêts stratégiques et géostratégiques sont aussi considérables et qu'il y a donc lieu d'investir dans ce domaine.

Vous n'avez pas mentionné la visite de la ministre de la recherche en Antarctique. Nous pouvons la mentionner : c'est une preuve supplémentaire du décalage entre les ambitions affichées et ce qui est réalisé sur le terrain. Une ministre se rend sur place pour la première fois depuis longtemps. Où est ensuite le budget qui va de pair ? Il faut insister sur le fait que la France ne sera pas crédible, dans sa stratégie d'influence géostratégique, si elle ne met pas elle‑même les moyens.

Quand il est dit que « la recherche pourrait jouer un rôle clé pour comprendre le réchauffement climatique », j'aimerais que soit mentionnée aussi l'étude sur la biodiversité et le vivant, soit dans une section supplémentaire, soit dans le titre. À la simple lecture des titres, la biodiversité et le vivant n'apparaissent pas. Il faut insister sur le sujet. Il existe toute une tradition dans ce domaine et il y a des équipes de naturalistes et de biologistes très importantes, dont fait partie Yvon Le Maho.

J'aimerais que ressorte également cette idée que les pôles sont un secteur clé pour la médiation et la culture scientifiques. Certains reportages ont été spectaculaires, par exemple sur ces robots ou sur l'étude des manchots, mais de façon générale, nous pouvons faire le parallèle avec l'espace. L'espace et l'Antarctique sont les deux seuls endroits qui ont une certaine gouvernance internationale, avec un moratoire, mais ils sont aussi deux espaces particulièrement intéressants pour la recherche en conditions extrêmes et pour la vulgarisation. Angèle Préville avait réagi lors de l'audition, en disant que l'évolution des proportions de CO2 à travers les âges était plus frappante que n'importe quel discours. Je pense que nous devrions insister sur ce point. J'avais relevé lors de l'audition que le navire britannique s'appelle le Sir David Attenborough, du nom du plus grand vulgarisateur scientifique britannique, ce qui montre le rôle des pôles dans la médiation scientifique.

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