– Je vous remercie d'être mobilisés sur un sujet majeur, un sujet de société, un sujet économique, qui a également trait au mode de vie d'une fraction importante de notre population.
Je ne formulerai pas une question, ni un regret, mais une remarque. Je trouve que votre analyse manque d'une grille géographique et d'une grille historique. En effet, vis-à-vis de la consommation de produits carnés, les situations sont extraordinairement différentes de par le monde, ainsi que leurs évolutions – vous avez évoqué la Chine, cas très spectaculaire. L'un des problèmes majeurs posés par les produits carnés est la brutalité et la rapidité de ces évolutions. Un modèle ethnocentré sur le système européen ou a fortiori français est incompréhensible si on doit le déployer dans le monde entier. Je pense que la relativisation des systèmes de consommation de produits carnés aurait mérité d'être plus approfondie pour faire, peut-être, apparaître des catégories.
Ma deuxième remarque est une invitation à être plus « carré » sur les avantages et inconvénients de la consommation de viande. Il se trouve que j'ai le privilège d'avoir un âge plus avancé que le vôtre et d'avoir côtoyé par exemple des populations chinoises, indonésiennes ou malaises. Ce sont des pays que je connais relativement bien. En 30 ans, la production carnée et la consommation des produits carnés ont changé la silhouette de ces populations. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Je sais que ma femme se réjouissait, autrefois, dans un groupe de Chinois, d'avoir une tête de plus que les autres et de pouvoir voir les événements et les manifestations. Aujourd'hui, elle a une tête de moins et elle est très malheureuse parce qu'elle ne les voit plus. Je dis cela en plaisantant, mais il y a de vrais changements et cela aurait mérité d'être un peu plus dit.
Dernière observation – c'est le rural qui vous parle : les productions carnées sont très largement nées de la présence des herbivores parce qu'il y a des sols sur lesquels on ne peut pas travailler les céréales et qui ne produisent que de l'herbe. Il y a des terres que l'on ne peut pas labourer et on les pâture. Il aurait fallu mieux expliquer la force du système labourage et pâturage. Il s'est imposé à nous sans avoir été vraiment choisi. L'alimentation par les céréales est évidemment devenue un complément et la demande de la clientèle a fait qu'on a multiplié la consommation de viande qui était sans doute assez marginale jusqu'à la fin du XIXe siècle, selon les milieux. On parle en fait de ces questions agricoles en oubliant une réalité : le monde a eu faim jusqu'à une période relativement récente. On peut dire qu'en France, depuis la moitié du XIXe siècle, on a évité les famines mais on avait encore des disettes.
La production carnée est une production qui découle tout à la fois des problèmes de traction, du fait qu'il y a des terres qui ne peuvent produire que de l'herbe et par conséquent, qui ne sont valorisables qu'avec des animaux, et du fait que le cheptel est un patrimoine qui, historiquement, a l'avantage de pouvoir lisser les mauvaises saisons et les bonnes saisons. Les vaches font du lait de façon assez constante pendant de nombreuses années et on les mange ensuite. Quand une vache décède, elle a rendu service, elle a étalé la production agricole.
Je trouve que cette analyse géographique, historique et sociologique aurait mérité d'être mise en avant. Vous êtes allés trop vite sur les végans, pour lesquels j'ai un immense intérêt, et sur les antispécistes.