Intervention de Bernard Doroszczuk

Réunion du jeudi 27 mai 2021 à 8h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Bernard Doroszczuk, président de l'Autorité de sûreté nucléaire :

. ‑ En termes industriels, le projet ITER, d'envergure mondiale, est certainement le plus avancé.

Je continue maintenant sur les questions relatives aux matières radioactives, à leur valorisation et à l'uranium appauvri.

Nous avons récemment, toujours dans une approche de précaution, émis un avis sur les matières dans le cadre de l'élaboration du cinquième PNGMDR. Nous avons essayé d'y définir un certain nombre de principes pour l'appréciation du caractère valorisable des matières, qui pourraient guider les pouvoirs publics. Ce n'est pas de la responsabilité de l'ASN, mais de celle de la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) et de la direction du Trésor. En France, nous avons ce double régime : tant qu'une matière est considérée comme valorisable, elle est désignée comme matière et il n'est pas nécessaire de provisionner des charges de long terme pour sa gestion. En revanche, si elle n'est plus considérée comme valorisable, elle devient un déchet.

L'avis de l'ASN définit trois principes. Tout d'abord, nous pouvons raisonnablement estimer qu'une matière est valorisable s'il existe ou s'il est réaliste d'espérer avoir une filière industrielle d'utilisation de celle-ci à un horizon de 30 ans et si la valorisation de ces matières porte sur des volumes cohérents avec les stocks détenus. Si la valorisation ne permet de valoriser qu'une infime partie du stock, ce n'est pas suffisant pour déclarer la totalité comme étant une matière valorisable. Premier principe : s'il existe une filière réaliste à horizon de 30 ans, nous pouvons considérer que la matière est valorisable.

Deuxième principe : au-delà de 30 ans et globalement jusqu'à 100 ans, il y a parfois des zones d'incertitude, nous ne savons pas si les matières pourront être valorisées, mais il faut avoir une démarche de prudence. S'il n'existe pas de filière industrielle réaliste pour valoriser l'ensemble des produits, il faut anticiper une requalification en déchets. Anticiper ne veut pas dire qualifier ces matières de déchets, mais réfléchir. Si ces matières étaient qualifiées de déchets, que faudrait-il faire en termes d'études, de recherche de sites potentiels ? Nous ne préconisons pas une requalification entre 30 et 100 ans, mais nous appelons à anticiper, parce que cela prend beaucoup de temps.

Troisième principe : en l'absence de perspectives au-delà de 100 ans, nous estimons qu'il faudrait requalifier la matière comme déchet.

Il revient évidemment à la DGEC et au ministère de la Transition écologique de traduire ces principes, s'ils les acceptent, dans le prochain PNGMDR. Cela conduira à des prescriptions particulières, soit en termes de requalification, soit en termes d'anticipation.

Le sujet de l'uranium appauvri peut typiquement entrer dans cette grille d'analyse. Comme il a été dit, les stocks d'uranium appauvri entreposés sont considérables. Je crois qu'ils sont de plus de 300 000 tonnes. Aujourd'hui, deux voies de valorisation sont envisagées par les exploitants. La première consisterait à utiliser cet uranium appauvri dans de futurs réacteurs à neutrons rapides, pour lesquels il n'existe pas aujourd'hui de projet concret, puisque la recherche sur les réacteurs à neutrons rapides, le projet ASTRID, a été repoussée. Ce serait possible s'il était un jour décidé de mettre en place une filière à neutrons rapides qui présente un certain nombre d'avantages, notamment en matière d'indépendance de l'approvisionnement en minerai d'uranium. Les réacteurs à neutrons rapides peuvent être des surgénérateurs et peuvent donc s'affranchir des besoins en uranium. Il apparaît que la quantité d'uranium appauvri qui pourrait être mobilisée pour faire fonctionner un parc de réacteurs à neutrons rapides équivalent au parc nucléaire actuel est infinitésimale par rapport aux 300 000 tonnes. Elle est de quelques pourcents et pourrait donc conduire à assurer le fonctionnement d'un parc de réacteurs à neutrons rapides pendant plusieurs milliers d'années. Cela n'a donc pas vraiment de sens par rapport aux critères que j'indiquais. De notre point de vue, si cette filière de valorisation était retenue, il faudrait requalifier comme déchet une partie substantielle de l'uranium appauvri et se préoccuper de ses conditions de stockage, parce que cette voie ne permettra pas d'utiliser tout le stock.

Une deuxième voie explorée par les exploitants consisterait à valoriser, sur une période plus courte, sept ou huit années, le stock d'uranium appauvri en cas de tension très forte sur le marché de l'uranium mondial. Cet uranium appauvri peut être ré-enrichi. Cela offrirait une certaine indépendance par rapport aux fluctuations des prix de l'uranium sur le marché mondial. Les procédés existent, c'est tout à fait possible industriellement. La totalité du stock d'uranium appauvri pourrait être valorisée dans une durée raisonnable, de sept à huit ans. Cette voie correspond à nos critères. Toutefois, la valorisation de ce stock d'uranium appauvri générerait, du fait de l'enrichissement, un stock équivalent d'uranium très appauvri. Le processus industriel conduit à ce qu'à l'issue du nouvel enrichissement de l'uranium, une partie très appauvrie soit conservée. Cela poserait donc le problème de la requalification en déchet de cet uranium très appauvri qui ne pourrait plus être valorisé. Même dans cette deuxième option, il faut réfléchir, en anticipation, à la question du stockage.

Voilà ce que je voulais dire sur les principes que nous avons formulés en termes de gestion des matières radioactives.

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