Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du mardi 6 juillet 2021 à 13h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Mardi 6 juillet 2021

La réunion est ouverte à 13 h 35.

Examen du rapport sur « Les aspects scientifiques et techniques de la lutte contre la pandémie de la Covid-19 » (Jean-François Eliaou, Gérard Leseul, Florence Lassarade et Sonia de La Provôté, rapporteurs ; Ronan Le Gleut, rapporteur pour le chapitre sur la levée des brevets)

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. – Nous sommes réunis aujourd'hui pour examiner le rapport sur la lutte contre l'épidémie de Covid-19, qui a été préparé par nos rapporteurs Jean-François Eliaou, Gérard Leseul, Florence Lassarade et Sonia de La Provôté, sur saisine de la commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale. Nous entendrons successivement les rapporteurs nous présenter chacun un axe différent ; Ronan Le Gleut prendra également la parole pour présenter l'axe relatif à la levée des brevets, qui s'appuie sur l'audition publique organisée sur ce sujet.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – J'aborderai les aspects scientifiques et technologiques de la pharmacovigilance.

Les vaccins, comme tout médicament, sont soumis à des règles strictes de mise sur le marché. Les autorités sanitaires doivent en permanence évaluer si le rapport bénéfices/risques est favorable, c'est-à-dire si les effets thérapeutiques attendus l'emportent sur les risques associés.

Les vaccins sont cependant des médicaments particuliers : ils concernent majoritairement des personnes en bonne santé, pour lesquelles le bénéfice individuel reste hypothétique. Si les risques associés à un vaccin sont rigoureusement évalués lors des essais cliniques précédant la mise sur le marché, ils continuent d'être suivis au cours des campagnes de vaccination. La pharmacovigilance a pour objectif de surveiller les effets secondaires associés aux vaccins et de vérifier si ceux-ci sont en accord avec les observations des laboratoires les ayant produits. Ce contrôle est indispensable pour évaluer d'éventuels effets indésirables qui n'auraient pas été identifiés auparavant.

J'en viens à l'organisation de la pharmacovigilance en France. L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) est responsable de la pharmacovigilance à l'échelle nationale, tandis que le Pharmacovigilance Risk Assessment Committee (PRAC), qui dépend de l'Agence européenne du médicament (EMA), l'est à l'échelle européenne. L'ANSM est en mesure de modifier l'indication des vaccins en cas de survenue de signaux indiquant de nouveaux risques associés aux produits : directement dans le cas où les autorisations de mise sur le marché (AMM) sont nationales ; indirectement, via l'EMA dans le cas d'AMM communautaires, comme c'est le cas des vaccins contre la Covid‑19.

L'ANSM organise la pharmacovigilance au niveau national en s'appuyant sur les centres régionaux de pharmacovigilance (CRPV). S'agissant des vaccins contre la Covid-19, des binômes de centres rapporteurs ont été formés, afin d'effectuer un suivi efficace des effets secondaires rapportés : les CRPV de Bordeaux et de Marseille sont rapporteurs pour le vaccin Comirnaty (Pfizer BioNtech) ; les CRPV de Lille et Besançon sont rapporteurs pour le vaccin de Moderna ; les CRPV d'Amiens et de Rouen sont rapporteurs pour le vaccin Vaxzevria (AstraZeneca/Oxford) ; les CRPV de Lyon et de Grenoble sont rapporteurs pour le vaccin de Janssen (Johnson & Johnson).

Les CRPV analysent les déclarations d'effets secondaires soumises par les patients ayant reçu le vaccin ou leur praticien. Des rapports sur les effets secondaires sont publiés régulièrement.

S'agissant du suivi des campagnes de vaccination, le rôle de la pharmacovigilance consiste à évaluer les effets indésirables liés au vaccin non décelés lors des essais cliniques.

Les essais cliniques évaluent l'efficacité et la sécurité des candidats médicaments. Les études des différentes phases quantifient en particulier la survenue d'effets secondaires indésirables. Dans le cas des candidats vaccins contre la Covid-19, les essais d'évaluation ont été effectués sur des cohortes d'une à plusieurs dizaines de milliers de personnes. Des effets secondaires survenant à faible fréquence, de l'ordre d'un pour cent mille ou un pour un million, ne sont pas nécessairement identifiés au cours de ces essais. En conséquence, il est nécessaire d'effectuer un suivi strict des populations vaccinées, afin de détecter, le plus tôt possible, tout signal qui pourrait correspondre à un effet secondaire non-identifié dû à la vaccination.

Il est important de noter que la pharmacovigilance examine tous les effets survenant après une vaccination, sans qu'un lien autre que temporel avec le vaccin soit connu. Elle doit par la suite évaluer la probabilité d'un lien de causalité, c'est-à-dire que cet effet soit effectivement dû à la vaccination. Des analyses statistiques, épidémiologiques et cliniques sont déployées, afin de confirmer ou d'infirmer un lien causal entre la vaccination et l'effet observé.

Cette évaluation rigoureuse est nécessaire, afin d'éviter d'inférer à tort des effets indésirables de la vaccination. De nombreux biais peuvent en effet conduire à des conclusions hâtives. Par exemple, la campagne vaccinale en France a ciblé en priorité des personnes âgées résidant en EHPAD, à faible espérance de vie. Un décès survenant dans les jours suivant la vaccination n'était en conséquence pas nécessairement associé à celle-ci.

Au 10 juin 2021, les CRPV ont évalué près de 49 000 déclarations d'effets indésirables pour un total de plus de 42 millions d'injections en France, concernant en grande majorité des effets attendus et non graves. Selon l'ANSM, ces données confirment la balance bénéfices/risques favorable de l'ensemble des vaccins utilisés en France dans les populations ciblées par la stratégie vaccinale.

Il faut ensuite mieux apprécier le rapport bénéfices-risques associé au vaccin. Le bénéfice associé au vaccin peut être individuel ou collectif, direct ou indirect, comme l'illustre la décision récente d'étendre la vaccination aux adolescents.

Dans son avis du 3 juin 2021, la HAS dressait la liste des bénéfices que pourrait apporter la vaccination des adolescents : un bénéfice individuel direct, contre des formes sévères rares de Covid-19 pouvant survenir chez les adolescents, particulièrement ceux qui ont des comorbidités ; un bénéfice individuel direct sur le plan psychologique et social, en évitant les fermetures de classes et leurs effets sur la santé mentale ; un bénéfice indirect en protégeant les proches immunodéprimés ou vulnérables ; un bénéfice collectif, s'inscrivant dans l'objectif de diminuer la circulation globale du virus.

L'appréciation du rapport bénéfices/risques est dynamique, et peut évoluer en fonction du contexte épidémique. D'une part, la probabilité de contracter la maladie et de souffrir de formes graves est plus importante dans un contexte d'activité épidémique intense, ou d'apparition de mutants plus contagieux : le bénéfice de la vaccination augmente. D'autre part, de nouveaux effets indésirables peuvent être associés à des vaccins : le risque augmente alors.

Il revient à l'ANSM d'évaluer en permanence le rapport bénéfices/risques. La figure 1 présentée en page 14 du document distribué illustre ce rapport pour une vaccination avec le vaccin Vaxzevria (AstraZeneca/Oxford), qui sera analysée plus en détail par la suite. La balance bénéfices/risques de thromboses varie selon les tranches d'âge : elle est très favorable pour les personnes âgées de plus de 80 ans, les plus à risques en cas d'infection par le SARS-CoV-2. À l'inverse, pour les jeunes de 20 à 29 ans, les bénéfices apparaissent faibles au regard des risques de thrombose associés à la vaccination.

Il faut ensuite pouvoir retirer un lot défectueux du marché. L'ANSM a ainsi un rôle de police sanitaire. Elle est notamment en mesure de retirer un lot de vaccin du marché si une anomalie y était spécifiquement détectée.

Plusieurs signaux d'alerte ont émergé depuis le début de la campagne de vaccination en France. Leur survenue a parfois été suffisamment spécifique pour entraîner une réaction directe de la part des autorités sanitaires françaises. Dans d'autres cas, c'est l'accumulation de signaux faibles à l'échelle de l'Union européenne qui a permis de confirmer un cas spécifique.

En premier lieu, de nombreux syndromes grippaux ont été déclarés chez des personnes jeunes après injection du vaccin AstraZeneca à vecteur adénoviral. Ils ont fréquemment engendré des arrêts de travail de plusieurs jours pour les personnes touchées. Le nombre de cas rapportés dans un court intervalle de temps, ainsi que l'intensité des symptômes, au moment de l'ouverture de la vaccination pour les soignants jeunes, ont conduit l'ANSM à alerter début février 2021 sur ce risque, non grave. L'Agence a alors recommandé de vacciner le personnel d'un service hospitalier ou d'un établissement de santé de manière échelonnée, afin d'éviter une accumulation d'absences simultanées qui aurait été très pénalisante pour un système hospitalier alors soumis à une forte tension.

Ce même vaccin a par ailleurs été associé à une survenue de cas de thromboses rares. En France, l'ANSM comptabilisait, début juin 2021, 12 décès liés à cet effet indésirable. La fréquence de cet évènement après vaccination ne semblait pas excéder au départ celle attendue dans la population générale. Cependant, la réunion des observations à l'échelle de l'Union européenne a confirmé ce signal. Un lien de causalité entre la vaccination avec Vaxzevria et la survenue de thromboses en association avec une thrombocytopénie est depuis lors considéré comme plausible. L'Agence européenne du médicament (EMA) a en conséquence réévalué le rapport bénéfices/risques de ce vaccin, en fonction de l'âge des personnes susceptibles de le recevoir et de la circulation virale.

De nombreux pays de l'Union européenne ont alors suspendu l'utilisation du vaccin, entachant durablement sa réputation. Certains pays, à faible circulation virale, ont préféré exclure ce vaccin de leur campagne de vaccination. C'est le cas du Danemark. D'autres ont choisi de le restreindre à certaines tranches d'âges en fonction du rapport bénéfices-risques. En France, la HAS a déconseillé son utilisation pour les personnes âgées de moins de 55 ans. Cependant, le comité d'évaluation des risques en pharmovigilance de l'EMA ( Pharmacovigilance Risk Assessment Comittee, PRAC), auquel participe l'ANSM, estime que la balance bénéfices/risques globale reste largement positive.

Par ailleurs, une suspicion de signal concernant l'apparition de myocardites chez des jeunes, quelques jours après l'injection de vaccin ARN, est survenue en Israël et aux États-Unis. Cette suspicion est toujours surveillée. Les Centers for Disease Control and Prevention des États-Unis semblent néanmoins considérer qu'un lien avec le vaccin est probable, même s'il n'est pas encore confirmé.

En France, la survenue de ces effets est également surveillée de près. L'ANSM signalait des cas apparaissant principalement chez des hommes, avec un âge médian de 28 ans. Le comité de pharmacovigilance, dans son rapport publié mi-juin, signale retenir « l'hypothèse d'un rôle possible du vaccin Comirnaty dans la survenue des myocardites », mais n'a pu établir de lien de causalité avec certitude. Le même constat est fait au sujet du vaccin de Moderna.

S'agissant du bilan des effets secondaires détectés après la mise sur le marché des vaccins contre la Covid-19, les données de pharmacovigilance des vaccins contre la Covid-19, et en particulier leurs effets secondaires sont librement accessibles sur le site de l'ANSM, régulièrement mis à jour.

Pour résumer, les vaccins sont soumis à des règles strictes de mise sur le marché. La pharmacovigilance évalue en permanence le rapport bénéfices/risques des vaccins contre la Covid-19.

L'ANSM est responsable de la pharmacovigilance en France, en lien avec l'Agence européenne des médicaments. À l'échelle du territoire, l'ANSM s'appuie sur les centres régionaux de pharmacovigilance pour le suivi des effets indésirables de la vaccination.

L'ANSM et l'EMA ont pris en compte plusieurs signaux d'alerte de pharmacovigilance depuis le début de la campagne de vaccination, et ont éventuellement réévalué la balance bénéfices/risques d'un vaccin et les recommandations de son usage.

Les données collectées par l'ANSM en juin 2021 confirmaient la balance bénéfices/risques favorable de l'ensemble des vaccins utilisés en France dans les populations ciblées par la stratégie vaccinale.

Nous proposons les recommandations suivantes : « L'Office considère que la pharmacovigilance des vaccins contre la Covid est organisée de façon rigoureuse en France et en Europe. Il salue l'effort fourni par les autorités sanitaires pour autoriser rapidement leur mise sur le marché tout en respectant rigoureusement les règles de sécurité sanitaire.

« L'Office recommande donc de continuer à communiquer en toute transparence les données sur les effets secondaires indésirables et à informer clairement la population des risques associés. Il recommande aussi de poursuivre l'effort de simplification des procédures permettant de faire remonter des effets secondaires après vaccination. »

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. – Cette première partie est très intéressante et bien argumentée. J'ai cependant quelques petites remarques. En page 14, il est écrit que « le risque augmente alors » ; je comprends bien ce qui est indiqué : on réévalue le risque au fur et à mesure, parce qu'il y a de nouveaux effets qui sont découverts. On met à jour le risque. C'est donc l'estimation du risque, ou le risque estimé, qui augmente. Mais il ne s'agit pas d'un risque nouveau à proprement parler, ou d'une nouvelle valeur intrinsèque : c'est le même vaccin au début et à la fin, le risque est objectivement le même, mais c'est l'appréciation du risque qui évolue.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Oui, c'est l'appréciation du rapport risques/bénéfices.

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. – Dans le point qui précède, le bénéfice est un élément objectif qui dépend du contexte et qui peut réellement varier selon la situation épidémique. En revanche le risque évoqué au point suivant, comme je le comprends, est un risque estimé, une évaluation. Plutôt que « le risque augmente », il vaudrait donc mieux écrire « nous réévaluons notre mesure du risque », ou bien « l'évaluation du risque ou le risque estimé augmente alors ».

Il faut revenir à la définition du risque dont il est ici question. Il y a deux acceptions possibles de risque : une acception absolue, par exemple le risque d'accidents par million de doses injectées ; une estimation du nombre d'accidents par nombre de doses, qui est régulièrement mise à jour. Je crois que c'est cette deuxième acception qui prime, et il faut donc modifier la rédaction.

En page 16, à la dernière phrase de la section II, il faut ajouter le mot « rapport » devant « bénéfices/risques ». Le sens de la position de l'EMA est-il bien que ce rapport reste largement positif, même en-deçà de 55 ans ?

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Je pense que pour le vaccin d'AstraZeneca, c'est largement positif, même à l'échelle de toute la population, avec ce bémol.

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. – Je voulais simplement savoir si c'était bien leur position : quand on parle de rapport bénéfices/risques global, on inclut les personnes âgées de moins de 55 ans. Il y a ici un point, ou une nuance à évoquer. La situation n'est pas celle où il y aurait un seul vaccin pour la maladie : il y a une maladie et un ensemble de vaccins. Donc, quand on apprécie le rapport bénéfices/risques d'un vaccin, il faut faire intervenir quelque part l'idée de choix entre différents rapports bénéfices/risques. Un vaccin peut avoir un rapport bénéfices/risques bien plus favorable qu'un autre, et ceci participera de l'appréciation globale à porter sur le vaccin à privilégier.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Cette approche comparative dépend aussi des classes d'âges. On parle ici des accidents de l'AstraZeneca chez les moins de 55 ans. Pour les vaccins de Pfizer ou de Moderna, le sujet est plutôt les myocardites chez les adolescents. Selon le vaccin, il peut y avoir des effets secondaires différents.

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. – Si l'on voulait faire les choses rigoureusement, il faudrait établir les rapports bénéfices/risques de tous les vaccins pour chaque catégorie de population. La rédaction actuelle me convient, mais on pourrait peut-être insister sur le caractère global de l'appréciation, avec une expression telle que : « le rapport bénéfices/risques reste largement positif pour l'ensemble de la population ». J'aimerais qu'on précise dans cette phrase la portée du mot « global » : l'idée sous-jacente est bien « dans l'ensemble de la population, sur toutes les catégories d'âges confondues ».

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – On pourrait écrire « Le rapport bénéfices/risques reste largement positif, tous âges confondus ».

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – Il faudrait insister sur la durée du suivi de pharmacovigilance. Certains effets secondaires sont immédiats ou quasi immédiats, mais d'autres sont à moyen ou long terme. Les effets à long terme, quand ils sont rares, voire très rares, ne peuvent être détectés que lorsqu'une grande partie de la population est vaccinée.

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. – Une troisième recommandation, qui va de soi, serait alors de continuer le suivi de pharmacovigilance pendant les années futures, afin de déceler d'éventuels effets à long terme, même s'il n'en existe pour l'instant aucun indice.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Dans le premier paragraphe du chapitre, il est expressément écrit que « Les autorités sanitaires doivent en permanence évaluer si le rapport bénéfices/risques est favorable, c'est-à-dire si les effets thérapeutiques attendus l'emportent sur les risques associés ». La question de la durée y est un peu implicite, mais on peut apporter une précision.

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. – C'est implicite et je pense qu'il faut préciser quelque chose comme : « la pharmacovigilance doit continuer dans la durée ».

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Oui, il manque ce rapport à la longue durée.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – C'est important car c'est ce qui nous a fait défaut pour la vaccination contre l'hépatite B, avec l'apparition de scléroses en plaques qui pouvaient survenir plusieurs années après. Faute d'avoir fait un suivi rigoureux, il a été difficile d'établir le lien du point de vue scientifique. Pour la Covid-19, il y a tellement de personnes vaccinées que si un événement indésirable survenait, il serait détecté sur un plan épidémiologique.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Je propose d'ajouter une phrase disant que le suivi se poursuivra dans les années à venir, afin de déceler des effets indésirables sur le long terme.

Le deuxième chapitre traite de la vaccination contre la Covid-19 de la population mineure. Quelle est la situation actuelle ?

Depuis plusieurs mois, divers essais cliniques ont été entrepris afin d'évaluer l'efficacité et l'innocuité des vaccins sur la population mineure. Parmi les essais arrivés à leur terme, le vaccin Pfizer-BioNTech a montré conduire à une immunité de 100 % pour des enfants âgés de 12 à 15 ans, tout comme le vaccin Moderna pour des enfants de 12 à 17 ans, avec dans ces deux cas une bonne tolérance et des effets secondaires similaires à ceux observés chez les adultes. Ainsi, la vaccination des mineurs âgés de plus de 12 ans a notamment été ouverte en mai dernier au Canada et aux États-Unis, avec le vaccin Pfizer-BioNTech.

L'Agence européenne des médicaments a pour sa part approuvé le 28 mai dernier la demande d'extension du vaccin Pfizer-BioNTech pour les enfants âgés de 12 à 15 ans. Les autorités françaises ont ouvert la vaccination aux 12-18 ans avec le vaccin Pfizer-BioNTech à partir du 15 juin (ce vaccin était jusqu'alors uniquement disponible pour les adolescents de plus de 16 ans présentant une pathologie à très haut risque de forme grave de Covid-19 ou proches de personnes immunodéprimées). En Europe, l'Italie a ouvert la vaccination à cette même tranche d'âge à partir du 3 juin, tandis que l'Allemagne l'a fait le 7 juin. L'Espagne envisage une ouverture « avant la rentrée scolaire ».

Il faut donc revenir au sujet de la pharmacovigilance, pour cette catégorie de population. Étant donné que les mineurs sont moins susceptibles de faire des formes graves, le rapport bénéfices/risques de la vaccination est moindre pour eux que pour les tranches d'âge supérieures ; il pourrait aussi être diminué s'il existait une plus grande susceptibilité de cette population à développer des effets secondaires après une vaccination. En France, seul un petit nombre d'adolescents de 16 à 18 ans s'est vu administrer le vaccin et aucun signal de pharmacovigilance n'a pour l'heure émergé. Aux États-Unis, où plus de 2 millions d'adolescents de plus de 12 ans ont reçu le vaccin, les Centres de prévention et de lutte contre les maladies (CDC) suspectent un lien entre l'apparition de myocardites (inflammation du muscle cardiaque, syndrome bien traité) et la vaccination chez les plus de 16 ans et les jeunes adultes, sans que le lien ne soit avéré pour le moment – les CDC préconisent d'ailleurs de poursuivre la vaccination des enfants âgés de 12 ans et plus. L'essai de phase III du vaccin Pfizer-BioNTech conduit chez les enfants, ayant permis de montrer l'efficacité de celui-ci dans cette population, n'a été effectué que sur 2 260 enfants, 1 005 d'entre eux ayant effectivement reçu une dose. Ces effectifs relativement faibles par rapport à ceux des essais réalisés chez les adultes ne permettent pas de révéler des effets indésirables graves qui seraient peu fréquents.

Quels sont les bénéfices apportés par la vaccination des enfants ? En termes individuels, il s'agit de bénéfices à la fois directs et indirects, en lien avec les conséquences de la pandémie décrites précédemment. Les risques que fait peser l'exposition des enfants au SARS-CoV-2 ne conduisent qu'à des bénéfices individuels directs faibles de la vaccination, mais ils existent quand même. Cependant, celle-ci permettrait de réduire tous les impacts négatifs indirects que font peser la pandémie et l'isolement social sur les mineurs, qui sont bien plus considérables.

S'agissant des bénéfices collectifs, la contagiosité des adolescents paraît similaire à celle des adultes, et la vaccination des 12-18 ans pourrait donc permettre de réduire la circulation du virus et notamment son transfert à des tranches d'âges plus susceptibles de faire des formes graves. Contenir la circulation du virus est primordial pour limiter l'apparition de nouveaux variants, contre lesquels les vaccins pourraient s'avérer moins efficaces. Ainsi, vacciner les adolescents a un réel bénéfice collectif pour l'ensemble de la société.

Du fait de l'émergence de nouveaux variants plus contagieux que la souche initiale, l'estimation de la part de la population devant être vaccinée pour atteindre l'immunité collective est passée d'environ 60 % à 70 %. La population mineure représentant environ 20 % de la population totale en France, il apparaît difficile d'atteindre le taux cible de 70 % grâce à la vaccination de la seule population adulte : il faudrait que plus de 90 % des adultes soient vaccinés, alors que, par exemple, le taux de vaccination des adultes de plus de 75 ans semble plafonner à 80 %. En outre, une part non négligeable de Français continue de n'envisager « probablement » ou « certainement » pas se faire vacciner contre la Covid-19 (environ 22 % pour chacune de ces catégories). La vaccination des adolescents semble donc nécessaire à l'atteinte, ou à l'amélioration, de l'immunité collective.

Quelle est la pertinence de ce déploiement ? Le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est interrogé sur la rapidité de l'ouverture de la vaccination à la population mineure, en soulignant un intérêt individuel limité et le manque de données sur la sécurité du vaccin dans cette tranche d'âge. En effet, la vaccination des Français de 18 à 55 ans sans comorbidités n'ayant été ouverte que deux semaines avant l'élargissement aux mineurs de 12 à 18 ans, il est apparu au CCNE que cette décision aurait pu être prise plus tardivement, donc sur la base de données consolidées quant à l'innocuité du vaccin. Néanmoins, cette ouverture anticipée devrait améliorer la couverture vaccinale avant la rentrée scolaire de septembre 2021 et réduire ainsi les tensions sur les collèges et lycées.

Le CCNE s'est également interrogé sur le caractère éthique « de faire porter aux mineurs la responsabilité, en termes de bénéfice collectif, du refus de la vaccination d'une partie de la population adulte ». Pour le professeur Alain Fischer il ne s'agit pas de vacciner les adolescents à la place des adultes mais en plus des adultes, la seule vaccination de ces derniers ne permettant pas d'atteindre l'immunité collective. Il considère que les adolescents faisant partie de la population générale, il n'y a pas de raison de ne pas les intégrer dans une réflexion politique commune, si tant est que les risques soient acceptables, ce qui semble être le cas.

On peut s'interroger sur la pertinence de vacciner les adolescents français, avec un bénéfice essentiellement indirect, alors que de fortes inégalités vaccinales persistent à l'échelle mondiale : les populations à risque de nombreux pays n'ont pas encore pu accéder à la vaccination. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé a d'ailleurs appelé à augmenter les dons de doses à l'initiative COVAX, afin de vacciner prioritairement les individus fragiles et exposés des pays à faible ou moyen revenu plutôt que la population mineure des pays développés.

Il faut à cet égard noter que, d'après le rapport du Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale du 30 avril 2021, la vaccination des 12-18 ans pourrait ne pas suffire à atteindre l'immunité collective, notamment si le variant Delta, plus contagieux encore que le variant Alpha, devenait prédominant en France. En raison de la moindre contagiosité présumée des enfants de moins de 12 ans, leur vaccination (pour laquelle aucun essai clinique n'a été conduit pour le moment) pourrait n'avoir qu'un effet modeste sur la circulation du virus. Il est alors légitime de s'interroger sur le souhait d'aspirer à une disparition totale de la circulation du virus en France, qui semble difficile à atteindre, et n'empêchera pas le virus de circuler – et donc de muter – dans d'autres régions du monde.

Quant au déploiement effectif de la vaccination, il faut noter que les bénéfices individuels, plus faibles que pour les tranches d'âge supérieures et majoritairement indirects, pourraient conduire à une faible adhésion vaccinale des adolescents. Il apparaît alors primordial de déployer des campagnes d'information adaptées à cette tranche d'âge, les adolescents étant suffisamment âgés pour comprendre les enjeux de cette décision.

Il serait très opportun de proposer cette vaccination dans le cadre scolaire, notamment pour toucher toutes les catégories sociales. Cependant, la médecine scolaire souffre d'un important manque d'effectifs (moins de 1 000 médecins et moins de 8 000 infirmiers pour l'ensemble du territoire), et peine déjà à accomplir ses missions ; il sera donc probablement nécessaire d'organiser des équipes mobiles extérieures intervenant dans les établissements. L'importante mobilisation du corps médical pour la vaccination des adultes contre la Covid-19 laisse présager une bonne faisabilité de cette option, qui nécessitera néanmoins d'être organisée en amont. À défaut, il pourra être envisagé d'accompagner les élèves volontaires au centre de vaccination le plus proche.

Enfin, en raison des excellentes réponses immunitaires induites chez les mineurs, le Conseil d'orientation de la stratégie vaccinale a recommandé la conduite d'études cliniques évaluant l'immunogénicité et l'efficacité des vaccins chez les adolescents avec l'administration d'une seule dose. Dans l'attente des résultats de ces études, les adolescents étant particulièrement susceptibles de présenter des formes asymptomatiques de la Covid-19, il pourrait être intéressant de systématiser la réalisation d'un dépistage sérologique lors de la première vaccination des mineurs afin d'éviter l'injection de la seconde dose de vaccin dans le cas où un antécédent de Covid-19 serait découvert. Cette stratégie, recommandée par la HAS, est d'ailleurs actuellement en cours d'évaluation pour les adultes dans certains centres de vaccination.

Si l'on doit résumer tous ces éléments, il apparaît que les données disponibles montrent à la fois l'efficacité et – du moins à l'heure actuelle – l'innocuité de la vaccination contre la Covid-19 des personnes non adultes. L'intérêt et la temporalité de la vaccination sont cependant plus sujets à débat pour cette tranche d'âge que pour les adultes. En effet, les adolescents sont moins susceptibles de faire des formes graves de la Covid-19 et le bénéfice direct de la vaccination est donc plus faible pour eux que pour les adultes. D'un autre côté, ils ne sont pas épargnés par la crise, qui les affecte en particulier de manière indirecte ; de plus, leur vaccination apporterait un bénéfice collectif à l'échelle de toute la société en diminuant la circulation du virus. C'est pourquoi la balance bénéfices/risques doit faire l'objet d'une attention soutenue. Un suivi strict de la pharmacovigilance devra être réalisé et tout effet secondaire étudié avec rigueur. Le déploiement de la vaccination devra en outre s'accompagner de campagnes d'information spécifiques destinées à cette population et être organisé dans le cadre scolaire, pour que toutes les catégories sociales puissent en bénéficier. Enfin, la vaccination des adolescents ne doit pas se substituer à celle du reste de la population : il est particulièrement nécessaire d'encourager la vaccination des adultes n'ayant pas pu – ou pas voulu – y recourir ainsi que de faciliter la vaccination des personnes fragiles ou exposées des pays à faible ou moyen revenu.

Les recommandations que nous proposons d'adopter sont :

- encourager la vaccination des adultes, notamment des plus à risque, contre la Covid-19 afin de ne pas voir leur couverture vaccinale stagner à des niveaux non satisfaisants Poursuivre la vaccination contre la Covid-19 des mineurs tout en réalisant un suivi strict de la pharmacovigilance ;

- systématiser la réalisation d'un dépistage sérologique lors de la première vaccination pour les adolescents afin d'éviter l'injection de la seconde dose de vaccin dans le cas où un antécédent de Covid-19 serait découvert ;

- déployer des campagnes d'information adaptées à la population mineure pour les renseigner sur la vaccination contre la Covid-19 ;

- prévoir de mettre en place des campagnes de vaccination contre la Covid-19 dans le cadre scolaire à partir de l'automne 2021 ;

- enfin, déployer une politique ambitieuse de dons de doses pour permettre en parallèle la vaccination des populations à risque des pays n'ayant pour l'instant pas accès à la vaccination Covid-19.

Je pense qu'il faudrait modifier un passage relatif aux myocardites, en page 24. On y évoque « l'apparition de myocardites (inflammation du muscle cardiaque, syndrome bien traité) ». Je préférerais finalement écrire « syndrome réversible ».

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Oui. Par ailleurs, la myocardite n'est pas un syndrome mais une pathologie. Je rectifierai donc la phrase pour la version finale du rapport.

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. – À la page 20, dans la phrase « Cette fermeture a en outre complexifié la détection des violences faites aux enfants », je pense que le verbe « entraver » est préférable, car il est désormais clair que la pandémie a rendu plus difficile la détection des violences faites aux enfants.

Le rapport évoque bien le tableau clinique des troubles psychiques associés à la pandémie ainsi que les problèmes touchant à la condition physique des enfants. En effet, on a pu constater que les enfants ont grossi et que leur forme physique s'est significativement dégradée.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Toutefois, chez l'enfant c'est plus réversible que chez l'adulte.

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. – Tout à fait.

Dans le deuxième paragraphe de la page 19, il est indiqué : « moins de 1 % des cas conduisent à un décès ». C'est certainement beaucoup moins, car chez les enfants la plupart des cas sont asymptomatiques, comme c'est dit juste après.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Je peux préciser qu'il s'agit des cas diagnostiqués.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Je ne suis plus tout à fait objective quant au contenu du rapport. Est-ce qu'il ressort bien qu'il ne faut pas se précipiter pour vacciner les plus petits ? Nous manquons d'essais cliniques pour prendre une décision fondée.

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. – Absolument. Plus les enfants sont petits, donc a priori plus fragiles et très peu concernés par les formes graves, plus il est légitime de prendre du recul. J'ai l'impression que le rapport prend une position plus favorable à la vaccination des adolescents.

J'ai d'ailleurs une question à ce sujet, qui porte sur la compréhension des enjeux de la vaccination par les adolescents. Le rapport affirme qu'ils sont à même de les apprécier.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Nous en avons discuté avec des pédiatres. Entre un adolescent de 15 ans et un de 12 ans, il y a une grande différence. On s'interroge en particulier sur le caractère éclairé du consentement : les pédiatres qui vaccinent estiment qu'à 11-12 ans, le consentement ne l'est pas vraiment. La responsabilité revient aux parents ; nous ne pouvons pas exiger avoir un consentement éclairé à 12 ans. Le rapport n'en parle pas.

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. – Il faut peut-être nuancer ou préciser ce qui est écrit en page 27 : « les adolescents étant suffisamment âgés pour comprendre les enjeux de cette décision ». Je veux bien que ce soit le cas à 16 ans – incidemment j'ai pris position pour le vote à 16 ans –, mais à 12 ans je n'y crois guère.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Je suis plutôt d'accord. Si des campagnes d'information sont déployées, c'est justement car ils ne sont pas assez mûrs pour comprendre les enjeux de la décision.

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. – Attention à ne pas donner l'impression que l'on peut profiter de leur faiblesse pour orienter leur libre arbitre ou pour leur imposer un point de vue, à un âge où c'est aux parents de décider de toute façon. Il faut que le texte fasse référence aux parents, qui seuls vont exprimer le consentement. Même si la vaccination a lieu dans le cadre de la médecine scolaire, ce sont les parents qui signent l'autorisation.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – L'enfant a également son mot à dire. Il est vrai qu'on m'a alertée là-dessus.

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. – Il faut donc introduire les parents dans le passage dont nous parlons et ajouter quelque chose comme « étant entendu que la capacité des adolescents à bien apprécier les enjeux de cette décision évolue avec l'âge ».

Je reviens sur le calcul développé en page 25, qui me cause une certaine frustration née au moment où nous avions auditionné Alain Fischer. Je ne peux pas croire que le taux cible de l'immunité collective – 80 % de la population – soit le même dans toutes les catégories d'âges. Le calcul de modélisation habituel sur lequel repose la détermination de ce taux prend en compte une seule espèce de patients, si je puis dire.

Or les déterminants de la propagation virale ne peuvent pas être les mêmes selon que le taux global de 80 % de la population vaccinée est atteint dans la situation où toute la population, sauf les plus jeunes, est vaccinée, ou dans celle où toute la population, sauf les plus âgés, est vaccinée.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – On dit que toute la population israélienne est vaccinée, mais cela ne concerne que la population adulte. Comme le pays compte une proportion importante d'enfants, la couverture vaccinale globale n'est que de 60 %.

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. – On arrive donc aux limites de ce que peut apporter un indicateur très simple par rapport à la notion d'immunité collective. Imaginons un contexte où le vaccin protège totalement de l'infection. Si toute la population âgée était vaccinée, il n'y aurait plus aucune victime dans cette catégorie.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Il reste cependant les personnes fragiles : diabétiques, en surpoids, etc. dont trop peu sont vaccinées.

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. – Il y a à la fois le fait que certaines personnes, notamment fragiles, ne sont pas encore vaccinées et le fait que la vaccination n'offre pas une protection totale – il y a même des personnes vaccinées qui décèdent. De ce fait, le calcul simple du pourcentage nécessaire pour atteindre l'immunité collective est en défaut, puisqu'il suppose que le vaccin protège complètement.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Il faut rappeler que, pour la rougeole, il est nécessaire que plus de 90 % de la population totale soit vaccinée pour éviter le développement d'une épidémie. C'est extrêmement élevé.

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. – Le coefficient de reproduction du virus de la rougeole est effectivement très élevé. Les jeunes, qui ont beaucoup de contacts, font circuler le virus davantage que les personnes les plus fragiles. Dans l'esprit, le calcul présenté est juste, mais il faut ajouter une précision selon laquelle les pourcentages présentés dans le rapport le sont pour donner un ordre de grandeur, une idée du raisonnement suivi, et que les considérations qui suivent sont surtout qualitatives, car le vaccin n'est pas totalement protecteur et que les différentes catégories d'âge ne sont pas toutes associées au même coefficient de reproduction.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Ne faut-il pas admettre d'emblée qu'il sera impossible d'atteindre l'immunité collective, tout du moins pas avant 4 ou 5 ans ?

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. – Je ne pense pas.

Globalement, nous pouvons être d'accord avec les recommandations formulées dans ce chapitre, sachant qu'il faut seulement prendre quelques précautions de langage dans les développements que nous avons examinés très en détail depuis quelques minutes. Passons maintenant aux autres chapitres du projet de rapport qui nous est soumis.

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. – Pour ce qui concerne le suivi des variants, on sait que tant que le virus continuera à circuler et que la population ne sera pas immunisée, de nouveaux variants apparaîtront et ceux qui auront un potentiel de transmission plus élevé ou un potentiel d'échappement immunitaire prendront progressivement le pas sur les autres, du fait de la pression de sélection.

Comme l'a montré la rencontre fort intéressante que nous avons eue à ce sujet avec l'Institut Pasteur, la montée en charge des capacités de séquençage en France et le développement du partage des séquences avec la communauté scientifique internationale doivent être salués, même si des progrès semblent encore possibles dans notre pays.

Le criblage PCR est une technique intéressante pour assurer le suivi des mutations les plus préoccupantes et la liste de celles-ci devrait être régulièrement mise à jour en fonction de l'apparition de mutations associées à des caractéristiques inquiétantes, tant en termes épidémiologiques que cliniques.

J'insiste enfin sur la collaboration scientifique internationale, qui nous paraît absolument cruciale pour surveiller l'émergence de nouveaux variants, dont on a bien vu qu'ils ne sont pas arrêtés par les frontières.

Nous avons formulé trois recommandations. La première consiste à maintenir la politique ambitieuse de séquençage que j'évoquais à l'instant, sur des échantillons sélectionnés aléatoirement afin d'opérer sans biais de sélection une surveillance des variants circulant. Il nous semble également très opportun de demander à l'OMS de mettre en place un réseau de surveillance dans les pays en développement qui n'en ont pas les capacités et dans lesquels le virus circule toujours ; à l'échelle de la France et à l'échelle européenne, on doit également prôner des actions de coopération importantes. Enfin, la troisième recommandation vise à prévoir des scénarios d'émergence de nouveaux variants, aux caractéristiques sensiblement différentes des variants actuellement connus, et à prévoir une adaptation des protocoles de dépistage, des mesures sanitaires et de vaccination en fonction des nouvelles caractéristiques qui apparaîtraient.

Pour ce qui concerne le chapitre relatif au dépistage, qui n'est pas sans lien avec celui que je viens de présenter, il nous est apparu que les autotests ont un intérêt certain à l'échelle individuelle, même s'il est peut-être moins important que ce que l'on avait espéré initialement. Leur déploiement est cependant indispensable pour s'adresser à une population asymptomatique : une telle stratégie peut bien fonctionner car les inconvénients des autotests y sont largement compensés par leurs avantages.

La modélisation montre leur intérêt pour le contrôle de la circulation virale au sein d'un établissement scolaire, et cette conclusion peut s'étendre à l'hôpital ou à l'entreprise. Il faut donc anticiper le plus possible la commande de ces autotests auprès des industriels et le Gouvernement doit être interpellé sur ce sujet.

Nous avons surtout considéré la population âgée de plus de 12 ans, mais, à titre personnel, je pense qu'il faudra se poser la question de la vaccination des enfants de moins de 12 ans. En attendant d'en arriver là, les autotests seront probablement nécessaires dans cette population très jeune aussi, pour enrayer la propagation de l'épidémie

Cependant, le déploiement effectif de cette stratégie, dont le Gouvernement a dit à plusieurs reprises qu'elle était un élément important de la lutte contre l'épidémie, n'est pas encore tout à fait en mesure de remplir les conditions d'efficacité qui ont été identifiées, et nous pensons qu'il va falloir prendre des mesures importantes dans la perspective de la prochaine rentrée scolaire.

Nous avons formulé deux recommandations dans ce chapitre relatif aux autotests :

- relancer la stratégie de déploiement des autotests en prévision de la rentrée scolaire prochaine et suffisamment en avance pour que les industriels puissent honorer les commandes et que tous les établissements scolaires soient en mesure de proposer les tests aux élèves ;

- assortir ce déploiement d'une campagne de communication à destination du grand public, comme nous le proposions déjà dans notre rapport de décembre 2020. Il faut informer de l'utilité des campagnes de dépistage dans les milieux scolaires et universitaires.

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. – Dynamiser le réseau de surveillance est-il une façon élégante de dire que les moyens sont insuffisants ?

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. – Tout à fait, ce dispositif n'est pas suffisamment doté.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – Le déploiement des autotests pose effectivement la question du budget qui lui est alloué. Le ministère de l'éducation nationale ne dispose pas des moyens nécessaires. Ce sujet aurait pu figurer parmi nos recommandations. Toute mesure scientifique doit…

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – Absolument. Je vais maintenant vous parler du Covid long. C'est une réalité qui est davantage connue qu'il y a quelques mois : 10 à 15 % de patients ambulatoires présentent des symptômes qui persistent 3 à 6 mois après l'infection au SARS-CoV2 et ce taux pourrait monter à 75 % pour les patients qui ont été hospitalisés. Les cas ont été certainement sous-évalués et ils continuent à l'être aujourd'hui. La Haute Autorité de santé définit le Covid long par des « symptômes prolongés, fluctuants et multi-systémiques qui se sont développés pendant la phase aiguë et qui apparaissent ou persistent après quatre semaines ». Parmi les symptômes les plus fréquents, on trouve une grande asthénie ou fatigue terrassante, un brouillard mental, des maux de tête, des pertes de mémoire, des troubles respiratoires et cardio-thoraciques, des douleurs articulaires et des troubles isotoniques.

Le Covid long est rarement reconnu comme tel : les patients ne se sentent pas écoutés ou crus par leur médecin et notent parfois une psychiatrisation de la maladie, qui est ramenée à des manifestations psychosomatiques, particulièrement en l'absence de sérologie positive, alors que c'est une réalité. Concrètement, le Covid long est là mais on ne voit pas de lésions au scanner par exemple.

Il a un impact sur la santé physique et mentale des patients, ce qui se traduit par une perte d'autonomie et de vigueur dans les activités quotidiennes : ces personnes sont souvent incapables de reprendre une vie normale, en particulier des patients qui étaient actifs avant la maladie, comme des sportifs ou des chefs d'entreprise. Ceci a un impact sur leur santé mentale et engendre de l'anxiété, du stress, des troubles du sommeil, des dépressions, voire des idées suicidaires.

Le Covid long a également des conséquences professionnelles, personnelles ou pour l'entourage car la difficulté de mener à bien des tâches quotidiennes peut conduire à la précarisation, une perte d'emploi, ou des préjudices financiers. Des parents peuvent également avoir des difficultés à s'occuper de leurs enfants, avec des cas de déscolarisation.

Au printemps 2020, le syndrome du Covid long avait pris de court les soignants. Plusieurs initiatives ont été mises en place dans le but d'en caractériser les effets et de suivre les patients qui en sont atteints :

- le groupe d'étude interdisciplinaire COMEBAC (pour Concertation multi-expertise de Bicêtre après Covid) évalue le devenir des patients hospitalisés à l'hôpital Bicêtre ;

- le professeur Thomas de Broucker, neurologue à l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis, a ouvert un registre d'évaluation des manifestations neurologiques de la Covid ;

- Dominique Salmon-Céron, professeure de médecine, issue de l'Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui préside le groupe de travail sur le Covid long à la HAS, a mis en place une consultation spécialisée pour des patients revenant consulter pour des symptômes persistants. Un travail pluridisciplinaire a permis de recueillir et de classifier ces symptômes.

Le syndrome entraîne des problèmes de santé mentale chez les patients, notamment de l'anxiété, du stress, des troubles du sommeil et des troubles dépressifs qui s'installent avec pour certains des idées suicidaires.

Les recherches sur les mécanismes à l'origine du Covid long doivent être poursuivies et financées, car on est pour l'instant face à un nuage d'incertitudes et d'hypothèses. Je rappelle que les troubles observés ne sont pas systématiquement associés à des altérations visibles en imagerie. Par exemple, pour la dyspnée inadaptée à l'effort, on ne retrouve pas forcément les lésions caractéristiques de la phase inflammatoire du Covid long.

Quatre hypothèses ont été proposées pour expliquer l'apparition du syndrome :

- une persistance virale faible dans des réservoirs encore indécelables, qui ferait que de temps en temps on relargue du virus et que les symptômes réapparaissent à ce moment ;

- une réponse immunitaire inadaptée sur le temps long, avec des moments où les symptômes réapparaissent en raison d'un pic de réponse immunitaire ;

- une inflammation persistante de certains organes ;

- des facteurs génétiques, hormonaux ou auto-immuns associés.

Selon le cas d'espèce, la cause du syndrome pourrait relever de toutes ces hypothèses ou d'une partie seulement. La dimension psychosomatique n'est pas exclue tant la dimension « santé mentale » du Covid long est réelle, tout comme le vécu douloureux de l'infection aiguë et le « contexte Covid » avec tout ce que cela peut comporter de stress et d'angoisse dans la vie quotidienne. Donc il faut faire la part des choses. Je tiens à souligner que le caractère intermittent des symptômes complique beaucoup la recherche des causes.

Un effort de recherche doit donc être organisé sur le Covid long, notamment pour identifier les facteurs de risque. On a identifié les femmes et les sujets d'âge moyen avec des terrains allergiques mais cela reste des indices assez ténus. La mise en place de cohortes coûte cher et l'on est pour l'instant dans l'incapacité de mettre en place de telles cohortes. C'est pourtant indispensable compte tenu de la diversité et de la variabilité temporelle des symptômes. On pourrait aussi constituer des groupes homogènes associés à certains symptômes. Ce serait le seul moyen d'obtenir rapidement des résultats scientifiquement étayés sur les facteurs de risque associés à chaque symptôme, de pouvoir proposer en amont un accompagnement scientifique pour éviter l'apparition de ces symptômes et en aval des thérapeutiques mieux adaptées pour diminuer la durée du Covid long.

Les recherches ont été majoritairement financées par appel à projets, mais ce mode de financement n'est pas adapté. On sait maintenant que le Covid long existe, et il faut structurer la réponse comme étant un élément de recherche scientifique nécessaire à mettre en place à l'instar d'autres pathologies.

La collaboration et le partage d'informations entre chercheurs et médecins sont indispensables, car le Covid long n'est pas un problème français mais international. Comme pour les autres dimensions de la réponse scientifique à l'épidémie, on devrait être en capacité de mobiliser suffisamment de « matière grise » pour pouvoir construire des perspectives scientifiques plus étayées qu'à l'heure actuelle.

S'agissant de la prise en charge médicale, plusieurs pistes ont été identifiées : des traitements symptomatiques, notamment des anti-inflammatoires ; la rééducation – dans sa dimension respiratoire, elle est essentielle notamment pour les sportifs ; la participation active du patient au traitement, ce qui implique qu'il soit informé précisément ; la prise en charge des troubles anxieux et dépressifs.

Il faut s'appuyer sur la médecine de ville. Le médecin de ville doit être suffisamment informé pour être un élément de veille et d'identification des cas de Covid long. Or nombreux sont les médecins de ville qui sont pas encore au fait du Covid long. Cela souligne la nécessité d'organiser un parcours de soins multidisciplinaires avec des centres de prise en charge spécialisés que bon nombre de praticiens, en ville ou à l'hôpital, appellent de leurs vœux. À l'hôpital même, avoir une consultation pluridisciplinaire permettrait de prendre en charge un certain nombre de patients qui font la « tournée des services » et la tournée des éléments d'exploration physique, notamment radiologique. Ce serait bénéfique à la fois pour le patient et pour l'infrastructure sanitaire.

Le Covid long doit être plus facilement reconnu comme une affection longue durée, car il répond à ces caractéristiques, ainsi que comme maladie professionnelle. La reconnaissance du Covid comme maladie professionnelle suppose d'avoir eu recours à une assistance respiratoire ; or le Covid long n'est pas forcément précédé d'une phase aiguë grave. L'exigence administrative ne correspond pas à la réalité médicale. Il faut donc pousser à qu'il y ait plus de justice dans les mécanismes légaux de reconnaissance.

Il y a enfin urgence à communiquer, en accord avec les recommandations de la HAS, sur le fait qu'une partie des patients souffrant de Covid long n'ont pas d'anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2 et que le test sérologique n'est donc pas un préalable au diagnostic de Covid long. Je confirme à cet égard que, malgré le peu de recul que nous avons actuellement sur le Covid long, il est acquis qu'une bonne prise en charge dès le début améliore sensiblement les conditions d'évolution de la pathologie pour le patient.

Nous vous proposons cinq recommandations :

- assouplir les critères de reconnaissance du Covid long comme maladie professionnelle, en accord avec les recommandations de la HAS ;

- inclure le Covid long dans la liste des ALD exonérantes, afin d'éviter la précarisation sociale des patients ;

- faciliter la prise en charge du Covid long par la médecine de ville et organiser des soins pluridisciplinaires car il y a peu d'antennes en France alors que c'était une déclinaison qui avait été annoncée et qui en tout cas est appelée de leurs vœux par les généralistes et les médecins hospitaliers ;

- mettre en place une communication spécifique au Covid long à destination du grand public et des médecins, afin de réduire les incompréhensions des symptômes et améliorer l'identification diagnostique ;

- accélérer et financer les recherches sur les causes du Covid long, avec comme objectif la mise au point de traitements spécialisés adaptés mais pas que, car on a classé depuis un certain nombre d'années tout un tas de syndromes polymorphes qui sont évoqués par les symptômes du Covid long et dont on ne sait s'ils sont liés à des symptômes post-viraux ou à des atteintes virales. L'évolution de la recherche dans ce domaine permettra sans doute d'identifier d'autres pathologies similaires qu'on pourrait ranger dans le cadre des atteintes post-virales.

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. – L'audition sur le Covid long était très intéressante, avec en particulier l'association Après-J20 que le rapport cite à propos, tout comme les recommandations qui en découlent. Il est effectivement très important d'affirmer haut et fort que le Covid long est une réalité.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – À la réflexion, je suggère que la recommandation portant sur le financement de la recherche des causes fasse référence à la nécessité de mettre en place des cohortes. C'est une démarche essentielle, tant le Covid long est polymorphe et difficile à diagnostiquer.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – Par ailleurs, au nombre des conséquences du Covid long sur le plan personnel ou professionnel, il convient d'ajouter la déscolarisation, ou du moins le retard à l'acquisition scolaire. Certains enfants n'arrivent plus à aller à l'école, ou présentent d'importants troubles de la concentration.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – En effet. J'avais été frappée par le cas de ces enfants, chez qui le Covid n'avait pas été diagnostiqué dans un premier temps mais qui ont présenté un trouble brutal de l'acquisition scolaire, attribué par la suite au Covid long.

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. – Au bénéfice de ces observations, nous considérons que les recommandations proposées par les rapporteurs peuvent être adoptées par l'Office.

Je vous invite maintenant à aborder le chapitre relatif à la recherche de stratégies thérapeutiques. On sait que les résultats obtenus en ce domaine sont pour l'heure médiocres, décevants, ce qui tranche avec les résultats impressionnants obtenus en matière de vaccins. Les difficultés de recrutement des volontaires pour les tests, en particulier, ont compliqué les choses.

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – Sur la recherche thérapeutique, le rapport fait un rappel sur le continuum établi depuis la recherche fondamentale jusqu'à l'autorisation de mise sur le marché et la « phase IV » que constituent les études de pharmacovigilance et de pharmaco-épidémiologie.

Il se passe généralement entre dix et quinze ans entre le début d'une recherche et la mise sur le marché d'un traitement. Les choses ont avancé beaucoup plus vite pendant la crise, ce qui veut dire que nous pourrions faire mieux d'une manière générale, en accélérant les procédures sans pour autant perdre en qualité ou en exigences de précaution.

Des initiatives ont vu le jour dès janvier 2020, dans le cadre du consortium REACTing créé par l'Inserm pour coordonner la recherche française – je le précise car il est vrai qu'en dehors de ce consortium, les chercheurs ont eu du mal à faire exister leurs projets, à échanger entre eux, à valoriser leurs travaux. Il faut donc s'interroger. Reste que ce consortium avait le mérite d'exister et qu'il a constitué assez précocement une sorte de conseil de recherche scientifique sur le Covid-19, et mené une veille efficace.

En lien avec l'OMS, REACTing a rapidement mis en place l'essai Discovery pour évaluer la sécurité et l'efficacité de certaines molécules antivirales déjà utilisées dans d'autres traitements. Un groupe pluridisciplinaire de l'OMS a sélectionné les molécules candidates, et l'on s'en est tenu à cette sélection, en n'ajoutant qu'un bras en cours de route sous la pression médiatique. Malgré cette centralisation, un nombre trop restreint de patients avaient été enrôlés dans une autre étude, Coverage, à l'issue de la première vague.

Il faut regarder la situation avec lucidité : il existe des freins à l'organisation opérationnelle de la recherche, même lorsqu'on tente de structurer les choses au niveau national, même en situation de crise, et même avec des médicaments déjà éprouvés pour d'autres traitements, depuis longtemps et en population générale. La difficulté du repositionnement est d'ailleurs l'une des principales difficultés évoquées par les chercheurs que nous avons auditionnés. La persistance de ces freins et de ces lenteurs cause une perte de temps, d'énergie et de ressources qui doit nous conduire à nous interroger.

REACTing n'était pas un guichet de financement : le consortium n'a donc pas pu organiser la programmation ni coordonner efficacement la recherche contre la Covid-19. Il y a eu de nombreux appels à projets, qui ont conduit à multiplier les essais cliniques, en contradiction directe avec la volonté et la nécessité de mutualiser les cohortes et les essais.

Il n'existait pas non plus de structure au niveau européen qui aurait pu le faire, alors que c'était l'échelle la plus pertinente pour aller vite et pour ouvrir plus largement les options thérapeutiques. Nous n'avons pas pu le faire, sinon avec difficulté, comme dans le cas de l'hydroxychloroquine, testée sur des patients en réanimation, en décalage avec le débat médical d'alors.

Suite à la première vague, le consortium REACTing a mis en place différents groupes de travail, notamment des groupes sur la priorisation des traitements, sur la recherche préclinique et sur les traitements par anticorps monoclonaux. Malgré un besoin urgent de thérapeutiques, la mise en place d'essais randomisés a été difficile. Il n'a pas non plus été facile de prioriser les traitements, de repérer les molécules les plus prometteuses, même si à ce moment-là, nous avions déjà tiré les leçons de la première vague et étions déjà un peu plus opérationnels dans l'identification de celles-ci.

J'en viens aux résultats obtenus contre la Covid-19. En janvier 2021, une nouvelle agence consacrée aux maladies infectieuses émergentes a été créée, l'ANRS-MIE, grâce au rapprochement de l'Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et du consortium REACTing. Il reste à en voir la réelle valeur ajoutée, par-delà le rapprochement de chercheurs qui doivent en effet travailler ensemble et ont besoin pour cela d'une maison où se retrouver. Une nouvelle structure n'apporte pas forcément une nouvelle solution. Attendons donc de disposer d'un peu de recul.

Quant aux traitements, certains ont été écartés assez rapidement : le remdésivir, l'association lopinavir et ritonavir, l'hydroxychloroquine, l'ivermectine, la vitamine D, le plasma de convalescents, le tocilizumab…

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Sonia de La Provôté, sénatrice, vice-présidente de l'Office, rapporteure

. – D'autres traitements ont montré leur intérêt. Dans la phase aiguë, tant l'administration de dexaméthasone, anti-inflammatoire, que le recours à des méthodes de prise en charge et de réanimation standardisées ont nettement amélioré l'état des patients.

Les anticorps monoclonaux ont montré une activité à la fois in vitro et in vivo. Deux laboratoires, Roche et Eli Lilly, en ont développé. Ils doivent cependant être utilisés précocement. Ils présentent en outre un spectre étroit, étant dirigés sur un site particulier du virus. Ils sont aussi sensibles aux mutations du virus. Enfin, ils sont coûteux. Pour ces différentes raisons, ils ne peuvent, en pratique, être utilisés de manière systématique et courante. Moins d'un millier de patients ont pu, en France, bénéficier de ces traitements entre mars et juin 2021. L'accès à cette prise en charge reste donc marginal.

D'autres traitements sont encore à l'étude. Ainsi, le molnupiravir, antiviral utilisé contre la grippe, qui a montré une activité inhibitrice importante. Le camostat a également montré des résultats. J'ajoute que de premières études ont enregistré des effets positifs du Truvada, association des antirétroviraux tenofovir et disoproxil utilisée dans le traitement du sida.

Il convient de bien suivre les initiatives engagées et de systématiser les études qui en découleront. Il faudra ensuite dégager du bruit de fond les opportunités réelles. Des équipes multi-sites et pluridisciplinaires pourront alors commencer à travailler sur des cohortes cohérentes. Ce n'est pas encore le cas aujourd'hui, du moins pas à la dimension voulue. Or le juste rapport bénéfices/risques de ces traitements ne sera atteint qu'à ce prix.

À plus long terme, la technologie des ARN interférents permettra d'empêcher l'expression d'un gène en clivant l'ARN messager correspondant et en prévenant ainsi la réplication du virus dans les cellules.

En définitive, le bilan des recherches thérapeutiques contre la Covid-19 est plutôt médiocre. Tant sur le plan scientifique que sur le plan financier, les efforts déployés ont surtout misé sur le vaccin. Mais il n'y avait pas de raison que des opportunités ne puissent se faire jour en matière thérapeutique. La coopération a cependant été moins structurée en ce domaine. Alors que Pfizer avait mis sur pied une cohorte de 30 000 personnes pour développer son vaccin, rien de tel n'a été fait pour les médicaments dont l'utilisation durant la première vague avait permis de supposer une certaine efficacité.

Le rôle de l'ANRS-MIE devra être évalué, pour établir si elle a une valeur ajoutée dans le pilotage de la recherche. Il faut regretter l'absence de coordination nationale, étant entendu qu'une action au niveau international est de toute façon nécessaire pour atteindre la masse critique de cas à surveiller et traiter.

Il convient d'encourager la recherche fondamentale, en assurant l'existence d'un socle scientifique solide en situation de pandémie. Encore faut-il pour cela combler les manques accumulés depuis de longues années. Une approche systémique devrait être conçue.

Dans la perspective des pandémies virales à venir, plus la palette des outils thérapeutiques est large, meilleure est la capacité de réagir de façon appropriée et efficace à tout danger. Outre leur contagiosité, les virus se caractérisent en effet par leur mutabilité. Ces deux traits sont d'ailleurs souvent corrélés.

J'en termine par les recommandations. Il convient de donner des lignes directrices fortes à l'ANRS-MIE. Il faut encourager et financer la recherche fondamentale. Il est aussi nécessaire de développer la recherche d'antiviraux pour disposer d'un large éventail de molécules susceptibles d'être repositionnées dans le cas d'une nouvelle épidémie virale. Il est également souhaitable de réaliser un retour d'expérience sur les initiatives mises en place, notamment les plateformes Discovery et Coverage, afin d'être en capacité de déployer plus efficacement des plateformes analogues dans le cadre d'une nouvelle pandémie. Enfin, il faudra faire évoluer le système d'évaluation des chercheurs pour réduire l'importance des indicateurs quantitatifs et mieux valoriser l'apport réel des recherches à la connaissance scientifique. Cette dernière recommandation méritera d'ailleurs d'être affinée avant sa bonne mise en œuvre.

J'ajoute que nous avons peiné à établir une cartographie des différentes instances et structures engagées dans la recherche de solutions thérapeutiques. Sans reposer nécessairement sur des équipes hospitalières, la recherche ambulatoire est indispensable. Dans le domaine pharmaceutique, il y a de la recherche et développement au sein du secteur privé. Elle est parfois le fait de petites entreprises. L'avenir nous montrera ce dont elles sont capables. J'en attends de grandes avancées. Telle est l'histoire de la recherche. Je ne vois pas de raison à ce qu'elle ne continue pas dans cette voie pour l'épisode que nous vivons.

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. – Je vous remercie de cette conclusion qui élargit le propos du rapport. Vous tirez parfaitement le bilan des travaux conduits ces derniers mois, non sans mettre parfois les pieds dans le plat.

Nous allons maintenant aborder le chapitre sur la levée des brevets relatifs aux vaccins contre la Covid-19, qui a été pris en charge par Ronan Le Gleut, comme je l'ai indiqué au début de notre réunion.

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Ronan le Gleut, sénateur, rapporteur

– Face à la pandémie de Covid-19, les vaccins, qui ont été développés grâce à des prouesses technologiques et scientifiques réalisées en un temps record, apparaissent comme la seule issue. Ils sont une véritable source d'espoir pour la population mondiale.

Ils montrent d'ailleurs déjà leur efficacité. Leur administration permet de constater un net recul de la pandémie dans certains pays du monde. Néanmoins, en dépit de ces résultats encourageants, il existe entre les différents pays de profondes inégalités d'accès à ces vaccins. Ces inégalités font peser de nombreuses menaces, tant sur les pays les moins développés qui ne peuvent endiguer la pandémie sur leur propre sol que sur les pays économiquement développés qui pourraient pâtir de l'émergence d'un potentiel nouveau variant déjouant la protection apportée par les vaccins existants, mais aussi d'une crise économique se prolongeant dans toute une partie du globe.

Il apparaît donc nécessaire de mettre en place des dispositifs d'accès rapide à la vaccination, à l'échelle mondiale. L'Inde et l'Afrique du Sud ont saisi l'Organisation mondiale du commerce (OMC) d'une demande de dérogation temporaire à certaines dispositions de l'accord sur les aspects du droit de propriété intellectuelle liés au commerce, dits accords ADPIC.

C'est à cette dérogation que se réfère ce qu'on appelle communément la « levée des brevets ». Car les accords ADPIC instaurent un cadre de protection minimale pour la propriété intellectuelle, au bénéfice des membres de l'OMC. L'audition organisée par l'OPECST a néanmoins démontré la complexité et l'absence de consensus sur l'utilité et sur la légitimité d'une telle « levée des brevets ».

Il a tout d'abord été souligné que les informations contenues en nombre limité dans les brevets ne permettraient pas à elles seules la production de vaccins par un tiers. La fabrication d'un vaccin est en effet complexe – plus que celle d'un médicament chimique – et nécessite un savoir-faire spécifique et des équipements de pointe. On parle bien de médicaments bio-similaires. Il est donc indispensable qu'un transfert de technologie soit réalisé par le titulaire du brevet pour transmettre ce savoir-faire au façonnier. Ce transfert ne pouvant avoir lieu que dans le cadre d'une confiance mutuelle entre le titulaire du brevet et le laboratoire façonnier, plusieurs intervenants ont défendu l'alternative offerte par les licences volontaires pour accroître la production de vaccins. Si de tels accords ont déjà pu être conclus de manière bilatérale, on peut toutefois regretter que le dispositif de guichet unique mis en place par l'OMS pour l'octroi de ces licences volontaires – le Covid-19 Technology Access Pool – n'ait reçu aucune contribution de la part des actuels producteurs de vaccins.

La complexité des vaccins s'accompagne d'une autre limitation, liée à la chaîne logistique dans laquelle leur production s'inscrit : de très nombreux intrants sont nécessaires – plus de 200, ceux-ci étant spécifiques et devant répondre à des normes strictes. Ainsi, l'augmentation des capacités de production de vaccins doit s'accompagner à due proportion d'une augmentation de capacités de production de ces intrants, qui ne doivent par ailleurs faire l'objet d'aucune restriction d'exportation sous peine de menacer certaines lignes de production. C'est par exemple le cas sur les nanoparticules lipidiques.

Au cours de l'audition, certains intervenants ont fait valoir qu'une « levée des brevets » pourrait avoir des répercussions sur l'innovation dans le domaine médical, les brevets ayant pour but de conférer un monopole d'exploitation à son titulaire, afin d'inciter à l'innovation et permettre l'amortissement des coûts de recherche et développement. Les projets de vaccins encore en développement pourraient alors ne plus voir le jour – et ce, alors que ceux-ci pourraient contribuer à accroître les capacités de production – et l'innovation dans le cadre d'une nouvelle crise pourrait s'en trouver menacée. Notons ici que le développement d'un nouveau vaccin utilisant d'autres intrants permettrait de contourner le problème des limitations en matières premières.

Cependant, comme évoqué au cours de l'audition, les phases de développement des vaccins actuellement disponibles ont été financées de manière substantielle par des sources publiques – notamment grâce à des garanties de marché – et s'appuient en partie sur des recherches fondamentales conduites dans des laboratoires publics, avant ou pendant la crise sanitaire.

Les membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), convaincus de l'importance d'aboutir à un accès équitable à la vaccination aussi vite que possible, essaient actuellement de parvenir à un compromis pour accroître la production de vaccins. Comme nous l'a indiqué le représentant adjoint de l'Union européenne auprès de l'OMC, l'UE n'envisage pas la « levée des brevets » mais suggère plutôt de clarifier et faciliter l'utilisation des flexibilités déjà offertes par l'Accord sur les ADPIC, comme la licence obligatoire. Elle souhaite également que les restrictions d'exportations sur les intrants et les doses de vaccins soient aussi limitées que possible et appelle les pays développés à accroître leurs dons de doses de vaccins – seule solution permettant de diminuer les inégalités vaccinales à court terme – ainsi qu'à prendre des mesures de soutien pour augmenter les moyens de production de vaccins.

Deux recommandations principales peuvent émerger de cette audition et être adressées au Gouvernement. Premièrement, la France doit œuvrer au sein de l'OMC pour favoriser l'usage aussi large que possible des possibilités d'ores et déjà offertes par l'Accord sur les APDIC, pour conforter le dispositif Covid-19 Technology Access Pool afin de faciliter la conclusion d'accords de licences volontaires et prévenir les mesures de restriction aux exportations de vaccins ou de leurs intrants. Parallèlement, la France doit œuvrer à ce que tous les pays puissent accéder rapidement à la vaccination contre la Covid-19, notamment en apportant une contribution ambitieuse aux initiatives visant à donner des doses aux pays n'ayant toujours qu'un accès réduit à la vaccination, en confortant leurs infrastructures sanitaires et en apportant un soutien aux autorités sanitaires locales chargées de contrôler les chaînes de production pour éviter le risque de produits « sous-standards ».

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. – Je trouve que la présentation des arguments des uns des autres est équilibrée et que la recommandation de favoriser l'usage aussi large que possible des possibilités d'ores et déjà offertes par l'accord, notamment les licences obligatoires, est claire. Dans le débat, il faut reconnaître que le brevet est un outil qui, de façon générale, favorise l'innovation, mais que la crise actuelle, son ampleur et le fait que les vaccins sont aujourd'hui la seule porte de sortie, font que les grands laboratoires qui ont conçu les vaccins vont plus que largement rentrer dans leurs frais. Les conditions sont donc là pour un accord.

Je note qu'il ne s'agit pas d'une levée de brevets, mais de ces dispositifs de licence volontaire ou obligatoire pouvant être utilisés comme moyens de pression pour aboutir à un accord. On a le bon outil qui permet d'y parvenir. Je pense que tout cela est clair et qu'en adoptant ces deux recommandations, l'Office se positionnera en soutien d'une stratégie française tout à fait légitime et pertinente.

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Ronan le Gleut, sénateur, rapporteur

Il faut rappeler qu'entre les acteurs des deux parties – ceux qui prônent la levée des brevets et ceux qui s'y opposent – il existe une forme de consensus inattendu puisqu'ils reconnaissent les uns et les autres que le fond du problème, dans la perspective d'une augmentation de la production de vaccins, n'est pas les droits de propriété intellectuelle, mais à la fois le savoir-faire des transferts de technologie et les limitations sur les intrants, c'est-à-dire les matières premières. Le cœur du débat sur l'augmentation de la production n'est pas les droits de propriété intellectuelle. En ce sens, les travaux de l'OPECST peuvent véritablement éclairer à la fois le Parlement et le débat public.

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. – Je suis parfaitement d'accord. C'est un beau travail, réalisé par l'ensemble des rapporteurs.

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Florence Lassarade, sénatrice, rapporteure

. – Tous les éléments de ce chapitre sont présentés très clairement. Les conclusions sont nettes. Je n'ai donc rien à ajouter. En revanche, je me demande pourquoi nos travaux ne font pas mention des informations recueillies auprès du réseau Obépine.

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. – Nous n'avons pas encore achevé l'examen de ce sujet. Après l'audition très intéressante d'Obépine, nous avons interrogé un épidémiologiste que nous avions déjà entendu par ailleurs, et celui-ci a été plus réservé sur l'intérêt de la démarche. Donc il faut que nous poursuivions notre travail pour identifier les bons arguments et construire notre vision des choses.

Je vous propose maintenant d'approuver le projet de rapport et d'en autoriser la publication. Je salue le travail qui a été accompli, patiemment, semaine après semaine, audition après audition, pour effectuer un suivi de la situation sanitaire et pour étudier en détail les dimensions scientifiques et techniques de la lutte contre l'épidémie. Votre engagement et la capacité d'expertise et d'analyse sont à la hauteur des enjeux et je vous en remercie.

L'Office autorise la publication du rapport sur « Les aspects scientifiques et techniques de la lutte contre la pandémie de la Covid-19 ».

La réunion est close à 15 h 30.