Intervention de Bernard Doroszczuk

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

Le robot avait déjà été mis en œuvre par Westinghouse à l'étranger. En France, une telle opération de réparation des soudures par l'intérieur des tuyauteries n'avait jamais été réalisée avec un robot. Le robot a été qualifié pour la dimension des tuyauteries et des soudures à réaliser. Les opérations ont consisté à enlever une manchette sur le circuit secondaire, de manière à pouvoir faire entrer le robot ainsi qu'un soudeur, parce qu'il a fallu faire à la main une phase d'accostage que le robot ne pouvait faire seul. Pour vous donner un exemple de la complexité de l'opération, le soudeur est entré dans la tuyauterie avec une combinaison réfrigérée, la température interne étant de 150 degrés.

Tout ceci s'est déroulé, pour une première soudure, de manière satisfaisante. La machine de soudage automatique est maintenant en place et réalise les premières soudures suivant les procédés qui ont été qualifiés et mis en œuvre par Westinghouse. Le processus de validation du procédé de soudage a été très long, suivi de l'entraînement des soudeurs et de la vérification des paramètres. Il a maintenant débuté sur les huit soudures de traversée d'enceinte. C'est la partie la plus complexe de la réparation. Une cinquantaine de soudures du circuit secondaire restent à réparer et une trentaine de soudures du circuit d'alimentation, soit environ 80 soudures au total. Si tout se passe bien, ces opérations de réparation vont se poursuivre jusqu'au début de 2022. La réparation de ces soudures est clairement sur le chemin critique du projet. Il n'y a plus de marge par rapport à l'objectif d'EDF d'obtenir une autorisation de mise en service pour fin 2022.

En mars dernier, nous avons été informés d'une nouvelle non-conformité en matière de soudage, qui ne concerne pas les soudures du circuit secondaire, mais certaines soudures de piquage présentes sur le circuit primaire principal, le circuit en eau sous pression qui est en contact direct avec le cœur du réacteur et les générateurs de vapeur. Trois soudures n'ont pas été réalisées conformément à ce qui était prévu à la conception : elles ont une dimension plus grande. Leur rupture n'est pas prise en compte par la démonstration de sûreté initiale, qui prenait en compte des soudures de piquage de dimension moindre. Après vérification, les soudures réalisées ne remplissent pas la totalité des critères qui sont exigés pour pouvoir bénéficier de la fameuse clause d'exclusion de rupture. La qualité des soudures n'est pas telle que l'on puisse postuler une très faible probabilité pour qu'elles se rompent, et nous ne pouvons exclure leur rupture. Il faut donc bien évidemment les consolider ou les réparer.

EDF est en train de réfléchir aux stratégies possibles pour remettre en état l'installation. Trois options sont étudiées : consolider les piquages, en mettant en place des colliers de maintien démontables permettant de limiter les conséquences d'une éventuelle rupture, couper et remplacer les tronçons comportant ces piquages, ou réparer les soudures pour qu'elles puissent remplir les critères de la clause d'exclusion de rupture. Ces trois options n'ont absolument pas le même impact sur le projet. Seule la première permettant d'espérer une mise en service de l'EPR avant fin 2022, elle est privilégiée par EDF. Nous prendrons position sur sa faisabilité durant l'été.

En ce qui concerne la politique énergétique de la France et le besoin de marges pour la sûreté, je confirme la position assez ancienne de l'ASN : il faut maintenir des marges sur le système électrique pour pouvoir faire face à des risques en termes de sûreté. Nous l'avons vu par le passé, nous ne pouvons pas exclure un aléa qui nous conduirait, pour des raisons de sûreté, à arrêter un, voire plusieurs réacteurs. Il faut que le système électrique dispose de marges, notamment pour faire face aux situations hivernales qui sont les plus tendues. Les interconnexions internationales des réseaux peuvent évidemment être utilisées pour compléter les marges françaises, mais elles doivent pouvoir être valorisées. Un exemple est souvent cité : si ces interconnexions permettent d'alimenter le réseau électrique national du fait de la production électrique éolienne à l'étranger et qu'il n'y a pas de vent, elles ne sont pas opérantes et ne donnent pas de solution.

Il faut donc rester prudent. C'est le deuxième message. Non seulement il faut des marges, mais il faut rester prudent parce que nous ne pouvons garantir qu'en situation de risque pour le réseau électrique, la France pourra bénéficier du soutien de productions étrangères. Divers dispositifs permettent d'alléger la demande d'électricité adressée au réseau ; RTE peut les actionner en tant que régulateur. Par exemple, des coupures peuvent être organisées. Ces éléments doivent être pris en compte pour faire face à une situation tendue sur le réseau électrique, parce qu'il ne faudrait pas – telle est notre préoccupation – qu'une situation tendue influence ou conditionne les décisions que nous aurions à prendre en matière de sûreté nucléaire. Il faut des marges pour la sûreté, pour qu'il n'y ait pas de doute sur notre capacité à agir.

Sur le plus long terme, non seulement il faut des marges, mais il faut aussi anticiper. Les centrales nucléaires ne sont pas éternelles. Elles devront être mises à l'arrêt. Si les projections faites aujourd'hui dans le cadre de la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie, qui postulent la possibilité de disposer de capacités de production électrique renouvelable suffisantes, ou si les marges dégagées par les politiques d'efficacité énergétique permettant l'arrêt des réacteurs n'étaient pas au rendez-vous, il ne faudrait pas que la conséquence soit la prolongation du fonctionnement des réacteurs actuels. C'est pourquoi il faut absolument anticiper. On rejoint la problématique des cuves évoquée précédemment. Il faut donc anticiper les recherches et le débat sur ce sujet, pour savoir exactement ce qu'il en sera et prendre des décisions en conséquence.

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