Intervention de Chrystelle Roger

Réunion du jeudi 22 juillet 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Chrystelle Roger :

– Lutter contre l'OP, c'est amorcer un changement de paradigme dans nos modes de fabrication, de production et d'usage, et c'est un formidable levier pour favoriser notamment l'économie circulaire en allongeant la durée d'usage de l'objet avec le principe des trois « R » : je réemploie, je répare et je recycle en dernier recours – parce que c'est une étape très consommatrice d'énergie. Cela implique un axe majeur de changement : comment passer d'une économie patrimoniale (j'achète et j'accumule) à une économie de l'usage et de la fonctionnalité (je loue et je partage). Par exemple, pourquoi ne pas s'inspirer des Suisses qui partagent des machines à laver dans les immeubles ?

Pour quels bénéfices ? Les modèles d'économie circulaire ne sont pas tous des modèles économiques épouvantails. L'économie circulaire crée des emplois, crée du bénéfice pour les entreprises, comme en attestent un certain nombre de rapports comme celui de la Fondation Ellen Macarthur. Nous vous proposons de classer à terme les acteurs industriels, sur la base d'un prototype de matrice de discrimination, que nous avons appelé le cadran de la vertu. Il comprend deux axes d'analyse principaux, l'analyse de l'intention pernicieuse ou passive, et l'impact positif ou négatif sur l'environnement. Nous en avons ainsi dégagé quatre grandes formes d'OP. Il y a l'obsolescence subie – c'est souvent celle qui est réglementaire, liée aux dates de péremption, aux normes environnementales ou aux processus de fabrication des entreprises qui doivent trouver un compromis entre rentabilité et prix consommateur attractif. Nous avons aussi l'OP la plus condamnable, celle qui est délibérée. On a parlé des acteurs du numérique qui, en forçant la mise à jour du système d'exploitation, font que telle application ou telle version antérieure de notre smartphone ne fonctionne plus. Cela demande un exercice de défixation cognitive. Enfin, il existe aussi des formes d'OP vertueuses, notamment l'OP inhérente au processus d'évolution du vivant qui, par mutation génétique, va s'adapter à son environnement, et l'OP construite comme celle des produits biosourcés, biodégradables et compostables.

Pour combattre l'OP, on peut envisager d'actionner trois grands types de leviers.

La première catégorie relève de la famille des politiques publiques et des leviers réglementaires. On pourrait par exemple faire obligation aux fabricants de mettre en libre accès leurs plans de réparation. Pourquoi ne pas intégrer des cours de réparation et de bricolage dans les parcours pédagogiques de la maternelle à l'enseignement supérieur ? Cela permettrait de révéler des compétences invisibles, mais aussi demain, de réparer à la maison la bouilloire de la start-up toulousaine Kippit, dont les plans sont en libre accès et qui est réparable à vie. Aujourd'hui, elle coûte un peu cher, mais ça peut être intéressant.

On pourrait aussi demander aux acteurs publics de donner un coup de pouce à des modèles vertueux d'économie de la fonctionnalité, par exemple en prenant des participations dans des SCIC (sociétés coopératives d'intérêt collectif), telle que la SCIC Commown, qui loue des fairphones totalement réparables. Du côté des entreprises, on pourrait généraliser les analyses de cycle de vie et l'écoconception, et intégrer ces méthodes dans les parcours pédagogiques des écoles.

D'autres leviers sont liés au comportement des consommateurs. Le plus difficile est d'agir sur le comportement des consommateurs en ayant recours par exemple à des nouvelles techniques marketing comme le nudge conscient qui va permettre, par démarche incitative, de désapprendre. C'est un mécanisme de désapprentissage de nos représentations mentales de l'objet de dernière génération, c'est-à-dire pour la plupart d'entre nous, l'objet d'une marque d'appartenance sociale, identitaire, culturelle à un groupe ou à une meute.

Le troisième levier relève directement du citoyen. Nous sommes tous « consomm-acteurs » pour plus de sobriété dans nos usages. Si l'on veut boucler la boucle, on peut convoquer de nouveau Bernard London qui fut précurseur dans le domaine de la consigne et du déchet susceptible d'être transformé en ressources. Nous vous invitons à réinventer par exemple le concept d'obsolescence planifiée à des fins sociales, par exemple en généralisant la consigne à effet contributif pour le consommateur.

En définitive, lutter contre l'OP, c'est amorcer des mutations vertueuses dans nos modèles de sociétés. Il faudra cependant construire des modèles inclusifs car on ne peut pas laisser sur le bord de la route un certain nombre de nos concitoyens pour qui l'objet neuf est créateur de lien social, d'accrochage identitaire. En effet, le fait de posséder un objet dernier cri quand on ne possède plus rien, pas de toit, pas de voiture, c'est souvent le dernier rempart incarné de dignité.

Nous vous invitons notamment à métamorphoser nos représentations cognitives pour penser autrement l'acte d'achat et l'objet du désir.

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