Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 15 juillet 2021
La réunion est ouverte à 9 h 35.
Audition d'Étienne Crépon, président du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), sur le rapport annuel du Centre pour 2020
. – Nous sommes très heureux de poursuivre aujourd'hui une tradition bien établie et importante à savoir l'audition par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), ici représenté par son président Etienne Crépon. Nous savons à quel point les questions relatives au bâtiment sont importantes en général et très actuelles pour des raisons écologiques, sociales et industrielles. Nous connaissons également l'importance des débats parlementaires sur ces sujets.
Pour rappel, le CSTB est un établissement public à caractère industriel et commercial créé en 1947, qui se maintient à la pointe des travaux sur le bâtiment. Il est placé sous la triple tutelle des ministères chargés des relations avec les collectivités territoriales, de la transition écologique et de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Le CSTB est doté d'un effectif de 971 collaborateurs au 31 décembre 2020et d'un budget de plus de 100 millions d'euros. Ses activités principales sont la recherche et l'expertise, l'évaluation technique, la certification, les essais et la diffusion des connaissances. Etienne Crépon a lui‑même qualifié le CSTB d'« entreprise publique au service de ses clients et de l'intérêt général ». L'article 9 de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique dispose que le CSTB établit un rapport annuel d'activité qu'il remet au Gouvernement et dépose sur les bureaux de l'Assemblée nationale et du Sénat qui en saisissent l'OPECST. Cette disposition est effective depuis le décret d'application de mai 2016.
. – C'est effectivement maintenant une tradition bien établie que celle consistant pour le CSTB à présenter devant l'OPECST son rapport annuel et son bilan d'activité. Pour l'année 2020, nous avons choisi de publier un rapport Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) valant rapport d'activité. Nous estimons en effet que dans le cadre de la transformation globale de la société, qui a été accélérée par la crise sanitaire, nous devons en tant qu'établissement public industriel et commercial au service de l'intérêt général et de nos clients, mieux affirmer nos démarches RSE. C'est ce qui nous a conduits à faire le choix d'un rapport qui couvre à la fois la RSE et l'activité de l'établissement.
Comme toutes les organisations, le CSTB a été en 2020 très fortement marqué par la crise sanitaire et a dû et su basculer en mode de travail à distance quasiment du jour au lendemain. Nous n'avons été ni meilleurs ni plus mauvais que les autres dans la mise en œuvre de cette nécessité. En revanche, la crise sanitaire, dans le secteur du bâtiment, a clairement fait réémerger un sujet qui était passé au second plan, derrière les transitions environnementales et numériques, à savoir la question du confort et de la salubrité des bâtiments, au‑delà des fake news sur la durée de vie des virus et la propagation de la Covid‑19 dans les espaces fermés. Cette situation nous a amenés à mobiliser les connaissances scientifiques existantes et à déterminer les connaissances manquantes sur la propagation et la survie des agents pathogènes dans un espace bâti.
Nos travaux d'expertise, c'est‑à‑dire de mobilisation des connaissances existantes, ont consisté à examiner avec le conseil départemental des Hauts‑de‑Seine comment optimiser l'exploitation de ses collèges pour limiter au maximum le risque de contamination. Nous avons mené ces travaux pendant l'été 2020 et en avons remis les conclusions au conseil départemental en septembre 2020. D'un commun accord avec notre mandataire, nous les avons rendues publiques pour qu'elles puissent profiter à l'ensemble de la collectivité nationale et au‑delà.
Ces conclusions relèvent globalement du bon sens, consistant à séparer les flux et à les limiter en faisant se déplacer les professeurs entre les classes plutôt que les élèves. Des travaux plus pointus ont été conduits sur la stratégie de ventilation d'une classe, entre une ventilation forte une ou deux fois par jour et une ventilation légère mais très régulière. Il apparaît que la meilleure solution consiste à ventiler un peu quasiment à la fin de chaque cours.
Ces travaux d'expertise nous ont amenés à prendre conscience d'un déficit de connaissance sur la propagation et la durée de vie d'un virus dans un espace bâti comportant des matériaux de plus en plus complexes. Cela nous a amenés à lancer en fin d'année dernière un programme de recherche qui se déroulera sur les trois prochaines années. Ce programme vise à analyser comment se propage un agent pathogène en fonction du type d'espace bâti, quelle sera la durée de vie de cet agent pathogène sur les différents types de surface d'un espace bâti et quelles solutions de remédiation peuvent être mises en œuvre pour en limiter la nocivité. Notre objectif n'est pas d'apporter une réponse à la crise sanitaire actuelle mais de nous préparer à une prochaine crise équivalente. Nous mènerons ce programme en partenariat avec des établissements de recherche plus spécialisés dans les questions de santé, le CSTB ne possédant pas de chercheur en biologie. Nous comptons disposer des premiers livrables dans le courant de l'année 2022 et terminer la première phase de ce programme de recherche d'ici fin 2023.
L'année 2020 a par ailleurs été marquée par la refonte du pilotage de la recherche au CSTB. Jusqu'à présent, à l'instar d'un certain nombre d'organismes scientifiques, notre recherche était structurée selon une organisation très disciplinaire, entre les sujets relatifs à l'énergie et à l'environnement, à la santé et au confort, à la maîtrise des risques, au numérique et aux usages. Cette approche très classique et efficace atteint néanmoins clairement ses limites pour l'étude de l'objet complexe que constitue le bâtiment. Il n'est pas possible de réfléchir sur le bâtiment simplement à l'aune des questions d'énergie et d'environnement car cela risquerait d'entraîner des dommages collatéraux sur la question de la santé ou du confort. Ce constat, partagé avec notre conseil scientifique, nous a amenés à refondre complètement le pilotage de notre recherche. Tout en maintenant des équipes disciplinaires, nous avons, pour le pilotage, défini quatre domaines d'action stratégiques de recherche afin d'aborder les questions du bâtiment de façon beaucoup plus transversale, couvrant les thématiques suivantes :
‑ le bâtiment face aux changements climatiques ;
‑ bien vivre dans son bâtiment et son quartier ;
‑ fiabiliser l'acte de construction et de rénovation ;
‑ le bâtiment face aux enjeux de l'économie circulaire et de l'économie des ressources.
Nous avons mis en place cette structuration en désignant fin 2020 les quatre directeurs de domaine d'action stratégique, constituant la structure faîtière du pilotage de la recherche du CSTB. Je leur ai demandé de présenter dans le rapport d'activité pour 2020 leur vision des enjeux du domaine stratégique dont ils ont la charge.
Nous avons été très mobilisés sur les questions environnementales, notamment en accompagnement de l'État, que ce soit pour l'élaboration de la réglementation environnementale qui entrera en vigueur en fin d'année ou pour la fiabilisation de l'acte de rénover au travers des projets que nous avons menés avec l'ensemble de la filière, mais également sur les sujets de réponse aux agressions extérieures, notamment naturelles, avec la poursuite de nos travaux sur Marseille.
. – Le bâtiment est un secteur porteur de nombreuses innovations, qu'il s'agisse des modes de construction ou des matériaux utilisés ; je pense par exemple à l'utilisation des terres excavées comme matériau de construction ou à l'impression 3D pour remplacer la maçonnerie. Quelle est la stratégie du CSTB sur la validation et la consolidation de ce genre d'innovations pour qu'elles deviennent des normes constructives et pour permettre leur couverture par la garantie décennale ? Ces innovations représentent par ailleurs les déchets de demain, rapporteur spécial. Quelle est la position du CSTB sur l'économie circulaire et sur la responsabilité élargie du producteur (REP) du bâtiment ? Quel regard portez‑vous sur le Building Information Modeling (BIM), qui permet d'intégrer au passeport numérique du bâtiment l'ensemble de ses composantes énergétiques et constructives, pouvant être en lien avec des notions de sécurité et de santé ?
. – Pensez‑ vous qu'il conviendrait de rendre obligatoire la prise en compte de la seconde vie des matériaux dès la construction du bâtiment ?
. – A l'origine, le CSTB a été créé pour accompagner l'innovation et être l'évaluateur français des produits innovants. Cette démarche d'évaluation existe dans quasiment tous les grands pays développés parce qu'un produit doit disposer, pour accéder au marché, d'une attestation juridiquement non obligatoire mais rassurant l'ensemble des acteurs. En France, cette mission est dévolue au CSTB, qui est très mobilisé sur l'évaluation des produits innovants notamment liés aux filières biosourcées ou naturelles. Nous avons effectivement travaillé sur l'utilisation de la terre crue ou cuite mais également sur l'utilisation de produits tels que le lin, le chanvre ou la laine. Ces dernières années, nous avons constaté que l'innovation est de plus en plus le fait d'acteurs ne possédant pas la structuration de recherche et développement propre aux grands groupes industriels. Par conséquent, nous réfléchissons actuellement aux moyens d'accompagner ces acteurs dès l'amont pour les aider à passer du concept au produit répondant aux attentes du marché, dans le strict respect des principes déontologiques. Les personnes du CSTB qui accompagneront l'acteur ne seront en aucune manière impliquées dans l'évaluation du produit.
C'est également dans cette logique que nous avons mis en place un incubateur d'entreprises, le CSTB Lab, qui accueille un certain nombre de start‑up développant des produits et concepts innovants. Le CSTB Lab accueille notamment une société qui propose de réutiliser à l'intérieur des bâtiments les boues de dragage jusqu'à présent relarguées au large en mer et qui devront être traitées sur terre à l'horizon 2024. En revanche, le CSTB n'est pas chargé de la normalisation au sein du secteur de la construction. Cette responsabilité appartient à l'Afnor.
Nous travaillons depuis plusieurs années sur le sujet de l'économie circulaire, pour lequel nous constatons clairement depuis 18 à 24 mois une montée de l'intérêt de la part de l'ensemble des acteurs de la filière de la construction. Ce thème fait l'objet d'un domaine d'action stratégique de recherche du CSTB, qui se décline en plusieurs sous‑thèmes dont le premier porte sur le gisement de matières premières secondaires que représente le parc existant, que ces matières soient réinsérées dans d'autres constructions ou dans des produits. Le deuxième sous‑thème traite de la capacité du secteur du bâtiment à incorporer des matières premières secondaires, qu'elles proviennent du secteur du bâtiment ou d'autres secteurs. Enfin, le troisième axe de travail consiste à étudier comment optimiser la conception des bâtiments pour faciliter leur seconde vie ou leur déconstruction.
Les travaux du premier sous‑thème sont menés avec l'Ademe dans un cadre territorialisé, les produits de déconstruction n'ayant pas vocation à parcourir de longues distances vers leur site de réemploi. Les travaux du deuxième axe portent sur les produits de construction dans le cadre de nos activités d'évaluation et de certification. Nous travaillons notamment avec la filière industrielle pour voir comment incorporer des matières premières secondaires aux produits de construction et quel en sera l'impact sur la performance du produit sur le plan sanitaire ou en termes de durabilité. Nous commençons par ailleurs à mener des travaux sur la réutilisation, en l'état ou après un très léger travail, des produits issus de déconstruction, notamment pour voir comment leur salubrité est analysée. En Europe, le secteur du bâtiment se caractérise par le fait que les objets qu'il produit ont vocation à durer cinquante ans, voire plus de cent ans. Par conséquent, lorsque nous déconstruisons un bâtiment aujourd'hui, nous récupérons des produits de construction qui relèvent des standards et des normes d'il y a cinquante à cent ans. Or les règles sanitaires sont beaucoup plus drastiques aujourd'hui. Dès lors, un travail doit être mené sur l'évaluation de la performance sanitaire des matériaux de construction réemployés afin de s'assurer qu'ils respectent les règles sanitaires s'appliquant aux constructions neuves.
Nous travaillons sur l'utilisation de la maquette numérique pour optimiser les projets de déconstruction. À ce jour, numériser un bâtiment coûte un peu moins de 50 centimes du mètre carré, soit quelques milliers d'euros pour un bâtiment de 10 000 mètres carrés soit 140 logements. Par conséquent, nous travaillons, notamment avec des établissements publics fonciers, pour voir comment la numérisation permet d'optimiser, lors d'une déconstruction, l'identification des matériaux pouvant être réemployés, ceux pouvant être recyclés et ceux devant être placés en décharge. Ces travaux devraient aboutir dans le courant de l'année 2021. Au‑delà de l'utilisation du BIM pour la déconstruction, nous sommes très mobilisés sur l'utilisation de maquettes numériques, notamment pour simuler la performance d'un quartier avant sa réalisation, ou pour renforcer la capacité de concertation menée par la collectivité ou l'aménageur avec les riverains. Nous intervenons également sur l'utilisation de la maquette numérique à l'échelle du bâtiment, en accompagnant l'ensemble de la filière dans l'appropriation de ce nouvel outil. Dans ce domaine, le CSTB a été mandaté par l'État pour développer et gérer la plateforme Kroqi, mise à disposition des acteurs pour leur permettre de se saisir des outils numériques sans coût d'entrée. Dans le domaine de la recherche, nos travaux portent sur l'utilisation de la maquette numérique pour optimiser l'exploitation‑maintenance des bâtiments et des outils de Lean Data pour exploiter les données générées par un bâtiment afin d'en améliorer la performance.
. – Le sujet de l'isolation donne lieu à des divergences concernant les matériaux et leur utilisation. Dans son rapport rendu public il y a quelques semaines, la mission d'information de la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale relative à la rénovation thermique évoque la nécessité de faire évoluer les procédures et les cadres réglementaires pour améliorer la mise sur le marché de produits de rénovation thermique. Quel est votre avis sur ce sujet ? Qu'en est‑il des travaux du CSTB sur le chanvre, matériau sur lequel il conviendrait de progresser ?
Je serais également intéressé par l'avis du CSTB sur l'effet de mode dont bénéficient les purificateurs d'air, provoqué par la crise sanitaire. Dans ma région, certains laissent penser que l'installation d'un purificateur d'air dans une salle accueillant du public suffirait presque à supprimer le risque de contamination. Je m'étonne donc de la communication menée sur ce sujet en l'absence d'étude scientifique sur l'efficacité des purificateurs. Le CSTB mène‑t‑il des travaux dans ce domaine ?
. – Quel accompagnement des acteurs de la construction le CSTB assure‑t‑il dans le domaine de la modularité des bâtiments ? Préconisez‑vous d'utiliser des purificateurs d'air dans les salles de cours ou de simples mesures de bon sens de ventilation ? Assurez‑vous auprès de l'Afnor un rôle de conseil pour la normalisation de la qualité de l'air intérieur dans les logements et les salles de cours ?
. – Qu'en est‑il des tests in situ sur la qualité de l'air ?
. – Si nous testons les produits utilisés par le secteur de la construction, c'est principalement pour assurer leur comparabilité, notamment en termes d'isolation. L'objectif consiste à offrir aux maîtres d'ouvrage la capacité de comparer la performance des différents produits dont ils disposent. Ces tests de produits s'effectuent en respectant des règles a minima européennes, voire internationales. Le règlement européen (UE) n° 305/2011 du 9 mars 2011 établissant des conditions harmonisées de commercialisation pour les produits de construction interdit aux États membres et aux acteurs économiques de définir une autre règle que celle qui a été normalisée. Ce n'est qu'en l'absence de norme européenne qu'un pays peut définir un protocole spécifique.
Le sujet de la mesure in situ a été fortement porté par un certain nombre d'acteurs. Dans plusieurs domaines, dont celui des isolants, nous avons au titre de nos activités non mandatées par l'État effectué des expérimentations et proposé à des acteurs économiques d'attester la performance de leurs produits non normalisés au travers des mesures in situ. À ce jour, force est de constater qu'à part un industriel très motivé sur le sujet, aucun acteur économique n'est demandeur.
. – Les constructeurs automobiles n'étaient pas demandeurs de tests en conditions réelles. Il est tout aussi logique que les fournisseurs de produits de construction ne soient pas favorables à des mesures susceptibles de remettre en cause leurs propres mesures. Par conséquent, pourquoi leur demander leur accord ?
. – Le CSTB ne possède pas de pouvoir réglementaire et n'entend pas s'arroger des prérogatives qui ne lui reviennent pas. Il ne lui revient pas de définir les règles qui s'imposent au marché. Ce pouvoir appartient à l'État et aux structures de normalisation dans le cadre du règlement européen sur les produits de construction. Le CSTB ne peut imposer à un acteur économique d'appliquer telle ou telle modalité d'attestation de la performance de ses produits. Cette responsabilité relève de l'Union européenne ou de l'État. En revanche, lorsque le champ réglementaire nous le permet, il nous appartient d'offrir aux acteurs économiques une alternative entre différentes solutions.
Nous avons fait progresser nos connaissances scientifiques pour permettre des mesures in situ scientifiquement robustes, ce qui nécessite de prendre en compte toute la diversité des situations. Nous avons donc défini des protocoles permettant d'assurer la comparabilité et la réplicabilité des tests de produits isolants entre des régions aux climats différents. Or la production d'une information éclairante pour les maîtres d'ouvrage et les particuliers nécessite un nombre de tests in situ très important, ce qui constitue une barrière économique pour des produits à faible valeur ajoutée. Les fabricants réalisent en effet une marge de 1 à 3 % sur les isolants, contre plusieurs dizaines de pour cent pour une voiture. Il n'est pas possible d'effectuer les mêmes tests sur un produit à faible valeur ajoutée que sur un produit à forte valeur ajoutée.
Nous sommes comme vous très interrogatifs sur la solution « magique » des purificateurs d'air mise en avant par les industriels. C'est pourquoi le programme de recherche scientifique que nous lançons comporte une étude de la performance réelle et objectivable de produits ou systèmes présentés comme permettant de traiter les virus ou autres bactéries. Par le passé, nous avons été amenés à travailler sur des dispositifs d'amélioration de la qualité de l'air de type brûleur d'huile essentielle. Les travaux que nous avons publiés en relativisent l'efficacité.
Les travaux réalisés pour le département des Hauts‑de‑Seine portaient sur des classes de collège. Par conséquent, nos préconisations concernent la gestion des flux au sein d'un établissement scolaire.
. – La bonne gestion des flux dans un bâtiment est devenue une préoccupation importante dans un contexte de post‑pandémie, ce qui a notamment provoqué une révision en profondeur des plans du futur hôpital de Saclay. Dans ce domaine, conduisez‑vous des travaux sur d'autres bâtiments que les collèges ?
Pouvez‑vous nous en dire davantage sur la façon dont vous avez mené vos expériences sur la ventilation des salles de collège ? Lors d'une visite récente à Dassault Systèmes, une délégation de l'OPECST a assisté à des simulations de flux d'air dans différents modèles de bâtiments et il nous a été expliqué que la bonne façon de ventiler une pièce dépend fortement de sa configuration interne. Comment la variabilité des plans des collèges est‑elle prise en compte dans votre expérience ?
L'arrêt de la Cour de cassation de 2019 qui a conclu vingt ans de procédures judiciaires entre le syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées et la société Actis a établi que les performances réelles de la laine minérale n'atteignent pas celles mesurées en laboratoire et qu'il peut exister un facteur 4 entre la performance annoncée et la performance sur le terrain, pour des raisons tenant à la géométrie ou à l'absence de pare‑vapeur et d'écran de sous ‑ toiture. Or une étude parue en 2020 révélait que 60 % des artisans utilisant la laine minérale n'appliquent ni l'écran de sous‑toiture ni le pare‑vapeur. Quelles conclusions le CSTB tire‑t‑il de cette polémique dans laquelle il a été très impliqué ? Comment souhaitez‑vous faire évoluer les comparaisons entre l'évaluation en laboratoire et l'évaluation in situ, voire l'évaluation in silico, méthode appelée à se développer ?
En tant que parlementaires, nous sommes interpellés fréquemment au sujet de la flambée considérable du prix des matières premières, notamment du bois. Le CSTB est‑il amené à se prononcer sur ce sujet ?
. ‑ La Cour de cassation qui a statué sur l' Isolgate a indiqué que compte tenu de la réglementation existant au moment des faits, c'est‑à‑dire au début des années 2000, la publicité d'Actis ne pouvait être qualifiée de mensongère. Par ailleurs, la principale affaire concernant Actis, le syndicat des fabricants d'isolants en laines minérales, et accessoirement le CSTB a été traitée par l'Autorité de la concurrence, qui s'est prononcée début 2021 en indiquant qu'au vu de l'ensemble des éléments examinés, le CSTB et le syndicat des fabricants d'isolants en laines minérales ne se sont en aucune manière rendus coupables de pratiques anti‑concurrentielles vis‑à‑vis des isolants minces. Ce débat qui a lourdement pénalisé la réputation du CSTB ces dernières années est ainsi tranché. Néanmoins, l'une des parties ayant décidé de faire appel, cette décision n'est pas définitive. Le jugement de la Cour d'appel est attendu en 2022 ou 2023.
La stratégie de ventilation dépend effectivement de deux éléments essentiels à savoir le système de ventilation du bâtiment et la configuration géométrique des espaces. Les travaux du CSTB ont été conduits sur les espaces les plus simples où les élèves passent le plus de temps, en l'occurrence les classes. Nous les poursuivrons sur les autres espaces présentant un risque de contamination à savoir les gymnases et les lieux de restauration collective. Dans tous les cas, nous prenons en compte l'ensemble des facteurs susceptibles d'avoir un impact significatif sur la réponse pour définir la stratégie la plus performante parmi différents scénarios envisageables. Je suis convaincu que la crise sanitaire aura un impact profond sur la conception des bâtiments et sur les aménagements intérieurs. Des éléments qui paraissaient naturels jusqu'à présent seront désormais considérés comme de véritables aberrations ou devant être évités autant que possible. La gestion des flux a vocation à devenir une dimension importante de la conception des bâtiments.
Nous constatons comme l'ensemble des acteurs économiques des tensions sur certaines chaînes d'approvisionnement, en particulier celle du bois. Pour les secteurs les plus en tension, nous examinons avec les industriels quelles pourraient être les solutions alternatives ou de remplacement. À ce jour, nous ne sommes pas en mesure de dire si cette crise est purement conjoncturelle ou structurelle.
. ‑ L'analyse de cycle de vie (ACV), dans sa conception actuelle, est‑elle un outil utilisable pour juger de l'opportunité d'utiliser un matériau recyclé dans le bâtiment ?
. ‑ Actuellement, l'ACV est focalisée sur les enjeux environnementaux et notamment les émissions de carbone. Lorsque les fiches de déclaration environnementale et sanitaire des produits auront été rédigées de façon complète, nous disposerons peut‑être d'éléments sur le sujet. Force est de constater que les fiches actuelles sont beaucoup plus focalisées sur les émissions de carbone que sur les intrants du produit. Le cycle de vie des bâtiments s'étendant sur plusieurs dizaines d'années, nous ne disposons pas de fiche de déclaration environnementale et sanitaire sur les matériaux des immeubles que nous déconstruisons aujourd'hui. Par conséquent, chaque déconstruction doit s'accompagner d'une recherche documentaire.
. ‑ Nous vous remercions pour la présentation de ce rapport, qui s'inscrit bien dans le cadre des recommandations émises par l'OPECST dans le rapport de 2014. L'intérêt des membres de l'Office pour les questions relatives au bâtiment et l'actualité confirment la pertinence de la présentation du rapport annuel du CSTB.
. – Je vous remercie à mon tour pour cette présentation. Les questions nombreuses des membres de l'Office et vos réponses montrent à quel point ce rendez‑vous est précieux. Nous le perpétuerons donc au profit du CSTB, de l'OPECST et de la société tout entière.
Examen des conclusions de l'audition publique sur « Le financement et l'organisation de la recherche en biologie-santé » (Cédric Villani, député, et Gérard Longuet, sénateur, rapporteurs)
. – Une réflexion de l'Office sur le financement et l'organisation de la recherche en biologie‑santé s'imposait dans le contexte de la pandémie de la Covid‑19, marqué par la mise en cause des dispositifs de recherche et d'innovation en sciences biologiques et santé et par les déboires des laboratoires français concernant la mise au point d'un vaccin. L'organisation de la recherche et de son financement ont également été très débattus lors de la préparation de la loi de programmation de la recherche.
En 2020, l'Office avait déjà entendu l'Académie nationale de médecine pour la présentation de ses premières réflexions sur le sujet. Le 24 juin 2021, à la suite de la publication du rapport final des Académies nationale de médecine et de pharmacie, une audition publique a été organisée afin de débattre des évolutions souhaitables pour la recherche en sciences biologiques et santé, avec les principaux acteurs du domaine.
Le périmètre des sciences biologiques et santé n'est pas clairement défini, comme le montrent les comparaisons internationales. L'ambiguïté et l'arbitraire auraient été pires si nous avions voulu séparer les sciences biologiques de la santé. Par conséquent, tout en sachant que la solution adoptée n'est pas parfaite, nous pouvons considérer qu'elle correspond au moins mauvais choix.
La première partie des conclusions concerne le financement de la recherche et du développement en biologie‑santé, que les participants ont jugé faible par rapport aux efforts qui avaient pu être annoncés, mais aussi comparativement aux moyens consacrés par les pays les plus avancés et à ce qui est attribué aux autres secteurs de la science. En France, les grands programmes de recherche scientifique se sont construits autour de la physique plus que de la biologie et aujourd'hui encore, nous mesurons les conséquences de cet ancrage historique. Nous constatons par ailleurs une certaine érosion de la production scientifique. Au cours des quinze dernières années, la France est passée de la cinquième à la huitième place en termes de volume de publications en matière de santé et de biologie. L'obtention de financements et de bourses internationaux s'inscrit également à la baisse. La France se place au troisième rang des financements en sciences de la vie alloués par le Conseil européen de la recherche sur l'ensemble du programme Horizon 2020. En normalisant les allocations reçues par rapport à la population de chaque pays, la France ressort à la quinzième place. Cette situation résulte à la fois des performances de la France en matière de biologie‑santé et de ses difficultés globales à s'insérer dans les programmes européens.
Au‑delà de leur faiblesse, le système de financement et les investissements se caractérisent par leur fragmentation et leur complexité, en particulier sous l'effet de la double tutelle du ministère de la Solidarité et de la Santé (MSS) et du ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation (MESRI), les deux ministères présentant un faible niveau de coordination. La recherche française souffre par ailleurs d'une organisation « en millefeuille » ou « en Mikado ». Les financements pourvus par la mission budgétaire interministérielle Recherche et Enseignement supérieur (MIRES) sont insuffisants et sont en baisse tendancielle, alors que les demandes s'inscrivent plutôt à la hausse. Les budgets des établissements stagnent, en particulier ceux de l'Inserm et de l'Institut des sciences biologiques du CNRS. En soustrayant la part consacrée aux rémunérations du personnel, qui elle‑même progresse peu, les montants disponibles pour financer les laboratoires sont restreints et constants depuis au moins dix ans, alors que la demande d'investissement augmente.
Par ailleurs, les projets présentés lors des appels à projets obtiennent un taux de succès faible. Les appels à projets se caractérisent eux‑mêmes par une durée de financement courte, de trois ans, inadaptée au domaine de la biologie‑santé et à la prise de risque. Le préciput alloué ne se situe ces dernières années qu'au niveau très faible de 11 %, bien que la LPR prévoie des marges plus élevées pour le préciput, pour financer à la fois les frais d'hébergement, le laboratoire qui accueille administrativement le projet et les autres laboratoires de l'établissement. Globalement, les appels à projets sont mal dimensionnés par rapport aux besoins du secteur.
Une partie de la discussion a porté sur les dotations reçues au titre des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI) et sur la façon dont le ministère évalue et soutient ces différentes actions. La principale recommandation des Académies consiste à réformer les subventions aux structures hospitalières et leur mode d'attribution en confiant l'allocation de ces crédits « socles », hors enseignement, à un conseil d'orientation de la recherche hospitalière qui aurait pour but d'expliciter et de coordonner la stratégie et la programmation de la recherche hospitalière au niveau national. La gestion des appels à projets serait confiée à l'Agence nationale de la recherche (ANR) et l'évaluation des structures au Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres). Pendant l'audition, les représentants du ministère de la Solidarité et de la Santé se sont dits très attentifs à cette suggestion et conscients de l'importance de revoir la procédure d'allocation de ces crédits.
S'agissant des autres financements, il a été observé que le Programme d'investissements d'avenir (PIA) consacre une part relativement importante de ses crédits à des projets de biologie‑santé. Les collectivités territoriales leur accordent également des financements non négligeables mais ceux‑ci sont hétérogènes selon les départements et régions. En outre, ils sont majoritairement consacrés au transfert de technologies et aux opérations immobilières. Enfin, des financements proviennent aussi de l'Union européenne, malgré la médiocre performance que j'ai mentionnée précédemment. Le secteur associatif a également été évoqué. Le rapport présente ainsi un paysage assez éclaté des financements, bien que toutes ces sources soient importantes.
La seconde partie de l'audition a été consacrée à l'organisation de la recherche en biologie‑santé. La pandémie de la Covid‑19 est apparue comme un révélateur de la complexité de l'organisation de la recherche en biologie‑santé en France. Comme l'Office avait déjà pu le constater, le très grand nombre d'essais cliniques de petite taille engagés en France donne l'image d'un manque de coordination et d'une inefficacité du système. Un système de recherche se structure selon trois niveaux : le niveau national, le niveau de la programmation à travers les agences et le niveau des opérateurs qui gèrent les laboratoires et organisent les recherches sur le terrain. La coordination au niveau national dépend à la fois du MSS et du MESRI. Là encore, un manque de cohérence entre ces deux ministères a été pointé du doigt. La question de la coordination de la programmation et des opérateurs a également été soulevée, de même que le rôle des alliances, en particulier de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (Aviesan).
Il semble que le niveau sur lequel il serait le plus urgent d'agir sans causer de difficulté institutionnelle correspond à la coordination entre les ministères. Les niveaux de coordination entre institutions relèvent de l'organisation générale de l'enseignement supérieur et de la recherche. Ils sont relativement sensibles et il n'y a pas lieu de revenir sur leur organisation dans la foulée de la LPR. En ce qui concerne l'Aviesan, il avait été précisé lors de la création des Alliances qu'elles n'avaient pas vocation à devenir une structure administrative de plus, à posséder une personnalité morale et à être dotées de budgets et du pouvoir d'édicter des prescriptions contraignantes. Il convient donc de trouver la bonne façon de les revitaliser sans pour autant en faire une structure à part entière. Les Alliances doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle de club de discussion et de confrontation entre les différents acteurs.
L'audition est revenue sur les conséquences internationales de la fragmentation de la recherche et du manque de coordination. Sur ce sujet, l'Académie nationale de médecine s'est montrée très sévère quant à la cacophonie observée dans la représentation française auprès des organes de décision européens et a recommandé de regrouper les différents établissements et structures publiques d'enseignement et de recherche dans une politique de guichet unique auprès des acteurs bruxellois, en désignant un Haut Représentant des acteurs scientifiques français auprès de la Commission et du Parlement européens. Cette solution a fait ses preuves dans d'autres pays. L'OPECST l'encourage donc également.
La recherche vaccinale aux États‑Unis a connu le succès que l'on sait grâce à un rôle fort de la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), qui a le pouvoir de mobiliser d'importants investissements et moyens humains dans un contexte d'urgence sanitaire. Dans ses précédentes conclusions sur la stratégie vaccinale française, l'OPECST émettait déjà le vœu que l'Union européenne s'en inspire. Cette suggestion est également pleinement poussée par les Académies. L'un des représentants de la France auprès des institutions européennes a rappelé l'existence du projet Health Emergency Response Authority (HERA) au niveau de l'Union européenne, qui constituerait effectivement une déclinaison européenne de la BARDA. Nous soutenons donc ce projet.
L'audition a repris à son compte les conclusions du rapport très critique de la Cour des comptes sur les dispositifs de valorisation de la recherche, qu'elle jugeait globalement inefficaces. Il existe une grande hétérogénéité entre ces dispositifs de valorisation, tous ne fonctionnant pas. Il est donc important de mieux mettre en œuvre les synergies et les valorisations et de permettre le déploiement d'investissements publics et privés pour franchir la fameuse « vallée de la mort » que doivent franchir les jeunes sociétés innovantes avant d'espérer trouver le succès commercial. Néanmoins, la solution ne réside pas dans la création de nouvelles structures ou de nouvelles actions administratives mais plutôt dans le renforcement des habitudes et de la culture des acteurs en matière de valorisation de la recherche.
Les Académies ont proposé les quatre scénarios suivants pour réformer le système actuel de recherche en sciences biologiques et santé :
la création d'un institut unique fédérant la recherche en biologie‑santé qui aurait pour but de préparer la stratégie de recherche nationale et de coordonner sa programmation et sa mise en œuvre par les organismes actuels, tout en veillant à centraliser la mise en place d'une politique internationale et de soutien à l'innovation ;
‑ la création, au sein de l'Inserm, d'un institut de coordination de la recherche publique en biologie‑santé ;
‑ la mise en place d'un système analogue à l'organisation britannique, dans lequel une structure unique serait chargée de la programmation pour l'ensemble des domaines de recherche ;
‑ l'abandon du système de tutelles multiples pour les laboratoires via un transfert du rôle d'opérateur de recherche des EPST vers les universités et les CHU.
Ces réformes présentent le mérite de proposer des solutions à des problèmes cuisants. Elles impliquent néanmoins une profonde réorganisation du système de recherche en biologie‑santé. Or il n'est pas clair que le contexte soit favorable à une modification aussi sensible, au regard des éléments de calendrier rappelés. Il est important en revanche de se préparer en vue du jour où de nouvelles restructurations interviendront.
En conclusion, la comparaison des financements alloués par la France et par les autres pays développés à la recherche en biologie‑santé démontre à la fois un retard de la France, accru au cours des dernières années, et une claire insuffisance de ce financement dans notre pays. Si les financements prévus par la loi de programmation de la recherche sont susceptibles de combler – au moins en partie – ce déficit, le groupe de travail constitué par les Académies nationales de médecine et de pharmacie regrette qu'aucune trajectoire d'investissement spécifique au domaine biologie‑santé ne soit précisée, alors même que la santé y est considérée comme l'une des trois grandes priorités de recherche. À l'obstacle du financement s'ajoute une difficulté liée à la diversité des acteurs du système de recherche en biologie‑santé, et au manque de coordination entre eux. Ceci réduit l'efficience du système de recherche, crée certaines redondances au niveau national et conduit également à des difficultés de représentation de la recherche française dans les instances internationales. Cette pluralité entraîne des difficultés pour la valorisation de la recherche, qui mériterait d'être adaptée aux contraintes spécifiques du domaine de la biologie‑santé.
Il pourrait donc être recommandé de :
‑ porter les financements dédiés à la recherche dans le domaine des sciences biologiques et de la santé à un niveau comparable à celui attribué par les pays européens les plus avancés dans cette recherche ;
‑ encourager la coordination entre les différents niveaux du système de recherche : entre le ministère de la Solidarité et de la Santé et le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation pour définir une stratégie nationale claire et ambitieuse de recherche en biologie‑santé ; au niveau des différents pourvoyeurs de moyens pour faire émerger une politique de programmation ciblée sur les thématiques prioritaires identifiées par la stratégie nationale ; au niveau des opérateurs en renforçant l'influence de l'Aviesan, notamment dans le but de conduire des recherches pluridisciplinaires et translationnelles ;
‑ unifier le système de représentation scientifique auprès de l'Union européenne et des autres instances internationales ;
‑ faire évoluer le système de valorisation de la recherche et de promotion des investissements privés pour permettre à davantage de start‑up prometteuses de franchir la « vallée de la mort ».
Au‑delà de la synthèse et des préconisations, le dialogue avec les Académies de médecine et de pharmacie est important pour la bonne marche des institutions qui se consacrent aux sciences et au pilotage de la recherche. Il devra être renouvelé régulièrement
. ‑ Félicitations pour ce travail, qui était absolument indispensable. Les demandes dans le domaine de la biologie‑santé ne peuvent être satisfaites qu'à partir de ressources budgétaires mais également à partir de ressources humaines. Avez‑vous étudié la question du renouvellement de la communauté de chercheurs dans ce domaine et donc de l'attractivité des carrières pour les jeunes ? Existe‑t‑il des comparaisons internationales sur ce sujet ? L'un des enjeux du financement de la recherche concerne en effet la rémunération des chercheurs. Par ailleurs, les recherches en santé environnementale, dont nous savons qu'elles émergent et qu'elles ont été dopées par la pandémie de la Covid‑19, sont‑elles de nature à susciter des vocations et à alimenter et renouveler la communauté des chercheurs ?
. ‑ J'ai recueilli le témoignage de jeunes étudiants ingénieurs qui estiment que le système scolaire ne leur a pas donné envie de s'intéresser aux sujets du vivant et de la santé. Ils perçoivent l'existence de recherches et de perspectives dans le domaine des technologies mais ont le sentiment que la recherche en biologie‑santé relève de grands laboratoires relativement opaques. Le système scolaire ne fait donc pas le nécessaire pour donner envie aux jeunes de s'intéresser à la recherche dans le domaine du vivant. Comment peut‑on mobiliser la jeunesse en amont sur ces sujets sachant que la période que nous vivons y est plutôt favorable ?
Les recommandations formulées me paraissent très pertinentes. J'apprécie en particulier celles relatives à la coordination. Pour avoir travaillé dans la recherche en chimie, j'ai effectivement constaté d'importants problèmes de coordination. L'enjeu de la coordination me paraît le plus important.
, sénateur, vice‑président de l'Office. ‑ Ne conviendrait‑il pas d'aller plus loin que les recommandations issues de l'audition publique et d'instaurer une obligation de coordination ? Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres en France, chacun travaille sans tenir compte des autres et ne produit pas de résultats intéressants.
. ‑ Dans cette lignée, ne conviendrait‑il pas de s'inspirer du privé et de nommer au niveau national un chef de projet qui serait chargé d'assurer la coordination avec un objectif non pas de rentabilité mais d'efficacité ?
. ‑ Je pense que la crise sanitaire a généré une relative coordination des scientifiques entre eux, malgré les tiraillements entre Paris et Marseille notamment. Le réseau Obépine constitue une initiative intéressante en matière de coordination, réunissant de nombreux organismes au sein d'un système innovant et peu onéreux. Néanmoins, cette démarche n'a pas été réellement reconnue par le ministère de la Santé qui a souhaité en reprendre le contrôle, pour des raisons que je ne perçois pas. La crise sanitaire a cependant permis à la recherche d'avancer. Mais une politique plus coordonnée à l'échelon national semble tout de même nécessaire.
. – La présentation des Académies était très axée sur les institutions et le financement et beaucoup moins sur les questions de communication, de récit et de culture. Il convient d'en tenir compte dans l'analyse du rapport. L'expérience des réformes du système de l'enseignement supérieur montre que les solutions institutionnelles doivent être maniées avec mesure. Un Big Bang trop important génère en effet des incompréhensions et des effets contreproductifs. En outre, la communauté de l'enseignement supérieur a déjà connu d'importantes réorganisations au cours des dernières années. Je serais donc prudent quant à la proposition consistant à créer une nouvelle obligation de coordination. En revanche, nous devons autant que possible permettre une meilleure communication entre les acteurs en passant par l'interpellation plutôt que par la contrainte. Je pense que ce serait une erreur d'attribuer une personnalité morale et des moyens contraignants à Aviesan et d'en faire un nouveau « super‑institut ». De même, il convient d'être prudent face à la proposition consistant à créer un nouvel institut centralisateur de la politique de recherche. Cependant, nous devons tirer les conclusions du constat d'un nombre élevé d'essais de petite taille n'aboutissant pas à des résultats convaincants : cette situation résulte d'un manque de coordination et de synchronisation entre les différents acteurs.
La coordination ne résoudra pas en elle‑même le problème majeur de l'attractivité. Celle‑ci dépend en premier lieu des moyens financiers du domaine et de sa souplesse. Les chercheurs se plaignent de temps trop longs, de contraintes trop élevées, de moyens faibles et de difficultés de recrutement pour leurs collaborateurs. Cette tendance est très nette et la carrière de notre prix Nobel Emmanuelle Charpentier, partie à l'étranger pour poursuivre sa carrière du fait d'un environnement français trop contraignant et manquant de moyens pour lui permettre de développer ses travaux, en constitue l'emblème.
Je rejoins le constat de Jean‑Luc Fugit sur la promotion du domaine de la biologie‑santé auprès des jeunes. Le grand public le perçoit en effet comme un domaine dominé par les grands laboratoires et les intérêts financiers, à l'opposé de ce que nous avons pu constater lorsque nous avons visité l'Institut Pasteur et pris connaissance de projets passionnants et variés et de perspectives de recherche extrêmement attractives. Nous nous trouvons donc face à un défi majeur en matière de communication et de médiation scientifique. Lors de la préparation de la loi de programmation de la recherche, certaines discussions et certains amendements avaient trait à ce sujet au travers des recherches participatives et des recherches en médiation. Cet enjeu est donc majeur par au rapport au futur de la trajectoire française.
La crise a effectivement révélé des problèmes de fond. Il ne fait pas de doute pour moi que l'échec rencontré dans la mise au point rapide d'un vaccin contre la Covid‑19 au pays de Pasteur pèsera sur le secteur de façon très forte. Elle pourrait sonner le réveil ou au contraire dissuader davantage nos jeunes de se lancer dans ce domaine. Ceci est d'autant plus dommageable que l'Institut Pasteur travaillait sur l'ARN messager et son application en santé depuis plusieurs années. Le problème ne provient donc pas de la recherche mais du développement. Nous devons interpeller les pouvoirs publics et le système de santé sur la nécessité de redoubler d'efforts en la matière.
. ‑ Pendant la crise, le débat scientifique s'est instauré dans les médias, contribuant à déstabiliser une partie de la population face aux contradictions apparentes entre différents avis scientifiques. Quelles mesures conviendrait‑il de prendre pour apaiser ce débat et le rendre constructif ?
. ‑ Les auditions donnent le sentiment d'une scission dans le domaine de la recherche en biologie‑santé entre les grands organismes et les grands laboratoires publics d'une part et le reste des acteurs d'autre part. Ces premiers bénéficient de leur volume, en concentrant à la fois les équipes et les publications, ainsi que d'un effet « label ». Néanmoins, la baisse de la dotation financière de ces grands organismes pose problème en matière d'organisation de la recherche au plan national. Les autres acteurs sont de grands centres de recherche privés, des organismes de R&D, des Instituts hospitalo‑universitaires (IHU) qui paraissent relativement écartés, et de plus petits laboratoires comportant parfois des équipes mixtes mais moins pris en compte. Le financement de la recherche se concentre donc sur les grands centres pour des raisons de visibilité nationale et internationale et se décline au travers d'appels à projets auxquels les petites équipes n'ont pas toujours les moyens, institutionnels ou techniques, de répondre. Or, l'agilité et l'inventivité ne sont pas l'apanage des grands centres. Par conséquent, je m'interroge sur la stratégie consistant à concentrer les équipes et les moyens, pour des raisons d'identification et de réussite. Comment accompagner les laboratoires privés et les petites équipes au travers de la politique de santé nationale ?
. ‑ Le rapport sur la médecine environnementale a montré que les régions sont un appui important en matière de recherche. En Nouvelle Aquitaine au moins, la région complète le financement des programmes de recherche lorsque leur budget n'est pas atteint. Il convient donc de ne pas tout penser de manière centralisée et de tenir compte de la dimension régionale du financement de la recherche, bien que ce ne soit pas forcément le rôle des régions de financer la recherche.
. – Ma réponse personnelle sur les polémiques médiatiques relatives à la science et à la santé consiste à souligner l'importance d'éduquer à la polémique et à la controverse et de rappeler que dans le cadre scientifique, la controverse est naturelle, a toujours existé et se retrouve de façon plus ou moins aigüe à travers l'histoire de la science. L'existence d'opinions contradictoires ou divergentes ne doit pas être perçue comme un signe de chaos ou de dysfonctionnement et ne doit pas empêcher les pouvoirs publics de prendre des décisions, en ayant conscience des incertitudes, quitte à parfois revenir en arrière. Lors de la crise sanitaire, ce n'est pas tant l'existence d'avis divergents qui a posé problème que la façon dont le système institutionnel et médiatique en particulier a pris plaisir à insister sur les polémiques, à présenter des fluctuations et des divergences d'avis comme des controverses terribles et à organiser des batailles rangées. Le débat sur certains traitements de la Covid‑19 était légitime au début de la pandémie mais ne méritait pas d'être transformé en affaire d'État. Il est ensuite apparu que l'hypothèse de ces traitements devait être abandonnée parce que les tests montraient leur inefficacité. Là encore, cela ne méritait pas une affaire d'État.
La bonne approche réside donc dans la banalisation de la controverse. À titre personnel, je me suis lancé dans la publication d'une série d'articles pour le magazine mensuel In Corsica, en revenant à chaque édition sur une polémique scientifique importante. Je montrerai ainsi que les polémiques scientifiques ne sont pas apparues avec la crise de la Covid‑19 et sont en soi saines à condition de ne pas être transformées en bataille rangée de société témoignant de l'incurie des uns et de la surdité des autres. Nous devons mener un travail d'éducation sur ce qu'est la science. La science ne constitue pas une procédure qui impose sa vision de la vérité mais une procédure de confrontation perpétuelle entre théories, expériences et opinions, conduisant toujours à un consensus mais parfois après de longs débats, cela ne doit pas être vu comme dévastateur. La science a réalisé un exploit en mettant au point si rapidement les vaccins mais a perdu dix points de confiance dans l'opinion publique au cours de la crise, certainement suite à une mauvaise appréciation de la procédure contradictoire qui lui est consubstantielle. Il est donc nécessaire de mener un travail d'éducation sur la science et sur les relations entre la science et la politique.
Le rapport du groupe de travail des Académies est très centré sur les institutions publiques et leur organisation, selon une approche très prégnante dans le milieu scientifique français historique. Cette vision conduit néanmoins à délaisser les préoccupations telles que la participation du privé, qui constitue le point le plus important de notre déficit de financement. Le financement public est insuffisant par rapport à l'objectif de 3 % mais le financement manquant du côté du secteur privé est encore plus important. D'autres sujets sont relégués au second plan tels que la coordination entre le public et le privé, les interactions entre les petits acteurs et les grands, la participation des jeunes pousses à l'équilibre du système et la discussion entre les grandes entreprises et les agences. Nous souffrons de problèmes typiquement français qui sont d'ordre culturel, la France étant un pays de défiance entre les individus et entre les classes d'individus comme l'ont montré les sociologues, qui ont constaté que les indices de défiance ne font que s'accentuer depuis la Seconde Guerre mondiale. La communication entre les acteurs scientifiques a fortement souffert de cette défiance entre le public et le privé et de l'incompréhension entre les acteurs de petite taille et ceux de grande taille.
Il appartient à l'État de favoriser la bonne coordination entre ces acteurs. La tentative consistant à créer des institutions responsables de ce dialogue a donné des résultats très mitigés. D'autres solutions consistent à favoriser une culture de coopération dans un objectif commun de mutualisation, de respect et de dialogue ou à favoriser l'existence des clubs non contraignants que constituent les alliances ou les pôles de compétitivité. Il convient de poursuivre les travaux dans cette direction. De même, nous devons encourager les régions à financer des projets de recherche, sans créer de dispositif contraignant qui enjoindrait aux présidents de région de se conformer aux avis de comités. En revanche, il est bon que les présidents de région entretiennent des contacts réguliers avec les institutions de la recherche et soient ainsi incités à prendre les bonnes décisions. Dans un pays déjà extraordinairement institutionnalisé à de multiples échelles, nous ne pouvons créer des contraintes supplémentaires. Nous devons inciter les acteurs à communiquer et à s'entraider.
L'Office autorise la publication du rapport sur « Le financement et l'organisation de la recherche en biologie‑santé ».
La réunion est close à 11 h 40.