Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Réunion du jeudi 22 juillet 2021 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • mer
  • obsolescence
  • viande

La réunion

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Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jeudi 22 juillet 2021

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Présentation des rapports finaux des auditeurs de la promotion 2021 de l'Institut des Hautes études pour la science et la technologie (IHEST)

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– Je vous souhaite la bienvenue. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) tient aujourd'hui sa dernière réunion d'une année 2020-2021 qui a été bien remplie, en attendant l'année 2021-2022 qui ne le sera certainement pas moins.

Nous sommes réunis pour entendre les auditeurs de la quinzième session de l'Institut des hautes études pour la science et la technologie (IHEST), qui vont présenter les rapports finaux des ateliers réalisés au cours de l'année écoulée. La promotion 2020-2021 de l'IHEST a décidé de se donner le nom de Michel Serres, heureux présage pour nos échanges de ce matin, en hommage à quelqu'un qui a été pour beaucoup d'entre nous un maître en matière d'histoire des sciences, de philosophie des sciences, d'épistémologie, quelqu'un dont tous ceux qui l'ont approché ont pu apprécier la générosité, l'enthousiasme et les extraordinaires qualités humaines.

L'Office réitère aujourd'hui l'exercice qui a eu lieu le 6 juin 2019 avec les auditeurs de la treizième session. Cette expérience avait été extrêmement positive et elle aurait dû avoir lieu à nouveau au début de l'été 2020 mais nous avons dû annuler ce projet du fait de la pandémie qui sévit toujours depuis près d'un an et demi, même si nous avons appris, dans une certaine mesure, à composer avec elle. L'histoire commune de l'Office et de l'IHEST a donc déjà quelques années, bien que modeste jusqu'à présent. Elle a vocation à croître et à embellir.

Je ne pense pas qu'il soit besoin de présenter l'Office dans ce propos introductif. Cependant, si vous avez des questions à ce sujet, le premier vice-président, Gérard Longuet, et moi-même serons à votre disposition pour vous répondre. Sans insister davantage, je souhaite dire à quel point c'est une richesse et un gage d'indépendance précieux pour l'Office que d'être constitué conjointement de représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat. C'est une richesse extraordinaire qu'il est vital de préserver.

Nous sommes très heureux de vous accueillir, chers amis de l'IHEST. Vous incarnez sous une autre forme ce qui est en quelque sorte la vocation de l'Office, un lieu de contact, une interface entre les politiques, les experts et la société, un lieu de débat où chacun, chacune peut faire entendre sa voix, son expérience, et la diversité des auditeurs n'a rien à envier à la diversité des parlementaires. C'est l'un des buts d'un institut tel que l'IHEST que de rechercher ce rassemblement des cultures professionnelles et de fournir une ambiance de métissage intellectuel propice à l'émergence des idées neuves.

La situation sanitaire nous impose un certain nombre de contraintes, notamment le respect d'une jauge. Ainsi, nous n'avons pu accueillir dans cette salle que les binômes d'auditeurs rapporteurs désignés pour chacun des cinq ateliers et non la promotion complète de l'IHEST. Un certain nombre d'auditeurs sont donc connectés en visioconférence. Nous accueillons également l'équipe de direction de l'Institut : Jean-François Pinton, qui préside le conseil d'administration et qui est par ailleurs président de l'École normale supérieure de Lyon – je l'ai côtoyé pendant bien des années comme collègue dans cet auguste établissement, Sylvane Casademont, directrice de l'IHEST, Lucile Grasset, directrice adjointe, et Geneviève Royer, directrice pédagogique.

Nous sommes convenus, avec l'équipe de direction de l'IHEST d'organiser nos échanges autour de dix minutes de présentation et quinze minutes de débat pour chaque atelier. Je laisserai chaque binôme de rapporteurs se présenter brièvement au début de son intervention.

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Jean-François Pinton, président du conseil d'administration de l'IHEST

–Monsieur le président, monsieur le premier vice-président, merci de nous accueillir à nouveau cette année et de nous permettre ainsi, malgré ce contexte de pandémie, de vous présenter les travaux de l'IHEST, ce qui n'a pas pu être fait l'année dernière.

Je ne vais pas insister, surtout devant vous, sur l'importance de la science et de la technologie dans les temps actuels. Je n'aurai pas non plus l'audace de commenter l'actualité qui, par bien des aspects, nous ramène à l'importance de comprendre le fait scientifique, les observations que les gens peuvent faire de manière objective et les décisions qui en découlent.

Je préfère insister sur ce qui vient d'être dit : l'importance de réunir des gens de milieux différents, d'horizons et d'habitudes variés. Les auditeurs du cycle IHEST viennent bien sûr de l'enseignement supérieur et de la recherche, des milieux publics, mais aussi de l'industrie, des médias et de la société en général, avec une seule appétence, celle de comprendre comment la méthode scientifique et les approches qui en découlent permettent d'analyser, dans un tour d'horizon, un certain nombre de faits. Ce qui va vous être présenté est le résultat de ces réflexions, modestes en ce qu'elles ne prétendent pas résoudre l'ensemble des problèmes, mais instruites en ce qu'elles montrent ce qu'un groupe de citoyens rassemblés peut tirer comme enseignements après un an d'échanges. Cela peut très probablement avoir un sensible intérêt pour la représentation nationale.

Je termine en insistant sur deux choses qui ont fait l'originalité des travaux de l'IHEST ces dernières années.

Premièrement, la construction de cycles et d'interactions au niveau local, en région. Il y a eu un ensemble de visites et d'échanges, dans la métropole lilloise, en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine, et en Occitanie. Il y sera fait allusion aujourd'hui : le fait d'avoir de tels échanges sur les enjeux que peut porter tel ou tel sujet, sur une compréhension, une déclinaison locale est quelque chose de fondamental pour nous.

Deuxièmement, l'actualité nous y oblige mais nous la devançons parfois un peu, de nombreux échanges ont eu lieu dans le contexte de la santé avec l'INSERM et l'association « G5 Santé », qui rassemble l'essentiel des industries pharmaceutiques françaises sur des sujets dont vous devez deviner la teneur. Ce dernier point est vraiment d'actualité. Il me paraît donc intéressant que Sylvane Casademont l'évoque avant de laisser la parole aux auditeurs.

Nous vous remercions encore de votre accueil.

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Sylvane Casademont, directrice de l'IHEST

– Monsieur le président, monsieur le premier vice-président, je vais parler brièvement des deux séminaires santé que l'IHEST a organisés en partenariat avec l'INSERM, le ministère de la santé et la Caisse des Dépôts - Banque des territoires. Il s'agit de mener une réflexion avec des experts. L'une d'elles portait sur les questions de recherche fondamentale, recherche appliquée, innovations en santé et débouchés sur la réindustrialisation. C'est un sujet qui est particulièrement d'actualité. À l'automne, nous travaillerons avec le ministère de la santé sur les données de santé. C'est aussi un sujet absolument crucial et la pandémie le montre bien.

Le cycle de formation de l'IHEST est aujourd'hui certifiant. La majorité des auditeurs présents ou connectés seront certifiés à l'issue de cette année sur la compétence « Utiliser la démarche scientifique dans la prise de décision ». C'est une reconnaissance officielle puisque l'IHEST est certificateur France Compétences.

Les séminaires que nous organisons en région et les séminaires courts thématiques sont une diversification de l'offre de l'IHEST. Nous sommes à la disposition de l'Office pour lui communiquer ces travaux et interagir à leur propos selon ses souhaits.

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– Je vous remercie pour ces présentations et pour ces mots de confiance. Nous sommes honorés par cette coopération.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Je ne peux pas résister au plaisir de signaler que nous sommes ici en apparence rue Saint-Dominique, en réalité rue de Martignac, exactement à mi-chemin entre feu le commissariat au Plan (ce qui d'ailleurs est un non-sens, puisque Martignac était un homme politique royaliste parfaitement libéral du début du XIXe siècle, qui a survécu à la Révolution et qui a pu défendre ses idées) et l'Hôtel de Brienne qui abrite le ministère de la défense. Pourquoi suis-je en train d'évoquer le ministère de la défense ? Parce que c'est lui qui a lancé le concept d'institut de hautes études : l'IHEDN a tellement bien fonctionné qu'il a été imité. Avec l'IHEST, il a été imité, égalé et, j'en suis convaincu à travers vos participations, dépassé.

Tout cela pour vous dire que le fait de l'État est, dans notre pays, très largement partagé. On a souvent l'image fausse d'un État accaparé par de grands corps fermés sur eux-mêmes et parfaitement indifférents aux points de vue de ce que l'on appelle la société civile, le grand public, la France d'en bas… C'est totalement faux. Le concept d'économie réfléchie et débattue entre pouvoirs publics et pouvoirs privés imprègne le cheminement des idées au moins depuis les débuts de la Quatrième République et évidemment tout au long de la Cinquième, et je vous remercie d'y contribuer activement. L'Office parlementaire est là pour permettre aux députés et sénateurs d'être informés de cet extraordinaire travail partagé.

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– Après ce remarquable exposé plein d'érudition et de sagesse, je souligne que nous utilisons ce matin la salle de la commission de la Défense de l'Assemblée nationale. La boucle est ainsi bouclée.

Chers amis, chers invités, à vous la parole pour le premier de ces ateliers.

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Nathalie Brunelle

– Je vais rapporter avec Benoît Lepesant le travail d'un collectif de neuf auditeurs sur le sujet « La viande en question ».

Nous avons pu, au fil de l'atelier, prendre la mesure des différentes manières dont la viande pose aujourd'hui question, avec une grande variété d'acteurs impliqués, la mise en cause des modèles d'élevage intensif et l'exploration de futurs possibles.

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Benoît Lepesant

– L'exploitation des animaux et la consommation de leur viande remontent à la Préhistoire. C'est au Néolithique que les sociétés humaines sont passées de tribus de chasseurs-cueilleurs à des communautés d'agriculteurs. Les hommes ont alors commencé à domestiquer les animaux sauvages et à pratiquer l'élevage. À partir de cette révolution agricole néolithique, la consommation de viande a eu un rôle très important dans les sociétés humaines.

Les religions ont fondé des cultures qui se différencient par le type de viande que l'on mange ou que l'on ne mange pas. Au Siècle des Lumières, la souffrance animale est prise en considération. Des philosophes reconnaissent un statut moral aux animaux et condamnent les souffrances inutiles qu'on leur inflige. Cette évolution des idées se concrétise par la création de la SPA (Société protectrice des animaux) en France en 1845. En 1859, Charles Darwin publie L'origine des espèces. L'homme devient une espèce animale parmi les autres.

Après la Seconde Guerre mondiale, l'élevage et la production de viande deviennent une véritable industrie. C'est la promesse d'une viande abordable pour le plus grand nombre, mais au prix d'une intensification de l'élevage et de l'apparition des fermes-usines. En réaction, les mouvements végan et antispéciste apparaissent.

En France, l'article L 214 du code rural, créé en 1976, reconnaît l'animal comme un être sensible.

Au cours des années 1990, plusieurs crises sanitaires majeures ont lieu. Ces crises entraînent une prise de conscience quant aux fragilités de l'élevage industriel et aux risques pour la santé. Au début des années 2000, l'approche One Health souligne justement le lien étroit entre santé animale, santé humaine et état écologique global. En décembre de l'année dernière, la viande artificielle est autorisée à la consommation, à Singapour. C'est à ce jour la dernière étape d'une histoire longue et complexe où se mêlent des enjeux culturels, historiques, économiques, sanitaires, environnementaux et éthiques.

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Nathalie Brunelle

– La consommation de viande est profondément ancrée dans la culture française. Ainsi, les plats emblématiques de notre cuisine traditionnelle comportent tous de la viande, du bœuf bourguignon à la choucroute, en passant par le steak-frites ou le couscous. L'idée selon laquelle la viande est bonne pour la santé et la démocratisation de sa consommation font de l'élevage une part culturelle indissociable de notre histoire et de notre économie. Ainsi, la France est aujourd'hui le premier producteur, mais aussi le premier consommateur européen de viande bovine. Chaque habitant consomme environ 23 kilos de viande bovine par an en moyenne. La France est également le deuxième producteur de volaille, le troisième de viande ovine et porcine.

Les industries agroalimentaires et de transformation, conservation, préparation de la viande génèrent un chiffre d'affaires de 39 milliards d'euros. Pour fournir toujours plus de viande à des prix toujours plus abordables, l'élevage s'est fortement industrialisé depuis l'après-guerre et aujourd'hui, ce sont près de 80 % des animaux élevés en France qui n'ont pas accès à l'extérieur.

Toutefois, sous diverses influences que nous détaillerons par la suite, la consommation de viande tend à diminuer en France depuis les années 1980 et la manière de la consommer reste un marqueur social fort. Les controverses sur le sujet de la viande font ainsi intervenir une multitude d'acteurs dont les intérêts sont divers, mais convergent parfois de manière surprenante. On peut citer les acteurs de la filière viande, les consommateurs, les chercheurs dans divers domaines touchant à l'animal, à la nutrition et la santé, les défenseurs de l'environnement ou de la cause animale.

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Benoît Lepesant

– Trois grands sujets sont au cœur de la question de la viande.

Tout d'abord, celui de la santé humaine. Bien que la viande puisse apporter des nutriments ayant un bénéfice pour notre santé, les sociétés occidentales consomment trop de viande par rapport à ce que recommandent les autorités sanitaires. Or il est démontré que cette consommation excessive peut entraîner des cancers et des maladies cardiovasculaires. Par ailleurs, l'approche zootechnique de l'élevage repose sur la sélection génétique des animaux, l'utilisation d'hormones et d'antibiotiques. Ces usages entraînent des risques pour les animaux mais aussi pour l'Homme, notamment avec l'apparition des zoonoses.

La seconde raison d'interroger notre consommation de viande est son impact sur l'environnement. L'élevage représente 14,5 % des émissions de CO2 au niveau mondial et 85 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) pour le secteur agricole. L'élevage mobilise 30 % des terres mondiales. Une grande partie des terres agricoles est utilisée pour produire l'alimentation du bétail, avec deux conséquences graves : la déforestation et le développement de monocultures industrielles qui réduisent la biodiversité. Produire un kilo de viande bovine nécessite beaucoup d'eau. L'élevage contribue aussi à la pollution des eaux par le rejet d'effluents et d'antibiotiques, à quoi s'ajoutent les engrais utilisés pour la production de leur nourriture.

Enfin, l'exploitation des animaux et la consommation de leur viande posent des questions éthiques. Peut-on exploiter un animal, le faire souffrir, le tuer ? Pour Descartes, l'animal n'est rien d'autre qu'une machine perfectionnée. L'idée selon laquelle les animaux sont des êtres sensibles a émergé au Siècle des Lumières. En 2015, notre code civil reconnaît les animaux comme des êtres vivants, doués de sensibilité et non plus comme de simples meubles. La réalité de la sensibilité animale est aujourd'hui démontrée par des travaux scientifiques. Nous savons aujourd'hui que c'est de la mort d'un être sensible que nous nous nourrissons. Les études scientifiques montrent aussi que l'animal est doté de sentiance, soit la capacité à ressentir des émotions, la douleur, le bien-être et à percevoir de façon subjective son environnement. Ces progrès dans le domaine de la cognition animale nourrissent le débat éthique sur la viande.

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Nathalie Brunelle

– À partir de ces controverses et autour de trois grands thèmes qui se dégagent sur la question de la viande, le rapport propose quatre scénarii prospectifs avec des orientations possibles.

Le premier scénario se base sur le modèle intensif de la ferme-usine. C'est la poursuite du scénario le plus répandu aujourd'hui. Du point de vue de l'environnement, de la santé ou de l'éthique, ce modèle ne semble plus tenable. Toutefois, si l'on se place à l'échelle mondiale, on peut noter que les efforts des pays européens sont à remettre en perspective avec une tendance observée dans les pays émergents, par exemple la Chine, qui a multiplié sa production de viande par sept depuis les années 1970.

Le deuxième scénario est celui de la viande artificielle. Cela vise à remplacer la viande traditionnelle par des cellules cultivées industriellement et dont les caractéristiques sont les mêmes que celles de la viande classique. Cela répondrait aux préoccupations sanitaires et éthiques autour de la vie et de la mort de l'animal. Toutefois, des études plus poussées sur le coût environnemental de cette production sont attendues. La barrière culturelle pourrait être importante, notamment dans un pays comme la France.

Le troisième scénario est celui du végétalisme. Si différentes études ont été menées sur les carences et compléments alimentaires nécessaires dans le cadre d'une telle alimentation, d'autres questions sont posées par la proposition d'un retour à un monde sans élevage. Que deviendraient les animaux issus de races d'élevage qui ne survivraient pas dans la nature ? Que deviendraient nos paysages structurés par l'agriculture ? Combien de terres arables faudrait-il pour nourrir l'humanité tout entière ?

Le quatrième scénario propose un modèle d'agriculture respectueuse des animaux et des métiers de la filière, avec des circuits courts ayant moins d'impact sur l'environnement, prônant une réduction de la consommation. Considérant que les protéines animales restent constitutives d'une alimentation équilibrée, ce modèle prend le parti de réformer la filière viande dans son ensemble, mais aussi le comportement des consommateurs. S'il s'agit d'une tendance observée dans les milieux plutôt privilégiés, une réflexion économique sera nécessaire pour que la viande reste un produit, certes rare, mais toujours accessible à tous.

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Benoît Lepesant

– Les informations dont nous disposons aujourd'hui montrent que l'on ne peut pas continuer comme avant. Un changement de trajectoire est nécessaire. Pour faciliter cette transition, notre groupe a identifié plusieurs leviers et propose sept recommandations.

Tout d'abord, il faudrait agir pour une meilleure éducation en diffusant auprès du grand public les connaissances scientifiques sur les enjeux et impacts de la consommation de la viande, y compris dans les programmes scolaires et dans la restauration collective.

Deuxièmement, il faudrait favoriser une meilleure information du consommateur en élaborant un label graduel qui figurerait sur l'étiquetage des produits carnés, prenant en compte différents aspects nutritionnels, éthiques, environnementaux.

Puis, il faudrait apporter un soutien à la transition agroécologique en réorientant la politique agricole commune (PAC), en conditionnant les aides à un cahier des charges à exigences négociées entre tous les acteurs.

Nous sommes aussi confrontés à l'enjeu de rétablir des règles de concurrence justes en renforçant le contrôle aux frontières européennes et en instaurant une taxe carbone à l'importation pour favoriser les pratiques vertueuses dans le périmètre européen et limiter la déforestation importée.

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Nathalie Brunelle

– Dans nos recommandations figurent aussi les aides à l'installation sous la forme de dispositifs fiscaux ou d'aides à l'investissement pour s'installer ou reprendre une exploitation en répondant à des critères nutritionnels, environnementaux et de respect du bien-être animal.

Il semble qu'une valorisation du plan abattoir national soit attendue, avec une mise en œuvre des préconisations du Conseil national des abattoirs publiées en 2019 pour le renforcement de bonnes pratiques de contrôle et de qualification des professionnels.

Enfin, nous recommandons un appui à la recherche par un soutien aux différents organismes pour garantir leur indépendance et les aider dans la formulation d'outils d'analyse communs (analyses du cycle de vie ou autres) et d'éclairage des décisions publiques.

Nous tenons à remercier toute l'équipe de l'IHEST de nous avoir donné l'occasion de travailler sur ce sujet, et plus particulièrement Catherine Véglio qui nous a accompagnés et nous a permis de rencontrer tous les intervenants cités ici.

Nous vous remercions de votre attention. L'ensemble du groupe est maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

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– Merci beaucoup pour cette présentation. Vous avez parfaitement tenu les délais, votre présentation était bien étayée. Les petites nouvelles de type science-fiction qui illustrent les différents scénarios sont un élément culturel extrêmement intéressant pour évoquer les futurs possibles.

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– Merci à ce groupe de camarades de l'IHEST pour cette présentation claire et un timing tenu. Ma situation ici est un peu spéciale car je suis moi aussi auditeur de la promotion 2020-2021 de l'IHEST. Je vais donc poser des questions bienveillantes.

Vous avez utilisé le terme de « ferme-usine » à deux reprises au moins dans votre présentation, indiquant que l'apparition des fermes usines datait de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Je voudrais savoir quelle définition précise vous avez associée à cette notion. Est-ce uniquement la notion de « hors sol » ? Existe-t-il un effectif animal qui permet de caractériser ce qu'est une ferme-usine ?

Pourquoi cette interrogation ? Parce que je suis député d'une circonscription d'élevage et si je peux parfois rencontrer des agriculteurs dans des fermes, je cherche souvent les usines associées. J'aimerais donc savoir comment on peut cerner cette définition qui souvent, suscite un certain nombre d'incompréhensions sur le terrain et s'avère même parfois contre-productive auprès des exploitations qui sont vertueuses et attachées à un certain nombre des valeurs que vous avez définies dans votre présentation.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Je vous remercie d'être mobilisés sur un sujet majeur, un sujet de société, un sujet économique, qui a également trait au mode de vie d'une fraction importante de notre population.

Je ne formulerai pas une question, ni un regret, mais une remarque. Je trouve que votre analyse manque d'une grille géographique et d'une grille historique. En effet, vis-à-vis de la consommation de produits carnés, les situations sont extraordinairement différentes de par le monde, ainsi que leurs évolutions – vous avez évoqué la Chine, cas très spectaculaire. L'un des problèmes majeurs posés par les produits carnés est la brutalité et la rapidité de ces évolutions. Un modèle ethnocentré sur le système européen ou a fortiori français est incompréhensible si on doit le déployer dans le monde entier. Je pense que la relativisation des systèmes de consommation de produits carnés aurait mérité d'être plus approfondie pour faire, peut-être, apparaître des catégories.

Ma deuxième remarque est une invitation à être plus « carré » sur les avantages et inconvénients de la consommation de viande. Il se trouve que j'ai le privilège d'avoir un âge plus avancé que le vôtre et d'avoir côtoyé par exemple des populations chinoises, indonésiennes ou malaises. Ce sont des pays que je connais relativement bien. En 30 ans, la production carnée et la consommation des produits carnés ont changé la silhouette de ces populations. Est-ce un bien ? est-ce un mal ? Je sais que ma femme se réjouissait, autrefois, dans un groupe de Chinois, d'avoir une tête de plus que les autres et de pouvoir voir les événements et les manifestations. Aujourd'hui, elle a une tête de moins et elle est très malheureuse parce qu'elle ne les voit plus. Je dis cela en plaisantant, mais il y a de vrais changements et cela aurait mérité d'être un peu plus dit.

Dernière observation – c'est le rural qui vous parle : les productions carnées sont très largement nées de la présence des herbivores parce qu'il y a des sols sur lesquels on ne peut pas travailler les céréales et qui ne produisent que de l'herbe. Il y a des terres que l'on ne peut pas labourer et on les pâture. Il aurait fallu mieux expliquer la force du système labourage et pâturage. Il s'est imposé à nous sans avoir été vraiment choisi. L'alimentation par les céréales est évidemment devenue un complément et la demande de la clientèle a fait qu'on a multiplié la consommation de viande qui était sans doute assez marginale jusqu'à la fin du XIXe siècle, selon les milieux. On parle en fait de ces questions agricoles en oubliant une réalité : le monde a eu faim jusqu'à une période relativement récente. On peut dire qu'en France, depuis la moitié du XIXe siècle, on a évité les famines mais on avait encore des disettes.

La production carnée est une production qui découle tout à la fois des problèmes de traction, du fait qu'il y a des terres qui ne peuvent produire que de l'herbe et par conséquent, qui ne sont valorisables qu'avec des animaux, et du fait que le cheptel est un patrimoine qui, historiquement, a l'avantage de pouvoir lisser les mauvaises saisons et les bonnes saisons. Les vaches font du lait de façon assez constante pendant de nombreuses années et on les mange ensuite. Quand une vache décède, elle a rendu service, elle a étalé la production agricole.

Je trouve que cette analyse géographique, historique et sociologique aurait mérité d'être mise en avant. Vous êtes allés trop vite sur les végans, pour lesquels j'ai un immense intérêt, et sur les antispécistes.

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– Merci beaucoup, cher Gérard. À mon tour de faire quelques commentaires, d'abord pour louer le travail remarquable que vous avez réalisé. C'est un sujet extraordinairement complexe et sensible, un sujet qui s'invite depuis longtemps dans de grands débats de société, et j'apprécie particulièrement le fait que vous ayez fait apparaître différents courants dans votre réflexion. Il y a les questions philosophiques, les questions environnementales, les questions de sensibilité, les questions associatives, etc. Vous assumez aussi pleinement cette dimension culturelle, dans votre choix de présentation, avec ces nouvelles de science-fiction que j'évoquais.

Je vais d'abord vous poser une question sur la méthodologie. Chez les personnes que vous avez entendues, y a-t-il des positions qui vous ont particulièrement surpris, des choses qui vous ont bousculés, qui ne correspondaient pas aux idées que vous pouviez avoir a priori ?

Deuxième question : en tant que responsables du groupe, aviez-vous une position personnelle sur le sujet et celle-ci a-t-elle évolué au cours de votre travail ? À titre personnel, je suis devenu végétarien en travaillant sur le sujet en tant que politique. Vous m'auriez demandé il y a quatre ans ce que je pensais sur la viande, j'aurais bafouillé quelque chose ; aujourd'hui, j'ai une position arrêtée. J'ai dû lire des dizaines de livres sur le sujet, avec toutes les composantes que vous évoquez.

Je me permettrai quelques minimes remarques sur le contenu, moins détaillées que ce que Gérard Longuet évoquait à l'instant. Il y a un sujet sur l'autorisation de l'hippophagie.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Nous n'avons pas parlé de la mort du cheval. Le moteur thermique a chassé le cheval des prairies et du paysage. Il n'est porté à bout de bras que par quelques passionnés. Ce sera le destin des animaux si on cesse de les manger. Avoir un cochon de compagnie, c'est assez rare, de même que faire de l'équitation sur une vache frisonne-Holstein.

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– Gérard me donne une accroche ! Je vais rebondir sur la remarque sur le cochon domestique. Dans son petit essai intitulé Sur le végétarisme, le penseur anarchiste Élisée Reclus, peut-être le plus grand géographe de l'histoire de France, raconte comment sa tante, dans un milieu rural, s'était prise d'affection pour son cochon, à tel point qu'il lui était devenu impossible d'imaginer le consommer. Un jour, les villageois sont venus s'emparer de force du cochon et l'ont saigné selon les traditions, laissant la pauvre dame pleurer toutes les larmes de son corps. Élisée Reclus parle de cet épisode pour raconter son engagement sur ce sujet. Il était lui-même végétarien et l'un de ces penseurs anarchistes défenseurs des animaux, comme a pu l'être Louise Michel. Le cochon domestique est donc rare, mais il existe au moins dans cet épisode historique.

Vous parlez de cultures indiennes. Le mathématicien que je suis met forcément sur la table Pythagore qui enseignait la métempsychose et l'interdit de consommer les animaux. Il a eu une influence assez importante chez les anciens. Socrate peut être considéré comme le premier végan de l'Histoire puisqu'il prône le non-usage des animaux, aussi bien pour des questions de santé que pour des questions de vertu sobre.

Il y a donc des racines plus profondes que ce que l'on peut imaginer. Les penseurs des Lumières sont ambivalents. Kant développe le propos de l'animal au service de l'humain. Darwin, que vous avez eu raison de mettre en avant, est fondamental, non seulement pour la place de l'humain parmi les animaux, mais aussi car il a été le premier à imaginer que même la morale avait une origine évolutionniste et que l'on trouvait la morale chez les animaux ; il a insisté sur le fait que l'éthique pouvait être une caractéristique humaine, mais que la notion de bien et de mal se retrouvait elle-même chez les espèces. On trouve de telles discussions dans un certain nombre d'ouvrages scientifiques, dont un que je vous recommande, L'animal est-il une personne ? d'Yves Christen.

Deux références qui pourront compléter sans le contredire ce que vous avez indiqué : le livre Faut-il arrêter de manger de la viande ? de Louis Schweitzer, et un laboratoire d'idées, l'IDDRI, qui s'est fait une spécialité des sujets de transition, d'élevage et d'agriculture.

Un commentaire politique pour terminer. Certaines associations, certains penseurs ont des pensées philosophiques distinctes sur la place des animaux. Vous avez des welfaristes, vous avez des abolitionnistes, etc. En pratique, quand cela passe à la moulinette politique, tout le monde devient welfariste, même les associations qui ont des positions philosophiques abolitionnistes. Quand vous leur demandez quel est leur programme politique pour demain, cela devient du welfarisme, ne serait-ce que par réalisme.

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Nathalie Brunelle

– Vous nous faites déjà regretter de ne pas vous avoir auditionnés dans le courant de nos travaux… Je vais laisser mes collègues connectés répondre.

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Laurent Joly

– Je vais répondre à Philippe Bolo, qui avait d'ailleurs déjà réagi il y a trois semaines sur ce terme de ferme-usine sur lequel il accroche beaucoup. Il y a certainement très peu d'élevages intensifs dans sa belle région de l'Anjou. Le terme usine lui-même est assez cohérent avec les éléments de langage.

(interruption de connexion)

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Benoît Lepesant

– Nous entendions à travers ce terme de ferme-usine l'industrialisation majeure du secteur agricole. Avant la Seconde Guerre mondiale, il représentait la majorité de la main-d'œuvre en France. Aujourd'hui, ce ne sont plus que 3 % des emplois. C'est cette industrialisation du secteur que nous avons voulu ainsi signifier.

Dans le scénario que nous avons détaillé, il s'agissait aussi de parler des usines à cochons sur sept étages, en Chine par exemple, que l'on voit de plus en plus. C'est cette vision un peu apocalyptique que nous avons essayé de détailler dans le scénario prospectif.

Sur la question du périmètre, nous avons entendu des acteurs français. Nous avons essayé de nous limiter au périmètre français, tout en ayant conscience qu'il y a énormément de différenciations selon les pays, comme le montre l'explosion de la consommation de viande en Chine. Nous avons bien conscience qu'un périmètre français est assez limité. Mais pour éviter d'embrasser de nombreux champs, nous avons fait ce choix.

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Nathalie Brunelle

– Nous avons toutefois mis dans le rapport une cartographie des flux internationaux.

Nous avons été assez surpris par le modèle indien qui est souvent présenté comme un modèle de végétalisme. Or nous nous sommes rendu compte que l'Inde était le premier pays exportateur de viande bovine. Cela nous a effectivement interpellés et fait prendre conscience de l'importance de ces filières dans les flux commerciaux mondiaux.

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– Je pense que l'Inde est un pays tellement hétérogène au point de vue culturel et économique qu'il est inclassable. Dans la bande dessinée Economix, à la fin de son long exposé historico-scientifique sur l'économie, l'auteur parle de l'Inde comme un exemple de pays qu'il est absolument impossible de classer selon quelque grille que ce soit.

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Benoît Lepesant

– Sur l'aspect étonnement, un document de la FAO montre que 14,5 % des émissions de GES sont dues à l'élevage. Sur ce taux qui est assez largement admis, nous avons entendu des acteurs nous dire que c'était très peu et d'autres nous dire que c'était beaucoup. Même sur un chiffre qui pour une fois ne fait pas débat, on peut avoir des différences d'appréciation selon les différents acteurs.

Sur l'évolution du positionnement, nous nous étions positionnés en début d'atelier sur une frise entre « très consommateur de viande » et « végan ». Je pense que tous les membres du groupe ont évolué, mais de façon différente. En tout cas, même si beaucoup d'entre nous n'avaient pas forcément envie de travailler sur ce sujet-là au début, tous ont vu leur vision évoluer par rapport à la viande.

Un auditeur a fait beaucoup de recherches sur l'hippophagie et a réalisé une annexe. Elle nous montre aussi les modifications profondes que l'on peut observer, qui ne sont pas très visibles, parce que justement la viande de cheval était encore récemment consommée. On l'a vu disparaître, mais sans forcément le voir ou en entendre parler.

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– Comme vous le dites dans la note, il y a d'abord eu le moment de l'autorisation, puis le moment de la disparition. Je n'avais pas conscience qu'elle avait été autorisée aussi tardivement.

Nous serons heureux de vous donner des compléments, références, indications…

L'alimentation est un sujet qui, ces derniers temps, s'est invitée de façon parfois violente dans les débats politiques. Je suis heureux de voir que vous êtes allés frontalement vers la difficulté en vous lançant sur ce sujet dès le démarrage de vos travaux.

Deuxième atelier : « Le transhumanisme : désir d'immortalité, idéologie et optimisme technologique » – Mme Anne Jourdain, fondatrice de France Asia Boost, et M. Luc Nougier, directeur Catalyse/Biocatalyse/Séparation (IFP Énergies Nouvelles)

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Luc Nougier

– Nous allons vous présenter une synthèse de l'atelier transhumanisme, co-construite avec l'ensemble des auditeurs ayant participé à cet atelier.

Avant tout, nous remercions tous les contributeurs, l'animateur de l'atelier, Etienne Armand Amato, l'ensemble des intervenants qui ont nourri notre réflexion, et bien évidemment l'IHEST.

Que signifie être transhumaniste ? Comment appréhender ce concept de transhumanisme qui peut tantôt faire rêver certains, tantôt faire peur à d'autres ? Nous, auditeurs IHEST, qui nous appuyons sur l'utilisation des connaissances et sur la démarche scientifique dans la prise de décision, comment nous positionner au sujet du transhumanisme ? Voici quelques éléments de réflexion dans cette présentation non exhaustive car le sujet est très vaste.

Commençons par une définition du transhumanisme, ici, celle de Wikipédia : « un mouvement culturel et intellectuel international prônant l'usage des sciences et des techniques afin d'améliorer la condition humaine par l'augmentation des capacités physiques et mentales des êtres humains pouvant aller jusqu'à supprimer le vieillissement et la mort ». Cette définition apparaît claire, mais en réalité, le concept s'avère bien plus complexe. Cela m'amène à partager nos trois premiers étonnements pour prolonger la définition de Wikipédia.

C'est d'abord la diversité d'acteurs qui nous a frappés, une hétérogénéité qui cache un périmètre variable. L'artiste hacker, qui se greffe une oreille sur le bras, le milliardaire californien qui développe des technologies d'interaction cerveau-machine, l'entrepreneur qui prétend vendre une vie éternelle, le militaire qui se prépare aux guerres du futur. À noter que certains n'assument pas l'étiquette transhumaniste. Les nuances des transhumanistes nous ont frappés, des courants modérés, progressistes, aux technophiles les plus excentriques.

Derrière ces acteurs, deuxième étonnement, on trouve une multitude de sujets : grossesse extra-utero, hommes réparés, colonisation de Mars en passant par le rapport au travail. Tous ces sujets sont traités d'une manière ou d'une autre par les transhumanistes, car ils questionnent les individus, les rapports aux autres et notre société dans son ensemble, avec la promesse d'un monde meilleur où toutes les solutions à nos problèmes sont apportées grâce aux avancées technologiques. Ce sont des discours focalisés sur un futur assis sur des prouesses technologiques annoncées comme nécessaires et même inéluctables, qui devront sauver l'espèce humaine.

Le transhumanisme est donc une échappatoire, aussi grâce à l'imaginaire, avec des relations réciproques fortes entre science-fiction et science.

Après cette première approche du sujet, nous avons cherché à avoir une vue d'ensemble de ce qui se cache derrière le transhumanisme.

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Anne Jourdain

– Ces étonnements nous ont permis d'identifier les questions à débattre qui sont au cœur des prétentions du transhumanisme. Trois échelles sont concernées, l'individu, la société et l'humanité. Quelques exemples parmi d'autres de questions débattues :

- notre confident sera-t-il 5.0 ?

- le transhumanisme est-il dicté par le business ?

- jusqu'où pourra-t-on modifier le patrimoine génétique des humains ?

- l'humain peut-il vivre s'il ne meurt jamais ?

À l'échelle de l'individu, un humain soulagé par les machines pour moins de labeur et plus de confort pourrait être désenchanté par les limites de la relation homme-machine, notamment dans la sphère de l'intime et l'émotionnel. Qu'il soit un humain réparé par des prothèses et des implants lorsqu'il a un accident ou lorsqu'il vieillit, qu'il soit un humain augmenté au niveau de ses capacités corporelles et cérébrales (lunettes nocturnes, exosquelette, psychostimulant), cet humain en tire de nombreux avantages, même si cela répond, par ailleurs, à l'exigence de performances individuelles dans nos sociétés. Cela pose au demeurant la question de l'égalité entre individus pour accéder à ces technologies et plus largement la question de nos choix de modes de vie en société.

Certains courants transhumanistes vont encore plus loin. Ils touchent à l'espèce même, à l'humanité. Un humain pourrait être spécialisé de façon à être plus résistant dans son milieu de vie (par exemple, à travers un génome qui n'aurait presque plus besoin d'eau).

Plus radicalement, l'humain serait dénaturé, libéré de ses limites physiques et psychologiques. Il téléchargerait des connaissances et des schémas préconçus de pensées issus de machines. Sans mémoire, sans pensée autonome, il vivrait dans le présent, tel un humain-objet devenu immortel.

Les modifications de l'humain dont nous venons de parler représentent des marchés potentiellement très lucratifs et sont aussi sources de pouvoir pour qui détient une technologie indispensable. Dès lors, au regard de considérations économiques et de processus possibles de prises de pouvoir, voire de mainmise sur le pouvoir, quelle est la place de la science et quelle est la place de l'éthique dans les décisions à prendre vis-à-vis de ces transformations technologiques, rêvées, mises en musique et consommées par les transhumanistes ?

Nous avons fait le choix de questions à débattre sans dogme, pour être à même de mieux cerner les éléments du débat, les temporalités dans lesquelles il se déploie, sûrement bien au-delà de quelques décennies et les impacts sur les modèles actuels de société, quels qu'ils soient, et en particulier l'impact sur nos démocraties.

Nous avons souhaité faire un pas de plus en formulant des propositions dans le sens d'une approche holistique de la prise en compte des technologies et de l'humain au sein du vivant, en replaçant l'environnement et la Terre au cœur de nos réflexions.

Nous avons conscience que ces propositions peuvent vous paraître naïves, simplistes au regard de la difficulté à les mettre en œuvre, mais rien n'est inatteignable pour peu qu'on s'en empare vraiment.

Ces propositions représentent en réalité trois enjeux majeurs à nos yeux. D'abord, passer du rêve à l'anticipation, c'est-à-dire prendre conscience qu'il y a des risques et repenser nos approches d'évaluation et de maîtrise de ces risques sur des bases scientifiques, de manière transversale, avec des valeurs partagées par tous les acteurs, car le désir collectif ne se réduit pas à la somme des désirs individuels. Deuxièmement, mobiliser la société plutôt qu'idolâtrer des entreprises, c'est-à-dire apprendre à débattre démocratiquement, à construire ensemble, en préservant les communs avec les technologies ad hoc, en considérant les transitions à l'œuvre, multiples et interdépendantes et en agissant en faveur d'une gouvernance mondialisée.

Enfin, inventer un nouveau modèle qui questionne de façon systématique la notion de progrès pour l'homme et pour l'environnement sur différentes échelles de temps, bien au-delà de la décennie, et sur la dimension

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Luc Nougier

– Sur la dimension individuelle, nous avons considéré qu'il était impératif de se donner les conditions du changement pour trouver des solutions collectives. Nous pensons qu'il faut toucher un public élargi pour permettre la diffusion des débats. L'idée de mettre en place un jeu sur le transhumanisme a donc émergé, un serious game, un support de médiation qui est apparu à notre groupe comme un outil extrêmement pertinent.

Le travail sur la conception de ce jeu nous a tout d'abord aidés à nous approprier les sujets et à structurer notre réflexion. Le format est celui d'un jeu de cartes avec deux équipes Cet outil de médiation permet de se décentrer, de se mettre dans la peau des personnages, aidant ainsi les joueurs à s'approprier les concepts, à nuancer leur point de vue, à être à l'écoute des autres. Ce jeu sera un complément ludique à notre rapport et lui donnera un prolongement au-delà du public privilégié de l'IHEST.

Pour conclure, nous avons été bousculés, perturbés, parfois mal à l'aise en étant confrontés au transhumanisme. Nos émotions ont aussi été un moteur qui a mis en évidence l'importance d'apporter une réponse collective pour sortir des impasses dans lesquelles il est si facile de s'enfermer.

Une dernière idée enfin, sans rejeter l'apport des sciences et des technologies, il est important de reconnecter l'humanité à la nature, de placer l'humain au cœur des transitions. En jouant sur le terme transhumanisme, c'est plutôt le concept de prohumanisme, une idée optimiste, positive que nous souhaitons partager avec vous pour terminer.

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– Merci beaucoup pour cette présentation.

Vous avez peut-être eu connaissance du cas de Priscille Deborah, qui a été amputée de trois membres suite à une tentative de suicide, qui est passée par beaucoup de transformations dans sa vie personnelle, qui est devenue artiste et qui s'est fait récemment greffer le premier bras bionique en France, un bras qui répond aux impulsions mentales. C'est une première en France, c'est la deuxième ou troisième opération de ce genre dans le monde. Est-ce que vous rangez ce genre d'expérience dans le périmètre du transhumanisme ? Comment cela s'inscrit-il dans votre débat ?

Vous parlez de posthumanisme, qui serait quelque chose de positif, rassurant ; vous insistez sur le fait que le transhumanisme, par-delà les questions touchant à l'étendue de son périmètre, a une connotation, est assorti d'un imaginaire qui peut apporter de l'inquiétude et questionner. Comment définissez-vous le sujet ici ? Votre titre « Transhumanisme, désir d'immortalité, idéologie et optimisme technologique » se place résolument sur un terrain culturel, philosophique, idéologique. Pour autant, il y a beaucoup de questions scientifiques, technologiques – que vous évoquiez, bien sûr. Quel est l'objectif d'ensemble et du jeu que vous proposez ? Est-ce qu'il s'agit de faire progresser la culture et la prise de conscience, bref de préciser les choses au plan idéologique et philosophique ? Est-ce qu'il s'agit d'encadrer le débat scientifique et technologique ?

Dans les personnes que vous avez auditionnées, on trouve des scientifiques et des « techniciens » mais il y a aussi des gens qui sont des producteurs d'imaginaires, des gens qui sont dans le récit. Pourriez-vous préciser ce qui, pour vous, est le plus important ?

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Anne Jourdain

– Nous souhaiterions laisser la réponse aux membres de notre groupe qui suivent nos échanges à distance.

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François Jocteur-Monrozier

– Le jeu traduit l'idée que c'est le débat qui est le plus important face à un sujet d'une immense complexité et qui a besoin d'être mieux compris par le grand public, parce que l'on a tendance à avoir des débats assez binaires sur les technologies et leurs usages. Finalement, accompagner les technologies et leur utilisation, c'est d'abord mieux faire comprendre les enjeux. Cette idée de jeu est pour nous l'occasion de permettre des débats au sein de la société.

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Etienne Colomb

– Pour répondre sur le cas de Priscille Déborah, le problème ne se pose pas pour nous, parce que c'est clairement du côté de la thérapeutique. Il y a assez de garde-fous pour que les technologies les plus avancées permettent de répondre au handicap, ce qui est un facteur d'égalité et de société.

Là où c'est plus dangereux, c'est quand on va au-delà. D'où la question du sens et la question de la régulation, car il y a une nécessité d'encadrer. C'est le domaine, et aussi le problème, de l'éthique car souvent, on constate qu'elle court derrière les avancées technologiques pour essayer de les réguler. C'est là que le travail doit être conduit.

L'un de nos étonnements réside d'ailleurs dans les débats sur la sémantique du progrès, mot qui a puissamment évolué entre les XIXe et XXe siècles. Aujourd'hui, on s'interroge sur le sens de ce mot qui doit faire l'objet de débats citoyens au sens le plus évidemment complexe, c'est-à-dire mondialisé. On fait donc une différence claire entre ce qui est de la logique de la thérapeutique et ce qui est de la logique du débat et du choix de société sur les technologies. Les NTIC ont désormais une telle puissance – que revendiquent d'ailleurs les transhumanistes – qu'elles seront le principal bras armé de ceux-ci pour aller plus loin. Il s'agit d'une transformation fondamentale et nous sommes sémantiquement passés du trans au post humanisme. C'est là où se situe l'enjeu démocratique.

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– Je note que les débats du Parlement ont contribué à votre réflexion. Vous parlez de la loi de bioéthique et des questions telles que le droit à l'information ou le droit de ne pas savoir, qui ont suscité des débats considérables au sein de l'OPECST lorsqu'il a travaillé sur la révision de la loi de bioéthique. D'ailleurs, nous avons dû repousser la conférence de presse initialement prévue parce que nous n'étions pas prêts à temps. Ce sont des débats sur le lien entre information, santé et citoyenneté qui sont extrêmement délicats.

Vous mentionnez d'ailleurs le débat Twitch que j'avais organisé avec quelques députés, un débat sans filtre pour contourner le règlement de l'Assemblée nationale qui, comme on le sait, est très dur envers les députés non-inscrits. C'est un exemple intéressant de technologie qui vient s'inviter dans le débat.

Je suis admiratif de la façon que vous avez eue de couvrir ce sujet, en mettant à la fois en scène les questions médicales, les questions technologiques, les questions de science-fiction, les imaginaires aussi, que vous avez bien rappelé. Je ne crois pas avoir vu la référence qui, pour une certaine génération, est emblématique, celle du dessin animé Ghost in the Shell. Pensez-y, voyez si cela peut s'incorporer à votre travail. Essayez de regarder la version initiale, c'est mieux. Il y a eu d'autres versions, où le scénario a été remasterisé, postmasterisé, transmasterisé, etc.

Bravo pour ce travail.

Troisième atelier : « Zones côtières : adaptation à la hausse du niveau de la mer » – Mme Bénédicte Leclercq, cheffe du département Rencontres sciences et société (Universcience), et M. Éric Jeanclaude, design authority dans les systèmes de défense aérienne (groupe Thalès).

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Bénédicte Leclercq

– Monsieur le président, Monsieur le premier vice-président, Éric Jeanclaude et moi avons l'honneur de vous présenter les réflexions de l'atelier sur l'adaptation des zones côtières à la hausse du niveau de la mer. L'atelier a été animé par Catherine Grand-Clément et Denis Lacroix, que nous souhaitons remercier chaleureusement pour leur accompagnement.

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Éric Jeanclaude

– Je vais commencer par des données socio-économiques et scientifiques.

Qui est concerné par le sujet dont nous avons traité ? Beaucoup de monde puisque 10 % de l'humanité vit à moins de dix mètres d'altitude. De plus, la hausse de niveau de la mer est inéluctable. Vous voyez un graphique qui montre une courbe du GIEC retraçant une projection de la hausse du niveau de la mer dans le temps. On voit qu'à l'horizon 2100, selon notre capacité à maîtriser ou non les gaz à effet de serre, le niveau de la mer s'élèvera au minimum de 20 centimètres et que cela pourrait aller jusqu'à un mètre.

Quels sont les impacts ? Nous nous sommes focalisés sur les deux plus importants qui sont le recul du trait de côte et les risques de submersion. Ces deux phénomènes seront par ailleurs amplifiés par les événements météo extrêmes, les Évex, qui vont aggraver leurs conséquences.

D'un point de vue économique, l'OCDE a publié une étude, en 2019, qui estime les coûts des dommages de 1 000 à 100 000 milliards de dollars par an, à l'horizon 2100. Ces coûts pourraient être divisés par 100 à 1 000 si les adaptations pertinentes étaient mises en œuvre.

La conclusion nous semble très claire : l'atténuation du changement climatique est absolument indispensable et doit s'accompagner d'une stratégie d'adaptation. L'atténuation est indispensable pour que l'adaptation soit tolérable et vivable.

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Bénédicte Leclercq

– Si le phénomène est global, l'adaptation, en revanche, est locale. Nous avons identifié trois types d'adaptation. Le premier type d'adaptation consiste en la construction d'ouvrages de protection allant de la simple digue comme sur la photo qui vous est présentée, jusqu'aux ouvrages monumentaux comme le barrage de l'Escaut aux Pays-Bas. C'est une adaptation coûteuse et tous les pays ne pourront pas se la permettre.

Un deuxième type d'adaptation est la restauration d'espaces naturels comme les marais salants, les champs de dunes, les mangroves, qui augmentent la résistance et la résilience des côtes à l'érosion. Ces zones tendent à disparaître sous la pression démographique.

Un troisième type d'adaptation est la restructuration en profondeur des territoires, incluant l'abandon des constructions et leur relocalisation en arrière des côtes. Par exemple, la ville de Djakarta a pour projet de se relocaliser à l'intérieur de l'Indonésie. C'est l'adaptation la plus délicate à mettre en œuvre et c'est sur celle-ci que nous nous sommes concentrés.

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Éric Jeanclaude

– Nous avons constaté, à travers nos entretiens et nos études, que les mesures d'adaptation sont très souvent complexes et très difficiles à mettre en œuvre. Nous avons mené une analyse systémique pour essayer d'identifier tous les acteurs concernés en France, leurs enjeux et leurs interactions. Le schéma qui vous est présenté montre le gouvernement, la mairie, la région, les communes et intercommunalités et la société civile. Ce qui nous a sauté aux yeux, c'est la grande complexité d'interactions et le fait que les maires se retrouvent entre le marteau des directives administratives et l'enclume de la société qui les rejette (en particulier, les mesures de relocalisation et d'abandon). Au contraire, eux demandent des moyens de protection immédiats.

La complexité est encore accrue par le fait que les logiques de chacun de ces acteurs sont à la fois divergentes et inconciliables. Pourquoi ? Pour deux raisons. La raison temporelle, parce que les échéances ne sont pas les mêmes, elles peuvent être immédiates pour des chefs d'entreprise dont la survie est liée au chiffre d'affaires de leur outil de production ; pour les femmes et hommes politiques, ce sont les élections qui sont des jalons majeurs et pour les particuliers, cela va être la protection de leur patrimoine et sa transmission à leurs enfants.

Puis il y a l'aspect géographique : les structures administratives ne coïncident pas avec les zones dans lesquelles il est pertinent de mettre en œuvre des mesures d'adaptation, qu'on appelle les cellules hydrosédimentaires.

Cela se traduit par le fait que généralement, durant un mandat, le maire va parer au plus pressé et donc faire des protections qui, d'une part, s'avéreront inefficaces face aux hausses du niveau de la mer, d'autre part sont coûteuses à entretenir, perturbent les flux sédimentaires et les zones voisines.

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Bénédicte Leclercq

– Plusieurs communes connaissent déjà des dangers graves et imminents qui leur imposeraient de relocaliser des logements, mais il leur manque des outils juridiques et légaux pour le faire. Un exemple emblématique est l'immeuble Le Signal à Soulac-sur-Mer, dont la municipalité a été contrainte d'évacuer les occupants en 2014, mais l'indemnisation par le régime des catastrophes naturelles a été refusée au motif que sur les côtes sableuses, l'érosion est un phénomène prévisible et progressif. De fait, les recherches effectuées par l'assureur public CCR montrent que l'accentuation du phénomène d'érosion et l'augmentation du nombre de tempêtes rendent la logique assurantielle insoutenable à terme.

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Éric Jeanclaude

– Ces deux constats, portant à la fois sur la gouvernance et l'économie, montrent que des changements radicaux s'imposent. La société prend maintenant en compte cette nécessité, comme le montre la loi Climat et résilience qui vient d'être votée. Dans le cadre de notre atelier, nous nous sommes interrogés sur le positionnement de cette loi à l'aune des problématiques abordées.

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Bénédicte Leclercq

– La loi Climat et résilience parle de l'adaptation des zones côtières à la montée du niveau de la mer et amorce des changements à partir de choix forts. Premier choix fort, le risque de recul du trait de côte devient certain, ce qui exclut de fait la logique assurantielle. Deuxième choix fort, la planification de l'urbanisation prend en compte le recul du trait de côte. Troisième choix fort, si l'État continue de dire le risque en définissant les zones exposées par décret, il rend possible dans ces zones des constructions assorties d'une servitude de démolition. Enfin, l'État donne des outils juridiques aux décideurs locaux pour exproprier les propriétaires des biens exposés. C'est un grand changement et cela soulage la pression sur les maires. Cela autorise également la relocalisation des biens privés.

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Éric Jeanclaude

– La loi nous semble présenter des points de clarification et des points de vigilance. Les deux premiers sont très importants à nos yeux parce qu'ils posent des questions d'équité de traitement entre les citoyens. Comme cette loi donne des outils permettant aux décideurs locaux de gérer les pertes financières, selon un gradient qui peut aller de l'absorption totale de ces pertes par le citoyen jusqu'à une indemnisation complète, il importe de bien cadrer l'utilisation de ces outils, de manière à ce que les citoyens soient traités de manière équitable où qu'ils habitent sur le territoire national.

Le deuxième point, qui est associé à celui-ci, concerne les modes de financement et en particulier la solidarité nationale, parce qu'il est fort probable que le coût des mesures excédera très largement les capacités financières d'une commune ou d'un territoire. Il faudra donc faire appel à la solidarité nationale, en particulier pour éviter de réduire les solutions à ce qu'un territoire est capable de payer.

S'il n'y a pas d'intervention assez forte de l'État dans ce domaine, il nous semble qu'il y a un risque de fragmentation des territoires, à l'image de ce que l'on observe dans le monde entre les pays pauvres et les pays riches.

Il y a un dernier point qui n'est pas abordé, qui me semble extrêmement important également, c'est le cas des infrastructures critiques et des complexes industriels, tels que l'aéroport de Nice ou le complexe pétrochimique de Fos-Sur-Mer. Est-ce qu'il y a un principe implicite de protection « quoi qu'il en coûte », à la fois au sens financier, parce que les protections vont augmenter en permanence et seront donc de plus en plus coûteuses, et au sens écologique car il y aura un impact très important sur les zones voisines, puisqu'elles vont perturber encore une fois les flux sédimentaires et la circulation des courants ? C'est un point qui ne nous semble pas être abordé dans la loi.

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Bénédicte Leclercq

– L'avenir nous demandera de nous adapter de manière encore plus radicale et pour cela, il nous semble très important d'affiner la recherche scientifique pour mieux connaître les impacts locaux de la hausse du niveau de la mer. Il est aussi important de partager ces connaissances avec nos concitoyens et de les rendre acteurs de la restructuration du territoire dans ces zones.

Nous recommandons de lancer des expérimentations. Le GIP Littoral aquitain a déjà fait des expériences de concertation, mais il faut leur donner un poids politique, comme les Pays-Bas ont développé une culture de la « démocratie de polder ». Il faut développer des expérimentations en taille réelle, comme cela a été fait en Grande-Bretagne où un modèle économique privé-public a été tenté pour relocaliser des habitations situées en bord de mer.

Ces expériences devraient être répétées en intégrant de nouvelles connaissances de manière itérative. Ce serait une manière de s'adapter à l'adaptation.

En définitive, la question de l'adaptation à la hausse du niveau de la mer fait vaciller quelques piliers de notre civilisation occidentale, la propriété privée, la valeur de marché, la solidarité nationale et le rapport de domination à la nature.

Pour conclure, nous reprenons un mot de Winston Churchill qui disait : « Prenons le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge ».

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Je voudrais là encore saluer ce travail collectif car on sait qu'il repose sur un engagement bénévole, sur des compétences acquises dans vos formations et dans vos vies professionnelles, mais aussi un intérêt renforcé, renouvelé et approfondi par les auditions auxquelles vous avez procédé. Vous êtes dans une logique qui est familière à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Comme vous, nous ne sommes pas des scientifiques universels ; nous avons parmi nous des scientifiques de très grands talents et des gens qui ne sont pas scientifiques du tout. Mais de toute façon, nous n'avons pas la prétention à la science universelle. Je respecte donc beaucoup le travail que vous faites et qui contribue au débat.

Les perspectives de hausse que vous évoquez sont raisonnables, elles sont tirées du rapport du GIEC, dont on sait que c'est un document de synthèse considérable, portant sur des milliers de contributions. Les perspectives pour 2100 ne sont objectivement pas spectaculaires : la hausse serait de l'ordre de quelques dizaines de centimètres, 0,5 mètre, un mètre peut-être. Évidemment, c'est important quand on est au niveau zéro, mais ce n'est quand même pas le cas dominant.

Vous avez évoqué la population qui vit à 100 kilomètres des côtes. Comme ministre de la Défense, j'ai souvenir que les deux tiers de la population mondiale vivent à 250 kilomètres de la mer, ce qui expliquait, pour les chefs d'état-major de la Marine, ces demandes permanentes de crédits supplémentaires, puisque tout ce qui était stratégique passait nécessairement par la mer. Ceci est une boutade.

Qu'attendez-vous de l'évolution de cette hausse du niveau de la mer ? Vous dites qu'entre 1910 et 2010, donc en un siècle, il y a eu une augmentation de 1,7 millimètre par an, mais qu'elle est passée à 3 millimètres par an de 1993 à 2010. L'augmentation très forte de fin de parcours fait donc penser que la première partie du siècle est en partie neutre, voire en régression.

Comme tous les pays engagés dans un travail de ralentissement des émissions de carbone, on peut espérer qu'à un moment cet effort de ralentissement fera ralentir la progression de la chaleur moyenne constatée, et que la hausse du niveau de la mer s'essoufflera elle aussi.

Quel serait le lien entre l'évolution dans le temps du niveau de la mer et celle de la température, si – et seulement si – les efforts collectifs cosignés avec beaucoup de bonne volonté par les uns et les autres, étaient effectivement mis en place ?

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– Merci et bravo pour ce travail. Je commence par me réjouir de la phrase que j'ai entendue en début de présentation – « des changements radicaux s'imposent » : pour moi, elle fait écho au terme que j'ai employé avant-hier dans une question au Gouvernement. Je vous rejoins donc complètement là-dessus.

Après, quels sont ces « changements radicaux » nécessaires, en particulier au niveau de ce que vous décrivez comme complexité administrative et politique ? Avez-vous identifié un domaine précis où il serait opportun de simplifier telle chose, de rendre tel système plus effectif ? Si vous étiez à notre place en tant que législateur, quelle évolution proposeriez-vous ?

Il y a pour moi deux morceaux de bravoure dans votre rapport. L'un est le graphique d'interaction en page 9, qui ressemble un peu à un jeu de Mikado. J'aimerais savoir comment vous avez fait pour élaborer ce graphique pas simple. L'autre est l'exemple fictif de Plonevez-les-Flots où face à la menace, vous décrivez les différentes actions, les différents codes qu'il faut mettre en jeu, toutes les décisions du maire, etc. Le maire a un côté héroïque, il prend telle décision, il fait ceci, cela, on le voit extrêmement actif, mais tout à la fin, il remet à plus tard sa décision. C'est la conclusion de votre exemple, assortie d'une teinte humoristique qui est extrêmement bien trouvée. Comment avez-vous élaboré cet exercice de « politique exécutive fiction » qui est en soi un remarquable travail montrant le décalage entre la simplicité apparente de la situation, la mer qui monte et il faut décider quelque chose pour le gérer, et la complexité administrativo-juridico-politico-culturelle de la mise en œuvre de ce quelque chose ?

J'ai une dernière petite question. Est-ce que vous avez identifié des initiatives pour que ces actions soient sources d'emploi ?

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Je trouve qu'il y a un apport formidable de votre travail, pour nous, hommes politiques, c'est que la certitude du recul du trait rend le système assurantiel impossible. Mais jusqu'où va le système assurantiel ? Parce que si vous dites « le système assurantiel est impossible, mais la collectivité paiera… » Non, la collectivité est aussi un régime assurantiel. Il ne faut pas faire réapparaître l'assurance dans le champ public après avoir écarté l'assurance privée. Si l'on sait que de toute façon, la situation locale est irrécupérable, il faut le dire à ceux qui sont concernés, qui ont eu des jours merveilleux, des soirées, des couchers de soleil au bord de l'océan. Il faut leur dire que c'est fini. C'est la vie.

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– Deux idées-clés reviennent dans votre rapport. La première est celle des changements radicaux ; cela a été signalé par notre président. La seconde est celle de l'équité dans les solutions qui doivent être trouvées.

Je regarde ces deux idées-clés et je me dis qu'il manque peut-être quelque chose dans le document : la prise en compte du cas particulier des îles. Les îles ont comme particularité d'être entourées de la mer, par définition, et surtout leur surface est limitée. Les stratégies que l'on peut appliquer à une île ne seront donc pas exactement les mêmes que celles pour le continent en raison de cette surface limitée et des tensions supplémentaires que cela peut induire dans les différentes solutions de mitigation.

La temporalité des solutions de mitigation ne peut pas non plus être la même : en effet, on peut se dire que sur le continent, on a plus de temps, parce qu'on peut aller un peu plus loin, se réfugier un peu plus dans les terres, un peu plus en altitude, etc. C'est plus compliqué dans les îles où si l'on fait ça, à un moment donné, il n'y aura plus de territoire où se réfugier.

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Éric Jeanclaude

– Pour le graphique d'interactions, nous avons utilisé une méthode d'analyse systémique. C'est un domaine qui m'est familier à titre professionnel. Je travaille dans le domaine des systèmes de défense aérienne, qui multiplient les acteurs, les enjeux et les différents composants. Il s'agit de s'assurer que tous soient pris en compte. Cela nous a déjà servi à catégoriser les acteurs, à les regrouper par organismes scientifiques, sociétés civiles, élus locaux, gouvernement, etc. et ensuite à identifier quels étaient leurs enjeux, leurs intérêts et leurs préoccupations et quelles étaient aussi leurs interactions, comment ils échangeaient et quels étaient leurs moyens d'action.

Nous avons utilisé un outil qui permet d'identifier les acteurs que sont les boîtes grises que vous voyez, des actions que sont les boîtes orange et des échanges, tout en mettant en évidence les différentes stratégies, les plans, les schémas de cohérence du territoire, les plans d'urbanisme, etc. Ils ont permis d'éclairer cette forte pression sur les maires qui se retrouvent effectivement au cœur de toutes les directives d'un côté et au cœur de toutes les revendications de la société civile de l'autre.

La notion de marteau et d'enclume nous est alors apparue comme transparente à travers cette analyse-là.

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Valérie Lallemand

– Je voudrais apporter une précision. La hausse du niveau de la mer n'est pas la distance dont le trait de côte va reculer. Ce sont deux notions différentes. Une hausse du niveau de la mer de 50 centimètres a des conséquences qui peuvent être dramatiques en termes de retrait du trait de côte, et ce pour deux raisons. D'une part, parce que les côtes ont une géographie très différente. En zone sableuse, vous pouvez imaginer que les conséquences peuvent amener à des reculs de plusieurs mètres, voire centaines de mètres. D'autre part, parce que l'érosion va être évidemment amplifiée par cette hausse du niveau de la mer.

Le troisième aspect, ce sont les événements extrêmes que l'on constate aujourd'hui. Dans le cas du Signal, le facteur principal n'est pas la hausse du niveau de la mer mais uniquement les événements extrêmes et pourtant, en 30 ans, le recul a été tel que l'immeuble a dû être évacué. Or les événements extrêmes sont totalement corrélés aux gaz à effet de serre et au réchauffement climatique.

D'après ce que nous avons compris, même dans les prévisions les plus optimistes du GIEC, les coûts sont extrêmement élevés ; c'est le cas de ceux qui ont été modélisés par la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui s'occupe notamment de réassurer les risques relatifs aux catastrophes naturelles, et Météo France. Sans même parler en termes humains, politiques, environnementaux ou culturels, les coûts sont élevés, quand bien même le recul serait le plus modeste possible.

Vous avez évoqué l'impossibilité de remplacer l'assurance privée par les collectivités territoriales pour la prise en charge des catastrophes naturelles. C'est effectivement l'une des questions soulevées à laquelle nous n'avons pas la réponse.

Un point de vigilance est aussi que les coûts ne soient pas absorbés par les personnes directement concernées par le recul du trait de côte, pour des raisons d'équité.

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Michel Safars

– Notre groupe n'a pas particulièrement travaillé sur la question de l'emploi. Je vais me permettre de donner un avis à titre personnel.

Comme tout événement majeur, il y a une redistribution des cartes. On imagine bien, sur les questions dont on vient de parler, l'impact possible sur les assurances, et les dégâts qui peuvent être considérables pour les particuliers. S'agissant des entreprises elles-mêmes, nul doute qu'elles auront le temps de bouger, sauf celles peut-être qui sont liées spécifiquement à des lieux qui ne seront plus accessibles. En revanche, le tourisme, qui est très actif sur ces zones côtières, et les industries qui ont besoin du refroidissement de la mer ou qui, tout simplement, sont là, auront, me semble-t-il, le temps de bouger dans les délais dont on parle.

Les entreprises sont pragmatiques, elles sont résilientes, comme on dit, c'est-à-dire capables de s'adapter rapidement puisqu'elles vivent dans des écosystèmes qui sont par nature mouvants. Je ne parle pas là du climat, mais des écosystèmes économiques. Il y aura évidemment un coût. On peut imaginer que certaines entreprises subiront des conséquences néfastes, voire létales, mais d'autres apparaîtront. Il y aura donc une redistribution des cartes.

S'agissant de l'emploi, on peut évoquer les personnes qui perdront leur emploi parce qu'elles bougeront et celles qui ne pourront pas retrouver d'emploi. La question se pose aussi, à mon avis, en termes d'opportunités nouvelles. C'est peut-être triste à dire comme ça, mais chaque fois que les cartes se redistribuent, il y a des opportunités. Le Covid aussi libère de nouvelles opportunités d'emploi.

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Evelyne Klotz

– En complément de ce qui vient d'être dit, nous avons constaté que des bassins industriels importants situés sur ces zones côtières seront impactés par le rehaussement du niveau de la mer. Une filière de dépollution va se développer. Aujourd'hui, c'est une filière qui émerge, mais elle va certainement se développer, par exemple dans des bassins comme Fos-Sur-Mer et ailleurs dans le monde. La dépollution est certainement une filière d'emploi à terme.

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Bénédicte Leclercq

– La question des changements radicaux est aussi liée au travail qu'a fait le groupe sur la fiction. Je ne peux pas juger de la rapidité des changements possibles. Ce serait une simplification de toute la réglementation qui pèse sur les épaules du maire pour prendre en charge le problème de la hausse du niveau de la mer et la restructuration de son territoire.

Nous nous sommes focalisés sur le territoire français. Certains territoires, comme l'île d'Oléron, seront très touchés par le phénomène et d'autres pratiquement pas. Cela repose la question de l'équité entre les territoires, à laquelle nous n'apportons pas de réponse, ainsi que celle de l'équité et de la solidarité internationales. Certains états insulaires risquent de disparaître dès 80 centimètres de montée du niveau de la mer.

Les chiffres du GIEC que nous avons présentés sont assez modérés. Il existe une grande incertitude sur le rehaussement possible de la mer, en particulier sur le niveau de fonte des glaces de l'Antarctique. De nombreuses études sont en train de paraître là-dessus, mais il semblerait que le rehaussement puisse être bien plus élevé à l'horizon 2100.

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Éric Jeanclaude

– J'ai un petit complément à apporter. Un rapport du GIEC va bientôt sortir et il semble que l'hypothèse de 20 centimètres ne soit déjà plus du tout réaliste et qu'on doive plutôt partir sur un scénario « minimal » de 60 centimètres de hausse du niveau de la mer.

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– C'est cohérent avec ce que nous avons vu récemment, la fonte des glaces est plutôt plus rapide que prévu.

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Anne Jourdain

– Il faut ajouter l'effet de subsidence, qui est en fait celui de l'effondrement des terres. Shanghai est à moins trois mètres aujourd'hui. La plupart des pays asiatiques sont aujourd'hui entre moins trois et moins cinq mètres. Le vrai effet actuel de la hausse du niveau de la mer est essentiellement lié à l'effondrement.

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– Qui lui-même est lié aux constructions, aux exploitations, aux sous-sols…

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Anne Jourdain

– Ainsi qu'à la ponction de l'eau dans les nappes phréatiques, profondes et pas seulement superficielles. Les terres deviennent donc meubles et s'effondrent sous l'effet des constructions, même si en Turquie et en Russie, il n'y a pas forcément de construction et on a quand même un effondrement.

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– Merci pour ce commentaire réjouissant : un peu d'effondrement en plus pour ajouter une petite cerise sur le gâteau…

Je félicite chaleureusement les auditeurs pour ce travail remarquable sur l'adaptation à la hausse du niveau de la mer, un vrai travail scientifico-politique.

Quatrième atelier : « Quelle place pour le nucléaire dans la transition énergétique ? » – M. Arnaud Lalo, responsable des opérations auprès du directeur général délégué à la science (Centre national de la recherche scientifique), et M. Jérôme Lhote, président et fondateur de la start-up KOOM.

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Jérôme Lhote

– Monsieur le président, Monsieur le premier vice-président, mesdames et messieurs les parlementaires, nous sommes très heureux de présenter devant vous notre rapport sur la place du nucléaire dans la transition énergétique.

Nous allons commencer par un état de la situation énergétique.

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Arnaud Lalo

– Le nucléaire est un sujet qui oppose habituellement des pro et des anti. Bien que chacun d'entre nous ait son opinion, nous avons décidé de considérer que le sujet de la place du nucléaire dans la transition énergétique nous invitait à privilégier une approche non partisane, si possible nuancée et en tout cas non binaire.

Non-experts, nous avons commencé par auditionner des techniciens qui, sur la base de chiffres le plus souvent concordants, aboutissaient parfois à des conclusions différentes. Pour prendre davantage la mesure de ce que pouvait recouvrir cette question de la place du nucléaire dans la transition énergétique, nous avons eu recours à la méthode des scénarios qui nous a permis de mieux entrevoir l'importance de la dimension sociétale du sujet, au-delà de sa dimension technique évidente.

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Jérôme Lhote

– On constate depuis la révolution industrielle, depuis 1800, une consommation mondiale d'énergie toujours plus importante, quasi exponentielle, avec une place consacrée aux énergies fossiles, pétrole, gaz, charbon, qui augmente et qui atteint à peu près aujourd'hui 80 % de la consommation d'énergie primaire mondiale.

Pour la France, la consommation énergétique globale est assez stable depuis 35 ans. Elle est elle aussi globalement carbonée, avec une place du nucléaire qui est de 17 %.

Nous avons effleuré ces dernières heures la question climatique. L'enjeu climatique, qui est majeur pour nos sociétés, conduit à deux impératifs : à la fois réduire la consommation d'énergie carbonée et décarboner l'énergie qu'il restera nécessaire de consommer. La France s'est engagée à diminuer de moitié sa consommation d'énergie d'ici à 2050, notamment à travers la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) et la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Sur cette moitié restante, 55 % seraient issus d'une électricité décarbonée, sans pour autant que soient définies les parts respectives du nucléaire et des énergies renouvelables. Imaginez ce que pourrait être le monde ou la situation française d'ici 2050, si nous réussissons à atteindre ces objectifs politiques.

Deux secteurs sont grands émetteurs de gaz à effet de serre : le transport et le bâtiment. La bonne nouvelle, c'est que nous pouvons électrifier une partie de ces usages. Évidemment, c'est le véhicule électrique pour le transport ; pour le bâtiment, une partie des usages, notamment le chauffage, pourrait passer à l'électrique quand il reste aujourd'hui parfois du gaz ou du fioul ; la priorité est bien évidemment d'isoler les bâtiments, notamment les logements pour réduire la consommation d'énergie.

Certains autres vecteurs d'énergie, comme l'hydrogène, vont nécessiter beaucoup d'électricité, si on le fabrique par électrolyse. On se pose donc la question suivante : d'où vient cette électricité ? Là aussi, le nucléaire peut avoir une place dans l'électrification des usages.

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Arnaud Lalo

– Le nucléaire est un sujet qui mobilise trois registres : technique, politique et sociétal. L'histoire du programme électronucléaire français nous a montré que la question avait été largement le fait d'un dialogue entre l'expert et le politique. Jusqu'à la récente convention citoyenne sur le climat, la question du nucléaire a été exclue des débats citoyens. Or il nous a semblé qu'il était important de pouvoir restituer la dimension sociétale de cette question.

Pour essayer de prendre davantage la mesure de ce que recouvraient les évolutions au regard de la question du nucléaire et de sa place dans la transition énergétique, nous avons eu recours à la méthode des scénarios, qui est habituelle en prospective, à travers des scénarios tendanciels ou plus créatifs. Nous nous sommes fondés sur des éléments de crédibilité du type discours d'acteurs, notamment d'acteurs industriels, ou sur les conclusions des différents rapports auxquels nous avons eu accès.

À travers un premier scénario dit du statu quo, nous entrevoyons un déclin inéluctable de la filière du nucléaire, faute d'investissement suffisant. Dans un deuxième scenario, à l'inverse, à raison d'investissements conséquents, nous avons traité d'une politique volontariste alliant nucléaire et énergies renouvelables. Enfin, à travers un troisième scenario, nous avons essayé de faire un pas de côté en nous intéressant, non pas tellement aux techniques, mais plutôt aux échelles. Et nous avons considéré là un mix énergétique territorialisé qui fait un lien entre la production d'énergie, sa consommation et des ressources locales.

Ces scénarios nous ont permis de tirer plusieurs enseignements. D'abord la place du nucléaire est liée : au type de nucléaire dont il pourrait être question, à travers par exemple le développement de réacteurs modulaires de petite taille, les SMR (Small Modular Reactor) ; à l'influence du contexte européen, avec les interconnexions intelligentes qui permettent d'entrevoir des développements territoriaux différents ; dans tous les cas, à l'impasse que serait l'inaction ou la non-prise de décision.

Quelle que soit l'option retenue, nous avons à faire un choix de société. Une analyse multicritères montre que les éléments déclencheurs de la transition énergétique sont nombreux. Ce sont par exemple les critères environnementaux qui découlent des exigences climatiques, et à travers des analyses de cycle de vie complexes, parfois antagonistes, les choix à faire par exemple en matière d'émissions des gaz à effet de serre ou d'intensité en matières premières. Dès lors que la question est posée et reposée, l'ensemble des critères, et pas simplement celui des émissions de carbone, est interrogé et convoqué, y compris les critères socio-économiques. À travers la sobriété, on fait face à des modifications importantes des modèles et des modes de vie.

Quels sont les modes de gouvernance qui permettraient de changer de mode de vie ? Les sciences politiques et les sciences cognitives ont montré que l'acceptabilité se conçoit essentiellement à travers des dynamiques de co-construction et que l'ensemble de ces critères résonne de manière différente en fonction des catégories d'acteurs.

Nos recommandations s'organisent selon deux axes. D'abord, favoriser l'appropriation citoyenne du débat ; cela suppose de développer de manière diversifiée, pour toucher des publics différents, des mécanismes d'éducation citoyenne et de médiation scientifique sur la question de l'énergie et du nucléaire, et de réintégrer la question du nucléaire dans le débat public et dans le débat citoyen, à travers là aussi différents dispositifs. Il faut par ailleurs porter la question de l'énergie à l'échelle territoriale et approfondir le rôle des territoires au-delà de leurs compétences actuelles, climat-air-énergie, pour qu'ils puissent eux aussi s'emparer de cette question ; cette échelle, bien articulée avec l'échelle nationale et européenne, permet davantage d'intégrer la diversité des citoyens dans les questionnements qui ont trait à l'énergie et aux changements de mode de vie qui en découlent.

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Jérôme Lhote

– Pour conclure, nous vous proposons de mettre le focus sur deux conditions qui pourraient contribuer à faire émerger une position partagée sur la place que pourrait avoir le nucléaire dans la transition énergétique : l'acceptabilité de la population – rappelons-nous les gilets jaunes il y a deux ans – et la capacité à réduire notre consommation d'énergie.

Si la France n'arrive pas à réduire sa consommation d'énergie comme elle le prévoit, elle aura sans doute besoin de plus d'électricité. Dès lors, la place du nucléaire ne sera peut-être pas celle envisagée. Je rappelle que d'ici 2030, la France s'est engagée à réduire de 28 % les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports, notamment par l'électrification des véhicules, de presque de moitié les émissions liées au bâtiment et de 35 % les émissions de l'industrie et la fourniture d'énergie. D'ici à 2030, il y a un seul mandat législatif complet, celui qui commence l'année prochaine, et il y aura également un seul mandat présidentiel complet, celui qui commence de même l'année prochaine.

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– Merci beaucoup. Vous êtes allés effectivement vers un débat dont on sait qu'il est parfois passionnel, qui est à la fois technique, politique et sociétal. Vous avez élargi la question du nucléaire à la question générale de la politique énergétique. Vous terminez sur l'un des sujets les plus sensibles, qui est suivi de près par l'Office, à savoir les engagements de diminution de consommation énergétique sur des secteurs tels que le bâtiment et le transport : pour l'instant, on ne voit pas tellement une telle diminution sur les courbes, malgré les engagements politiques qui ont été pris en la matière.

J'ai une question sur les mécanismes démocratiques qui permettent d'associer les citoyens aux décisions. Dans les nombreuses fictions qui émaillent votre rapport, vous avez imaginé plusieurs scénarios, plusieurs issues de grands débats d'associations et des décisions citoyennes. Comment voyez-vous, sur ce sujet énergétique, l'articulation entre démocratie représentative et participative ?

Quelle est d'ailleurs votre analyse de la convention citoyenne pour le climat ? Je dois dire qu'elle a été diversement appréciée au sein de l'OPECST, une partie de l'Office la jugeant illégitime, une autre partie la considérant au contraire comme pleinement légitime et représentative pour parler non pas des aspects techniques, mais de l'acceptabilité et du projet de société lié à l'énergie.

On sait aussi que certains ont accusé la convention citoyenne d'être politisée et de ne présenter qu'une face des débats ; certains ont expliqué que les « 150 » ne représentaient pas les 60 millions de citoyens ; d'autres disaient que le travail d'un groupe de 150 a priori choisis au hasard, éclairés par les discussions avec les scientifiques et par les centaines d'heures de travail, pourrait être repris en confiance par l'ensemble de la société. Comment voyez-vous les choses ?

Les enjeux technologiques et politiques du nucléaire sont majeurs. Quand on parle de nucléaire, les échelles de temps pertinentes impliquent forcément des paris. Pari qu'à l'échelle de quelques siècles ou quelques millénaires, il y aura encore une civilisation suffisamment solide pour s'occuper de la gestion à très long terme des déchets. À plus courte échelle, par exemple si l'on parie sur les petits réacteurs modulaires, les SMR, qui ont de nombreux avantages techniques que nous avons évoqués à maintes reprises à l'OPECST, on parie aussi que cela ne résultera pas en une prolifération incontrôlée, en des pratiques de corruption, de trafic de déchets, etc., à partir du moment où ces réacteurs pourraient être utilisés par des pays qui n'ont pas des constructions juridico-administratives aussi solides que les nôtres.

Que pensez-vous de ces paris politiques qui concernent le très long terme de notre civilisation, ou l'appropriation par différentes sociétés ? Comment faut-il les prendre en compte ? Est-ce que c'est le politique qui doit régler cela ? Est-ce qu'il est légitime de faire un tel pari ?

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– J'ai compris que la colonne vertébrale de votre rapport était l'acceptabilité. Vous en parliez au début en évoquant la convention citoyenne et à la fin, au moment des recommandations. Je vois deux grandes catégories d'éléments qui peuvent déclencher ou non l'acceptabilité.

Des arguments personnels qui vont concerner chaque individu sollicité pour se positionner sur le sujet, par exemple le consentement à payer, parce que le nucléaire, ça coûte cher – les ENR, ça coûte cher aussi. Tout le monde est-il en capacité de consentir à payer cette facture ? Comme vous l'avez signalé à la fin de votre présentation, c'est aussi le consentement à réduire sa propre consommation. Chacun peut facilement se projeter dans sa capacité à payer et à modifier ses comportements.

En revanche, l'acceptabilité renvoie aussi à des sujets beaucoup plus complexes qui ne concernent peut-être pas tous les citoyens. C'est la gestion des déchets nucléaires, qui est inégalement répartie au niveau territorial, et les risques d'accidents au travers des notions de sûreté et de sécurité nucléaires.

Vous dites que l'acceptabilité doit se faire autour de la co-construction. Si l'on veut avancer, la co-construction passe par une vision partagée. Tant qu'il n'y aura pas une vision suffisamment partagée, il sera difficile de trouver un point d'atterrissage commun. Comment considérez-vous qu'on peut trouver cette vision partagée et converger vers elle, en considérant les différentes dimensions de l'acceptabilité que j'ai évoquées ?

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Arnaud Lalo

– Je vais faire un lien entre la première question de monsieur Villani et la dernière question de monsieur Bolo. Nous allons rester dans le domaine de la modernité et nous ne souhaitons pas alimenter la crise de la démocratie parlementaire. Notre collectif a repéré deux écueils, deux impasses. Vous l'avez évoqué en parlant de la convention citoyenne sur le climat. Il ne s'agit pas d'une mesure de défiance vis-à-vis de la démocratie parlementaire, mais il faut pourtant constater que l'on ne peut pas construire un consensus ou une décision légitime sans y associer, au moins dans une phase préalable, un temps de co-construction avec les différents acteurs.

L'exemple des gilets jaunes l'a montré. Il est né du refus d'une taxe comportementale qui visait justement à faire changer les modes de vie. Mais en ne prenant pas assez en compte les perdants de la réforme, en négligeant de les accompagner, on a sans doute accéléré le mouvement social, même s'il y a des phénomènes beaucoup plus profonds que cela. En matière de co-construction, d'assentiment ou d'acceptabilité, les sciences sociales montrent qu'elles ne sont pas une donnée. Les opinions ou les sensibilités de chacun évoluent dès lors que les acteurs sont intégrés à des processus de co-construction, d'intelligence collective, de débat. Cela n'élimine pas la conflictualité, mais cela permet de l'accompagner. C'est pour cela que nous faisons un lien entre tout ce qui peut améliorer la diffusion de l'information et la montée en compétences, et l'insertion des acteurs dans des processus de co-construction. Ceci n'enlève à notre sens rien à la légitimité de la représentation nationale pour prendre les décisions démocratiques.

Quant au pari sur l'avenir, il nous semble – c'est un ressenti assez transverse à tous les groupes – que l'humanité est plus encline aujourd'hui à faire des paris plus humbles qu'elle ne les a faits jusque-là. Se sachant faillible, elle fait moins de paris qui engagent des conséquences incertaines, inconnues, comme celles que vous évoquiez justement sur la gestion de déchets hautement radioactifs sur des dizaines de milliers d'années. Il faudra bien les traiter, mais il est vrai, je pense, que les générations actuelles ont davantage de réticences à faire ce genre de choix.

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Anne-Lise Rosier

– Monsieur le président, vous nous avez interrogés sur l'articulation entre démocratie participative et démocratie représentative. Certains éléments de réponse viennent d'être apportés et je vais juste compléter par certaines notions et données supplémentaires que nous avons pu relever dans notre rapport.

Après avoir entendu les experts, nous nous sommes rendu compte que les citoyens se sentent aujourd'hui exclus du processus décisionnel, dominé très clairement par la figure de l'expert. Ils ont la sensation, à tort ou à raison, il ne nous appartient pas d'en juger, que les circuits de décision sont peu transparents. Selon nous, notre société est aujourd'hui à un point où il est indispensable que le contrat social soit actualisé. Preuve en sont encore les dernières élections qui ont eu lieu, les élections régionales. Il faut sûrement approfondir la démocratie, la cohésion nationale, le sentiment de citoyenneté, et améliorer sans doute l'intelligence collective, précisément sur ces décisions relatives au nucléaire.

Ce sujet est assurément complexe. Il est multidimensionnel. Pour nous, il nécessite la confrontation de points de vue. Et comme l'a parfaitement rappelé monsieur Bolo, il faut une co-construction et une acceptabilité. Dans notre rapport, nous relevons que si l'on observe bien la multiplication des mouvements citoyens, ceux-ci sont souvent nés de choix politiques qui nécessitaient des choix de modes de vie radicaux, immédiats, avec des modifications de comportement immédiates elles aussi. La multiplication de ces mouvements citoyens qui vont parfois à l'encontre du développement de la filière nucléaire ou des projets éoliens montre que l'acceptabilité sociale doit prendre en compte des considérations qui vont bien au-delà d'un débat sur la sécurité de l'approvisionnement ou le coût de l'électricité. Cela concerne un processus décisionnel dans son ensemble.

Pour nous, aujourd'hui, le point clé de l'acceptabilité, c'est la référence à tous ces mécanismes de concertation, en amont des projets de transition énergétique, afin qu'il y ait vraiment une construction dans un consensus. Nous avons d'ailleurs fait sciemment des recommandations concrètes, probablement utopistes, notamment celle consistant à concevoir et animer des dispositifs pérennes sous la forme de services citoyens de la transition, qui permettraient à tous les actifs et les non actifs de s'engager dans des actions de formation, dans des actions de consultation sur les transitions, sur ces choix énergétiques et sur la place du nucléaire.

Puisque la question de l'articulation entre démocratie participative et démocratie représentative nous a été posée, c'est peut-être la recommandation que je viens d'exposer qui peut faire le ciment entre les deux.

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Gérard Longuet, sénateur, premier vice-président de l'Office

– Je trouve que vous avez réduit une vraie question à un seul de ses aspects. Je crois profondément que le nucléaire est l'une des conditions de l'énergie renouvelable. C'est un débat qui a très souvent mobilisé l'Office parlementaire et vous le traitez sous l'angle de l'acceptabilité, en prenant l'exemple des gilets jaunes.

Comme vous l'avez dit très justement, les gilets jaunes sont nés pour l'essentiel d'une réaction à l'idée d'une tarification directe et forte du CO2, à travers la consommation des carburants pour les véhicules. Cela montre bien que c'est difficile. Mais vous n'avez pas du tout traité la question de la production d'énergie elle-même. Or, si vous vous référez à des travaux collectifs, c'est une question qui mérite d'être posée dans le monde entier. On peut aimer ou pas le dernier livre de Bill Gates, mais il faut convenir que c'est un homme qui a fait la preuve de son efficacité. Or il conclut qu'il faut mettre en œuvre les accords de Paris et que l'énergie nucléaire est sans doute l'une des conditions de réussite de cette mise en œuvre. On a là un vrai sujet, tout à fait passionnant.

L'aspect quantitatif est incontournable, parce que dans un pays comme le nôtre les surfaces disponibles pour le photovoltaïque ou l'implantation des éoliennes connaîtront nécessairement des limites. J'ajoute que ces énergies sont non pilotables, ce qui, dans l'univers extrêmement rationnel qui est celui de la consommation d'énergie, est un peu déconcertant.

Deuxième remarque, par laquelle je rebondis sur l'observation de Cédric Villani, même si nous ne sommes pas forcément du même avis sur ce point : le nucléaire est né en France d'une volonté d'indépendance nationale qui a été assumée par tous les gouvernements de la Quatrième et de la Cinquième République. Il est malhonnête de dire que ce choix est un choix de technicien. Quand Pierre Mendès France, après les accords de Genève marquant la fin de la guerre d'Indochine, se dit qu'il faut relancer le nucléaire militaire, c'est une décision politique ; on en retrouve de telles dans presque tous les débats politiques, législatifs d'abord, puis présidentiels, puisque l'élection présidentielle est devenue la plus importante.

En revanche, vous avez tout à fait raison de dire que le programme électronucléaire n'a connu de véritable consolidation législative qu'en 1991, lorsque Christian Bataille, député socialiste, a fait voter une loi qui avait été travaillée et préparée avec Dominique Strauss-Kahn, à l'époque ministre de l'Industrie. Désormais, il y a des rendez-vous législatifs réguliers, comme les lois de 2006 et de 2016. L'Office a été créé pour que les parlementaires se saisissent de ces questions et aient une information préalable.

Quelle est la différence fondamentale entre une ONG, un débat citoyen et une décision politique ? C'est que la décision politique a une mission particulière, celle d'intégrer des intérêts de nature différente dans un cadre qui est en général national, de plus en plus international, européen ou multilatéral, ce qui est profondément souhaitable. L'inconvénient des débats citoyens et des conventions, et c'est la raison pour laquelle je n'en fais pas l'alpha et l'oméga de mes références politiques, c'est que, comme les ONG d'ailleurs, ils mobilisent surtout des gens qui sont passionnés par leur sujet, mais qui n'ont ni la responsabilité d'intégrer des contraintes différentes, ni la responsabilité de rendre compte ex post d'avis qui ont été émis et ont peut-être été abandonnés.

Au contraire, la décision politique est soumise à l'obligation d'intégrer des contraintes différentes. Par exemple, je pense qu'il est à peu près impossible de construire une centrale nucléaire en France aujourd'hui et qu'il est à peu près impossible d'en fermer une aussi, car les gens qui n'en ont pas n'en veulent pas et les gens qui en ont veulent les garder. C'est pour cela que je souhaite bien du courage à celui qui aura la responsabilité d'implanter le premier SMR ; je souhaite également bien du courage à ceux qui auront la responsabilité de fermer Chooz, Cattenom, Nogent-sur-Seine et autres centrales du Grand Est que je connais.

C'est la raison pour laquelle j'aurais aimé qu'il y ait dans votre travail plus d'éléments objectifs quantitatifs sur la coexistence pacifique du renouvelable et du nucléaire et que soit montré comment le débat citoyen, comme le débat partisan, doivent solliciter le Parlement pour qu'il prenne position.

Nos institutions ne sont pas satisfaisantes, car elles forment une pyramide qui repose sur la pointe et qui ne laisse pas assez de place au Parlement – mais c'est là une vieille conviction personnelle que je n'impose à personne. Faute de débat parlementaire, les partis politiques sont vides parce que les décisions ne s'y prennent plus. Les gens débattent ailleurs puisque l'on ne débat plus dans des partis qui, de toute façon, prennent des positions que personne n'écoute, puisque les décisions sont prises ailleurs, pour ou contre le président, selon son avis. C'est le degré zéro de la démocratie.

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– Merci cher Gérard. Dans une bonne démarche dialectique, je vais de mon côté vous féliciter d'avoir mis en avant les aspects politiques de façon forte. Non qu'il faille se désintéresser des questions objectives et techniques, mais je vais dire pourquoi ces questions politiques sont importantes, d'abord en élargissant le champ.

Comme on le sait, le débat sur la décarbonation est majeur, mais c'est un débat global. Cela ne sert à rien de décarboner l'électricité de la France si l'électricité de la Grande-Bretagne est carbonée. Cela ne sert à rien de décarboner l'électricité de l'Europe si l'électricité de l'Afrique est carbonée. Il faut donc une démarche multilatérale.

Se pose alors la question du mix qui va être mis en place sur chaque continent. À l'OPECST, nous savons à quel point l'énergie nucléaire est assortie d'un contrôle technique, normatif, politique, juridique, considérable. C'est d'ailleurs pour nous une charge de travail politique qui n'a rien à voir avec celle nécessitée par les autres énergies, notamment du fait des auditions régulières des différentes institutions, l'ASN, l'IRSN, les producteurs, la CNE2, les associations, etc. Il est donc essentiel de savoir combien de pays, combien de sociétés à travers le monde ont la maturité politique pour organiser un tel dispositif. C'est un point que l'on ne peut pas passer sous silence, notamment dans le débat sur l'expansion éventuelle du nucléaire.

Vous avez dit ne pas vouloir trancher la question « pour ou contre le nucléaire ? ». Pourtant, le débat « pour ou contre le nucléaire ? » surplombe toutes les autres questions énergétiques françaises. Comme le disait Gérard Longuet à l'instant, que c'est dur de construire un réacteur et que c'est dur d'en fermer un ! Ce sont des situations qui peuvent se transformer en guerre de tranchées politiques.

On sait que dans la comparaison entre énergie nucléaire et énergies renouvelables, il y a des avantages et des inconvénients de chaque part, mais cette concurrence oppose pourtant une énergie décarbonée à une autre énergie décarbonée. Cette opposition laisse totalement de côté tout ce qui aujourd'hui est carboné, non électrique, qui correspond à la mobilité, au chauffage au fioul, à l'empreinte agroalimentaire, etc. et qui est la majorité de la consommation énergétique, comme vous l'avez rappelé Le fait de focaliser l'attention sur la question « pour ou contre le nucléaire ? » fait passer au second plan toutes les autres questions dont l'impact sur la société est peut-être encore plus dur : la diminution globale de la consommation, le bâtiment et la construction, etc. L'un des sujets d'intérêt de l'OPECST est la question énergétique pour le bâtiment. Si le rythme de rénovation des bâtiments reste inchangé, il se passera bien un siècle avant que la meilleure isolation ait un impact significatif sur la réduction de consommation d'énergie du secteur du logement. Or nous n'avons pas le temps d'attendre. Ce débat-là reçoit peut-être 100 fois moins d'attention médiatique que le débat sur le nucléaire. Pourtant, il est majeur.

J'ai une petite remarque sur la présentation de la consommation d'énergie primaire dans le monde. Je ne pense pas que ce soit une exponentielle. Je vois deux décrochages, l'un au milieu du XIXe siècle et l'autre au milieu du XXe siècle. L'ère de la grande consommation, l'ère de la grande croissance vient à partir de 1950, on le voit bien sur le graphique. La période de consommation énergétique post-Seconde Guerre mondiale a été caractérisée par la croissance phénoménale de l'utilisation de l'énergie fossile. C'est donc un phénomène très récent, de même que la référence universelle au PIB et le débat sur la croissance.

L'Office a organisé hier une conférence de presse sur la stratégie nucléaire française, qui ouvre certainement plus de questions qu'elle n'apporte de réponses. D'ailleurs, l'une des recommandations majeures des rapporteurs de l'OPECST est l'appel à un grand débat parlementaire, aussi rapidement que possible, sur les options stratégiques nucléaires. C'est un débat dont il est très clair qu'il va advenir encore et encore, et c'est un débat qui plus que sur toute autre énergie, fait intervenir les ressorts politiques, techniques, administratifs, de société, et les imaginaires qui viennent avec. C'est de loin celui qui est le plus dur à aborder. Bravo pour vous y être aventurés.

Cinquième atelier : « Obsolescence programmée. Comment la définir ? Faut-il la combattre ? » – Mme Chrystelle Roger, présidente-fondatrice de Myceco, et M. Stéphane Ingrand, chef adjoint du département Physiologie animale et systèmes d'élevage (INRAE).

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Chrystelle Roger

– Nous tenons à remercier un certain nombre de nos « codétenus » de rapports qui sont présents. Pour certains, comme Magali, il est quatre heures du matin puisqu'elle est en Martinique ou en Guadeloupe. Nous remercions également notre animateur d'atelier, Laurent Testot.

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Stéphane Ingrand

– Voilà les résultats de nos cogitations sur l'obsolescence programmée, sachant que deux questions nous étaient posées : comment la définir ? faut-il la combattre ?

Comment la définir ? Quelques exemples illustrent le phénomène. Vous avez tous un smartphone. Ce smartphone s'est peut-être mis à « ramer » un jour parce que vous avez fait une mise à jour, que vous n'aviez d'ailleurs pas demandée, et je ne parle pas de Pégasus. Le lave-linge tombe en panne alors que vous rentrez de vacances et que vos valises sont pleines de linge sale. Des collants filent le premier jour du déconfinement, alors que vous les avez achetés la semaine précédente et que vous ne les avez jamais portés. L'ampoule grille alors que vous avez invité des amis à dîner et qu'ils arrivent dans cinq minutes.

Ces exemples relèvent d'un registre qui est l'obsolescence technique et technologique, mais ce n'est pas le seul. Il y a aussi l'obsolescence par péremption. C'est votre pot de yaourt qui est dans le réfrigérateur, la date limite de consommation est passée, mais vous savez pertinemment que vous pouvez encore le consommer. Il y a aussi l'obsolescence psychologique et esthétique. C'est la mode, le dernier cri, le changer pour changer. Vous changez d'objet alors que celui que vous possédez fonctionne parfaitement. C'est enfin, le résultat de vos travaux, mesdames et messieurs les législateurs, l'obsolescence législative qui consiste à rendre obsolètes des pratiques ou des objets en raison de nouvelles réglementations.

Bernard London est l'un des pionniers qui a théorisé ce concept d'obsolescence, aux États-Unis, en 1932. Il voyait cela comme quelque chose de positif : accélérer le turnover de la consommation pour dynamiser l'économie et la production industrielle.

À ce stade, nous retenons comme définition de l'obsolescence programmée celle qui figure dans la loi de 2015 sur la transition écologique : l'ensemble des techniques qui visent à réduire délibérément la durée de vie d'un produit pour en augmenter le taux de remplacement. Nous avons cherché des chiffres pour quantifier le phénomène et nous n'en avons pas trouvé, que ce soit sur le site de l'ADEME ou sur le site de HOP (Halte à l'Obsolescence Programmée). Il n'y a pas de chiffres. Alors ce concept est-il un mythe fantasmé ou une réalité aux terribles impacts ? Finalement, nous nous sommes dit que c'était l'arbre qui cache la forêt, la forêt étant notre mode de consommation, ce que je vais essayer d'illustrer par un schéma simple.

Ce schéma est le suivant. Des objets sont fabriqués. Ils ont vocation à être achetés par des consommateurs, à être utilisés et, en fin de vie, ils deviennent des déchets. Ce modèle est linéaire par construction : à l'entrée, des ressources dont le stock est décroissant quand elles sont non renouvelables ; à l'autre bout, des déchets dont le stock est croissant. Vous avez trois boosters de ce phénomène : l'augmentation de la population, qui amène à fabriquer plus d'objets ; la baisse du prix unitaire des objets qui accélère aussi les achats ; l'obsolescence programmée (OP). C'est un catalyseur de ce modèle linéaire qui réduit la durée entre la fabrication de l'objet et l'apparition du déchet.

Ce modèle est obsolète au regard des exigences sociétales actuelles et il nous faut trouver des alternatives.

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Chrystelle Roger

– Lutter contre l'OP, c'est amorcer un changement de paradigme dans nos modes de fabrication, de production et d'usage, et c'est un formidable levier pour favoriser notamment l'économie circulaire en allongeant la durée d'usage de l'objet avec le principe des trois « R » : je réemploie, je répare et je recycle en dernier recours – parce que c'est une étape très consommatrice d'énergie. Cela implique un axe majeur de changement : comment passer d'une économie patrimoniale (j'achète et j'accumule) à une économie de l'usage et de la fonctionnalité (je loue et je partage). Par exemple, pourquoi ne pas s'inspirer des Suisses qui partagent des machines à laver dans les immeubles ?

Pour quels bénéfices ? Les modèles d'économie circulaire ne sont pas tous des modèles économiques épouvantails. L'économie circulaire crée des emplois, crée du bénéfice pour les entreprises, comme en attestent un certain nombre de rapports comme celui de la Fondation Ellen Macarthur. Nous vous proposons de classer à terme les acteurs industriels, sur la base d'un prototype de matrice de discrimination, que nous avons appelé le cadran de la vertu. Il comprend deux axes d'analyse principaux, l'analyse de l'intention pernicieuse ou passive, et l'impact positif ou négatif sur l'environnement. Nous en avons ainsi dégagé quatre grandes formes d'OP. Il y a l'obsolescence subie – c'est souvent celle qui est réglementaire, liée aux dates de péremption, aux normes environnementales ou aux processus de fabrication des entreprises qui doivent trouver un compromis entre rentabilité et prix consommateur attractif. Nous avons aussi l'OP la plus condamnable, celle qui est délibérée. On a parlé des acteurs du numérique qui, en forçant la mise à jour du système d'exploitation, font que telle application ou telle version antérieure de notre smartphone ne fonctionne plus. Cela demande un exercice de défixation cognitive. Enfin, il existe aussi des formes d'OP vertueuses, notamment l'OP inhérente au processus d'évolution du vivant qui, par mutation génétique, va s'adapter à son environnement, et l'OP construite comme celle des produits biosourcés, biodégradables et compostables.

Pour combattre l'OP, on peut envisager d'actionner trois grands types de leviers.

La première catégorie relève de la famille des politiques publiques et des leviers réglementaires. On pourrait par exemple faire obligation aux fabricants de mettre en libre accès leurs plans de réparation. Pourquoi ne pas intégrer des cours de réparation et de bricolage dans les parcours pédagogiques de la maternelle à l'enseignement supérieur ? Cela permettrait de révéler des compétences invisibles, mais aussi demain, de réparer à la maison la bouilloire de la start-up toulousaine Kippit, dont les plans sont en libre accès et qui est réparable à vie. Aujourd'hui, elle coûte un peu cher, mais ça peut être intéressant.

On pourrait aussi demander aux acteurs publics de donner un coup de pouce à des modèles vertueux d'économie de la fonctionnalité, par exemple en prenant des participations dans des SCIC (sociétés coopératives d'intérêt collectif), telle que la SCIC Commown, qui loue des fairphones totalement réparables. Du côté des entreprises, on pourrait généraliser les analyses de cycle de vie et l'écoconception, et intégrer ces méthodes dans les parcours pédagogiques des écoles.

D'autres leviers sont liés au comportement des consommateurs. Le plus difficile est d'agir sur le comportement des consommateurs en ayant recours par exemple à des nouvelles techniques marketing comme le nudge conscient qui va permettre, par démarche incitative, de désapprendre. C'est un mécanisme de désapprentissage de nos représentations mentales de l'objet de dernière génération, c'est-à-dire pour la plupart d'entre nous, l'objet d'une marque d'appartenance sociale, identitaire, culturelle à un groupe ou à une meute.

Le troisième levier relève directement du citoyen. Nous sommes tous « consomm-acteurs » pour plus de sobriété dans nos usages. Si l'on veut boucler la boucle, on peut convoquer de nouveau Bernard London qui fut précurseur dans le domaine de la consigne et du déchet susceptible d'être transformé en ressources. Nous vous invitons à réinventer par exemple le concept d'obsolescence planifiée à des fins sociales, par exemple en généralisant la consigne à effet contributif pour le consommateur.

En définitive, lutter contre l'OP, c'est amorcer des mutations vertueuses dans nos modèles de sociétés. Il faudra cependant construire des modèles inclusifs car on ne peut pas laisser sur le bord de la route un certain nombre de nos concitoyens pour qui l'objet neuf est créateur de lien social, d'accrochage identitaire. En effet, le fait de posséder un objet dernier cri quand on ne possède plus rien, pas de toit, pas de voiture, c'est souvent le dernier rempart incarné de dignité.

Nous vous invitons notamment à métamorphoser nos représentations cognitives pour penser autrement l'acte d'achat et l'objet du désir.

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– Merci beaucoup pour cette présentation efficace et cette étude bien menée.

Dans le rapport, vous faites part de la difficulté à trouver des études montrant un raccourcissement significatif de la durée de vie des produits de consommation. Pourtant, on se dit que c'est tellement fondamental que cela devrait déjà avoir été fait et refait. Qu'est-ce qui, selon vous, explique une telle absence ? Y a-t-il des difficultés méthodologiques ? Est-ce de la paresse ? Est-ce parce que personne n'a intérêt à faire ce genre d'étude ?

Vous parlez d'un système de consigne où l'appareil usagé ou les déchets reviendraient systématiquement au producteur. Pouvez-vous préciser le type de mécanisme que cela impliquerait, en particulier pour les appareils multiassemblés, sous-traités, etc. ? Le secteur du numérique semble cumuler toutes les difficultés à cet égard.

Le délit d'obsolescence programmée, que vous évoquez, est dans la loi relative à la transition énergétique de 2015, et il est visiblement difficile à mettre en œuvre. Au lieu de faire une nouvelle loi, comme c'est le réflexe du législateur français, que pourrait-on mettre en œuvre pour rendre la loi opérationnelle ? Est-ce que le problème se pose au niveau du signalement ? dans le travail judiciaire ? Quelles recommandations pourriez-vous faire ?

Si obsolescence programmée il y a, c'est que le système y a intérêt. Un mécanisme de consigne a précisément pour but que le système ait intérêt à être moins dans l'obsolescence. Avez-vous réfléchi à d'autres mécanismes qui pourraient atténuer l'intérêt de l'obsolescence programmée, en faisant justement en sorte que l'attitude rationnelle de l'ensemble des moyens de production soit de construire durable ?

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Jean-Pierre Travers

– L'idée de la consigne est bien de responsabiliser les fabricants de façon concrète. Prenons l'exemple d'Apple. Cette entreprise a des sous-traitants, des fournisseurs, pour la production de ses différents appareils. L'idée serait effectivement qu'ils prennent en charge le problème du réemploi, de la réparation ou en dernier ressort du recyclage.

Il y a aussi un problème du côté des consommateurs quant au retour des objets pour les remettre dans le circuit. Ces objets sont constitués de matières premières. Pour fabriquer un smartphone de 200 grammes, il a fallu extraire environ 50 ou 60 kilos de matières premières. Il y a donc une matière première qui est stockée, et il est extrêmement important qu'elle ne reste pas chez le consommateur. L'idée d'une consigne serait par exemple que le producteur reverse une partie de la valeur d'achat, pas exorbitante, de façon à inciter le consommateur à restituer l'appareil.

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Johan Langot

– Bernard London précisait dans ses écrits, dès 1932, que le consommateur ramènerait l'objet. Il ne précisait pas à qui ni comment. À l'époque, les notions de développement durable et de gestion des déchets n'étaient pas si prégnantes.

En fait, l'idée d'une consigne a germé d'une boutade interne à l'atelier : nous nous sommes dit que c'était vraiment une idée, ramener l'objet et responsabiliser aussi le producteur. On tente déjà de responsabiliser le consommateur avec les taxes qui frappent notamment certains produits électroménagers. Or jamais on ne responsabilise le producteur sur les déchets.

Du coup, nous avons commencé à travailler sur cette idée. Tout est possible, mais il y a quelque chose à creuser sur la responsabilisation du producteur au regard du déchet, au même titre que le consommateur.

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Stéphane Ingrand

– Au début de la présentation, vous nous avez interrogés sur les étonnements ou les changements d'attitude ou de positionnement que nous aurions pu avoir à l'issue de nos discussions. Je pense que « l'obsolescence programmée condamnable » est très minoritaire. Son intérêt pour les industriels n'est pas du tout clair pour moi. Il existe par ailleurs de nombreuses obsolescences programmées qui sont vraiment positives, comme l'a montré le débat sur le nucléaire. Il y a sans doute des modes d'utilisation de l'énergie qui vont devenir obsolètes et ce ne sera pas forcément un problème.

Notre cadre permet de situer les choses mais n'est pas un cadre absolu : un même problème pourra être rangé dans la catégorie « vertueux » ou « condamnable » selon la personne qui va s'y intéresser. Cela peut permettre, comme le serious game de l'atelier Transhumanisme, de positionner le sujet et d'avoir des débats pour avancer.

Pour savoir comment on pourrait diminuer l'intérêt des producteurs pour l'obsolescence programmée, il faudrait déjà qu'on ait identifié cet intérêt. Or certains de nos interlocuteurs ont fini par dire que le problème n'était pas l'obsolescence programmée par elle-même, mais les actions entreprises pour faire croire aux consommateurs qu'elle existe et pour les faire changer de comportement – parce qu'ils ont peur de se faire avoir et c'est comme ça qu'ils vont bouger.

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– Si je comprends bien, il s'agirait alors plus d'une réflexion abstraite visant à sensibiliser le citoyen et le client sur l'obsolescence programmée.

À peu près en même temps que le texte de London que vous évoquez, un ingénieur inventeur, Kettering, a publié un texte célèbre Keep the consumer dissatisfied. C'est un texte assez court qui dit : « si votre consommateur est satisfait de son produit, vous n'allez pas faire beaucoup d'affaires. Il faut qu'il soit à chaque moment insatisfait parce qu'arrive la nouvelle voiture qui est plus intéressante et qu'il y ait une pression sur lui pour sans arrêt changer et aller de produits en produits ». Les deux analyses datent de la même période et semblent relever d'écoles de pensée assez proches. Ce serait intéressant de faire le rapprochement.

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– J'ai eu la chance de faire partie de ce groupe au sein de la promotion IHEST. Si mes camarades le veulent bien, je voudrais revenir sur la première question, qui concernait le manque de données sur le phénomène d'obsolescence programmée.

Le manque de données traduit avant tout une interrogation sur ce que l'on doit et que l'on peut mesurer pour quantifier cette obsolescence programmée. Est-ce qu'il faut identifier des ventes qui seraient « supplémentaires » ? Mais « supplémentaires » par rapport à quelle référence de base ? Est-ce qu'il faut porter le regard sur les déchets supplémentaires qui seraient produits ?

On voit que plusieurs choses peuvent être observées et qu'en parallèle, existent différentes formes d'obsolescence programmée, dont plusieurs sont comportementales, comme l'obsolescence esthétique ou l'obsolescence de péremption. Ces éléments comportementaux font que nous ne sommes pas en capacité de mesurer directement la quantité de déchets « supplémentaires » générés par l'obsolescence. Je me suis rendu compte, par exemple, que les téléphones portables usagés sont souvent stockés bien précisément dans un endroit de la maison, dans un placard, et que finalement, ils ne retournent jamais dans le système. On ne sait donc pas pourquoi une nouvelle vente a lieu, au bout de combien de temps, ni pour quelle raison. Est-ce que c'était une panne, une perte ou un vol ? Tout cela rend un peu compliquée la mise au point d'indicateurs chiffrés, quantifiables et factuels d'obsolescence programmée.

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– Peut-être devrait-on se concentrer sur un type de produit bien défini, sur des exemples pris dans des niches précises.

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Magalie Lesueur-Jannoyer

– Je souhaite compléter la réponse de Philippe Bolo sur la mesure. Je pense qu'il y a effectivement un vrai enjeu méthodologique, parce que la question de la fabrication n'est pas seule interrogée, mais aussi la question de l'usage qui est fait de l'objet fabriqué. Pour évaluer correctement ce qu'est la durée de vie d'un produit, il faudrait englober tout le circuit, c'est-à-dire de la fabrication jusqu'à l'usage.

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Chrystelle Roger

– Notre groupe n'a pas encore répondu à la question qui porte sur la façon de forcer l'application de la loi et à celle sur l'intérêt des producteurs à entrer dans une démarche de durabilité.

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– Une réponse partielle a quand même été donnée sur la loi, puisque finalement, ce n'est peut-être pas un phénomène si identifiable et si répandu qu'on le croit et que la situation est certainement beaucoup plus confuse que ce que peut suggérer une analyse simple.

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– Sur l'aspect législatif, il faut aussi faire attention à l'endroit où l'on place le curseur. Suite à l'étude de l'Office sur la pollution par les plastiques et à la réflexion que j'ai conduite avec notre collègue Angèle Préville, je me suis rendu compte que dans la loi de février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite « loi AGEC », le législateur a prévu qu'un filtre sera intégré aux machines à laver à partir du 1er janvier 2025, certes de manière non obligatoire, pour lutter contre la pollution par les microparticules de plastique issues du lavage des vêtements. Que va-t-il se passer ? Les fabricants de machines à laver vont mettre sur le marché des nouveaux modèles avec des filtres, faisant en sorte que le modèle n -1, qui était commercialisé le 31 décembre 2024, devienne obsolète parce qu'il n'offre pas cette capacité.

Nous avons donc aussi notre part de responsabilité dans le fait de créer une certaine forme d'obsolescence programmée, par la façon dont nous légiférons.

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Stéphane Ingrand

– La clé est peut-être aussi dans notre capacité à réussir à transformer les déchets en ressources. Vous l'avez dit, un smartphone contient un très grand nombre de composants. On ne sait pas récupérer les atomes qui ont été utilisés pour le fabriquer et cela coûte de l'énergie. On peut espérer qu'un jour ce sera le cas. Alors la problématique changera du tout au tout : la notion de déchets disparaît et finalement, on entre dans la logique du « rien ne se perd, tout se transforme ». On sort de la linéarité du modèle de consommation, depuis les ressources qu'on extrait jusqu'aux déchets qu'on accumule en les enterrant ou en les brûlant.

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Chrystelle Roger

– Pour inciter les fabricants à faire du durable, des mécanismes existent déjà : les sociétés de mission, les nouvelles comptabilités, notamment la comptabilité Care, la comptabilité durable et la comptabilité en triple capital qui peut mesurer non seulement l'aspect gouvernance, mais aussi l'aspect impact environnemental et social. Ce sont des terrains d'expérimentation de nouveaux modèles économiques qui pourraient favoriser la prise en compte de l'obsolescence programmée, quand bien même ce serait difficile à chiffrer, sauf sur la partie numérique où certains phénomènes sont avérés.

La Commission européenne va favoriser certains leviers avec la nouvelle directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive), comme la déclaration de performance extra-financière (DPEF) de nouvelle génération qui va permettre d'imposer la réalisation de déclarations extra-financières par les PME. Ceci va amorcer une mise en mouvement, pas seulement des gros acteurs industriels, mais aussi des acteurs de la filière PME afin d'entrer dans le dispositif.

Le plus compliqué, c'est aussi d'élaborer toutes les stratégies de filières.

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Jean-Pierre Travers

– Ce que nous avons dit, nos investigations et les problèmes de mesure que nous avons évoqués montrent que l'obsolescence programmée, technique, volontaire est probablement assez peu répandue. Ce n'est probablement pas le plus gros problème, sauf peut-être dans le domaine de l'électronique et notamment des smartphones, où les changements de logiciels conduisent plus ou moins à des péremptions forcées. L'objectif le plus important reste de changer véritablement notre système, en particulier tout ce qui concerne l'obsolescence psychologique, les phénomènes de mode, etc. Il y a là beaucoup à faire et c'est le plus difficile. Si l'on n'est pas capable d'enclencher collectivement quelque chose de fort, notamment en formant les jeunes et, plus longuement, pendant toute la durée de la vie, on aura beaucoup de difficultés à passer du modèle actuel d'économie linéaire à un modèle d'économie circulaire qui permettra d'éviter l'épuisement des ressources, l'accumulation des déchets et la consommation d'énergie ou d'eau qui vont croissant.

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. – Je vous entends. Le changement le plus difficile est celui qui se fait dans nos têtes, nos cultures et notre façon de voir les choses, sur ce sujet comme sur bien d'autres.

En matière de recyclage et de réemploi des déchets, on voit des choses assez impressionnantes. J'ai vu récemment du papier constitué à partir de déchets de mines. On sait qu'il y a une industrie développée de recyclage du plastique. Cependant, ce sont toujours des portions très minoritaires par rapport à l'ensemble. Quand nos collègues Philippe Bolo et Angèle Préville ont présenté leur rapport sur la pollution plastique après avoir étudié les options de recyclage, de plastique biodégradable et autres, à la fin, leur conclusion majeure était : on n'a pas le choix, il faut s'engager sur la voie d'une réduction très significative de la production, là où au contraire, aujourd'hui, c'est une augmentation significative de la production qui a lieu à l'échelle mondiale. On voit ici à quel point le sujet, dans ses composantes techniques, scientifiques et économiques, est très difficile à appréhender. Sur la pollution plastique, d'ailleurs, le rapport était réaliste, mais déprimant, pour dire les choses crûment.

Un grand bravo à ce groupe. Comme les autres ateliers, vous avez pris soin de traiter le sujet technique, technologique, scientifique sans laisser de côté ses composantes culturelles, historiques, politiques. À l'OPECST, nous sommes persuadés que c'est fondamental. C'est pour cela que nous avons renforcé nos compétences ces dernières années dans le domaine des sciences humaines et sociales et que nos rapporteurs s'efforcent de systématiquement porter leur regard sur l'analyse et l'expertise en matière comportementale, sociale et humaine, en complément des questions techniques. Il ne fait guère de doute pour moi que cette tendance perdurera.

Vous avez une nouvelle fois démontré à quel point les principes de l'IHEST et la façon dont vous abordez les différents problèmes peuvent être fructueux et féconds. Nous avons vu à nouveau combien l'échange avec les parlementaires est intéressant, non seulement sur l'analyse que vous portez, mais aussi sur votre façon de nous mettre au défi sur certains ressorts politiques. À cet égard, je retiens particulièrement le panorama détaillé de toutes les décisions qui sont ouvertes à l'élu local dans une zone côtière, qui tente d'agir et doit faire face à un système d'une complexité légale, juridique et politique extraordinaire.

On voit aussi que ce contact avec vous nous enrichit et nous permettra de réfléchir.

Je suis très heureux de voir à quel point notre collègue Philippe Bolo a apprécié sa participation à vos travaux. Cela montre que la participation des parlementaires de l'OPECST aux futurs travaux de l'IHEST est très souhaitable.

Un grand merci, monsieur le président, madame la directrice, chers amis, pour le travail que vous avez accompli dans une période qui n'était pas si simple, pour votre maîtrise des sujets et la qualité de vos présentations, pour ces rapports qui vont nourrir nos réflexions et pour le travail d'animation du débat démocratique que vous avez mené à bien.

La réunion est close à 12 h 30.