Intervention de Thomas Veyrenc

Réunion du jeudi 28 octobre 2021 à 14h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie, de la prospective et de l'évaluation, RTE :

Sur les aspects technologiques, je vais mettre en lumière quelques résultats, en commençant par l'hydrogène. Aujourd'hui, l'hydrogène est une promesse à laquelle sont associés plusieurs éléments positifs : c'est une source d'énergie que l'on peut produire à base d'électricité bas carbone, qui n'émet pas de CO2 lorsqu'on l'utilise et qui peut être flexible, donc stockable. L'enthousiasme pour l'hydrogène est très récent. Nous avons donc cherché à faire la part des choses entre ce qui est de l'ordre de la promesse, de la perspective industrielle et de l'incantation. Première chose, produire de l'hydrogène augmente la consommation d'électricité dans des proportions importantes y compris dans la trajectoire de référence. Celle-ci ne prévoit « que » 50 térawattheures pour la production d'hydrogène, moins que certains scénarios européens. Dans une variante « hydrogène plus » la consommation nécessaire pourrait monter à 120 térawattheures, ce qui induirait une déviation significative par rapport à la trajectoire de référence.

Dans notre étude, les systèmes hydrogène jouent deux rôles différents. Le premier consiste à remplacer l'hydrogène extrait de combustibles fossiles, utilisé aujourd'hui dans certains secteurs industriels, par de l'hydrogène bas carbone. On peut aussi utiliser ce dernier dans certains secteurs difficiles à électrifier, notamment le transport de marchandises longue distance. C'est l'usage de l'hydrogène que l'on voit se développer le plus tôt et qui justifie la majeure partie de la croissance de la consommation d'hydrogène dans la trajectoire de référence.

Par ailleurs, les scénarios 100 % renouvelables ou ceux dans lesquels le nucléaire est minoritaire nécessitent un système de stockage mutualisé de l'hydrogène à moyen et long terme. Un point important : la performance des scénarios qui reposent beaucoup sur les énergies renouvelables nécessite une « brique hydrogène » qui fonctionne très bien ; dans le cas contraire, ils deviennent techniquement plus difficiles et plus coûteux. Pour cette raison, il serait souhaitable de parvenir à créer une boucle plus économique qui ne passerait pas par l'étape du méthane de synthèse. D'où notre dixième conclusion : créer un système hydrogène bas carbone performant est un atout pour décarboner certains secteurs et une nécessité pour stocker l'électricité dans les scénarios à très fort développement en énergies renouvelables.

Le sujet des paris technologiques est très important. RTE a publié avec l'Agence internationale de l'énergie, en début d'année, un rapport sur la faisabilité technique de ce type de scénarios, qui met en évidence quatre conditions strictes et cumulatives. Dit autrement, nous estimons qu'un mix 100 % énergies renouvelables est un chemin possible, au sens où nous disposons des ingénieurs pour le mettre en place, mais que c'est aussi un chemin complexe, comportant de nombreuses incertitudes qui ne sont pas toutes levées aujourd'hui. Le scénario N1, qui est la trajectoire basse du « nouveau nucléaire », sera lui aussi concerné par ces défis technologiques puisqu'il comporte une part élevée d'énergies renouvelables. Il ne nous évite donc pas de chercher à relever ces paris technologiques.

D'autres types d'incertitudes affectent d'autres scénarios, notamment dans le scénario N03. Deux des quatre conditions que j'ai mentionnées tout à l'heure sont vraiment de nature technologique : le développement commercial des petits réacteurs, les SMR, et la prolongation de la durée de vie des réacteurs, pour certains au-delà de 60 ans. Pour que le scénario N03, comportant 50 gigawatts de nucléaire en 2050, soit réalisable, il faudra démontrer dans les dix prochaines années la faisabilité d'une exploitation des réacteurs actuels après 60 ans, afin que l'Autorité de sûreté nucléaire puisse prendre position.

Notre conclusion est que les scénarios où les incertitudes techniques sont aujourd'hui les plus faibles sont ceux qui combinent un fort développement des énergies renouvelables, parce que ce sont des technologies que l'on connaît, et un parc nucléaire important, qui reposerait sur les réacteurs existants prolongés sur la trajectoire de référence, donc pas au-delà de 60 ans, ainsi que sur les technologies qui ont déjà fait l'objet d'une instruction et d'une validation de leurs principales options de conception et de sûreté. Concrètement, ce sont donc des EPR2 et pas des SMR. Dans notre analyse, le risque auquel nous faisons référence n'est pas le risque d'échouer à relever ces paris, mais bien celui d'y parvenir trop tard par rapport à l'horizon de la neutralité carbone en 2030 ou 2050, qui est très proche.

Enfin, nous avons analysé les risques industriels. Très clairement, un scénario comme N2 serait un défi industriel de premier plan quant aux rythmes de mise en service, d'où l'enseignement numéro onze.

Le changement climatique n'est pas le sujet qui a fait le plus réagir lors de notre conférence de presse. Pourtant, c'est la partie de l'étude qui nous a pris le plus de temps, car il a fallu intégrer à nos analyses la prise en compte de climats caractéristiques des différentes trajectoires du GIEC. C'est la première fois en Europe que l'on fait une analyse de ce type. Il est clair que le changement climatique affecte tous les paramètres : la température, qui conditionne les besoins de chauffage et de climatisation, les précipitations et le débit des rivières, qui sont des paramètres importants pour l'énergie hydraulique et pour la production nucléaire. Le système de production devra faire face à des événements extrêmes plus fréquents, notamment des sécheresses et des canicules. Quoi qu'il arrive, il faut gérer différemment le potentiel hydraulique, puisque la neige fondra plus tôt, et il faut se préparer à des conflits d'usage sur l'eau ; par ailleurs, les centrales nucléaires situées en bord de fleuve verront leur fonctionnement plus fréquemment contraint et dans les scénarios N, il faudra placer de préférence les nouveaux réacteurs en bord de mer ou sur les fleuves susceptibles de conserver suffisamment de débit.

Notre analyse ne fait pas l'impasse sur les périodes sans vent. Le système électrique français est très sensible à la température, notamment aux grandes vagues de froid. Demain, il sera sensible aux périodes sans vent ou avec des vents très faibles, qui durent en général deux à trois semaines. Il devra disposer de capacités de production pilotables ou de capacités de stockage de gaz décarboné permettant de passer ces événements. Les sécheresses longues doivent aussi être prises en considération, je pourrai y revenir plus tard si vous le souhaitez.

L'analyse environnementale conduite dans l'étude montre que l'occupation de l'espace est significative. Ce n'est pas un enjeu de nature environnementale, au sens de l'artificialisation et de l'imperméabilisation des sols, mais plutôt un enjeu de cadre de vie. De nombreux indicateurs montrent que le développement des énergies renouvelables peut se faire sans pression d'artificialisation excessive, à l'inverse des routes, des logements et des surfaces commerciales.

L'étude s'intéresse également au bilan carbone du mix énergétique, et la trajectoire d'évolution montre à la fois l'empreinte carbone et la décarbonation de l'économie. Le bilan des énergies renouvelables et du nucléaire est très bon, même en y intégrant le cycle de vie des matériels. Quand on a un système décarboné à 93 %, il est quand même pertinent d'y ajouter des énergies renouvelables, tout simplement parce qu'il va falloir suivre l'augmentation de la consommation d'électricité. Au cours des dix ou quinze prochaines années, il n'y a pas d'autre solution que d'accroître notre potentiel bas carbone. L'électrification permet de décarboner l'économie tout entière.

Sur la question des ressources, la transition énergétique réduit la dépendance liée aux énergies fossiles, mais elle induit des circuits d'approvisionnement nouveaux en ressources minérales. Nous avons identifié un point de vigilance sur les besoins en métaux pour les batteries, plus pour celles des véhicules que pour celles qui pourraient être intégrées au système électrique. Même avec un scénario de type « sobriété », où les besoins sont plus réduits, nous avons une matière sous surveillance : le cuivre. Nous pensons qu'il faut vraiment intégrer la perspective d'une tension sur l'approvisionnement en cuivre. Tous les scénarios sont concernés, un peu plus les scénarios 100 % renouvelables. Pour être complet, nous avons aussi des éléments sur les déchets radioactifs. Je suis allé très rapidement, mais je vous ai dressé un panorama de ces questions.

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