. – Une réflexion de l'Office sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie‑santé s'imposait dans le contexte de la pandémie de la Covid‑19, marqué par la mise en cause des dispositifs de recherche et d'innovation en sciences biologiques et santé et par les déboires des laboratoires français concernant la mise au point d'un vaccin. L'organisation de la recherche et de son financement ont également été très débattus lors de la préparation de la loi de programmation de la recherche.
En 2020, l'Office avait déjà entendu l'Académie nationale de médecine pour la présentation de ses premières réflexions sur le sujet. Le 24 juin 2021, à la suite de la publication du rapport final des Académies nationale de médecine et de pharmacie, une audition publique a été organisée afin de débattre des évolutions souhaitables pour la recherche en sciences biologiques et santé, avec les principaux acteurs du domaine.
Le périmètre des sciences biologiques et santé n'est pas clairement défini, comme le montrent les comparaisons internationales. L'ambiguïté et l'arbitraire auraient été pires si nous avions voulu séparer les sciences biologiques de la santé. Par conséquent, tout en sachant que la solution adoptée n'est pas parfaite, nous pouvons considérer qu'elle correspond au moins mauvais choix.
La première partie des conclusions concerne le financement de la recherche et du développement en biologie‑santé, que les participants ont jugé faible par rapport aux efforts qui avaient pu être annoncés, mais aussi comparativement aux moyens consacrés par les pays les plus avancés et à ce qui est attribué aux autres secteurs de la science. En France, les grands programmes de recherche scientifique se sont construits autour de la physique plus que de la biologie et aujourd'hui encore, nous mesurons les conséquences de cet ancrage historique. Nous constatons par ailleurs une certaine érosion de la production scientifique. Au cours des quinze dernières années, la France est passée de la cinquième à la huitième place en termes de volume de publications en matière de santé et de biologie. L'obtention de financements et de bourses internationaux s'inscrit également à la baisse. La France se place au troisième rang des financements en sciences de la vie alloués par le Conseil européen de la recherche sur l'ensemble du programme Horizon 2020. En normalisant les allocations reçues par rapport à la population de chaque pays, la France ressort à la quinzième place. Cette situation résulte à la fois des performances de la France en matière de biologie‑santé et de ses difficultés globales à s'insérer dans les programmes européens.
Au‑delà de leur faiblesse, le système de financement et les investissements se caractérisent par leur fragmentation et leur complexité, en particulier sous l'effet de la double tutelle du ministère de la Solidarité et de la Santé (MSS) et du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), les deux ministères présentant un faible niveau de coordination. La recherche française souffre par ailleurs d'une organisation « en millefeuille » ou « en Mikado ». Les financements pourvus par la mission budgétaire interministérielle Recherche et Enseignement supérieur (MIRES) sont insuffisants et sont en baisse tendancielle, alors que les demandes s'inscrivent plutôt à la hausse. Les budgets des établissements stagnent, en particulier ceux de l'Inserm et de l'Institut des sciences biologiques du CNRS. En soustrayant la part consacrée aux rémunérations du personnel, qui elle‑même progresse peu, les montants disponibles pour financer les laboratoires sont restreints et constants depuis au moins dix ans, alors que la demande d'investissement augmente.
Par ailleurs, les projets présentés lors des appels à projets obtiennent un taux de succès faible. Les appels à projets se caractérisent eux‑mêmes par une durée de financement courte, de trois ans, inadaptée au domaine de la biologie‑santé et à la prise de risque. Le préciput alloué ne se situe ces dernières années qu'au niveau très faible de 11 %, bien que la LPR prévoie des marges plus élevées pour le préciput, pour financer à la fois les frais d'hébergement, le laboratoire qui accueille administrativement le projet et les autres laboratoires de l'établissement. Globalement, les appels à projets sont mal dimensionnés par rapport aux besoins du secteur.
Une partie de la discussion a porté sur les dotations reçues au titre des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) et sur la façon dont le ministère évalue et soutient ces différentes actions. La principale recommandation des Académies consiste à réformer les subventions aux structures hospitalières et leur mode d'attribution en confiant l'allocation de ces crédits « socles », hors enseignement, à un conseil d'orientation de la recherche hospitalière qui aurait pour but d'expliciter et de coordonner la stratégie et la programmation de la recherche hospitalière au niveau national. La gestion des appels à projets serait confiée à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et l'évaluation des structures au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Pendant l'audition, les représentants du ministère de la Solidarité et de la Santé se sont dits très attentifs à cette suggestion et conscients de l'importance de revoir la procédure d'allocation de ces crédits.
S'agissant des autres financements, il a été observé que le Programme d'investissements d'avenir (PIA) consacre une part relativement importante de ses crédits à des projets de biologie‑santé. Les collectivités territoriales leur accordent également des financements non négligeables mais ceux‑ci sont hétérogènes selon les départements et régions. En outre, ils sont majoritairement consacrés au transfert de technologies et aux opérations immobilières. Enfin, des financements proviennent aussi de l'Union européenne, malgré la médiocre performance que j'ai mentionnée précédemment. Le secteur associatif a également été évoqué. Le rapport présente ainsi un paysage assez éclaté des financements, bien que toutes ces sources soient importantes.
La seconde partie de l'audition a été consacrée à l'organisation de la recherche en biologie‑santé. La pandémie de la Covid‑19 est apparue comme un révélateur de la complexité de l'organisation de la recherche en biologie‑santé en France. Comme l'Office avait déjà pu le constater, le très grand nombre d'essais cliniques de petite taille engagés en France donne l'image d'un manque de coordination et d'une inefficacité du système. Un système de recherche se structure selon trois niveaux : le niveau national, le niveau de la programmation à travers les agences et le niveau des opérateurs qui gèrent les laboratoires et organisent les recherches sur le terrain. La coordination au niveau national dépend à la fois du MSS et du MESRI. Là encore, un manque de cohérence entre ces deux ministères a été pointé du doigt. La question de la coordination de la programmation et des opérateurs a également été soulevée, de même que le rôle des alliances, en particulier de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).
Il semble que le niveau sur lequel il serait le plus urgent d'agir sans causer de difficulté institutionnelle correspond à la coordination entre les ministères. Les niveaux de coordination entre institutions relèvent de l'organisation générale de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ils sont relativement sensibles et il n'y a pas lieu de revenir sur leur organisation dans la foulée de la LPR. En ce qui concerne l'Aviesan, il avait été précisé lors de la création des Alliances qu'elles n'avaient pas vocation à devenir une structure administrative de plus, à posséder une personnalité morale et à être dotées de budgets et du pouvoir d'édicter des prescriptions contraignantes. Il convient donc de trouver la bonne façon de les revitaliser sans pour autant en faire une structure à part entière. Les Alliances doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle de club de discussion et de confrontation entre les différents acteurs.
L'audition est revenue sur les conséquences internationales de la fragmentation de la recherche et du manque de coordination. Sur ce sujet, l'Académie nationale de médecine s'est montrée très sévère quant à la cacophonie observée dans la représentation française auprès des organes de décision européens et a recommandé de regrouper les différents établissements et structures publiques d'enseignement et de recherche dans une politique de guichet unique auprès des acteurs bruxellois, en désignant un Haut Représentant des acteurs scientifiques français auprès de la Commission et du Parlement européens. Cette solution a fait ses preuves dans d'autres pays. L'OPECST l'encourage donc également.
La recherche vaccinale aux États‑Unis a connu le succès que l'on sait grâce à un rôle fort de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), qui a le pouvoir de mobiliser d'importants investissements et moyens humains dans un contexte d'urgence sanitaire. Dans ses précédentes conclusions sur la stratégie vaccinale française, l'OPECST émettait déjà le vœu que l'Union européenne s'en inspire. Cette suggestion est également pleinement poussée par les Académies. L'un des représentants de la France auprès des institutions européennes a rappelé l'existence du projet Health Emergency Response Authority (HERA) au niveau de l'Union européenne, qui constituerait effectivement une déclinaison européenne de la BARDA. Nous soutenons donc ce projet.
L'audition a repris à son compte les conclusions du rapport très critique de la Cour des comptes sur les dispositifs de valorisation de la recherche, qu'elle jugeait globalement inefficaces. Il existe une grande hétérogénéité entre ces dispositifs de valorisation, tous ne fonctionnant pas. Il est donc important de mieux mettre en œuvre les synergies et les valorisations et de permettre le déploiement d'investissements publics et privés pour franchir la fameuse « vallée de la mort » que doivent franchir les jeunes sociétés innovantes avant d'espérer trouver le succès commercial. Néanmoins, la solution ne réside pas dans la création de nouvelles structures ou de nouvelles actions administratives mais plutôt dans le renforcement des habitudes et de la culture des acteurs en matière de valorisation de la recherche.
Les Académies ont proposé les quatre scénarios suivants pour réformer le système actuel de recherche en sciences biologiques et santé :
la création d'un institut unique fédérant la recherche en biologie‑santé qui aurait pour but de préparer la stratégie de recherche nationale et de coordonner sa programmation et sa mise en œuvre par les organismes actuels, tout en veillant à centraliser la mise en place d'une politique internationale et de soutien à l'innovation ;
‑ la création, au sein de l'Inserm, d'un institut de coordination de la recherche publique en biologie‑santé ;
‑ la mise en place d'un système analogue à l'organisation britannique, dans lequel une structure unique serait chargée de la programmation pour l'ensemble des domaines de recherche ;
‑ l'abandon du système de tutelles multiples pour les laboratoires via un transfert du rôle d'opérateur de recherche des EPST vers les universités et les CHU.
Ces réformes présentent le mérite de proposer des solutions à des problèmes cuisants. Elles impliquent néanmoins une profonde réorganisation du système de recherche en biologie‑santé. Or il n'est pas clair que le contexte soit favorable à une modification aussi sensible, au regard des éléments de calendrier rappelés. Il est important en revanche de se préparer en vue du jour où de nouvelles restructurations interviendront.
En conclusion, la comparaison des financements alloués par la France et par les autres pays développés à la recherche en biologie‑santé démontre à la fois un retard de la France, accru au cours des dernières années, et une claire insuffisance de ce financement dans notre pays. Si les financements prévus par la loi de programmation de la recherche sont susceptibles de combler – au moins en partie – ce déficit, le groupe de travail constitué par les Académies nationales de médecine et de pharmacie regrette qu'aucune trajectoire d'investissement spécifique au domaine biologie‑santé ne soit précisée, alors même que la santé y est considérée comme l'une des trois grandes priorités de recherche. À l'obstacle du financement s'ajoute une difficulté liée à la diversité des acteurs du système de recherche en biologie‑santé, et au manque de coordination entre eux. Ceci réduit l'efficience du système de recherche, crée certaines redondances au niveau national et conduit également à des difficultés de représentation de la recherche française dans les instances internationales. Cette pluralité entraîne des difficultés pour la valorisation de la recherche, qui mériterait d'être adaptée aux contraintes spécifiques du domaine de la biologie‑santé.
Il pourrait donc être recommandé de :
‑ porter les financements dédiés à la recherche dans le domaine des sciences biologiques et de la santé à un niveau comparable à celui attribué par les pays européens les plus avancés dans cette recherche ;
‑ encourager la coordination entre les différents niveaux du système de recherche : entre le ministère de la Solidarité et de la Santé et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation pour définir une stratégie nationale claire et ambitieuse de recherche en biologie‑santé ; au niveau des différents pourvoyeurs de moyens pour faire émerger une politique de programmation ciblée sur les thématiques prioritaires identifiées par la stratégie nationale ; au niveau des opérateurs en renforçant l'influence de l'Aviesan, notamment dans le but de conduire des recherches pluridisciplinaires et translationnelles ;
‑ unifier le système de représentation scientifique auprès de l'Union européenne et des autres instances internationales ;
‑ faire évoluer le système de valorisation de la recherche et de promotion des investissements privés pour permettre à davantage de start‑up prometteuses de franchir la « vallée de la mort ».
Au‑delà de la synthèse et des préconisations, le dialogue avec les Académies de médecine et de pharmacie est important pour la bonne marche des institutions qui se consacrent aux sciences et au pilotage de la recherche. Il devra être renouvelé régulièrement