Intervention de Anne Jourdain

Réunion du jeudi 22 juillet 2021 à 9h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Anne Jourdain :

– Ces étonnements nous ont permis d'identifier les questions à débattre qui sont au cœur des prétentions du transhumanisme. Trois échelles sont concernées, l'individu, la société et l'humanité. Quelques exemples parmi d'autres de questions débattues :

- notre confident sera-t-il 5.0 ?

- le transhumanisme est-il dicté par le business ?

- jusqu'où pourra-t-on modifier le patrimoine génétique des humains ?

- l'humain peut-il vivre s'il ne meurt jamais ?

À l'échelle de l'individu, un humain soulagé par les machines pour moins de labeur et plus de confort pourrait être désenchanté par les limites de la relation homme-machine, notamment dans la sphère de l'intime et l'émotionnel. Qu'il soit un humain réparé par des prothèses et des implants lorsqu'il a un accident ou lorsqu'il vieillit, qu'il soit un humain augmenté au niveau de ses capacités corporelles et cérébrales (lunettes nocturnes, exosquelette, psychostimulant), cet humain en tire de nombreux avantages, même si cela répond, par ailleurs, à l'exigence de performances individuelles dans nos sociétés. Cela pose au demeurant la question de l'égalité entre individus pour accéder à ces technologies et plus largement la question de nos choix de modes de vie en société.

Certains courants transhumanistes vont encore plus loin. Ils touchent à l'espèce même, à l'humanité. Un humain pourrait être spécialisé de façon à être plus résistant dans son milieu de vie (par exemple, à travers un génome qui n'aurait presque plus besoin d'eau).

Plus radicalement, l'humain serait dénaturé, libéré de ses limites physiques et psychologiques. Il téléchargerait des connaissances et des schémas préconçus de pensées issus de machines. Sans mémoire, sans pensée autonome, il vivrait dans le présent, tel un humain-objet devenu immortel.

Les modifications de l'humain dont nous venons de parler représentent des marchés potentiellement très lucratifs et sont aussi sources de pouvoir pour qui détient une technologie indispensable. Dès lors, au regard de considérations économiques et de processus possibles de prises de pouvoir, voire de mainmise sur le pouvoir, quelle est la place de la science et quelle est la place de l'éthique dans les décisions à prendre vis-à-vis de ces transformations technologiques, rêvées, mises en musique et consommées par les transhumanistes ?

Nous avons fait le choix de questions à débattre sans dogme, pour être à même de mieux cerner les éléments du débat, les temporalités dans lesquelles il se déploie, sûrement bien au-delà de quelques décennies et les impacts sur les modèles actuels de société, quels qu'ils soient, et en particulier l'impact sur nos démocraties.

Nous avons souhaité faire un pas de plus en formulant des propositions dans le sens d'une approche holistique de la prise en compte des technologies et de l'humain au sein du vivant, en replaçant l'environnement et la Terre au cœur de nos réflexions.

Nous avons conscience que ces propositions peuvent vous paraître naïves, simplistes au regard de la difficulté à les mettre en œuvre, mais rien n'est inatteignable pour peu qu'on s'en empare vraiment.

Ces propositions représentent en réalité trois enjeux majeurs à nos yeux. D'abord, passer du rêve à l'anticipation, c'est-à-dire prendre conscience qu'il y a des risques et repenser nos approches d'évaluation et de maîtrise de ces risques sur des bases scientifiques, de manière transversale, avec des valeurs partagées par tous les acteurs, car le désir collectif ne se réduit pas à la somme des désirs individuels. Deuxièmement, mobiliser la société plutôt qu'idolâtrer des entreprises, c'est-à-dire apprendre à débattre démocratiquement, à construire ensemble, en préservant les communs avec les technologies ad hoc, en considérant les transitions à l'œuvre, multiples et interdépendantes et en agissant en faveur d'une gouvernance mondialisée.

Enfin, inventer un nouveau modèle qui questionne de façon systématique la notion de progrès pour l'homme et pour l'environnement sur différentes échelles de temps, bien au-delà de la décennie, et sur la dimension

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