Intervention de Florence Lassarade

Réunion du mardi 6 juillet 2021 à 13h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure :

. – Je propose d'ajouter une phrase disant que le suivi se poursuivra dans les années à venir, afin de déceler des effets indésirables sur le long terme.

Le deuxième chapitre traite de la vaccination contre la Covid-19 de la population mineure. Quelle est la situation actuelle ?

Depuis plusieurs mois, divers essais cliniques ont été entrepris afin d'évaluer l'efficacité et l'innocuité des vaccins sur la population mineure. Parmi les essais arrivés à leur terme, le vaccin Pfizer-BioNTech a montré conduire à une immunité de 100 % pour des enfants âgés de 12 à 15 ans, tout comme le vaccin Moderna pour des enfants de 12 à 17 ans, avec dans ces deux cas une bonne tolérance et des effets secondaires similaires à ceux observés chez les adultes. Ainsi, la vaccination des mineurs âgés de plus de 12 ans a notamment été ouverte en mai dernier au Canada et aux États-Unis, avec le vaccin Pfizer-BioNTech.

L'Agence européenne des médicaments a pour sa part approuvé le 28 mai dernier la demande d'extension du vaccin Pfizer-BioNTech pour les enfants âgés de 12 à 15 ans. Les autorités françaises ont ouvert la vaccination aux 12-18 ans avec le vaccin Pfizer-BioNTech à partir du 15 juin (ce vaccin était jusqu'alors uniquement disponible pour les adolescents de plus de 16 ans présentant une pathologie à très haut risque de forme grave de Covid-19 ou proches de personnes immunodéprimées). En Europe, l'Italie a ouvert la vaccination à cette même tranche d'âge à partir du 3 juin, tandis que l'Allemagne l'a fait le 7 juin. L'Espagne envisage une ouverture « avant la rentrée scolaire ».

Il faut donc revenir au sujet de la pharmacovigilance, pour cette catégorie de population. Étant donné que les mineurs sont moins susceptibles de faire des formes graves, le rapport bénéfices/risques de la vaccination est moindre pour eux que pour les tranches d'âge supérieures ; il pourrait aussi être diminué s'il existait une plus grande susceptibilité de cette population à développer des effets secondaires après une vaccination. En France, seul un petit nombre d'adolescents de 16 à 18 ans s'est vu administrer le vaccin et aucun signal de pharmacovigilance n'a pour l'heure émergé. Aux États-Unis, où plus de 2 millions d'adolescents de plus de 12 ans ont reçu le vaccin, les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) suspectent un lien entre l'apparition de myocardites (inflammation du muscle cardiaque, syndrome bien traité) et la vaccination chez les plus de 16 ans et les jeunes adultes, sans que le lien ne soit avéré pour le moment – les CDC préconisent d'ailleurs de poursuivre la vaccination des enfants âgés de 12 ans et plus. L'essai de phase III du vaccin Pfizer-BioNTech conduit chez les enfants, ayant permis de montrer l'efficacité de celui-ci dans cette population, n'a été effectué que sur 2 260 enfants, 1 005 d'entre eux ayant effectivement reçu une dose. Ces effectifs relativement faibles par rapport à ceux des essais réalisés chez les adultes ne permettent pas de révéler des effets indésirables graves qui seraient peu fréquents.

Quels sont les bénéfices apportés par la vaccination des enfants ? En termes individuels, il s'agit de bénéfices à la fois directs et indirects, en lien avec les conséquences de la pandémie décrites précédemment. Les risques que fait peser l'exposition des enfants au SARS-CoV-2 ne conduisent qu'à des bénéfices individuels directs faibles de la vaccination, mais ils existent quand même. Cependant, celle-ci permettrait de réduire tous les impacts négatifs indirects que font peser la pandémie et l'isolement social sur les mineurs, qui sont bien plus considérables.

S'agissant des bénéfices collectifs, la contagiosité des adolescents paraît similaire à celle des adultes, et la vaccination des 12-18 ans pourrait donc permettre de réduire la circulation du virus et notamment son transfert à des tranches d'âges plus susceptibles de faire des formes graves. Contenir la circulation du virus est primordial pour limiter l'apparition de nouveaux variants, contre lesquels les vaccins pourraient s'avérer moins efficaces. Ainsi, vacciner les adolescents a un réel bénéfice collectif pour l'ensemble de la société.

Du fait de l'émergence de nouveaux variants plus contagieux que la souche initiale, l'estimation de la part de la population devant être vaccinée pour atteindre l'immunité collective est passée d'environ 60 % à 70 %. La population mineure représentant environ 20 % de la population totale en France, il apparaît difficile d'atteindre le taux cible de 70 % grâce à la vaccination de la seule population adulte : il faudrait que plus de 90 % des adultes soient vaccinés, alors que, par exemple, le taux de vaccination des adultes de plus de 75 ans semble plafonner à 80 %. En outre, une part non négligeable de Français continue de n'envisager « probablement » ou « certainement » pas se faire vacciner contre la Covid-19 (environ 22 % pour chacune de ces catégories). La vaccination des adolescents semble donc nécessaire à l'atteinte, ou à l'amélioration, de l'immunité collective.

Quelle est la pertinence de ce déploiement ? Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est interrogé sur la rapidité de l'ouverture de la vaccination à la population mineure, en soulignant un intérêt individuel limité et le manque de données sur la sécurité du vaccin dans cette tranche d'âge. En effet, la vaccination des Français de 18 à 55 ans sans comorbidités n'ayant été ouverte que deux semaines avant l'élargissement aux mineurs de 12 à 18 ans, il est apparu au CCNE que cette décision aurait pu être prise plus tardivement, donc sur la base de données consolidées quant à l'innocuité du vaccin. Néanmoins, cette ouverture anticipée devrait améliorer la couverture vaccinale avant la rentrée scolaire de septembre 2021 et réduire ainsi les tensions sur les collèges et lycées.

Le CCNE s'est également interrogé sur le caractère éthique « de faire porter aux mineurs la responsabilité, en termes de bénéfice collectif, du refus de la vaccination d'une partie de la population adulte ». Pour le professeur Alain Fischer il ne s'agit pas de vacciner les adolescents à la place des adultes mais en plus des adultes, la seule vaccination de ces derniers ne permettant pas d'atteindre l'immunité collective. Il considère que les adolescents faisant partie de la population générale, il n'y a pas de raison de ne pas les intégrer dans une réflexion politique commune, si tant est que les risques soient acceptables, ce qui semble être le cas.

On peut s'interroger sur la pertinence de vacciner les adolescents français, avec un bénéfice essentiellement indirect, alors que de fortes inégalités vaccinales persistent à l'échelle mondiale : les populations à risque de nombreux pays n'ont pas encore pu accéder à la vaccination. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé a d'ailleurs appelé à augmenter les dons de doses à l'initiative COVAX, afin de vacciner prioritairement les individus fragiles et exposés des pays à faible ou moyen revenu plutôt que la population mineure des pays développés.

Il faut à cet égard noter que, d'après le rapport du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale du 30 avril 2021, la vaccination des 12-18 ans pourrait ne pas suffire à atteindre l'immunité collective, notamment si le variant Delta, plus contagieux encore que le variant Alpha, devenait prédominant en France. En raison de la moindre contagiosité présumée des enfants de moins de 12 ans, leur vaccination (pour laquelle aucun essai clinique n'a été conduit pour le moment) pourrait n'avoir qu'un effet modeste sur la circulation du virus. Il est alors légitime de s'interroger sur le souhait d'aspirer à une disparition totale de la circulation du virus en France, qui semble difficile à atteindre, et n'empêchera pas le virus de circuler – et donc de muter – dans d'autres régions du monde.

Quant au déploiement effectif de la vaccination, il faut noter que les bénéfices individuels, plus faibles que pour les tranches d'âge supérieures et majoritairement indirects, pourraient conduire à une faible adhésion vaccinale des adolescents. Il apparaît alors primordial de déployer des campagnes d'information adaptées à cette tranche d'âge, les adolescents étant suffisamment âgés pour comprendre les enjeux de cette décision.

Il serait très opportun de proposer cette vaccination dans le cadre scolaire, notamment pour toucher toutes les catégories sociales. Cependant, la médecine scolaire souffre d'un important manque d'effectifs (moins de 1 000 médecins et moins de 8 000 infirmiers pour l'ensemble du territoire), et peine déjà à accomplir ses missions ; il sera donc probablement nécessaire d'organiser des équipes mobiles extérieures intervenant dans les établissements. L'importante mobilisation du corps médical pour la vaccination des adultes contre la Covid-19 laisse présager une bonne faisabilité de cette option, qui nécessitera néanmoins d'être organisée en amont. À défaut, il pourra être envisagé d'accompagner les élèves volontaires au centre de vaccination le plus proche.

Enfin, en raison des excellentes réponses immunitaires induites chez les mineurs, le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale a recommandé la conduite d'études cliniques évaluant l'immunogénicité et l'efficacité des vaccins chez les adolescents avec l'administration d'une seule dose. Dans l'attente des résultats de ces études, les adolescents étant particulièrement susceptibles de présenter des formes asymptomatiques de la Covid-19, il pourrait être intéressant de systématiser la réalisation d'un dépistage sérologique lors de la première vaccination des mineurs afin d'éviter l'injection de la seconde dose de vaccin dans le cas où un antécédent de Covid-19 serait découvert. Cette stratégie, recommandée par la HAS, est d'ailleurs actuellement en cours d'évaluation pour les adultes dans certains centres de vaccination.

Si l'on doit résumer tous ces éléments, il apparaît que les données disponibles montrent à la fois l'efficacité et – du moins à l'heure actuelle – l'innocuité de la vaccination contre la Covid-19 des personnes non adultes. L'intérêt et la temporalité de la vaccination sont cependant plus sujets à débat pour cette tranche d'âge que pour les adultes. En effet, les adolescents sont moins susceptibles de faire des formes graves de la Covid-19 et le bénéfice direct de la vaccination est donc plus faible pour eux que pour les adultes. D'un autre côté, ils ne sont pas épargnés par la crise, qui les affecte en particulier de manière indirecte ; de plus, leur vaccination apporterait un bénéfice collectif à l'échelle de toute la société en diminuant la circulation du virus. C'est pourquoi la balance bénéfices/risques doit faire l'objet d'une attention soutenue. Un suivi strict de la pharmacovigilance devra être réalisé et tout effet secondaire étudié avec rigueur. Le déploiement de la vaccination devra en outre s'accompagner de campagnes d'information spécifiques destinées à cette population et être organisé dans le cadre scolaire, pour que toutes les catégories sociales puissent en bénéficier. Enfin, la vaccination des adolescents ne doit pas se substituer à celle du reste de la population : il est particulièrement nécessaire d'encourager la vaccination des adultes n'ayant pas pu – ou pas voulu – y recourir ainsi que de faciliter la vaccination des personnes fragiles ou exposées des pays à faible ou moyen revenu.

Les recommandations que nous proposons d'adopter sont :

- encourager la vaccination des adultes, notamment des plus à risque, contre la Covid-19 afin de ne pas voir leur couverture vaccinale stagner à des niveaux non satisfaisants Poursuivre la vaccination contre la Covid-19 des mineurs tout en réalisant un suivi strict de la pharmacovigilance ;

- systématiser la réalisation d'un dépistage sérologique lors de la première vaccination pour les adolescents afin d'éviter l'injection de la seconde dose de vaccin dans le cas où un antécédent de Covid-19 serait découvert ;

- déployer des campagnes d'information adaptées à la population mineure pour les renseigner sur la vaccination contre la Covid-19 ;

- prévoir de mettre en place des campagnes de vaccination contre la Covid-19 dans le cadre scolaire à partir de l'automne 2021 ;

- enfin, déployer une politique ambitieuse de dons de doses pour permettre en parallèle la vaccination des populations à risque des pays n'ayant pour l'instant pas accès à la vaccination Covid-19.

Je pense qu'il faudrait modifier un passage relatif aux myocardites, en page 24. On y évoque « l'apparition de myocardites (inflammation du muscle cardiaque, syndrome bien traité) ». Je préférerais finalement écrire « syndrome réversible ».

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