Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 24 juin 2021
La réunion est ouverte à 10 h 45.
Audition publique sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie-santé.
. – Bonjour et bienvenue à tous. L'audition publique de ce matin, diffusée en direct sur le site du Sénat, est consacrée à un thème crucial pour notre pays : la recherche en biologie‑santé, son organisation et son financement.
Les internautes peuvent poser des questions via une plateforme accessible sur les sites de l'Assemblée nationale et du Sénat ainsi que sur le compte Twitter de l'OPECST.
Dans le cadre de la préparation de la loi de programmation de la recherche pour les années 2021‑2030 (LPR), l'Académie nationale de médecine a mené une réflexion sur l'état de la recherche française en sciences biologiques et santé. Cette réflexion a fait l'objet d'une audition publique devant l'Office le 18 juin 2020. Dans le contexte très particulier de l'époque, l'Académie nous avait fait part d'un constat sévère sur l'état de cette recherche, avec des réflexions sur l'évolution des moyens qui lui sont attribués et sur son organisation. Le groupe de travail avait insisté sur la complexité de l'organisation de la recherche en biologie‑santé et la difficulté de la coordination entre les différentes strates et structures. Nous retrouvons régulièrement ces constats et diagnostics dans notre système d'organisation de recherche, au-delà du seul domaine de la biologie‑santé. Nous avions discuté du rôle des alliances, des grands organismes, de la place des CHU, de la stratégie européenne de recherche, jugée alors très insuffisante, et de la valorisation des innovations en médecine. Les Académies de médecine et de pharmacie ont pu approfondir ce travail au cours des derniers mois et formuler diverses recommandations afin d'améliorer les performances françaises. Ce rapport sera présenté en ouverture de nos travaux.
Nous ressentons de façon forte, au sein de l'OPECST mais aussi dans nos fonctions politiques, la grande interrogation voire le traumatisme collectif sur ce qui est perçu comme un ensemble de défaillances françaises en matière de recherche en biomédecine, en particulier l'absence de vaccin français contre la Covid‑19, un comble dans un pays qui a une glorieuse tradition en la matière et peut se prévaloir de l'Institut Pasteur, dont la compétence et le rayonnement ne sont pas à démontrer. Il nous appartient donc de comprendre pourquoi, dans ces conditions, et malgré nos forces, les projets de vaccin français ont connu les déboires auxquels nous avons pu assister. Une audition publique tenue il y a trois semaines sur la recherche en matière de traitements et de stratégies thérapeutiques contre la Covid‑19 nous a aussi conduits à nous interroger sur les moyens, les procédures et l'organisation de la recherche. Nous sommes heureux de pouvoir évoquer de nouveau ce sujet majeur et sensible avec vous.
Nous allons avoir une présentation par l'Académie nationale de médecine de son rapport, par les voix de Patrick Netter, que nous avons le plaisir de compter parmi les membres de notre Conseil scientifique, et Arnold Migus. Nous entendrons aussi divers acteurs de la recherche en biologie santé pour débattre et discuter de possibles évolutions. Gilles Bloch et André Le Bivic, dirigeants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de l'Institut des Sciences biologiques du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), les deux plus grands instituts de recherche français en la matière, pourront nous apporter leur éclairage. Gilles Bloch pourra en outre intervenir en tant que Président de l'Alliance nationale pour les Sciences de la Vie et de la Santé, qui a pour objectif de coordonner les grands acteurs en sciences de la vie et de la santé en France. Cette coordination était déjà mise en exergue il y a un an, lors de l'audition de l'Académie de médecine ; gageons qu'elle s'invitera également aujourd'hui. Sur la question du financement de la recherche, qui a été jugé insuffisant par de nombreux acteurs, et pour lequel des changements de méthode d'attribution ont été revendiqués, M. Dominique Dunon‑Bluteau, directeur du département en biologie santé de l'Agence nationale de la recherche, interviendra, ainsi que deux responsables de la Direction générale de l'offre de soins du ministère des Solidarités et de la Santé, Mme Sandrine Billet, sous‑directrice du pilotage et de la performance d'acteurs de l'offre de soins, et M. Harold Astre, chef du bureau Innovation et Recherche clinique. Enfin, Monsieur Franck Mouthon pourra nous éclairer, en tant que président de France Biotech, sur la valorisation de la recherche. M. Patrick Lévy, président du Comité Europe de la Conférence des présidents d'université (CPU) et membre du conseil d'administration de la European University Association (EUA), interviendra sur les questions relatives à la représentation scientifique auprès des organes de décision européens. Le premier vice‑président de l'Office, Gérard Longuet, nous rejoindra au cours de l'audition.
. – Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation à présenter ce rapport des Académies de médecine et de pharmacie. Nous sommes accompagnés de plusieurs membres, car ce rapport est un travail collectif. Je salue la présence du président de l'Académie de médecine, M. Bernard Charpentier, de Mme la Secrétaire perpétuelle de l'Académie de pharmacie, Mme Liliane Keros, de Mme Christiane Garbay, M. Bruno Clément, M. Patrice Debré, président du Comité international de l'Académie de Médecine, du professeur M. Patrice Tran Ba Huy, vice‑président de notre compagnie, de M. Christian Boitard, qui a été un acteur très important, et de M. Raymond Ardaillou.
Ce travail sur la réforme de la recherche en sciences biologiques et santé a donné lieu à un rapport en deux parties. En termes de genèse, un groupe de travail s'est réuni au sein des Académies de Médecine et de Pharmacie et a rendu un premier rapport fin 2019 de contribution au projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche. La pandémie de Covid‑19 a ensuite bouleversé les calendriers. La loi a été votée fin 2020. Le dispositif de recherche nous est apparu relativement défaillant, comme l'indiquait une première présentation de nos travaux à l'OPECST en juin 2020. Ce groupe de travail a poursuivi ses travaux pour approfondir ses recommandations, que nous vous présentons aujourd'hui. Les deux parties du rapport traitent, d'une part du financement, d'autre part de l'organisation.
Force est de constater le constant recul de la France dans le domaine de la recherche médicale et de l'innovation, passant, en termes de production de publications, de la 5e place en 2000 à la 6e en 2010 et la 10e depuis 2019. Dans le domaine de l'innovation dans les biotechnologies, la France est placée en 17e position. Les Académies ont donc souhaité formuler des propositions concrètes sur le financement et sur le dispositif de recherche en biologie‑santé.
Une chute de l'investissement consacré à la recherche en biologie‑santé explique cette situation. Les multiples sources de financement n'assurent en effet ni cohérence ni budget adapté. Ces sources incluent la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur (MIRES), sur la base des programmes 150 et 172 (financement des organismes de recherche (INSERM, CNRS), des agences, des universités), les programmes d'investissement d'avenir (PIA), les programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC), les missions d'enseignement de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) « socle », les collectivités territoriales, les contrats européens, ainsi que d'autres sources qui ne sont pas négligeables dans le domaine de la biologie‑santé (fondations, associations). Le budget de la MIRES en biologie‑santé a diminué de 22 % en 11 ans (en euros constants) et ne constitue plus que 17,2 % de la dotation totale. Cette baisse a été constante et conduit à un chiffre bas alors que nos voisins européens affichent plutôt un taux de 30 %. La première recommandation est donc la suivante : dans le cadre de l'augmentation des crédits programmée par la loi de programmation de la recherche (LPR), le domaine de la biologie‑santé devrait bénéficier d'une hausse des moyens attribués par le ministère, permettant de progresser de 17,2 % du budget de la MIRES à un niveau comparable à celui attribué dans les principaux pays européens, à savoir 30 à 50 %. Cette recommandation est importante et doit être prise en compte car ce budget insuffisant est l'une des causes de l'état dans lequel se trouve le secteur de la biologie‑santé.
S'agissant du financement de la recherche hospitalière par le ministère des Solidarités et de la Santé, les missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) sont constituées d'une dotation socle qui comporte une part de financement sur publications, s'appuyant sur l'indicateur Système d'interrogation, de gestion et d'analyse des publications scientifiques (SIGAPS), une part de financement qui repose sur les essais cliniques (indicateur Système d'information et de gestion de la recherche et des essais cliniques SIGREC) et une part attribuée en fonction de l'effort d'enseignement. Les moyens sont de l'ordre de 1,3 milliard d'euros pour le financement de cette recherche. Pour les CHU, les crédits MERRI sont actuellement peu incitatifs à l'investissement dans la recherche. La dotation socle est supposée compenser les surcoûts ou les pertes de recettes générés par l'activité de recherche et d'enseignement au sein des établissements de santé. Il s'agit de crédits qui ne sont pas des autorisations d'engagement. Ces dotations sont déterminées mécaniquement, puisque les indicateurs SIGAPS et SIGREC sont automatiquement construits sur les publications ou les essais cliniques. Cette méthode d'allocation ne respecte pas les bonnes pratiques internationales et ne permet pas au ministère de la Santé de déployer une véritable politique de recherche hospitalière. Au Royaume-Uni, le « Department of Health and Social Care » (DHSC) confie à une agence, le « National Institute for Health Research » (NIHR), la mission de distribuer les crédits de recherche, qui sont de l'ordre de 1,2 milliard d'euros.
Sur cette partie, nous avons formulé trois recommandations :
- réformer l'attribution aux structures hospitalières des moyens de la recherche clinique provenant de l'assurance maladie, dite dotation socle des MERRI, soit 1,37 milliard d'euros de crédits en incluant les programmes hospitaliers de recherche clinique (PHRC) ;
- confier l'évaluation des crédits MERRI socle et PHRC à un Conseil d'orientation de la recherche hospitalière à mettre en place sous l'égide du ministère des Solidarités et de la Santé et qui fonctionnerait sur des évaluations de qualité scientifique et de pertinence médicale, en coordonnant en amont sa stratégie et sa programmation avec les autres acteurs de la recherche en biologie‑santé ; parallèlement, supprimer la procédure actuelle, qui repose sur l'application mécanique des indicateurs SIGAPS et SIGREC ;
- verser aux structures hospitalières un préciput aligné sur celui qui sera bientôt appliqué par l'ANR, soit 40 % des crédits alloués aux équipes et laboratoires qu'elles hébergent, que cette allocation l'ait été de façon concurrentielle ou sous forme de crédits de fonctionnement pluriannuels contractualisés.
. – Une action uniquement budgétaire ne suffira pas à permettre à la France de disposer d'une recherche forte dans le domaine de la biologie-santé ni de bien se positionner dans la compétition internationale de ce secteur pour attirer les investissements, les financements et les talents, indispensables pour permettre une capacité d'innovation rapide au service des patients.
Outre son sous‑financement, le déclin observé trouve son origine dans plusieurs facteurs. D'abord, en raison de la tendance à créer une nouvelle instance à chaque crise, on observe un émiettement et une superposition de plus en plus incohérente des structures publiques dont le nombre ne fait que croître. La multiplicité des agences et des tutelles complexifie grandement le fonctionnement des laboratoires et crée une suradministration. Nous notons également l'absence de coordination stratégique entre l'ANR d'un côté et les principaux opérateurs de l'autre. Ce n'est pas une critique des personnes mais du système. Ce problème se pose également entre les principaux opérateurs eux‑mêmes. Les alliances ont été créées il y a une quinzaine d'années pour améliorer la communication entre les organismes. Leur principe repose cependant sur le volontariat. Or chaque organisme tient à garder le contrôle de son fonctionnement, entraînant un manque d'efficience du système, qui n'a fait que croître, bien que l'alliance fonctionne encore, avec des instituts thématiques multi‑organismes. Le manque de coordination entre le MESRI et le MSS, par ailleurs, est le fait d'une absence de capacité d'analyse stratégique. Un contresens dissocie la recherche d'amont, dite fondamentale, et la recherche d'aval, en particulier la recherche clinique.
Le déclin observé trouve également son origine dans l'attractivité déclinante des positions universitaires, dont la mission de recherche devrait être dominante au sein des hôpitaux universitaires – l'équilibre entre les trois missions, soins, formation et recherche, est de moins en moins respecté. De ce fait, il y a une intégration insuffisante des volets universitaires et recherche à la gouvernance hospitalière. Enfin, nous avons identifié qu'il existait trop d'acteurs à l'amorçage des projets de valorisation. Il y a beaucoup de crédits, peut‑être même trop, et beaucoup de projets sont acceptés alors qu'ils ne devraient peut‑être pas l'être. En revanche, il y a une professionnalisation et un capital risque très insuffisants pour la spécificité de ce domaine.
Il découle de ce constat quatre recommandations :
- inclure dans les missions du Conseil d'orientation de la recherche hospitalière sa participation aux coordinations des organismes et agences en biologie‑santé financés par le ministère de la Recherche ;
- simplifier le dispositif des représentations scientifiques françaises ;
- élargir les missions des directoires de CHU en y intégrant des composantes universitaires et scientifiques ;
- identifier un nombre limité de pôles de recherche hospitalo‑universitaire centrés sur des CHU disposant d'une visibilité de recherche internationale, en leur confiant une responsabilité de tête de réseau régional.
La LPR avait un projet d'article 24 traitant de ce dernier sujet, qui a cependant disparu au cours de la discussion parlementaire. Nous proposons donc de le réanimer.
Pour la réforme globale du système, nous proposons une méthode de scénarios. Nous sommes divers au sein de notre groupe de réflexion, ce qui traduit la diversité scientifique. Cela nous permet d'exposer une réforme avec des gradations croissantes tout en laissant le choix aux politiques. Pour chacune des réformes proposées, nous avons étudié un bilan d'efficacité, du point de vue de la biologie‑santé et de la recherche en général, et en termes d'acceptabilité et de faisabilité de la conduite du changement.
Les deux premiers scénarios de réforme sont dédiés spécifiquement à la recherche en biologie‑santé. Le premier consiste à donner à l'alliance une personnalité morale, avec des missions de coordination fortes. Il présente l'inconvénient de la création d'une nouvelle structure, alors même que nous critiquons parfois la création de nouveaux instituts et agences. Le deuxième scénario revient au premier mais en confiant cette mission à l'INSERM, dont les statuts autorisent la création d'instituts en son sein. Il pose cependant d'autres problèmes, notamment en termes d'acceptabilité au niveau des autres organismes. Il serait en outre nécessaire de modifier le fonctionnement de l'INSERM. Le troisième scénario vise un schéma jacobin. Le système anglais est en l'occurrence très efficace en technologie de santé et en recherche. Une loi de 2017 a conduit les agences de financement à se réunir dans une holding. Toutes les agences thématiques du système anglais sont ainsi réunies dans une même organisation, chacune avec un certain degré d'autonomie mais ne disposant plus de la personnalité morale, cela s'appelle « UK Research and Innovation ». Le financement des universités y a aussi été ajouté et toutes les structures de valorisation ont été rassemblées au sein d'une composante de cette organisation. Il est ainsi proposé d'appliquer ce système au niveau français, avec les EPST. L'avantage serait d'aboutir à un système plus intégré avec quand même un degré d'autonomie des différentes composantes, et cela permettrait d'unifier le statut des personnels (la holding étant l'employeur), facilitant la mobilité de ceux‑ci. Le quatrième scénario, enfin, se base sur une vision girondine et vise à mener l'autonomie des universités à son terme. Dans ce cadre, les universités prennent entièrement à leur compte la gestion des laboratoires, et les organismes deviennent des agences de moyens au niveau national. Ces deux derniers scénarios sont tout à fait compatibles. Ces recommandations sont assez fortes, on a profité de la crise de la Covid pour les énoncer, mais comme disait Churchill : « il ne faut jamais gâcher une bonne crise ».
. – Merci beaucoup. Dans le diagnostic assez sévère que vous livrez sur l'évolution de la recherche française en biologie santé, vous parlez d'un passage de la 5e à la 10e place eu égard au volume de publications. Pouvez‑vous nous faire part d'autres indicateurs permettant de mesurer cette évolution ?
Vous faites en outre remarquer que les crédits en biologie santé représentent une part inférieure des crédits de recherche, par rapport à d'autres pays. A l'inverse, d'autres disciplines sont‑elles surreprésentées en France ? Évidemment, on espère que le budget global de la recherche va augmenter comme la loi de programmation pour la recherche s'y est engagée – j'aurais souhaité personnellement qu'il augmente encore plus vite –, ainsi ce qui se fera au profit de l'un ne sera pas forcément au détriment de l'autre. Mais pour le diagnostic, j'aurais bien voulu savoir ce qui est surreprésenté en France par rapport aux autres pays.
S'agissant de votre recommandation visant à éviter l'application mécanique des indicateurs SIGAPS et SIGREC, quels sont les effets indésirables de ces indicateurs ?
Enfin, vous nous parlez beaucoup d'organisation, de coordination et de simplification. Vous avez évoqué un point majeur : la question des capitaux, en regrettant un manque de capitaux risque. Vous avez indiqué que le système britannique était très efficace. Est‑il possible de comparer les capitaux du système britannique avec ceux du système français ? S'il se pose un vrai sujet au niveau des moyens, en quoi les réorganisations que vous proposez pourront‑elles nous aider à faire face à ce problème ? D'après les auditions préliminaires que nous avons menées sur la question vaccinale ainsi que nos discussions avec l'Institut Pasteur, la question criante des moyens consacrés au développement des solutions était prégnante. En France, l'amorçage de l'innovation est bien traité mais la continuation est très mal traitée par rapport aux grandes puissances de l'innovation, il n'y a pas du tout assez de capitaux. Où sont les recommandations qui permettent de gérer cette question-là ?
. – De votre point de vue, la France donne-t-elle au principe de précaution une portée excessive face aux questions d'innovation ?
. – En ce qui concerne les indicateurs, le volume de publications n'est pas suffisant à lui seul, mais il s'agit d'un bon indicateur d'activité, plutôt que d'efficacité. Au sein de l'Académie, nous avons créé un groupe sur la bibliométrie. Nous procédons à une analyse discipline par discipline. Nous analysons généralement les volumes et l'impact, qui se mesure par les citations. Sur le fait de savoir si la France occupe une bonne position, elle est mieux représentée dans certaines disciplines mais obtient une moyenne honorable – pas plus –, en termes d'impact.
S'agissant de la deuxième question, nous n'avons pas fait l'analyse des disciplines surreprésentées par rapport à d'autres pays. Ce qui se dit en général est que les équipements coûtent cher en physique et dans d'autres domaines, mais je ne suis pas capable de vous le dire précisément.
Il y a un point important dont j'ai peu parlé, c'est celui des équipements. Le manque criant de crédits apparaît au niveau des équipements nécessaires en biologie‑santé. L'un des exemples les plus frappants est de celui des cryomicroscopes qui sont des équipements coûteux–entre 5 et 10 millions d'euros – qui ont manqué dans le cadre de la recherche sur le Covid. Nous n'en avons que trois en France, contre une cinquantaine entre l'Angleterre et l'Allemagne.
S'agissant des indicateurs SIGAPS et SIGREC, c'est une mécanique très bien huilée. C'est une composante du CHU de Lille qui gère le sujet pour l'ensemble des CHU français. 61 % des crédits socle sont attribués en fonction du SIGAPS. Il y a un calcul pour chaque CHU de ses publications en fonction du placement des auteurs. Les établissements hospitaliers obtiennent ainsi automatiquement des points et un montant est attribué proportionnellement à ces points. Le système est similaire pour les SIGREC, en fonction de la conduite des études cliniques. Nous savons que l'on ne peut diriger une recherche exclusivement sur des indicateurs de ce type. Il peut aussi exister des contournements. Cela empêche le ministère chargé de la santé de définir des priorités, ce qui est le principal défaut de ce système.
Concernant le fait de savoir si les propositions auront un impact sur les capitaux risque, je ne le pense pas. Je voudrais donner un exemple. Je me suis rendu chez Moderna en 2017. Cette société a été créée en 2012. En quatre ans, elle a réuni 2,2 milliards de dollars sur l'idée d'une plateforme ARN messager pour l'oncologie et les vaccins alors qu'en 2016, elle avait un chiffre d'affaires de 50 millions de dollars. Parmi ces fonds, seuls 200 millions de dollars provenaient de l'Etat. Le reste provenait de grandes entreprises pharmaceutiques, dont Sanofi, et de capital-risque. C'est d'ailleurs pour cela que Stéphane Bancel est allé aux Etats‑Unis, je ne pense pas qu'il aurait eu la possibilité de faire cela en France. Il existe donc de nombreux freins.
. –Vous avez bien introduit la question en disant qu'il y avait de l'argent dans les dispositifs d'amorçage et que le problème se situe plutôt au niveau de la « vallée de la mort », c'est‑à‑dire quand les start‑ups doivent accéder aux capitaux risque. Notre étude a abordé ce point. Nous avons souligné un problème relatif aux dispositifs réglementaires, celui de la rapidité de réponse aux projets, notamment cliniques, qui constitue un véritable problème, notamment pour les start‑ups. En effet, celles‑ci ne disposent pas toujours des ressources humaines et de la capacité de résistance nécessaires, faute d'accompagnement. À l'inverse, la Food and Drug Administration (FDA) accompagne très précocement les phases de développement, bien avant le dépôt des brevets. Il faudrait donc une évolution très importante du côté des agences réglementaires.
Nous rencontrons en outre, en France, un problème relatif à la prise de risque, y compris au niveau de l'Etat. Les statuts de BPI France, qui est le bras armé de l'Etat en matière de soutien à l'innovation, doivent lui permettre cette capacité d'intervention et d'accompagnement. Comme l'ont souligné nos auditions, nous soutenons bien souvent ce qui n'est pas soutenable. Il me semble nécessaire d'indiquer très tôt au porteur de projet si celui‑ci est viable ou non d'un point de vue commercial. Le processus d'évaluation de ces projets devrait réunir des personnalités scientifiques, mais aussi des membres de l'industrie et de la finance. L'harmonisation de la fiscalité et des règlements au niveau européen serait également nécessaire. En l'état, nous sommes quasiment dans un système concurrentiel entre les Etats membres.
Parmi ces dispositifs, le crédit impôt recherche (CIR) est le principal outil du soutien à l'innovation. Il représente 6 milliards d'euros, soit trois cinquièmes du soutien national à l'innovation. Le rapport de la commission nationale d'évaluation des politiques d'innovation démontre que le CIR est extrêmement positif pour les start‑ups, qui vivraient difficilement sans, alors que pour les ETI et les grands groupes, des effets d'aubaine se présentent, qui n'ont pas d'impact réel sur l'innovation au niveau national. Les grands groupes privilégient les écosystèmes. L'environnement est ainsi primordial pour la rapidité du transfert de la connaissance vers les applications, et les écosystèmes sont producteurs d'innovations et de créations d'emplois. Nos recommandations visent à favoriser cette politique d'écosystème, qui consiste à privilégier une organisation simplifiée des centres - têtes de réseau associant recherche clinique et recherche amont. Il s'agit d'offrir aux PME qui espèrent grandir un environnement qui fasse ce lien entre amont et aval. Cela passe par la clarification des acteurs de l'innovation, car l'empilement de structures, qui sont parfois en concurrence, est très chronophage et peu productif. Dans nos recommandations, nous privilégions donc une stratégie assez claire vis-à-vis de ces industriels : la détection, l'accompagnement de terrain, la propriété des brevets au niveau des universités, et une expertise sectorielle. La valorisation en biologie-santé se caractérise par une prise de risque. Inserm Transfert est professionnel dans ce domaine‑là mais doit s'ouvrir aux autres EPST. Cela rejoint le modèle britannique, et ce renforcement d'une structure sectorielle serait important en termes de visibilité, en matière de biologie-santé.
. ‑ En tant que clinicien, je ne suis pas un spécialiste de la biologie mais je peux vous dire que la biologie est une préoccupation majeure de l'Académie de médecine, comme ce rapport le montre. L'année prochaine, nous envisageons de continuer à travailler sur ce sujet, en accord avec l'Académie de pharmacie, pour étayer et donner des conclusions pratiques à ce rapport.
. – J'ai participé à ces travaux approfondis, qui ont impliqué aussi bien l'Académie de médecine que l'Académie de pharmacie, très portée sur l'innovation et la recherche. Il y a beaucoup de choses à dire sur ces sujets, mais l'essentiel a été dit. La simplification est indispensable. Les chercheurs ne doivent pas avoir à chercher les financements. Le manque de relations avec l'industrie pharmaceutique constitue également une difficulté importante. Nous devons notamment travailler avec les start - ups, qui sont achetées par l'industrie pharmaceutique. Or, l'innovation est dans les start - ups. Nous allons continuer à travailler sur ces projets, en bonne entente avec l'Académie de médecine.
. – Il y a - t - il en France un modèle correspondant à l'un des scénarios présentés ? Tout au cours de nos réflexions, j'avais à l'esprit le modèle de l'agence nationale de recherches sur le sida (ANRS), que je connais particulièrement bien. Celui‑ci permet une programmation, un lien et une coordination entre la recherche clinique et la recherche plus appliquée, voire fondamentale, une évaluation, un financement, un suivi des opérations et une politique internationale. Nous avons donc à travers ce modèle toutes les lignes que nous souhaitons. Cependant, ce modèle a été appliqué à une discipline très particulière, le sida, puis étendu aux hépatites, sous la pression de l'opinion publique. Il s'étend désormais, après un an de Covid, aux maladies infectieuses émergentes. J'encourage à étudier l'intérêt de ce modèle. En matière d'impact, s'agissant de l'hépatite C, la France est en première position. L'Institut national du cancer (INCa) connaît quant à lui une programmation verticale ainsi que des cancéropôles, qui n'ont pas suffisamment abouti en termes d'interaction entre les EPST et les hôpitaux et universités. Ils représentent tout de même une tentative de structuration régionale intéressante avec une programmation verticale. Il est utile de revenir aux quelques exemples existants, qui ont été soutenus par l'ensemble des acteurs, et d'étudier le bénéfice d'une diffusion plus large d'exemples de ce type.
. – Le principe de précaution n'a pas été abordé. Cela crée une difficulté en recherche clinique. Pour obtenir des autorisations de recherche clinique thérapeutique, vaccinale, etc., nous avons besoin de plusieurs autorisations (CNIL, CPP, ANSM) qui ne sont pas coordonnées. Un guichet unique coordonnant les différents types d'autorisations nécessaires simplifierait la situation. Les autres pays européens le perçoivent et cela nous pénalise dans la perspective de projets européens.
. – Ce que vous dites est cohérent avec ce que nous avons déjà entendu. J'attire votre attention sur le fait que ceci n'a pas de rapport avec le principe de précaution tel qu'il est inscrit dans la Constitution française, mais avec la multiplicité des acteurs et des procédures françaises. Le principe de précaution encourage les pouvoirs publics à faire des recherches, il ne peut pas s'appliquer au cas que vous évoquez.
. ‑ L'Académie de médecine est très heureuse d'avoir produit ce rapport. Hier, nous avons invité à l'Académie, les responsables de « Human Brain Project », que la Commission européenne a doté de 1,2 milliard d'euros. Parmi les 90 participants, il n'y avait aucun Français. Ceci témoigne d'un problème majeur dont je me suis étonné. En tant qu'ancien doyen d'université, j'estime que l'université française n'est pas suffisamment structurante. Il faut repenser le rôle de l'université qui est à la fois un foyer et une usine du savoir et de la recherche. Le rôle central de l'université française mériterait d'être revu, à l'américaine ou à l'anglaise. Dans ces deux pays, l'université est structurante et opérateur de l'enseignement et de la recherche, qui doivent être liés.
. – Nous évoquions plus tôt la question de la représentation européenne. Bernard Charpentier est un des acteurs français investis sur les liens scientifiques avec la Commission européenne et l'Union européenne en général. Je rappelle que le projet « Human Brain Project » a été particulièrement polémique, et qu'il a abouti à un certain nombre de scissions et débats. Je serais prudent avant de tirer des conclusions sur ce projet particulier.
Nous allons à présent entendre les autres acteurs.
. – Je remercie les deux Académies qui ont travaillé sur un certain nombre de constats et de propositions, et l'OPECST de nous accueillir pour cette restitution. Je rejoins largement les constats sur les moyens. En termes de comparaison internationale, la France est sous‑spécialisée dans le secteur de la biologie‑santé. En ce qui concerne les secteurs où l'on serait surspécialisés, il y a par exemple le spatial, l'aéronautique ou le nucléaire, où des pays comme le Royaume‑Uni ont fait le choix d'être moins présents, ce qui explique un certain nombre de contrastes.
La loi de programmation de la recherche induit des frémissements quant à un réinvestissement de l'Etat, dont nous espérons qu'il pourra corriger une partie du décalage vis‑à‑vis de nos grands concurrents.
Pour revenir au rapport des Académies, j'aimerais apporter un point de clarification. Dans l'organisation d'un système de recherche, traditionnellement, trois niveaux de structuration peuvent être identifiés : un niveau de stratégie nationale, généralement piloté par l'Etat à travers les ministères, qui définit de grandes orientations stratégiques, l'organisation et alloue des moyens macroscopiques sur un certain nombre de priorités ; un niveau de programmation, qui correspond à la répartition de ces moyens, généralement au travers d'agences (comme l'ANR en France) ; le niveau des opérateurs (dont l'INSERM, le CNRS ou l'Institut Pasteur), qui opèrent des laboratoires et organisent sur le terrain, avec les universités et les CHU, la vie de proximité de cette recherche. Les scénarios qui ont été présentés me semblent manquer de clarté vis‑à‑vis de cette typologie, confondant les fonctions d'opérateur et d'agence. Or un déficit d'intervention apparaît sur la fonction de financement de projets, c'est‑à‑dire sur le rôle de programmation. Dans quelques domaines, comme la recherche sur le sida, les hépatites et les cancers, la France est bien organisée parce qu'on a mis en place cette fonction d'agence de financement de projets qui oblige les opérateurs à s'organiser pour être performants. Nous devrions intervenir de façon plus massive, en matière de biologie‑santé, sur ce niveau du financement et des agences qui doivent alimenter le secteur. L'ANR sera davantage dotée, mais fonctionne essentiellement sur un mode d'allocation de projets par un mécanisme générique. Il existe donc un véritable besoin de stratégie déclinée par une fonction de programmation et ciblée sur des enjeux de biologie‑santé bien identifiés, à l'instar de ce qu'ont pu faire l'ANRS ou l'INCa.
. – Merci beaucoup. Auriez‑vous un commentaire concernant le rôle de la BARDA aux États-Unis ?
. – La Commission européenne souhaiterait créer un équivalent européen, la « Health Emergency Preparedness and Response Authority » (HERA). BARDA est très simple, il y a 5 petits départements. On ne va pas aller vers un « European Institute of Health », un NIH à l'européenne mais au moins un petit HERA.
. – La BARDA, qui a montré son utilité pour accélérer les recherches ciblées par la mise à disposition de moyens en situation d'urgence, n'a pas vocation à financer l'ensemble de la recherche en biologie‑santé aux États-Unis. C'est le NIH, avec son financement massif, qui permet à la recherche fondamentale, translationnelle et clinique américaine de rayonner comme elle le fait dans le monde aujourd'hui.
Je souhaite confirmer le sous-investissement dans le champ de la biologie et de la santé en France. L'INSB du CNRS disposait de 56 millions d'euros en 2011 et de la même somme en 2019, avec une chute entre ces deux dates, qui a été progressivement rattrapée.
Je salue ce rapport des Académies de médecine et de pharmacie. Je regrette qu'il n'ait pas associé l'Académie des sciences, qui représente toute la biologie, et qui s'en est émue. Il y a une confusion entre biologie et santé dans tout ce rapport, puisqu'un certain nombre de pans de la biologie n'ont pas de rapport avec la santé et inversement. Je regrette cet amalgame.
Par ailleurs, une très bonne coopération existe actuellement entre l'ANR, l'INSERM et l'INSB sur un certain nombre de sujets. Peut-être que, sur ce point, le rapport date un peu et que cela dépend des personnes. Or, il ne faut pas que les systèmes dépendent des personnes.
Je remercie Monsieur Migus d'avoir mentionné la cryoélectromicroscopie. Nous avons dû, après le PIA qui n'avait pas financé cette technique considérant qu'elle démarrait à peine, partir de zéro. Nous avons raté ce virage technologique et dû attendre sept à huit ans pour bénéficier d'un rattrapage, bien après l'ensemble de l'Europe.
De nombreuses discussions ont cours sur une agence de l'innovation en santé. Cette agence aurait vocation à permettre le capital risque, en coordonnant les financements. Je ne vois pas comment elle s'insèrerait dans le schéma qui nous est présenté.
Je suis en désaccord avec le constat concernant un surplus de prématurations. Nous finançons beaucoup de prématurations pour pouvoir bénéficier de quelques projets innovants. C'est ce que font le CNRS, l'INSERM et d'autres agences.
En ce qui concerne les modèles proposés, l'INSB n'est pas un organisme, contrairement au CNRS. Je ne peux donc me prononcer sur les solutions suggérées. Celles-ci me semblent toutefois comporter un certain nombre d'aspects dangereux. Les modèles proposés, notamment, sont pléthoriques dans leurs systèmes de décisions. Le point le plus handicapant que j'ai vu pendant la crise est le manque de coordination entre le ministère de la Recherche et le ministère des Solidarités et de la Santé. Ce rapport souligne en l'occurrence le manque de prise de décision et de pilotage de nos ministères.
. – Lorsque vous évoquez un manque de coordination, faites-vous davantage référence aux réponses à la crise qu'aux actions à conduire en amont pour favoriser telle ou telle recherche ?
. – Non, ce manque d'interaction entre les deux ministères a également cours en temps normal.
. – Merci beaucoup. Nous reviendrons sur certains de ces points au cours de la discussion.
. – Merci pour votre invitation à cette table ronde. Je confirme ce qui a été dit par Gilles Bloch. L'ANR alloue des fonds à des projets proposés par les chercheurs, qui n'ont pas nécessairement vocation à être des projets structurants. Les relations entre l'Agence et les opérateurs de recherche se sont en outre améliorées depuis quatre à cinq ans. Je suis globalement d'accord avec le constat concernant le déficit de financement du secteur de biologie-santé.
En ce qui concerne la baisse évoquée de la proportion du secteur biologie-santé, nous ne l'avons pas observée à l'ANR, dont un tiers du budget d'intervention est alloué à ce secteur, ceci depuis une dizaine d'années. En revanche, la chute de ce budget d'intervention est dramatique. Il était de 750 à 800 millions d'euros en 2010, a été abaissé à 350 millions d'euros en 2013 et augmente depuis progressivement, pour revenir à 750 millions d'euros en 2020. En particulier, depuis 2017, il y a une augmentation sensible de nos budgets et grâce à la LPR et au plan de relance, on passe à 1,19 milliard d'euros pour 2021. Il y a donc une augmentation sensible, qui profite à tous les domaines et pas seulement à celui de la biologie-santé. Ceci doit être mis en regard des efforts consentis par nos pays voisins européens. Le pourcentage consacré au secteur de la biologie-santé dans les agences de financement est comparable à celui de l'ANR. En revanche, les budgets diffèrent fortement. Pour l'Allemagne, ils atteignent 3,5 milliards d'euros, et en Suisse 940 millions de francs suisses.
L'expérience de la gestion des trois appels à projets sur le Covid-19 dans l'année écoulée nous a permis de tirer un certain nombre d'enseignements. Ces appels ont été menés en étroite collaboration avec l'ANRS-MIE. Nous avons également pu fédérer des fondations, telles la Fondation de France ou la Fondation pour la Recherche médicale, ainsi que des régions qui ont financé ces appels à projets. En revanche, cette articulation n'est pas allée jusqu'à son terme. Une structure de pilotage plus intégrée, associant la DGOS ou d'autres domaines liés à l'innovation, aurait permis une articulation plus complète, partant de la recherche fondamentale jusqu'à l'innovation et la recherche clinique. Ce rapport met en lumière cet aspect important.
. – Je m'associe aux remerciements relatifs à la production de ce rapport, qui permet de remettre certains points en perspective. Nous avons déjà eu la chance d'échanger avec Messieurs les Académiciens, ce qui nous a permis d'avancer dans nos réflexions sur les propositions émises dans le rapport.
Je concentrerai mon propos sur le financement de la recherche au sein des établissements de santé. Celui-ci représente 2 milliards d'euros, qui sont délivrés selon trois vecteurs de financement. La dotation socle des missions d'enseignement et de recherche MERRI représentait 1,7 milliard d'euros en 2021. Sur ce sujet, nous sommes tout à fait d'accord avec votre recommandation n° 2 en vue de rendre cette dotation plus efficace. Nous avons travaillé avec l'ensemble des acteurs du comité de pilotage recherche et innovation avec deux objectifs : soutenir une recherche d'excellence et accompagner la recherche là où elle se fait, dans les territoires. Cette première étape de révision de l'allocation a eu lieu en mars 2021. Un groupe de travail dispose de plusieurs axes pour avancer sur ce sujet. S'il est nécessaire de trouver de nouveaux indicateurs, nous y sommes ouverts. Les SIGREC et SIGAPS permettent cependant de mesurer le résultat de la recherche, ce qui constitue en soi une politique : on veut financer le résultat des recherches et donc les publications. 60 % de notre dotation sont fondés sur ce résultat en matière de publications. Le reste dépend des recherches appliquées en santé mises en œuvre dans les établissements, donc le nombre de recherches, le nombre d'inclusions en tant que promoteurs ou en tant qu'établissement investigateur.
Il existe un autre vecteur : le financement des structures de soutien à la recherche, avec le financement des directions de la recherche clinique et de l'innovation au sein des établissements de santé et les centres d'investigation clinique, qui sont labellisés conjointement par la DGOS et l'INSERM. Cela représente plus de 200 millions d'euros par an.
Enfin, la dernière forme de financement correspond aux appels à projets (programmes de recherche translationnels en santé, programmes de recherche clinique, programmes de recherche médico-économique, programmes de recherche sur la performance des systèmes de soins), pour des montants d'environ 150 millions d'euros par an, qui permettent de financer l'évolution des connaissances médicales sur le système de santé. Nous disposons de jurés scientifiques internationaux et indépendants du ministère. En 2021, nous avons sélectionné 226 projets, dont 56 sur la Covid, sur 914 projets déposés.
La gouvernance des appels à projets nous semble importante à souligner. Elle est fondée sur deux principes : d'une part, la prééminence du bottom‑up, qui garantit que les recherches sont conduites là où les chercheurs en ont les besoins et les possibilités, d'autre part, la définition de quelques priorités (psychiatrie, prévention, soins de premier recours). Nous avons réfléchi à une autre proposition du rapport de l'Académie, à savoir la création d'un comité d'orientation de la recherche, qui pourrait participer à la définition d'axes stratégiques et prioritaires de développement. Nous avons trouvé cette idée très intéressante, et elle pourrait trouver un aboutissement dans les mois à venir.
Merci pour ces échanges qui nous permettent de faire évoluer les financements que nous pouvons allouer aux établissements de santé pour la recherche. Nous sommes preneurs d'autres échanges pour améliorer encore ce dispositif.
. – France BioTech est une association qui fêtera ses 25 ans l'an prochain et fédère les entrepreneurs de la health tech, que ce soit la biotech, la medtech et l'e-santé. En France, 2 000 entreprises animent l'écosystème de l'innovation en santé. Environ 800 biotechs développent des candidats-médicaments dans un certain nombre de domaines, les domaines prioritaires étant l'oncologie, les maladies infectieuses et le système nerveux central. Plus d'un millier de sociétés développent des dispositifs médicaux, de diagnostic ou interventionnels. Et comme nous avons pu le voir entre 2019 et 2021, une croissance des entreprises de l'e-santé et de la santé digitale appliquée au système de santé est en cours. Plus de 75 % des entreprises de biotech sont issues de la sphère académique française, qu'il s'agisse d'actifs ou d'entrepreneurs. Ces entreprises ont un très fort lien avec la R&D en France, à la fois dans leur création puis dans la continuité de leurs activités, d'où un enjeu de pérennisation de la R&D sur le territoire.
J'attire votre attention sur le fait qu'il y aura, jusqu'à la fin de l'année, un cadre fiscal favorable à l'innovation, avec le statut de jeune entreprise innovante et le crédit impôt recherche, et notamment son doublement pour les recherches partenariales avec la sphère académique. L'arrêt de ce doublement du CIR, qui aura lieu en 2022, aura un impact assez fort. Nous estimons, à travers le panorama que nous réalisons chaque année, qu'environ 2 milliards d'euros par an sont injectés sur le territoire national en termes de R&D, qu'elle soit partenariale avec les structures académiques ou en recherche clinique. Sur la partie clinique, un certain nombre de choses se sont améliorées, l'environnement réglementaire est toujours complexe en ce qui concerne les comités de protection des personnes. Un certain nombre de changements ont conduit à des tirages au sort peu efficients sur le plan de l'expertise pour statuer sur la méthodologie et la protection des personnes, et qui contribuent à freiner le choix de de la conduite d'essais cliniques sur le territoire français. Du côté de l'ANSM, en revanche, la situation s'est améliorée, notamment sur les essais précoces. Or on sait bien que lorsque l'on démarre un développement dans un pays, on a tendance à continuer à le faire dans ce même pays, c'est donc là un très bon levier.
Nous sommes générateurs de nombreux brevets, en collaboration avec la sphère académique. Il s'agit d'être vigilant en ce qui concerne les transferts de technologies et des opérateurs. De ce point de vue, il y a un réel besoin de professionnalisation. Certains acteurs sont les plus compétents du domaine en fonction de l'application des métriques. Les modèles d'affaires, dans le domaine des biotechs, sont particuliers ; les sociétés se financent pour la plupart uniquement grâce à des investisseurs en capital-risque et génèrent très tardivement du chiffre d'affaires, quand elles en génèrent. Le modèle de financement est ainsi basé sur des métriques portant sur des jalons de développement et de création de valeur liés à l'atteinte d'étapes clés dans le développement industriel.
Sur le transfert de technologies, il faut avoir des gens qui connaissent le marché et les métriques pour pouvoir faciliter ces liens puisqu'on est ici à la fois dans la fondation et dans le développement, alors que les relations avec la sphère académique restent fondamentales. Il faut donc que ce soit le plus fluide possible, notamment dans tout ce qui est accords de consortium quand il y a un certain nombre de tutelles.
S'agissant du capital risque, 2 milliards d'euros sont injectés en France chaque année de la part des sociétés health‑tech. La France, à travers le PIA, a investi dans des fonds d'amorçage qui peuvent être sectoriels santé. Nous sommes arrivés en deuxième position en 2020 pour les levées de fonds sur les marchés financiers ou en capital-risque, derrière la Grande-Bretagne, l'écart étant proche d'un facteur 2. Un certain nombre d'éléments peuvent être cités, comme la fiscalité générale, qui joue un rôle très important, en particulier sur les aspects patrimoniaux, ou le coût du travail. Certaines sociétés d'investissement demandent aux sociétés de mettre leurs sièges sociaux dans d'autres pays, ce qui veut bien dire qu'un facteur d'attractivité est la fiscalité.
Par ailleurs, les entrepreneurs qui créent ces sociétés sont issus de la sphère académique et n'ont pas nécessairement les ambitions ou les capacités d'exécution que nous pouvons trouver dans d'autres pays, en raison d'une moindre porosité entre les cadres de l'industrie pharmaceutique et nos entreprises. On n'a pas un nombre de success stories suffisamment élevé pour faire en sorte que les investisseurs s'y retrouvent et prennent ce risque. Nous travaillons sur le sujet de l'acculturation de nos investisseurs avec M. Philippe Tibi, qui essaie de combler « ce trou dans la raquette » en allant chercher des investisseurs qui gèrent des fonds très structurés et sont capables de mettre des tickets très significatifs et du coup d'attirer d'autres capitaux. 22 acteurs assurantiels et parapublics se sont engagés à investir jusqu'à 6 milliards d'euros sur les 36 fonds labellisés, dont neuf dans la santé, qui ne sont pas les plus dotés aujourd'hui. Ils ont du mal à collecter auprès des investisseurs, il faut acculturer les investisseurs sur ces domaines‑là.
Il existe en France une forte dynamique entrepreneuriale, avec un secteur santé qui a produit un certain nombre d'actifs en développement, avec un niveau de maturité plutôt bon par rapport au reste de l'Europe. En revanche, nous n'avons pas les mêmes capacités financières. Il manque un alignement entre cette dynamique et la capacité de notre système de soins et de l'ensemble des acteurs des autorités sanitaires à accompagner le processus de création de valeur. La plupart du temps, ces acteurs interviennent en fin de parcours. L'agence de l'innovation en santé pourrait avoir ce rôle et réduire l'asymétrie d'informations qui affecte le ministère de la Santé, et apporter ainsi des éléments clés en matière d'attractivité pour les investisseurs privés. En effet, ceux-ci s'enquièrent de l'accord industriel avec la sphère académique ainsi que des interactions avec les autorités réglementaires et les évaluateurs, en particulier aux Etats‑Unis. C'est ainsi qu'aux Etats‑Unis, la rentabilité d'une entreprise représente environ 70 % de la valeur d'un actif et les autorités sanitaires américaines – la FDA – apportent des informations engageantes, qui sont extrêmement précieuses pour les investisseurs en ce qu'elles réduisent l'aléa. Pour nous il est très important que le système de santé revienne dans la course pour soutenir le développement de valeur de nos entreprises health tech à travers l'ensemble des informations dont elles disposent et pour les accompagner.
. – Je ne vais pas m'exprimer seulement sur l'Europe mais aussi comme ancien président d'université. Les défis auxquels nous devons faire face pourront difficilement être relevés avec des financements largement inférieurs à ce qu'investissent de nombreux pays européens. Par ailleurs, la réponse qui a été donnée sur le plan de la recherche clinique pendant la pandémie était déficiente et cela oblige à en tirer des conclusions, en particulier quant à la coordination des essais et la façon dont ils sont organisés.
Les Académies ont mis en exergue des difficultés anciennes, qui illustrent le déclin du modèle hospitalo‑universitaire, sur le renforcement duquel il convient de s'interroger. Il rencontre notamment une difficulté d'attractivité, les carrières étant peu attractives aujourd'hui.
Parmi les scénarios évoqués, et plus particulièrement le quatrième, la logique consistant, depuis 2007, à créer de grands pôles universitaires notamment labellisés par les initiatives d'excellence, encourage à aller dans cette voie, ce qui à mon avis ne crée pas de problème avec la verticalité des organismes de recherche mais nécessite une très bonne coordination. Il est nécessaire d'articuler cette logique avec les CHU. Le rapport souligne que cette coordination est insuffisante et doit être renforcée, ainsi que la nécessité de modifier la gouvernance des CHU. Il s'agit en effet d'un prérequis important.
S'agissant des questions européennes, le diagnostic me semble juste. Je suis très souvent en relation avec les instances européennes et je constate qu'il est très compliqué d'avoir une parole coordonnée. En général, il est plus long pour les responsables européens d'obtenir une vision coordonnée de la part des Français. Ceci affecte gravement notre capacité de lobbying. Un guichet unique semble donc être une très bonne idée, compte tenu des initiatives qui se présentent au niveau de l'Europe, qui vont être structurantes et auxquelles on doit répondre de manière coordonnée.
Enfin, la coordination avec les agences internationales sur le champ de la santé me semble extrêmement souhaitable. Le cœur du sujet est la revitalisation de la recherche clinique par une structuration différente des CHU et de leur coordination avec les universités et les organismes de recherche.
. – Merci beaucoup pour tous ces éclairages. Une étude parue dans la presse nationale il y a quelques semaines, titrée « La France a laissé les autres pays investir dans les vaccins », avait pour source l'Institut des Hautes études internationales et du développement de Genève. Elle chiffrait les contributions des pays et organismes investisseurs à 2 milliards d'euros pour les Etats‑Unis, 1,5 milliard d'euros pour l'Allemagne, 500 millions d'euros pour le Royaume‑Uni, 327 millions d'euros pour l'Union européenne et 17 millions d'euros pour la France. Même en tenant compte de la contribution européenne, la contribution française se trouvait ainsi largement en deçà de la contribution du Royaume‑Uni, et sans commune mesure avec l'Allemagne et les États‑Unis. Avez‑vous un commentaire là-dessus ? Je rappelle que le grand sujet politique dans le champ de la biologie-santé actuellement est lié à l'absence de vaccin opérationnel pour la France.
S'agissant du guichet unique pour le contact avec l'Europe, ne risque‑t‑il pas d'encourager les institutions françaises à ne pas investir autant qu'elles le pourraient dans leur relation avec l'Europe ? J'ai pu constater, au sein du Conseil scientifique de la Commission européenne, la très faible implication des Français dans les instances de coordination européennes. L'interlocuteur unique ne risque‑t‑il pas de favoriser ces mauvaises habitudes ?
. – L'Allemagne a un guichet unique. Sur les sept groupes de chief scientific advisors, depuis 2014, il n'y a jamais eu de médecin, pharmacien, biologiste ou vétérinaire. L'Europe est donc dirigée par un ensemble d'ingénieurs. Le Commissariat de la Recherche et de l'Enseignement a été choisi en 23e position sur 27 par la Bulgarie lors du dernier renouvellement de la Commission, cela montre bien à quel niveau l'Europe considère la recherche, la jeunesse et l'enseignement. La France a pour sa part choisi la deuxième position puisque Mme Merkel avait exigé la présidence de la commission.
. – Les vaccins de Moderna correspondent à des vaccins à ARN messager et à nanovecteurs. Or, les portefeuilles de brevets témoignent du fait que nous aurions pu les produire en France. Il y a de très bons laboratoires experts en ARN messager et de très bons brevets dans le domaine des nanovecteurs. Je positionnerais donc le problème du côté industriel. La prise de risque a manqué, comme ont manqué les investisseurs et un gros porteur industriel développant cette approche en France. L'Allemagne a pris ce risque avec BioNTech. On doit remettre en cause l'ensemble de l'écosystème.
. – En ce qui concerne les vaccins, notre chaîne de l'innovation a moins bien fonctionné que dans d'autres pays car on avait des candidats vaccins. Le financement a peut‑être été insuffisamment réactif de la part de l'Etat. Des aléas de développement industriel se sont en outre fait jour, qui sont cependant fréquents. Jamais un vaccin n'a été développé aussi rapidement. La deuxième vague de vaccins comprendra certainement des industriels français. Il faut donc que l'on fasse notre auto‑critique sur ce sujet-là et que nous accompagnions mieux les biotechs dans leur parcours réglementaire et leur accès au marché. Je pense que c'est à notre portée.
S'agissant de l'Europe, l'alliance Aviesan a conduit des actions utiles en termes de lobbying. Je suis à votre disposition, dans les semaines et mois à venir, si vous souhaitez mobiliser Aviesan de façon plus soutenue. Nous continuons à répondre quand le MESRI nous sollicite pour fournir des position papers, nous organisons une à deux fois par an des rencontres avec les parlementaires européens et nous essayons de porter des recommandations travaillées au sein des membres d'Aviesan. Il y a donc là un outil que l'on peut mieux utiliser, peut-être.
. ‑ En 2012, je présidais un centre de recherche au Gabon. Nous avions découvert des grottes abritant des milliers voire des centaines de milliers de chauves‑souris, où nous découvrions des virus. Une sénatrice de l'époque s'est rendue sur place. Nous avons ensuite publié un rapport, qui a été discuté dans cette salle. Nous avions souligné à l'époque que les financements pour la recherche et la biologie françaises et les vaccins, la structuration des organisations de recherche ainsi que la programmation internationale étaient insuffisants et tout le monde était d'accord. Ce rapport est resté prémonitoire. La question aujourd'hui est claire, pour nous. Le système a ses défauts et il existe probablement plusieurs possibilités de remèdes. Nous réfléchissons actuellement au lancement d'un grand colloque français autour de ces problèmes de la recherche en santé et en biologie. Ce serait le moyen de dépasser l'audience de nos rapports et d'aller plus loin encore vers la recherche de solutions.
. ‑ Il serait souhaitable d'organiser un second colloque faisant suite à celui de Caen, qui avait fondé la structure hospitalo‑universitaire. Une grande réflexion devrait s'engager entre tous les acteurs pour aboutir à des propositions refondatrices. Je suis d'accord avec les propos de Patrice Debré. Nous y réfléchissons en effet depuis quelque temps avec certaines des personnes ici présentes car tout le système mérite d'être revu.
. ‑ Sur la question des vaccins, nous avons interrogé récemment Suzanne Berger, qui avait publié en 2016 un rapport sur le système d'innovation et de valorisation français. Elle faisait remarquer que Moderna ou BioNTech ont pour point commun le compagnonnage entre le business et l'académique. M. Uğur Şahin, PDG de BioNTech, est aussi professeur de cancérologie. Ce n'est certainement pas la solution à tout mais ceci doit interroger notre système français, où ce type de situation serait probablement pénalisant. Dans la façon dont nous envisageons les écosystèmes d'innovation, le transfert et la valorisation, ce type de modèle pourrait être pris en compte.
. ‑ Nous avons effectivement pu l'entendre à différentes occasions. Lorsque nous comparons le monde de l'innovation français à celui des Etats‑Unis, de la Grande‑Bretagne ou de l'Allemagne, nous constatons dans ces derniers pays une imbrication plus importante entre les universités et le monde industriel, et ce dans les deux sens. Certains entrepreneurs rejoignent ainsi des conseils d'administration d'universités, et des universitaires rejoignent des conseils d'administration d'entreprises. Pour l'Allemagne, les statistiques auxquelles nous avons eu accès étaient très frappantes sur ce point.
. ‑ En termes de métriques, en comptabilisant les financements ERC en Life Sciences, nous sommes au 3e rang européen sur l'ensemble du programme H2020, ce qui reflète notre importance en Europe par rapport à notre taille.
. ‑ L'ERC est très important pour nous. Il s'agit d'un financement très intéressant de la recherche d'amont. Les brevets obtenus sur projets européens représentaient 27 % du total, alors que le financement de l'Europe sur la période précédente correspondait à environ 18 % du financement consacré à la recherche, ce qui témoigne de la nécessité d'une recherche fondamentale en amont pour faire de l'innovation. Le classement n'est en effet pas si mauvais, même si l'on rêverait d'égaler les Anglais ou les Allemands. S'agissant des bénéficiaires du programme H2020, l'INSERM était en deuxième position, alors que c'est une structure nationale, et qu'on pouvait compter cinq universités hollandaises dans les 13 premiers bénéficiaires. Ceci témoigne d'un certain fossé.
. ‑ Les performances que nous observons depuis plusieurs années sur les essais cliniques, en particulier de phase précoce, sont beaucoup moins bonnes. Nous sommes aujourd'hui moins bien placés que des pays qui n'ont pas la même envergure que la France sur le plan scientifique, comme l'Espagne.
. ‑ Nous avons également évoqué un financement déficient sur les phases 2 et 3, nous avons donc ces deux facteurs qui reviennent.
Nous arrivons à la fin de ce débat ouvert autour du rapport qui nous a été présenté par l'Académie de Médecine. L'Office établira bientôt ses conclusions, mais je souhaite tirer d'emblée une brève synthèse de vos interventions.
Le rapport de l'Académie de médecine a le mérite d'aborder le sujet. Certains éléments devront être approfondis, et s'enrichiront du dialogue d'autres académies, comme celle des sciences. Sur la question du diagnostic, les recherches en biologie et santé sont encore excellentes, comme le démontrent les résultats à l'ERC et la place dans le programme Horizon 2020. Une érosion se fait cependant jour, avec la persistance de freins liés à la complexité du système, à un défaut de financement et à des questions de lisibilité et de complexité. Il faut être très clair par rapport à l'agenda politique, au vu de la succession de chamboulements qui sont survenus dans la dernière décennie et du débat douloureux qui a eu lieu à l'occasion de la loi de programmation de la recherche ; une grande remise à plat institutionnelle n'est pas à l'ordre du jour. Il faut en revanche garder à l'esprit certains de ces défauts structurels en attendant des occasions de modification, il faut mieux utiliser l'existant – notamment Aviesan – pour mieux organiser les coordinations et permettre l'avancée de certains projets. Je retiens vos alarmes sur le modèle hospitalo‑universitaire et sur l'importance de relever la barre en matière d'attractivité. Je prends également note des difficultés et freins existants en matière de réglementation et de moyens, ainsi que de la spécificité des besoins du domaine biologie‑santé en la matière. Le rapport avec les écosystèmes des entreprises et de l'industrie n'est pas le même que dans d'autres pays, la complexité, l'histoire et la culture jouant en notre défaveur. Malgré cela nous avons des grands succès – des prix Nobel, des instituts prestigieux, des succès ERC – mais pour tant de difficultés.
Si nous analysons l'événement traumatique qu'a connu la France en matière de vaccins, en dehors de l'hypothèse d'un aléa, nous ne pouvons qu'être frappés par le manque de réactivité de la réponse et par la faiblesse des montants investis en France. Vous avez également souligné à de multiples reprises la difficulté à lancer les essais : difficultés réglementaires, manque de coordination, multiplicité de petits essais qui n'ont pas été suffisamment efficaces. Il nous faudra prendre le temps de tirer le bilan complet de cette crise en matière sanitaire et de recherche en santé. Nous parlions également de la BARDA, évoquée dans le rapport de l'OPECST de décembre dernier. M. Bernard Charpentier nous a rappelé qu'une démarche était envisagée au niveau européen à ce sujet. La question de l'échelle nationale et de l'échelle européenne a été soulevée à plusieurs reprises. La France rencontre de ce point de vue une difficulté liée au manque de culture de coopération avec les échelons européens. M. Bernard Charpentier nous a rassurés quant au fait que l'interlocuteur unique soit une solution déjà pratiquée par d'autres pays, qui peut s'avérer efficace. Cette suggestion de l'Académie de médecine semble donc pertinente. Il s'agira de déterminer comment mieux utiliser l'Europe.
Le manque de coordination entre le ministère de la Santé et le ministère de la Recherche a également été relevé. Nous l'avons expérimenté au sein de l'OPECST, à l'occasion d'auditions. Il est de notre devoir de parlementaires contrôlant l'action du gouvernement de faire un retour au gouvernement sur ce sujet.
La coordination entre l'amont et l'aval a aussi été évoquée. S'agissant de l'aval, nous nous heurtons au volume des fonds mobilisables en investissement. Nous avons compris qu'une partie de la difficulté était liée à la complexité de l'environnement français ainsi qu'à des questions de réputation et à la façon dont les enjeux écosystémiques sont plus ou moins pris en compte. Il se pose notamment le sujet de la moindre porosité, en France, entre le milieu universitaire et le milieu industriel. Nous devrons travailler à l'amélioration de cette porosité, en étant attentifs aux conflits d'intérêts bien entendu. Il y a une époque où nous pensions que c'était avec des Sociétés d'accélération du transfert de technologies (SATT) et des structures chargées de faire le transfert que nous allions résoudre cette question. Le bilan partiel que l'on peut tirer aujourd'hui, comme l'a souligné dans un rapport la Cour de comptes, est que c'est une solution très insatisfaisante. Si certaines SATT parviennent à tirer leur épingle du jeu, d'autres s'avèrent beaucoup moins efficaces, voire agissent de façon contre-productive. Essayer de résoudre une question culturelle avec une évolution institutionnelle n'est pas forcément une bonne idée. Notre pays est aujourd'hui trop cloisonné pour faire face à des défis qui doivent être traités dans un dialogue étroit entre les acteurs.
Faut‑il trancher entre les scénarios évoqués par le rapport de l'Académie de médecine ? La question est posée mais ce n'est pas maintenant qu'elle va venir à l'ordre du jour du calendrier parlementaire, au vu des longs débats que nous avons eus sur la LPR. Mais on sait que plus de 10 ans après qu'il a été lancé, le mouvement d'autonomie des universités n'est pas achevé. On pensait initialement que cette réforme prendrait quelques années, on se rend compte que plusieurs décennies est un horizon plus réaliste.
Chers collègues et invités, l'OPECST a eu le plaisir d'organiser cette audition sur un sujet majeur. Nous resterons en contact pour le suivi de ces échanges. Je vous remercie.
La réunion est close à 13 heures.