Intervention de Arnold Migus

Réunion du jeudi 24 juin 2021 à 10h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Arnold Migus, ancien directeur général du CNRS, membre de l'Académie nationale de médecine :

. – Une action uniquement budgétaire ne suffira pas à permettre à la France de disposer d'une recherche forte dans le domaine de la biologie-santé ni de bien se positionner dans la compétition internationale de ce secteur pour attirer les investissements, les financements et les talents, indispensables pour permettre une capacité d'innovation rapide au service des patients.

Outre son sous‑financement, le déclin observé trouve son origine dans plusieurs facteurs. D'abord, en raison de la tendance à créer une nouvelle instance à chaque crise, on observe un émiettement et une superposition de plus en plus incohérente des structures publiques dont le nombre ne fait que croître. La multiplicité des agences et des tutelles complexifie grandement le fonctionnement des laboratoires et crée une suradministration. Nous notons également l'absence de coordination stratégique entre l'ANR d'un côté et les principaux opérateurs de l'autre. Ce n'est pas une critique des personnes mais du système. Ce problème se pose également entre les principaux opérateurs eux‑mêmes. Les alliances ont été créées il y a une quinzaine d'années pour améliorer la communication entre les organismes. Leur principe repose cependant sur le volontariat. Or chaque organisme tient à garder le contrôle de son fonctionnement, entraînant un manque d'efficience du système, qui n'a fait que croître, bien que l'alliance fonctionne encore, avec des instituts thématiques multi‑organismes. Le manque de coordination entre le MESRI et le MSS, par ailleurs, est le fait d'une absence de capacité d'analyse stratégique. Un contresens dissocie la recherche d'amont, dite fondamentale, et la recherche d'aval, en particulier la recherche clinique.

Le déclin observé trouve également son origine dans l'attractivité déclinante des positions universitaires, dont la mission de recherche devrait être dominante au sein des hôpitaux universitaires – l'équilibre entre les trois missions, soins, formation et recherche, est de moins en moins respecté. De ce fait, il y a une intégration insuffisante des volets universitaires et recherche à la gouvernance hospitalière. Enfin, nous avons identifié qu'il existait trop d'acteurs à l'amorçage des projets de valorisation. Il y a beaucoup de crédits, peut‑être même trop, et beaucoup de projets sont acceptés alors qu'ils ne devraient peut‑être pas l'être. En revanche, il y a une professionnalisation et un capital risque très insuffisants pour la spécificité de ce domaine.

Il découle de ce constat quatre recommandations :

- inclure dans les missions du Conseil d'orientation de la recherche hospitalière sa participation aux coordinations des organismes et agences en biologie‑santé financés par le ministère de la Recherche ;

- simplifier le dispositif des représentations scientifiques françaises ;

- élargir les missions des directoires de CHU en y intégrant des composantes universitaires et scientifiques ;

- identifier un nombre limité de pôles de recherche hospitalo‑universitaire centrés sur des CHU disposant d'une visibilité de recherche internationale, en leur confiant une responsabilité de tête de réseau régional.

La LPR avait un projet d'article 24 traitant de ce dernier sujet, qui a cependant disparu au cours de la discussion parlementaire. Nous proposons donc de le réanimer.

Pour la réforme globale du système, nous proposons une méthode de scénarios. Nous sommes divers au sein de notre groupe de réflexion, ce qui traduit la diversité scientifique. Cela nous permet d'exposer une réforme avec des gradations croissantes tout en laissant le choix aux politiques. Pour chacune des réformes proposées, nous avons étudié un bilan d'efficacité, du point de vue de la biologie‑santé et de la recherche en général, et en termes d'acceptabilité et de faisabilité de la conduite du changement.

Les deux premiers scénarios de réforme sont dédiés spécifiquement à la recherche en biologie‑santé. Le premier consiste à donner à l'alliance une personnalité morale, avec des missions de coordination fortes. Il présente l'inconvénient de la création d'une nouvelle structure, alors même que nous critiquons parfois la création de nouveaux instituts et agences. Le deuxième scénario revient au premier mais en confiant cette mission à l'INSERM, dont les statuts autorisent la création d'instituts en son sein. Il pose cependant d'autres problèmes, notamment en termes d'acceptabilité au niveau des autres organismes. Il serait en outre nécessaire de modifier le fonctionnement de l'INSERM. Le troisième scénario vise un schéma jacobin. Le système anglais est en l'occurrence très efficace en technologie de santé et en recherche. Une loi de 2017 a conduit les agences de financement à se réunir dans une holding. Toutes les agences thématiques du système anglais sont ainsi réunies dans une même organisation, chacune avec un certain degré d'autonomie mais ne disposant plus de la personnalité morale, cela s'appelle « UK Research and Innovation ». Le financement des universités y a aussi été ajouté et toutes les structures de valorisation ont été rassemblées au sein d'une composante de cette organisation. Il est ainsi proposé d'appliquer ce système au niveau français, avec les EPST. L'avantage serait d'aboutir à un système plus intégré avec quand même un degré d'autonomie des différentes composantes, et cela permettrait d'unifier le statut des personnels (la holding étant l'employeur), facilitant la mobilité de ceux‑ci. Le quatrième scénario, enfin, se base sur une vision girondine et vise à mener l'autonomie des universités à son terme. Dans ce cadre, les universités prennent entièrement à leur compte la gestion des laboratoires, et les organismes deviennent des agences de moyens au niveau national. Ces deux derniers scénarios sont tout à fait compatibles. Ces recommandations sont assez fortes, on a profité de la crise de la Covid pour les énoncer, mais comme disait Churchill : « il ne faut jamais gâcher une bonne crise ».

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.