Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Jeudi 28 octobre 2021
La réunion est ouverte à 14 h 05.
Audition de M. Xavier Piechaczyk, président de RTE, et de M. Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie, de la prospective et de l'évaluation, sur l'étude « Futurs énergétiques 2050 »
Je vous souhaite la bienvenue à cette audition consacrée à un thème récurrent pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) : celui de l'énergie et du mix énergétique français. Ces derniers temps, nous avons pu apprécier le travail considérable accompli par RTE, au travers de la récente conférence de presse de présentation de l'étude « Futurs énergétiques 2050 » et de votre audition par la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale qui s'est tenue mardi 26 octobre. Aujourd'hui, c'est dans le cadre de l'OPECST que nous allons pouvoir revenir sur ce travail et en approfondir certains points. Je remercie au passage monsieur Thomas Veyrenc, qui m'a consacré un peu de temps pour permettre de préparer cette audition.
Monsieur le président, je vous donne la parole pour présenter l'étude menée par RTE. Dans quel contexte s'inscrit-elle ? Quel est l'état de votre réflexion ? Quelles sont les incertitudes qui demeurent ? Qu'est-ce que le politique a besoin de savoir sur les différents éléments techniques que vous avez pu considérer ?
‑ Je suis accompagné de Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie, de la prospective et de l'évaluation.
Cette étude est très importante, le sujet est dense et nous avons fait le choix de ne pas consacrer trop de temps dans notre présentation orale aux questions de consommation et aux aspects économiques, car nous les avons largement détaillés hier devant la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale. Pour cet exposé, Thomas Veyrenc et moi avons donc décidé de nous concentrer sur les aspects industriels et technologiques.
‑ Nous ne manquerons pas de revenir sur certains sujets liés à l'économie et à la consommation, s'il y a lieu.
‑ La prospective est une mission légale de RTE, qui travaille d'habitude à des horizons de dix à quinze ans. L'étude « Futurs énergétiques 2050 » se projette pour la première fois à trente ans. C'est sa première originalité. La deuxième est que, pour la première fois, nous intégrons dans nos scénarios ceux du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), donc la dérive climatique en France et en Europe. La troisième originalité est que cette étude a donné lieu à une concertation de deux ans avec l'ensemble des parties prenantes.
Je veux aussi vous dire, parce que je suis devant l'OPECST, que cette étude a fait appel à des coopérations avec des organisations spécialisées, notamment Météo-France, l'Institut Pierre-Simon Laplace sur le climat, l'Agence internationale de l'énergie (AIE), le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le laboratoire Observation, Impacts, Énergie (OIE) de l'École des Mines de Paris, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), Solagro, Enedis, l'ADEME, GRT Gaz, mais aussi le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), la Commission de régulation de l'énergie (CRE), ainsi que les services de l'État.
Puisque je sais que les questions de méthode vous intéressent, RTE a fait le choix de s'entourer, pour ses analyses, d'un conseil scientifique composé de quatre économistes, d'un philosophe, d'une architecte et d'un climatologue, Robert Vautard.
Cette étude ayant donné lieu à une concertation, je vous propose que Thomas Veyrenc en dise quelques mots avant de passer aux grandes hypothèses socio-économiques et de coût.
La concertation a duré deux ans, une durée assez longue au cours de laquelle il s'est passé beaucoup choses en matière énergétique. Nous avons organisé de nombreux groupes de travail et quarante réunions. Nous avons écouté 120 organisations. Nous avons produit beaucoup d'écrits qui sont en ligne sur notre site Internet. En début d'année, nous avons organisé une consultation publique qui a recueilli 4 000 réponses, ce qui signifie qu'elle est allée bien au-delà du cercle des parties prenantes expertes et que nombre de ces réponses étaient de nature « citoyenne ».
Je ne vais pas détailler la concertation, le modèle et les hypothèses, mais seulement mettre l'accent sur un ou deux points de méthode importants. Le premier est que les hypothèses de coûts présentées et discutées lors de la consultation sont bien tracées. Pour de nombreuses filières et le nouveau nucléaire, elles viennent de bases de données nationales et internationales, ainsi que d'audits réalisés par l'État. Le second point est que RTE revendique d'avoir retenu une approche volontairement prudente lorsqu'il y avait une incertitude, notamment sur l'aval du cycle nucléaire. Sur ces questions de retraitement, de recyclage et de stockage, quand il y avait plusieurs hypothèses, nous avons systématiquement retenu la plus défavorable, en prenant également des majorants. Il nous semblait important de respecter un principe de prudence méthodologique. Bien sûr, il existe un haut niveau d'incertitude sur l'ensemble des hypothèses de coûts. C'est vrai pour le nucléaire, mais aussi pour certaines technologies d'énergie renouvelable, comme l'éolien flottant. Lorsqu'il y avait des incertitudes, nous avons étudié de nombreuses variantes et réalisé divers stress tests et analyses de sensibilité, qui sont des parties intégrantes de notre travail, restituées intégralement dans le rapport. La synthèse en parle et montre l'éventail des possibilités. Le rapport est très précis sur cette question des analyses de sensibilité.
‑ Je vais vous dire un mot sur la manière dont fonctionne notre modèle et sur la question de la sécurité d'approvisionnement, qui fait débat.
Notre modèle simule le fonctionnement du système électrique français et européen. Ce n'est pas le modèle d'une France isolée, mais d'une France interconnectée, dans le cadre de 17 mix électriques européens. Notre modèle simule le fonctionnement du système électrique à chaque heure de chaque jour de chaque année, pendant trente ans, jusqu'en 2050. À chaque heure, nous intégrons 200 chroniques météo conformes aux trajectoires du GIEC : vent, soleil, température et hydraulicité, en de nombreux points du territoire, pour en tirer les conséquences en termes de production d'énergies renouvelables, mais aussi de consommation des Français. Parce qu'il simule le système électrique à chaque heure, le modèle garantit par nature la sécurité d'approvisionnement. J'insiste sur ce point : par nature, nos résultats garantissent la sécurité d'approvisionnement du pays dans les mêmes conditions qu'aujourd'hui. Ce modèle permet d'obtenir comme données de sortie des volumes de production par technologie, des volumes de flexibilité – j'entends par flexibilité les moyens de pilotage qui garantissent l'équilibre du système électrique – et enfin des volumes de réseau. Les coûts de production, les coûts de flexibilité et les besoins réseau permettent de déterminer le coût complet annualisé du système électrique pour chaque scénario, ainsi que son empreinte.
Aujourd'hui, l'électricité est certes omniprésente dans la vie quotidienne des Français, mais elle ne représente que 25 % de notre consommation d'énergie finale alors que 60 % de celle-ci est satisfaite par des énergies fossiles. L'objectif est bien de sortir des énergies fossiles en 2050, en activant deux leviers. Le premier est l'efficacité énergétique, que je pourrais appeler la performance énergétique, résultant de l'évolution des technologies, des bascules vers l'électricité et de la rénovation thermique des bâtiments. Le second est l'électrification massive des usages. L'électricité va venir grignoter progressivement les parts de marché du pétrole ; c'est déjà le cas pour les véhicules des particuliers, pour divers procédés industriels ou lorsqu'une pompe à chaleur électrique remplace une chaudière au fioul.
In fine, l'électricité représentera, en 2050, 55 % de la consommation d'énergie finale. La France fait face à un double défi. Le premier, dès lors que nous consommerons plus d'électricité en 2050, porte sur sa production. Le second, que je qualifierais de purement français, concerne le remplacement de l'appareil de production nucléaire de deuxième génération, qui vieillit et qui devra immanquablement fermer d'ici à 2060 pour des raisons industrielles. Nous avons construit, pour instruire cela, une trajectoire de consommation de référence de la France, qui atteint 645 térawattheures en 2050, ce qui correspond à une augmentation de 35 % de la consommation d'électricité par rapport à aujourd'hui. C'est notre scénario central.
La consommation de référence résulte de l'électrification des usages. Mais l'augmentation n'est que de 35 %, parce que nous supposons que la France améliorera globalement de 40 % son efficacité énergétique d'ici à 2050. Nous avons entouré ce scénario de référence de deux autres scénarios : un scénario dit « sobriété », où la consommation d'électricité est inférieure de 90 térawattheures et qui, contrairement à la trajectoire de référence, suppose de modifier les modes de vie des Français, et un scénario de réindustrialisation profonde du pays, dans lequel la part de l'industrie manufacturière dans le produit intérieur brut remonte à 12 ou 13 % alors qu'elle est de 10 % aujourd'hui. Le scénario central suppose qu'elle reste égale à 10 %, bien que la France soit supposée être en croissance de 1,3 % par an pendant 30 ans.
De ce chapitre sur la consommation, nous avons dégagé trois enseignements. D'abord, agir sur la consommation grâce à l'efficacité énergétique, voire la sobriété, ce qui n'est pas la même chose, est indispensable pour atteindre les objectifs climatiques. Par ailleurs, dans tous les cas, y compris le scénario de sobriété, la consommation d'énergie va baisser, mais celle d'électricité va augmenter pour se substituer aux énergies fossiles. Enfin, accélérer la réindustrialisation du pays en électrifiant les procédés augmente certes la consommation d'électricité, mais réduit l'empreinte carbone de la France. Je passe la parole à Thomas Veyrenc pour présenter, du point de vue technique, les six mix de production que nous avons étudiés.
Les six scénarios de production issus de la concertation reflètent les différentes aspirations que nous avons identifiées lors de ce travail. Ils sont répartis en deux familles : d'une part, une famille de scénarios dits « M » où l'on ne relance pas la construction de réacteurs nucléaires et qui sont donc « 100 % renouvelable » en 2050 ou en 2060 selon les cas ; d'autre part des scénarios dits « N » où est prévue la construction de nouveaux réacteurs. Répartir a priori les scénarios entre ces deux familles est un point méthodologique qui a fait consensus lors de la concertation, parce qu'il permet d'étudier des mondes différents. Nous avons bien dit que ces scénarios étaient des chemins possibles pour le pays. Même si certains sont plus exigeants, plus difficiles ou plus incertains, ils garantissent tous, par construction, la sécurité d'approvisionnement et s'inscrivent tous dans l'objectif de neutralité carbone. Tous sont soumis à un certain nombre de prérequis et de conditions mentionnés dans le rapport, mais ils atteignent ces objectifs.
Les scénarios N diffèrent par le rythme de construction des nouveaux réacteurs. Dans le scénario N1, six nouveaux réacteurs sont construits entre 2035 et 2044. Ensuite, on continue au rythme d'environ une paire de réacteurs tous les cinq ans. Dans ce scénario, la part du nucléaire dans la trajectoire de consommation de référence sera donc de l'ordre de 25 % en 2050, puis de 15 % en 2060. Vous voyez que dans le scénario N1, il y a beaucoup d'énergies renouvelables. Le scénario N2 est le scénario N1 en plus rapide, avec 14 nouveaux réacteurs nucléaires entre 2035 et 2050. Le scénario N03 est une combinaison entre le rythme maximal de construction de nouveaux réacteurs nucléaires, la prolongation des réacteurs actuels pour leur grande majorité jusqu'à 60 ans, voire au-delà pour certains, et la construction de petits réacteurs nucléaires, les fameux SMR. Ce scénario conduit à une capacité de production nucléaire de 50 gigawatts en 2050, qui correspond à la proposition la plus haute de la filière industrielle. J'insiste sur ce point : 50 gigawatts, ce n'est pas une question de part du nucléaire. Celle-ci est d'environ 50 % dans la trajectoire de référence, mais 60 % dans le scénario « sobriété » et 40 % dans le scénario de réindustrialisation. Cette proposition industrielle la plus haute n'est pas un maximum technique, mais une photographie, à date, de nos facultés de construction de réacteurs nucléaires qui conduit à ne pas couvrir l'intégralité de nos besoins énergétiques. Il y aura donc forcément une contribution des énergies renouvelables, même dans les scénarios N : un socle minimal de l'ordre de 70 gigawatts de solaire, sept fois plus qu'aujourd'hui, de plus de 40 gigawatts d'éolien terrestre, trois fois plus qu'aujourd'hui, et de l'ordre de 22 gigawatts d'éolien en mer. C'est un point important.
A contrario les scénarios M vont vers 100 % de renouvelables. On atteint 100 % de renouvelables en 2050 dans le cadre du scénario M0, qui est donc un scénario de sortie du nucléaire d'ici 2050. Dans les scénarios M1 et M23, le 100 % renouvelables est atteint en 2060, mais avec des configurations différentes. Le scénario M1 repose beaucoup sur le solaire, notamment individuel et distribué. Dans ce scénario, en 2050, une maison sur deux est dotée de panneaux solaires et produit une partie de son électricité. Le scénario M23 repose sur de grands parcs – solaires, éoliens offshore et à terre – pour faire des économies d'échelle et baisser les coûts. Les scénarios M supposent de formuler une hypothèse pour le rythme d'installation nécessaire à la création de telles capacités de production. Notre conclusion est assez simple : dans ces scénarios, il faut non seulement accélérer considérablement le rythme d'installation par rapport à ce qu'a fait la France au cours des dernières années, mais aussi se placer à un rythme plus élevé que celui de nos voisins les plus dynamiques : l'Allemagne pour l'éolien terrestre et le solaire et le Royaume-Uni pour l'éolien en mer. Ce chemin est praticable, mais il n'est pas facile. Nous pouvons tirer deux enseignements de ces scénarios : atteindre la neutralité carbone est impossible sans développer de façon significative les énergies renouvelables ; se passer de nouveaux réacteurs nucléaires implique des rythmes de développement des énergies renouvelables plus rapides que ceux des pays européens les plus dynamiques.
‑ J'en viens aux développements du rapport, relatifs à la dimension économique. En coûts complets annualisés, les coûts de production sont approximativement équivalents dans tous les scénarios, avec ou sans nouveau nucléaire, à l'horizon 2060. Ce qui commence à faire la différence, ce sont les coûts de flexibilité et, plus encore, les coûts des réseaux de transport et de distribution.
Qu'entend-on par flexibilité ? Ce sont cinq choses : le pilotage de la demande, le pilotage de la consommation, les interconnexions, le stockage hydraulique, les batteries et les centrales thermiques à gaz – qui fonctionneront demain à l'hydrogène. Tous les scénarios demanderont plus de flexibilité à l'avenir. Bien évidemment, plus les scénarios intègrent d'énergies renouvelables, plus ils demandent de flexibilité ; celle-ci est le grand déterminant du coût des différents scénarios. Pour vous donner une illustration, dans les scénarios qui tendent vers 100 % d'énergies renouvelables, la France aurait besoin de 40 à 60 nouvelles centrales thermiques à gaz qui fonctionneraient à l'hydrogène, ce qui reviendrait à doubler, voire tripler le nombre actuel de centrales à gaz.
Quelques précisions, quelques points d'alerte s'imposent sur ces résultats économiques. Premièrement, la dimension économique pèsera dans la décision, mais elle n'est probablement pas le seul critère à prendre en compte. D'autres concernent les technologies elles-mêmes. Deuxièmement, l'avantage économique des scénarios comportant du nouveau nucléaire est conditionné – je pèse mes mots – à un financement qui ne s'écarte pas de celui des autres moyens de production bas carbone. Nous avons pris pour tous les moyens de production la même hypothèse de financement à 4 %. Troisièmement, cet avantage économique réalisé par une base nucléaire minimale se retrouve dans la quasi-totalité de nos variantes et de nos stress tests, voire de nos crash tests.
Dans tous nos stress tests et nos crashs tests de comparaison économique entre les deux scénarios représentatifs N2 et M23, la différence de 10 milliards s'annule rarement, sauf lorsque nous cumulons des hypothèses strictement défavorables pour le coût du nouveau nucléaire et un coût bas pour un certain nombre de technologies renouvelables. C'est la raison pour laquelle nous considérons que nos résultats économiques sont résistants à différents stress tests.
Nous en avons tiré quatre grands enseignements. Le premier est que construire de nouveaux réacteurs nucléaires est pertinent du point de vue économique, a fortiori quand cela permet de conserver en France un parc d'une quarantaine de gigawatts en 2050, avec le nucléaire existant et le nouveau nucléaire. Le deuxième enseignement est que les énergies renouvelables électriques – c'est un fait – sont devenues des solutions compétitives. Cela est encore plus marqué pour les grands parcs solaires, éoliens à terre et en mer. Troisièmement, nous avons toujours intérêt à accroître le pilotage de la consommation, à faire des interconnexions, à développer le stockage hydraulique, ainsi qu'à installer des batteries, surtout lorsqu'il y a beaucoup de solaire ; mais au-delà de ces moyens de flexibilité, le besoin de construction de nouvelles centrales à gaz, qui fonctionneraient essentiellement à l'hydrogène, deviendrait important dès le scénario N1 et massif, donc coûteux, dans les scénarios tendant vers 100 % d'énergies renouvelables.
Enfin, un point d'alerte très important dans tous les scénarios concerne la nécessité de redimensionner rapidement les réseaux électriques, parfois massivement, pour rendre possible la transition énergétique.
Nous avons rapporté le coût complet annualisé de nos scénarios en 2050 au mégawattheure. Je n'entre pas dans le détail et je vous livre simplement l'enseignement que nous en avons tiré : le système électrique de la neutralité carbone peut être atteint en 2050 à un coût maîtrisable pour la France, si on le compare à celui du système électrique de 2020.
Sur les aspects technologiques, je vais mettre en lumière quelques résultats, en commençant par l'hydrogène. Aujourd'hui, l'hydrogène est une promesse à laquelle sont associés plusieurs éléments positifs : c'est une source d'énergie que l'on peut produire à base d'électricité bas carbone, qui n'émet pas de CO2 lorsqu'on l'utilise et qui peut être flexible, donc stockable. L'enthousiasme pour l'hydrogène est très récent. Nous avons donc cherché à faire la part des choses entre ce qui est de l'ordre de la promesse, de la perspective industrielle et de l'incantation. Première chose, produire de l'hydrogène augmente la consommation d'électricité dans des proportions importantes y compris dans la trajectoire de référence. Celle-ci ne prévoit « que » 50 térawattheures pour la production d'hydrogène, moins que certains scénarios européens. Dans une variante « hydrogène plus » la consommation nécessaire pourrait monter à 120 térawattheures, ce qui induirait une déviation significative par rapport à la trajectoire de référence.
Dans notre étude, les systèmes hydrogène jouent deux rôles différents. Le premier consiste à remplacer l'hydrogène extrait de combustibles fossiles, utilisé aujourd'hui dans certains secteurs industriels, par de l'hydrogène bas carbone. On peut aussi utiliser ce dernier dans certains secteurs difficiles à électrifier, notamment le transport de marchandises longue distance. C'est l'usage de l'hydrogène que l'on voit se développer le plus tôt et qui justifie la majeure partie de la croissance de la consommation d'hydrogène dans la trajectoire de référence.
Par ailleurs, les scénarios 100 % renouvelables ou ceux dans lesquels le nucléaire est minoritaire nécessitent un système de stockage mutualisé de l'hydrogène à moyen et long terme. Un point important : la performance des scénarios qui reposent beaucoup sur les énergies renouvelables nécessite une « brique hydrogène » qui fonctionne très bien ; dans le cas contraire, ils deviennent techniquement plus difficiles et plus coûteux. Pour cette raison, il serait souhaitable de parvenir à créer une boucle plus économique qui ne passerait pas par l'étape du méthane de synthèse. D'où notre dixième conclusion : créer un système hydrogène bas carbone performant est un atout pour décarboner certains secteurs et une nécessité pour stocker l'électricité dans les scénarios à très fort développement en énergies renouvelables.
Le sujet des paris technologiques est très important. RTE a publié avec l'Agence internationale de l'énergie, en début d'année, un rapport sur la faisabilité technique de ce type de scénarios, qui met en évidence quatre conditions strictes et cumulatives. Dit autrement, nous estimons qu'un mix 100 % énergies renouvelables est un chemin possible, au sens où nous disposons des ingénieurs pour le mettre en place, mais que c'est aussi un chemin complexe, comportant de nombreuses incertitudes qui ne sont pas toutes levées aujourd'hui. Le scénario N1, qui est la trajectoire basse du « nouveau nucléaire », sera lui aussi concerné par ces défis technologiques puisqu'il comporte une part élevée d'énergies renouvelables. Il ne nous évite donc pas de chercher à relever ces paris technologiques.
D'autres types d'incertitudes affectent d'autres scénarios, notamment dans le scénario N03. Deux des quatre conditions que j'ai mentionnées tout à l'heure sont vraiment de nature technologique : le développement commercial des petits réacteurs, les SMR, et la prolongation de la durée de vie des réacteurs, pour certains au-delà de 60 ans. Pour que le scénario N03, comportant 50 gigawatts de nucléaire en 2050, soit réalisable, il faudra démontrer dans les dix prochaines années la faisabilité d'une exploitation des réacteurs actuels après 60 ans, afin que l'Autorité de sûreté nucléaire puisse prendre position.
Notre conclusion est que les scénarios où les incertitudes techniques sont aujourd'hui les plus faibles sont ceux qui combinent un fort développement des énergies renouvelables, parce que ce sont des technologies que l'on connaît, et un parc nucléaire important, qui reposerait sur les réacteurs existants prolongés sur la trajectoire de référence, donc pas au-delà de 60 ans, ainsi que sur les technologies qui ont déjà fait l'objet d'une instruction et d'une validation de leurs principales options de conception et de sûreté. Concrètement, ce sont donc des EPR2 et pas des SMR. Dans notre analyse, le risque auquel nous faisons référence n'est pas le risque d'échouer à relever ces paris, mais bien celui d'y parvenir trop tard par rapport à l'horizon de la neutralité carbone en 2030 ou 2050, qui est très proche.
Enfin, nous avons analysé les risques industriels. Très clairement, un scénario comme N2 serait un défi industriel de premier plan quant aux rythmes de mise en service, d'où l'enseignement numéro onze.
Le changement climatique n'est pas le sujet qui a fait le plus réagir lors de notre conférence de presse. Pourtant, c'est la partie de l'étude qui nous a pris le plus de temps, car il a fallu intégrer à nos analyses la prise en compte de climats caractéristiques des différentes trajectoires du GIEC. C'est la première fois en Europe que l'on fait une analyse de ce type. Il est clair que le changement climatique affecte tous les paramètres : la température, qui conditionne les besoins de chauffage et de climatisation, les précipitations et le débit des rivières, qui sont des paramètres importants pour l'énergie hydraulique et pour la production nucléaire. Le système de production devra faire face à des événements extrêmes plus fréquents, notamment des sécheresses et des canicules. Quoi qu'il arrive, il faut gérer différemment le potentiel hydraulique, puisque la neige fondra plus tôt, et il faut se préparer à des conflits d'usage sur l'eau ; par ailleurs, les centrales nucléaires situées en bord de fleuve verront leur fonctionnement plus fréquemment contraint et dans les scénarios N, il faudra placer de préférence les nouveaux réacteurs en bord de mer ou sur les fleuves susceptibles de conserver suffisamment de débit.
Notre analyse ne fait pas l'impasse sur les périodes sans vent. Le système électrique français est très sensible à la température, notamment aux grandes vagues de froid. Demain, il sera sensible aux périodes sans vent ou avec des vents très faibles, qui durent en général deux à trois semaines. Il devra disposer de capacités de production pilotables ou de capacités de stockage de gaz décarboné permettant de passer ces événements. Les sécheresses longues doivent aussi être prises en considération, je pourrai y revenir plus tard si vous le souhaitez.
L'analyse environnementale conduite dans l'étude montre que l'occupation de l'espace est significative. Ce n'est pas un enjeu de nature environnementale, au sens de l'artificialisation et de l'imperméabilisation des sols, mais plutôt un enjeu de cadre de vie. De nombreux indicateurs montrent que le développement des énergies renouvelables peut se faire sans pression d'artificialisation excessive, à l'inverse des routes, des logements et des surfaces commerciales.
L'étude s'intéresse également au bilan carbone du mix énergétique, et la trajectoire d'évolution montre à la fois l'empreinte carbone et la décarbonation de l'économie. Le bilan des énergies renouvelables et du nucléaire est très bon, même en y intégrant le cycle de vie des matériels. Quand on a un système décarboné à 93 %, il est quand même pertinent d'y ajouter des énergies renouvelables, tout simplement parce qu'il va falloir suivre l'augmentation de la consommation d'électricité. Au cours des dix ou quinze prochaines années, il n'y a pas d'autre solution que d'accroître notre potentiel bas carbone. L'électrification permet de décarboner l'économie tout entière.
Sur la question des ressources, la transition énergétique réduit la dépendance liée aux énergies fossiles, mais elle induit des circuits d'approvisionnement nouveaux en ressources minérales. Nous avons identifié un point de vigilance sur les besoins en métaux pour les batteries, plus pour celles des véhicules que pour celles qui pourraient être intégrées au système électrique. Même avec un scénario de type « sobriété », où les besoins sont plus réduits, nous avons une matière sous surveillance : le cuivre. Nous pensons qu'il faut vraiment intégrer la perspective d'une tension sur l'approvisionnement en cuivre. Tous les scénarios sont concernés, un peu plus les scénarios 100 % renouvelables. Pour être complet, nous avons aussi des éléments sur les déchets radioactifs. Je suis allé très rapidement, mais je vous ai dressé un panorama de ces questions.
‑Il me revient de conclure. Le nouveau contexte européen du « Fit for 55 » proposé par la Commission européenne est très exigeant. Il correspond à une réduction nette de 55 % des émissions en 2030, c'est-à-dire quasiment demain, ce qui va nécessiter une accélération de notre décarbonation, donc des transferts d'usage du pétrole vers l'électricité. Il faudra fournir plus d'électricité sans carbone. La solution la plus économique est aujourd'hui de maintenir en fonctionnement les centrales nucléaires existantes et de développer le plus rapidement possible les énergies renouvelables matures. C'est l'objet du 17e enseignement de l'étude : la maximisation de la production bas carbone augmente les chances de la France d'atteindre la cible du nouveau paquet européen.
L'étude se conclut par un appel à l'urgence à se mobiliser, car 30 ans, vous l'avez vu, c'est très court et car nous sommes sur le chemin critique, tant de l'électrification des usages que de la configuration d'un mix de production bas carbone qui soutiendra la consommation de 2050 au juste niveau.
‑ Je réalise la prouesse que cela représente d'effectuer cette synthèse sur un sujet aussi technique et à multiples facettes dans un temps contraint. Sans plus de protocole et de formalités, je propose de passer aux échanges de questions-réponses et me tourne vers mes collègues députés et sénateurs.
‑ Je vais revenir sur l'aspect économique, parce qu'il me semble qu'il induit aussi des choix techniques engageants.
Lors de la présentation de l'étude à la presse, vous avez insisté sur une différence de coût de 15 % entre le scénario de référence et un scénario 100 % renouvelables. Dans quelle mesure cet écart de coût de 15 % n'est-il pas uniquement l'épaisseur du trait jusqu'en 2050 ? Selon que le coût moyen pondéré du capital est 1 % ou 7 %, les coûts varient quasiment du simple au double, passant par exemple pour le scénario N2 de 45 à 82 milliards. On est donc bien au-delà des 15 % affichés. Dans le même temps, on sait par exemple que les tarifs de l'électricité ont augmenté de 18 % entre 2016 et 2021.
Aujourd'hui, l'État emprunte à 1 %, y compris à long terme, alors que les coûts moyens pondérés du capital pour des acteurs privés sont plutôt proches de 7 %. Il me semble qu'une organisation de notre système électrique qui ne reposerait pas sur le marché permettrait de garantir cette stabilité du coût sur le très long terme et que c'est cette organisation qui est déterminante pour les coûts. Le choix du mix énergétique doit donc se baser sur d'autres critères. Et c'est là que je voudrais en venir aux critères de faisabilité technique, d'impact et de risques environnementaux que vous avez effleurés. Ces aspects étaient présents dans la phase de concertation, mais ils le sont assez peu dans la synthèse. J'aimerais avoir quelques éléments de confirmation.
Ainsi, vous avez dit que votre approche était prudente. Je voulais savoir comment vous avez pu réaliser le chiffrage de l'EPR2 et du SMR. Vous présentez le risque technologique associé à l'EPR2 comme peu important. Sur quoi appuyez-vous cette certitude, dans la mesure où la construction de l'EPR n'est toujours pas terminée et qu'elle présente une incertitude que personne n'arrive encore à évaluer dans sa totalité, compte tenu de sa durée ?
Ensuite, vous avez rapidement évoqué la question du redimensionnement des réseaux électriques. Ce redimensionnement englobe-t-il aussi une réorganisation, notamment pour intégrer les énergies renouvelables diffuses ? Celles-ci nécessitent me semble-t-il – j'aimerais avoir votre confirmation – un déploiement différent du réseau électrique car le maillage du réseau actuel n'est pas forcément adapté pour les accueillir dans de bonnes conditions.
‑ Vous notez une absence de consensus sur l'évaluation du coût du capital, question que vient d'évoquer mon collègue Loïc Prud'homme. C'est bien là un sujet majeur car il est déterminant pour les choix à réaliser. Vous proposez plusieurs scénarios avec une part de l'industrie plus ou moins forte, donc des besoins en énergie et des mix énergétiques différents.
Je voudrais savoir comment vous avez procédé pour parvenir à une valorisation fiable de la prolongation des réacteurs et de leur démantèlement. J'ai vu que vous avez pris en compte des recommandations de la Cour des comptes pour réévaluer les scénarios et les coûts présentés par l'exploitant. Pourriez-vous nous détailler ces éléments ?
Vous raisonnez sur la base de l'objectif de décarbonation de la production d'électricité. Mais vos scénarios valorisent-ils les autres coûts induits du nucléaire, notamment le coût de la gestion des déchets ? Avez-vous pris en compte le fait que l'arrêt du projet de réacteur ASTRID va peut-être conduire à un volume de déchets différent de celui prévu dans l'hypothèse de base ? Tenez-vous compte de l'actualisation des coûts de Cigéo qui s'ensuivrait ? Comptabilisez-vous dans les déchets futurs ceux des nouveaux EPR2 ou SMR ? Vous savez qu'aujourd'hui les déchets de haute activité à vie longue, mais aussi les autres déchets sont un vrai problème. Vous savez que les piscines nucléaires risquent d'arriver assez rapidement à saturation. Avez-vous pris tout cela en compte ? Pourriez-vous donner quelques chiffres ?
Dans tous les scénarios, les réacteurs sont prolongés de 10 ou 20 ans. Il y aura donc des travaux de prolongation, de démantèlement et éventuellement de construction de nouveaux réacteurs. Avez-vous estimé et intégré tous les besoins qu'impliquent de tels scénarios, notamment en termes de formation professionnelle et de renforcement des ressources humaines ? C'est l'un des points sur lesquels l'Autorité de sûreté nucléaire alerte déjà aujourd'hui, ne serait-ce que pour la prolongation des centrales et les travaux post-Fukushima.
Enfin, vous avez parlé d'indépendance énergétique et d'approvisionnement en métaux pour les batteries. Pourriez-vous également nous faire part de vos analyses quant aux stocks mondiaux d'uranium, à la disponibilité de cette matière et des autres métaux qui sont utilisés dans un réacteur nucléaire ? Pourriez-vous chiffrer l'impact de la hausse des importations ? Cet élément fait-il partie des sujets que vous valorisez en termes de souveraineté ou d'absence de souveraineté ?
‑ Monsieur le président, vous aurez remarqué que, selon une tradition française, le nucléaire est un sujet très sensible pour les parlementaires. Votre étude a déjà donné lieu à des débats sur le sujet, même si elle soulève beaucoup d'autres questions. Nous aurons l'occasion d'y venir.
Je vous fais part d'une nouvelle question de notre collègue Loïc Prud'homme, qui se situe dans la continuité de ce que vient de dire Émilie Cariou : « Comment estimez-vous les coûts de l'EPR2 et du SMR qui sont encore à l'état de projet ? »
Je signale aussi qu'Émilie Cariou est rapporteure, avec le sénateur Bruno Sido, d'une étude sur l'évaluation du fameux Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Cette étude s'inscrit dans les missions historiques de l'OPECST sur le contrôle et l'évaluation des choix technologiques liés au nucléaire.
Je vais passer la parole au sénateur Stéphane Piednoir, lui aussi impliqué dans une étude sur le nucléaire, adoptée récemment par l'Office. Il s'agissait d'une étude relative à l'énergie nucléaire du futur et aux conséquences de l'arrêt du projet de réacteur ASTRID, qu'il a menée avec le député Thomas Gassilloud.
‑ Comme l'a dit le président Cédric Villani, nous avons remis en juillet un rapport sur non pas l'arrêt, mais la suspension du projet de réacteur ASTRID. La sémantique est importante dans ces temps de débat sur le nucléaire, puisque cela veut dire que nous avons un espoir de reprendre ce programme.
Je ne sais pas si nous avons tout l'après-midi et une partie de la soirée pour débattre du futur énergétique de la France et de la concurrence – ou la complémentarité – entre les énergies renouvelables et l'énergie nucléaire. Je suis plutôt partisan d'une complémentarité. Je vais m'attacher à poser des questions à la fois sur la production d'électricité en tant que telle et les énergies renouvelables.
Vous avez basé vos scénarios sur une augmentation de 35 % des besoins en électricité à l'horizon 2050. C'est le scénario de référence. Ceci ne manque pas de nous interpeller car d'autres pays ont fait des choix plus ambitieux. Le commissaire européen Thierry Breton lui-même table plutôt sur une augmentation de l'ordre de 50 %, qui est peu ou prou celle envisagée aussi par l'Allemagne et la Grande-Bretagne ; certains scénarios vont même jusqu'à plus 70 %. On a bien compris que ce ne sont pas uniquement des besoins nouveaux en énergie, mais qu'une partie de cette augmentation résulte de la conversion à l'électrique des besoins industriels, du parc automobile et – pourquoi pas – des poids lourds. Pourquoi cette modération dans l'étude RTE ? Vous avez commencé votre présentation en disant qu'à chaque fois, vous avez souhaité retenir une option de prudence sur tous les scénarios, mais le taux de 35 % ne vous semble-t-il pas minoré par rapport à nos voisins ?
Deuxièmement, dans ce contexte de leadership de la France sur la production d'électricité, dont on sait qu'elle reste issue du parc nucléaire à hauteur de 70 % encore aujourd'hui, est-ce qu'il existe un potentiel d'exportation d'électricité vers nos voisins ? Nous savons produire de l'électricité à moindre coût par rapport à eux, alors qu'ils sont demandeurs et – on peut se le dire entre nous – pris par certaines contradictions. Je pense évidemment à l'Allemagne, qui a été obligée de rallumer certaines centrales à charbon et qui s'oriente aujourd'hui massivement vers le gaz.
J'ai bien noté qu'il fallait développer les énergies renouvelables – je suis d'accord là-dessus – mais que se passer du nucléaire impliquerait un rythme de développement de celles-ci plus rapide que celui des pays les plus avancés dans ce domaine. Si l'on prend l'Europe au sens large, est-ce la référence à la Norvège, souvent citée en exemple, que vous avez en tête ? N'est-ce pas en fait une manière de dire que notre pays n'a pas le potentiel nécessaire pour aller vers ces scénarios très favorables aux énergies renouvelables, et en quelque sorte qu'il faut regarder les choses en face, être un peu plus pragmatique et éviter de rêver à des futurs qui n'existeront jamais ?
‑ Je tiens à saluer votre travail qui a le mérite de partir d'une approche factuelle pour essayer de rationaliser le débat.
Dans un premier temps, je vais revenir sur trois des enseignements que vous avez clairement mis en évidence dans votre document : celui que vous numérotez quatrième, la neutralité carbone en 2050 est impossible sans un développement significatif des ENR, le sixième, construire de nouveaux réacteurs nucléaires est économiquement pertinent, et le onzième, qui traite des paris technologiques que vous avez parfaitement détaillés.
Ces trois enseignements démontrent l'intérêt de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. Ils font écho aux débats qui opposent les anti-énergies renouvelables aux antinucléaires, en montrant qu'il existe un chemin intermédiaire. Ils éclairent utilement le panel des scénarios, ou le choix d'un scénario cible.
Mais comment peut-on s'assurer que ces enseignements ne vont pas être contestés, qu'il n'y aura pas des tentatives de dire qu'ils ne sont pas sérieux et ne tiennent pas la route, auquel cas tout votre édifice s'effondre ? Ce risque ne peut être écarté, bien que vous ayez clairement montré la rigueur et la robustesse de votre dispositif, tant du point de vue de la concertation que des modèles utilisés.
J'ai ensuite une question un peu plus technique. Quand on parle d'énergie, on parle souvent de consommation et de production, mais vous parlez aussi de réseau ; ce genre d'approche, pas si fréquent, est excellent. Le scénario M1 attire mon attention, car il est basé sur un développement massif et diffus du photovoltaïque. Il mixe donc la question du réseau et celle de l'autoconsommation. Or, contrairement à d'autres pays, la France a la chance d'avoir un réseau public, héritage de l'après-guerre, assurant la diffusion de l'électricité sur l'ensemble du territoire, ce qui a de nombreux avantages. Il ne faudrait pas que l'on tombe dans un scénario où chacun produit sa propre électricité et utilise le réseau de manière purement assurantielle. Ce réseau apporte une grande plus-value, notamment pour la gestion des énergies renouvelables, diffuses et intermittentes. Il est aussi tout à fait indispensable parce qu'il est équipé du compteur Linky qui, de mon point de vue, n'avait pas exactement le même objectif que celui auquel le destinerait ce scénario M1.
Vous indiquez que le cuivre est un élément à surveiller pour les développements technologiques futurs. Avez-vous pris en compte le démantèlement du réseau téléphonique filaire, qui date de plusieurs décennies et va être remplacé par la fibre ? Ce réseau pourrait-il être un gisement de cuivre à mobiliser dans les énergies renouvelables ?
Enfin, pour rebondir sur la question de Stéphane Piednoir, avez-vous effectué une analyse de sensibilité sur l'interconnexion à la maille du réseau européen, pour savoir si la France peut fournir de l'électricité aux pays frontaliers et comment tout cela s'équilibre ? Les scénarios sont-ils aussi robustes du point de vue de l'intégration européenne ?
‑ Je rappelle tout d'abord qu'il y a possibilité pour tout internaute de poser des questions en ligne sur la plateforme Slido, accessible depuis le portail de l'OPECST. Je les retransmettrai en tout ou partie à nos interlocuteurs. Pour l'instant, je vais poser mes propres questions, en commençant par des questions de méthodologie, déjà en partie abordées.
Plusieurs documents sont accessibles sur le portail Internet de RTE : ceux que vous avez présentés au cours des conférences de presse, un résumé d'une soixantaine de pages et l'étude complète en plus de 600 pages découpée en douze chapitres, dont dix seulement sont accessibles à ce jour. Pourquoi seulement dix ? Publierez-vous des éléments complémentaires par la suite ? Quelle est la suite prévue de ce travail ? Allez-vous rédiger d'autres documents ?
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les conditions dans lesquelles ces scénarios ont été élaborés ? Vous nous avez parlé des institutions avec lesquelles vous avez collaboré, ainsi que de l'influence importante du GIEC ; y a-t-il eu d'autres collaborations institutionnelles décisives pour vos travaux ? Quelles ressources humaines a-t-il fallu mobiliser ? Parlez-nous un peu de ce qui, dans les coulisses, a permis d'aboutir au rapport que nous examinons aujourd'hui.
Avez-vous pris des dispositions spécifiques pour garantir que l'élaboration des scénarios offre les meilleures garanties de neutralité et pour que les conclusions ne soient pas influencées par des considérations d'ordre politique ?
Je reviens sur le mix. Le débat se focalise beaucoup sur le mix national. Mais comme on le sait, le système européen est interconnecté. Vous avez insisté sur le fait qu'il serait avantageux de l'interconnecter davantage. Par ailleurs, sur un plan environnemental, il est évident que la décarbonation est un enjeu tout aussi important dans tous les pays : une tonne de gaz à effet de serre ira participer de la même façon au réchauffement climatique, qu'elle soit émise par la République tchèque, par la France ou par l'Espagne. Il faut donc un regard plus global, autant que possible à l'échelle européenne.
Concernant l'évaluation faite par Thierry Breton de l'évolution de la consommation d'électricité, mon collègue disait « plus 50 % » ; il me semble même avoir entendu « plus 100 % », soit un doublement potentiel de la consommation électrique. Pour mémoire, dans son livre sur les enjeux de la décarbonation, Bill Gates estime qu'il faut multiplier la production électrique des États-Unis par cinq dans les décennies qui viennent pour y répondre. Pouvez-vous expliquer ce qui fait que des pays différents ont des estimations différentes et comment en tenez-vous compte ?
Une question sur la mobilité : vous avez évalué les coûts des différents scénarios énergétiques, qui se chiffrent à plusieurs dizaines de milliards d'euros par an. Avez-vous intégré les coûts liés à une rénovation énergétique poussée des bâtiments ou à l'électrification du parc automobile ? Ce dernier sujet a été évalué par l'OPECST : une étude estimait qu'il faudrait investir 500 milliards d'euros sur 20 ans. Ce sont des sommes considérables. Comment les scénarios prennent-ils en compte les coûts liés uniquement au système de production électrique et ceux liés aux infrastructures ? Quand on parle de mobilité, il est évidemment question des bornes de recharge électrique.
‑ Je vais commencer par répondre à l'interpellation de M. Loïc Prud'homme. Le travail de RTE, qui est un service public, est d'éclairer le débat démocratique et la décision publique. Dans notre document, il y a plusieurs critères que le pouvoir politique, au sens noble du terme, pourrait intégrer pour faire des choix demain. Il y a bien sûr le critère économique, le critère de la maturité technologique, les questions de rythme de déploiement industriel et de rythme d'insertion des énergies renouvelables dans les territoires. Tout ceci fait beaucoup de critères. Il ne nous appartient pas de les pondérer. Nous les documentons, en laissant le débat politique ouvert. Monsieur Prud'homme nous a aussi interrogés sur l'évaluation des coûts complets du système électrique. Je voudrais souligner que le rapport parle bien de de cela, et pas des prix de l'électricité, il ne faut pas confondre.
Vous nous avez interpellés sur le coût moyen pondéré du capital des différents moyens de production et des réseaux. Effectivement, tous les ordres de grandeur que vous avez sous les yeux supposent un encadrement public fort pour faire diminuer le coût de financement des nouveaux moyens de production bas carbone et du réseau. Nous avons utilisé une hypothèse centrale de coût moyen pondéré du capital de 4 %. Nous avons fait des tests de sensibilité à 1 % et à 7 %, mais vous avez raison de souligner que notre hypothèse centrale est celle d'un coût normalisé de financement plutôt bas. Cela fait suite à une très longue discussion avec les économistes de notre Conseil scientifique, dont Christian Gollier, Jean-Michel Glachant, Laurence Boone et Jan-Horst Keppler. Le coût complet annualisé du système électrique, estimé à 66 milliards d'euros par an pour le scénario N1 et à 71 milliards pour le scénario M23, suppose un encadrement public fort, pour que les coûts de financement soient faibles. C'est le prix à payer pour la neutralité carbone. Si l'encadrement public n'était pas suffisant, alors ces coûts complets seraient plus élevés. Néanmoins, les différences de coûts in fine entre les scénarios ne sont pas l'épaisseur du trait, comme le montrent les stress tests. La comparaison entre les scénarios 100 % renouvelables et les scénarios « nucléarisés » est résistante à l'ensemble des crash tests et des stress tests que nous avons pu réaliser. On ne peut donc pas dire que les écarts de coûts en 2050 et en 2060 soient dans la marge d'erreur.
Vous nous avez interpellés sur la réorganisation et le développement des réseaux. Demain, connecter l'ensemble des nouveaux moyens de production – ils seront nouveaux, qu'il s'agisse des énergies renouvelables ou du nouveau nucléaire – nécessitera plus de réseaux, et même beaucoup plus. Tout le monde comprend que plus il y a de renouvelables, moins cette production est concentrée et plus il faut du réseau pour relier ces renouvelables au réseau de transport, puis acheminer l'électricité vers les consommateurs. Il y a une relation quasi proportionnelle entre le volume d'énergie renouvelable et le dimensionnement des réseaux, avec un point d'attention. Nous montrons que parmi les scénarios qui tendent vers 100 % de renouvelables, les plus performants d'un point de vue économique sont ceux dans lesquels les moyens de production sont concentrés dans de grands parcs offshore, éoliens terrestre et solaires à terme. J'ai le sentiment d'avoir donc répondu par là-même à la question de Madame Émilie Cariou sur le coût du capital.
Monsieur Philippe Bolo nous a interrogés sur la façon de s'assurer que nos enseignements seront pris au sérieux. Nous faisons le travail le plus sérieusement possible pour être pris au sérieux. D'une certaine manière, ceux qui interprètent notre travail font que celui-ci ne nous appartient plus. Nous nous plaçons dans le registre savant de la démonstration. Les chapitres mis en ligne progressivement assurent une transparence absolue, non seulement sur la concertation, mais aussi sur l'ensemble des hypothèses retenues. Bien évidemment, à titre personnel, cela ne me choquerait pas qu'une controverse ait lieu sur nos travaux, dès lors que c'est une controverse scientifique. Ce qui garantit notre neutralité, outre le fait que RTE est une société anonyme indépendante en droit, conformément au statut de gestionnaire de réseau de transport (GRT, en anglais transmission system operator ou TSO) prévu par les directives européennes, c'est l'absolue transparence de l'ensemble de nos hypothèses qui sont débattues et de l'ensemble de leur analyse. J'insiste : nous ne nous plaçons pas dans le champ politique, ce n'est pas notre rôle, nous restons dans le registre savant et l'ensemble de ce que nous avons fait est accessible et peut-être débattu.
Les coûts complets du système électrique recouvrent tout ce dont a besoin le système électrique pour exister : l'appareil de production et l'ensemble des dispositifs de flexibilité, tant pour l'offre que pour la demande : matrice, stockage hydraulique, interconnexion et, le cas échéant, centrales thermiques. J'en profite pour préciser que nos scénarios incluent beaucoup d'interconnexions, mais que notre calcul économique s'arrête au périmètre du système électrique, au réseau, sans intégrer le coût des politiques publiques d'électrification des usages, qui relèvent d'un autre registre. Notre travail a pour but de clarifier le coût auquel la France peut avoir un système électrique permettant d'atteindre la neutralité carbone en 2050. C'est la seule question à laquelle nous répondons. C'est une question importante, mais ce n'est évidemment pas la seule, puisque si la France décide de faire de la rénovation thermique, cela mobilisera du capital, public ou privé. Notre étude s'arrête au coût complet du système électrique qui permet de couvrir une trajectoire de consommation.
Je propose à Thomas Veyrenc de commencer par présenter les hypothèses de coûts portant sur l'appareil électronucléaire : l'aval, l'amont, les coûts unitaires de production pour l'EPR2 et pour les SMR, à la suite de quoi il pourra dire pourquoi nous avons retenu une trajectoire de référence à 645 térawattheures et enfin parler des coulisses du rapport.
J'ai l'impression, sous votre contrôle Monsieur le président, que si nous répondons à tout cela, nous aurons traité l'essentiel des questions.
‑ Les hypothèses relatives aux EPR2 sont issues des audits réalisés par l'État, qu'il nous a transmis dans le cadre de la concertation sur les hypothèses médianes et les hypothèses hautes. Ensuite, de sa propre initiative, RTE a ajouté un certain nombre de stress tests, notamment un stress test dans lequel nous avons considéré que tous les nouveaux réacteurs nucléaires seraient réalisés au coût de l'EPR de Flamanville 3. Je précise que nous n'avons pas appliqué ce principe méthodologique uniquement au nouveau nucléaire, mais également à l'éolien flottant, là où il y a une incertitude. Nous prenons donc les références de coûts qui nous semblent les plus sérieuses ou les plus documentées et nous faisons des stress tests. En théorie, nous avons été prudents.
Sur les SMR, Monsieur Prud'homme a raison, nous n'avons pas d'idée de ce que peuvent être les coûts. Ce sujet est peu documenté et l'on voit des estimations très diverses, certaines étant des annonces commerciales et d'autres des articles de chercheurs. Notre principe de prudence nous a fait appliquer aux SMR le coût des têtes de série des nouveaux réacteurs nucléaires, les têtes de série d'EPR2, même si les SMR étaient développés plus tard. En théorie, on peut considérer que s'ils étaient développés plus tard ils ne seraient pas au coût de la tête de série, mais on a quand même pris ce coût pour être prudent.
Les questions de Madame Cariou sont très bienvenues, car nous avons beaucoup réfléchi à l'aval du cycle et à la façon de prendre en compte l'incertitude associée. Dans le chapitre 11, en ligne depuis le début de la semaine, une longue discussion méthodologique sur l'aval du cycle est présentée de la page 459 à la page 471. Pour la prolongation des réacteurs et le démantèlement, nous nous sommes basés sur les références de la Cour des comptes, qui nous a aidés à avoir accès à plus d'informations, ce dont nous devons les remercier.
La gestion des déchets et le traitement recyclage sont des sujets importants. Nous avons pris en compte un renouvellement des installations de La Hague et de Melox. C'est un point méthodologique important, parce que ce n'est pas souvent fait dans les chiffrages. La Cour des comptes nous y avait incités. Nous avons donc ajouté plusieurs milliards d'euros dans le chiffrage des scénarios. Ceci n'a pas le même impact selon les scénarios, puisque si la relance du nucléaire est modérée, ces installations s'amortiraient sur une production nucléaire moindre. De tels scénarios sont donc susceptibles de montrer des évaluations de coûts plus hautes sur la question traitement recyclage que d'autres analyses économiques. Encore une fois, cela découle du parti pris de prudence. De plus, nous avons ajouté plusieurs milliards d'euros au titre de la densification et de la création de nouvelles piscines de stockage à La Hague.
Sur le stockage des déchets ultimes, nous avons pris l'évaluation la plus haute des coûts de Cigéo. Nous avons intégré une majoration de 10 milliards d'euros, propre à RTE, qui n'engage pas l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), pour intégrer les coûts potentiels liés à la gestion de déchets supplémentaires. Enfin, par prudence, nous n'avons pas actualisé ces dépenses, ce qui conduit à les surestimer. Encore une fois, notre chiffrage veillait à appliquer un principe de prudence sur l'aval du cycle, parce que nous étions conscients des questions que vous avez mentionnées.
Par contre, l'analyse ne conduit pas à soulever un point de vigilance sur les ressources en uranium, ni même sur son coût. Le cadrage relatif au traitement recyclage a beaucoup plus d'impact sur le coût du nucléaire que le prix de l'uranium. C'est pourquoi nous n'avons pas formulé de conclusions sur la ressource uranium, à l'inverse du cuivre, mais sur l'ajustement nécessaire de la stratégie de gestion de l'aval du cycle dans les scénarios « N ». Je pense que c'est prévu par les opérateurs du secteur.
J'espère que ces garanties méthodologiques peuvent vous convaincre du fait que nous avons été volontairement prudents sur ces questions, parce que nous étions conscients de leur sensibilité.
Sur la question de la consommation, Monsieur Piednoir a raison : les pays européens n'ont pas les mêmes trajectoires. En France, nous discutons d'une prévision de consommation qui serait trop élevée dans la trajectoire de référence, mais si l'on se compare aux autres pays européens, il faudrait plutôt se demander si elle n'est pas trop faible, puisqu'un grand nombre de nos voisins montrent des perspectives d'électrification plus importantes. Néanmoins, l'augmentation en pourcentage est peut-être trompeuse, parce qu'en France la part d'électricité dans la consommation énergétique est plus élevée que dans un certain nombre de pays voisins, notamment l'Allemagne ou le Royaume-Uni, qui ont une forte tradition gazière. Si la cible au Royaume-Uni est 700 ou 750 térawattheures en 2050, cela correspond à une augmentation en pourcentage plus importante que celle de la France, qui est déjà à 475 et qui cible 645 térawattheures. Il faut cependant rappeler que certaines études allemandes vont jusqu'à 1 000 térawattheures et certaines études britanniques entre 600 et 800 térawattheures. Dans le chapitre qui va être publié cet après-midi, la partie Europe analyse 40 scénarios européens de décarbonation, pour situer l'effort français par rapport aux autres pays. Donc, il y a bien un enjeu. La stratégie française, dans la trajectoire de référence présentée par Xavier Piechaczyk, intègre un objectif d'efficacité énergétique situé dans le haut de la fourchette de ce qui est prévu par d'autres pays européens.
Pour finir, nous avons très rapidement, à l'issue de la conférence de presse, mis en ligne les différents chapitres, en commençant par l'analyse économique. Nous avons mobilisé quarante personnes pour réaliser cette étude. Malheureusement, je ne dispose que d'une compositrice pour traiter les 500 graphiques du rapport, ce qui explique que celui-ci ait un peu de retard – moins cependant que d'autres organismes qui publient des scénarios en ce moment. Nous mettons en ligne les chapitres manquants le plus rapidement possible. Ce sera fini cet après-midi : il y aura bien les douze chapitres et les 650 pages.
S'agissant des coulisses, la concertation est notre garantie ultime. Les 1 400 pages que nous avons envoyées à la concertation permettent de suivre sur deux ans l'évolution de notre pensée, ainsi que la façon dont nous avons pris en compte les avis et les remarques des parties prenantes. La concertation a fait bouger les scénarios. Il n'y aurait pas eu un scénario de réindustrialisation profonde en 2019. C'est vraiment un produit de la concertation. On parle peu de ce scénario, pourtant c'est celui qui a le meilleur impact sur l'empreinte carbone du pays.
Par ailleurs, nous avons beaucoup détaillé le scénario « sobriété », à la demande d'un certain nombre de parties prenantes, sur les rythmes, l'évaluation économique, les prélèvements de ressources, etc. On voit bien, quand on regarde l'ensemble des documents, qu'une pensée mouvante a conduit à faire évoluer non pas notre discours, mais notre dispositif.
Un certain nombre de compléments suivront au premier trimestre 2022, notamment parce que nous ne pouvions pas, même dans 650 pages, croiser l'ensemble des trajectoires de mix avec l'ensemble des scénarios de consommation. Et encore, nous vous avons épargné les variantes « hydrogène plus » et celles de réindustrialisation plus ou moins marquée, ainsi que les différentes variantes européennes : que se passe-t-il si les pays voisins vont plus vite ou plus lentement ? Que se passe-t-il si l'on développe moins les interconnexions ? Tous ces croisements seront traités dans le rapport des analyses approfondies qui sera publié au premier trimestre 2022.
Enfin, nous avons bien établi des collaborations décisives avec des universitaires. Je pense que ceux qui ont participé à notre concertation n'auront vraiment pas à se plaindre quant à la prise en compte de leurs contributions dans les scénarios. Par contre, nous avons refusé des scénarios repoussant la neutralité carbone de 2060 à 2070, demandés par certains participants à la consultation publique. Nous n'avons pas non plus pris en compte de trajectoire irréaliste d'un point de vue industriel. C'est pour cela qu'un certain nombre de scénarios ne se retrouvent pas dans notre restitution de lundi dernier, notamment un scénario avec 75 % de nucléaire en 2050, qui n'était pas cohérent avec la proposition industrielle que nous avions sur la table.
‑ Parmi les collaborations structurantes, on peut noter un travail de déclinaison par Météo-France des trajectoires du GIEC, qui a été complété par un travail conduit par RTE pendant deux ans pour transformer ces différents climats fondés essentiellement sur le scénario Representative Concentration Pathway (RCP) 4.5 – puisque c'est notre scénario central – en conséquences sur le système électrique, notamment sur la production d'électricité.
Je tiens à remercier les membres de notre conseil scientifique, qui ont consacré un temps colossal à cette étude : Christian Gollier, qu'on ne présente plus, Laurence Boone, économiste en chef de l'OCDE, Jean-Michel Glachant, de l'École de la régulation de Florence, et Jan-Horst Keppler, titulaire de la chaire Marché de l'électricité à l'université Paris-Dauphine, auxquels j'ajoute Pierre Caye, philosophe à l'École normale supérieure, Dominique Rouillard, architecte et enseignant à Malaquais, et Robert Vautard, directeur de l'Institut Pierre-Simon Laplace sur le climat et co- leader du GIEC. Ces scientifiques nous ont confortés dans nos méthodes, dans le traitement des questions, de l'incertitude et dans les analyses présentées lundi dernier.
‑ J'apprécie particulièrement ce souci de vous entourer d'un conseil scientifique avec des compétences variées. Je vais continuer maintenant avec les questions des internautes. Certains contributeurs sont anonymes, mais nous avons en particulier des questions de Robinson Beaucour, du député Matthieu Orphelin, de Michaël Mangeon et de Charlotte Migeon.
Une première question porte sur l'éolien : « Dans les scénarios N, comment est définie la répartition entre solaire, éolien en mer et éolien terrestre ? Par exemple, est-ce que faire de l'éolien, mais pas de solaire pourrait être mieux ? »
Je complète en demandant si les scénarios peuvent éventuellement intégrer des panachages, des combinaisons ou des réaffectations entre les proportions respectives de l'éolien terrestre, de l'éolien en mer et du photovoltaïque. On sait en effet qu'il y a des incertitudes sur l'éolien flottant et un débat sur les impacts écologiques de l'éolien terrestre et de l'éolien en mer.
Une autre question : « Sur la réindustrialisation, qu'avez-vous considéré comme élément à réindustrialiser en priorité pour améliorer l'empreinte carbone de la France ? » Comme on le sait, la réindustrialisation augmentera les émissions et baissera l'empreinte. Quels sont les secteurs qui ont l'impact le plus vertueux sur l'empreinte ? Nous savons bien que les objectifs que l'Europe s'est donnés sont exprimés en termes de baisse des émissions à l'horizon 2030, mais pour beaucoup de monde, y compris moi, la baisse des empreintes est un but plus pertinent.
« Sur la production d'hydrogène, avez-vous évalué différentes stratégies, comme tout centraliser autour de l'EPR ou décentraliser la production ? La technologie d'électrolyseur à haute température réversible est-elle envisagée dans les scénarios ? »
«Publierez-vous une analyse économique complète de la trajectoire sobriété pour les différents mix de production associés ? Est-ce déjà le cas ou cela viendra-t-il au premier trimestre 2022 ? Si c'est en février 2022, est-ce que celle-là ne viendrait pas après l'expression attendue du gouvernement, du chef de l'État sur le nouveau nucléaire ? »
‑ Pourriez-vous nous citer les auteurs des questions, s'il vous plaît, s'ils ne sont pas anonymes ?
‑ Les trois premières questions émanent de Robinson Beaucour. La quatrième émane du député Matthieu Orphelin. Il n'est pas membre de l'OPECST mais je la reprends, estimant qu'elle mérite d'être posée. À vous de donner des éléments de réponse dans le cadre de votre étude.
« Un document de travail du gouvernement sur les coûts du nouveau nucléaire qui a fuité mardi affirme que l'on ne peut pas espérer construire de nouveaux EPR avant 2040. Cela rend-il caduques les scénarios RTE, qui prévoient la construction des premiers EPR2 dès 2035 et de 8 à 14 EPR entre 2035 et 2050 ? »
Voici maintenant deux autres questions qui ont trait au nucléaire. Comme vous le voyez, c'est le gros des questions : « Si un accident nucléaire se produit en France, il y a de fortes chances qu'il impacte l'opinion publique et les choix en matière de politique énergétique. Les impacts sociopolitiques d'un accident sur les trajectoires énergétiques sont-ils pris en compte dans vos scénarios ? »
« Devant le Sénat, le 7 avril 2021, le président de l'ASN rappelait que la tenue des cuves des réacteurs nucléaires était justifiée jusqu'à 50 ans de fonctionnement mais pas au-delà. Pourtant, RTE envisage des prolongations massives au-delà de cette échéance. En tout cas, vous nous avez dit que vous avez étudié la question de prolongation au-delà de 60 ans tout en indiquant qu'elle était hypothétique et soumise à certaines inconnues. Pourquoi ignorer cet avertissement ou que faites-vous de l'avertissement du président de l'ASN lors de son audition en avril 2021 ? »
Pour être sûr de bien comprendre ce que vous avez dit sur le nucléaire, l'hypothèse d'un parc nucléaire d'environ 50 gigawatts à horizon 2050 résulte bien d'une contrainte de nature industrielle et non d'une contrainte de nature politique ?
‑ Un mot sur les scénarios et leur contenu en énergies renouvelables. Les scénarios sont issus de la concertation. Je dis souvent qu'ils représentent les tendances de la société française. Par exemple, il ne vous a pas échappé que sur les trois scénarios qui tendent vers 100 % de renouvelables, un seul atteint les 100 % en 2050, en supposant une fermeture anticipée du parc nucléaire existant, et deux en 2060. Ces scénarios ont été construits dans la concertation, ils ne sont pas caricaturaux car ils représentent des tendances, notamment le scénario M1 qui représente la tendance des renouvelables en répartition diffuse, avec une part de photovoltaïque très importante car le photovoltaïque est assez largement diffus, notamment le photovoltaïque sur toiture : maisons individuelles, mais aussi industries, hangars agricoles, parkings, etc. Par ailleurs, il y a un scénario « Renouvelables Grand Parc », qui est évidemment plus performant sur le plan économique et fait le pari d'un modèle de développement des renouvelables plutôt concentré dans de grands parcs solaires, éoliens terrestres et offshore. Ce sont des produits de la concertation, des équilibres qui donnent à voir des scénarios plutôt contrastés.
Existe-t-il des vases communicants entre les parts d'énergies renouvelables ? Oui et non. Les vases communicants entre solaire et éolien sont faibles. Ce ne sont pas les mêmes courbes de charge, cela ne produit pas la même chose, ce ne sont pas les mêmes technologies. En revanche, les scénarios sont plus réglables entre éolien terrestre et offshore. Il est entendu qu'en termes de production d'électricité et de courbes de charge, le rapport entre éolien terrestre et éolien offshore est plutôt de 6 sur 10. À cette réserve près, il y a des vases communicants possibles, dans la famille de l'éolien, entre ce qui est à terre et ce qui est en mer.
Il ne nous a pas échappé qu'un document de travail a été publié par Contexte. Ceci ne change rien à notre rapport. Sur un plan méthodologique, RTE ne se fie pas à des documents qui ne sont ni sourcés, ni a fortiori vérifiés. Thomas Veyrenc vous a dit tout à l'heure que pour le nouveau nucléaire et l'EPR2, RTE a utilisé des coûts et des délais fournis par l'État, à notre connaissance après des audits indépendants. Nous avons ensuite pris du recul et fait preuve de prudence en réalisant des stress tests voire des crash tests, notamment en plaçant le coût du nouveau nucléaire au niveau de celui de Flamanville 3, c'est-à-dire 13 milliards d'euros la tranche en euros 2020. Concernant l'aval du cycle, nous avons retenu des marges importantes. Ces marges ont conduit à chiffrer à environ 5 euros par mégawattheure le coût de l'aval du cycle nucléaire – le traitement, le recyclage et le stockage à long terme – alors que dans la concertation certaines contributions nous incitaient à retenir 1 euro par mégawattheure. Nous avons donc multiplié par 5 le coût de l'aval du cycle dans le nucléaire. C'est prudent, si des scénarios avec du nouveau nucléaire le renchérissent. Mais nous assumons d'avoir été prudents et pour être précis, notre scénario prévoit que les deux premiers EPR seront mis en service entre 2035 et 2037, ce qui nous paraît aujourd'hui crédible et conforme aux documents challengés et vérifiés dont nous disposons. Une fois de plus, nous nous fions à ce qui est contre-expertisé et lorsque nous ne sommes pas sûrs de l'information, nous prenons des marges.
Enfin, s'agissant des « 50 gigawatts » et des « 50 ans », il faut redire quel est le statut de ce que nous étudions. Nous étudions des chemins possibles pour le pays. À ce stade, l'Autorité de sûreté nucléaire n'a pas dit que les prolongations des tranches au-delà de 50 ans étaient possibles. Elle n'a pas dit non plus qu'elles étaient impossibles. Ce que dit l'Autorité de sûreté nucléaire, c'est qu'elle ne dispose pas à ce jour de tous les éléments, tout simplement des dossiers, pour prendre une décision sur des prolongations de tranches au-delà de 50 ans, jusqu'à 60 ans.
On ne peut pas exclure que cette demande soit faite et que ce soit possible. C'est la raison pour laquelle elle figure parmi nos chemins possibles. Nous ne nous sommes fermé aucune porte de ce point de vue. J'en profite pour dire que l'Autorité de sûreté nucléaire a participé à notre concertation et a été un partenaire fidèle de ce que nous avons écrit. Il n'y a pas de raison de fermer la possibilité de prolonger nos tranches nucléaires existantes au-delà de 50 ans, mais cela fait partie des incertitudes que Thomas Veyrenc a décrites tout à l'heure. Bien évidemment, la prolongation au-delà de 50 ans n'est pas garantie pour toutes les tranches. A fortiori, la prolongation au-delà de 60 ans n'est pas garantie sur le parc nucléaire. Nous le disons de manière explicite. Ce n'est pas parce qu'on dit cela que l'on n'étudie pas ce chemin possible.
Je remercie Monsieur le président d'avoir rappelé que les 50 gigawatts de nucléaire en 2050 ne sont pas une limite politique. Ils correspondent à 50 % de nucléaire en 2050 dans la trajectoire de référence. Plus la consommation sera élevée, plus la part du nucléaire sera faible en 2050 : ces 50 % de nucléaire en 2050 dans la trajectoire de consommation centrale deviennent 40 % dans la trajectoire de réindustrialisation profonde et 60 % dans notre scénario « sobriété ». Une capacité de production de 50 gigawatts correspond à la proposition la plus haute de la filière nucléaire. J'insiste, parce que c'est important sur le plan de la méthode : cette proposition est tracée. Elle figure dans des documents issus de la concertation. Ces documents sont publics, en ligne sur notre site Web et accessibles à qui s'intéresse à la question. Ce n'est pas une invention, c'est la filière qui l'a écrit.
Je laisse la parole à Thomas Veyrenc qui va dire un mot de la réindustrialisation, de la stratégie hydrogène et des analyses complémentaires, qui viendront notamment sur la question de la sobriété début 2022.
‑ Le scénario de réindustrialisation procède d'un véritable travail de modélisation. Ce n'est pas du wishful thinking, ce n'est pas : « tiens, on va mettre 100 térawattheures en plus pour regarder ce qu'il se passe si on réindustrialise ». C'est une analyse conduite branche industrielle par branche industrielle, que nous avons menée d'abord indépendamment puis en concertation avec les fédérations industrielles – mais c'est bien notre modèle de réindustrialisation, qui a lui-même beaucoup de variantes, que nous avons retenu dans la prospective énergétique. Je vous renvoie au chapitre trois du rapport, qui évoque « la relocalisation d'une partie des importations et la relance d'une dynamique industrielle en ce qui concerne certains secteurs stratégiques », qui pourraient être la chimie, l'automobile, l'électronique et un peu d'industrie lourde.
En disant cela, je vous montre le débat qui a eu lieu lors de la concertation : l'industrie lourde est probablement le secteur responsable des fuites carbone ; si l'on en relocalisait une partie, on pourrait réduire beaucoup l'empreinte. C'est donc un scénario de relocalisation plutôt que de réindustrialisation. Mais l'industrie lourde est très difficile à relocaliser et consomme beaucoup d'électricité, alors qu'une telle perspective est peut-être plus réaliste pour les secteurs stratégiques, ceux sur lesquels il peut y avoir des paliers technologiques dans les prochaines années. Par contre, cela a moins d'impact sur la réduction de notre empreinte carbone. Nous avons dosé les contributions respectives de ces deux secteurs, puis nous avons réalisé des variantes, la relocalisation ne concernant alors que les secteurs stratégiques ou que l'industrie lourde.
Certains secteurs, comme le textile, ont un impact important sur notre empreinte carbone. Pourtant, on ne les relocalise pas car ce serait très difficile. C'est aussi le cas pour certains secteurs chimiques, parce que ce ne sont pas que des considérations économiques qui ont présidé à leur délocalisation, ou en tout cas à la construction de circuits mondiaux. Voilà comment nous avons traité la question de la réindustrialisation.
Sur la stratégie hydrogène, nous avons beaucoup de variantes, notamment sur la production de l'hydrogène en France ou son importation. Dans nos scénarios, il est produit en France, et le système hydrogène est efficace. L'hydrogène importé pourrait être moins cher mais ce n'est pas certain. Plusieurs opérateurs, notamment du secteur pétrolier et gazier, sont en train d'étudier cette possibilité. Nous nous sommes conformés aux orientations publiques actuelles, prévoyant de produire l'hydrogène majoritairement en France, avec néanmoins des échanges avec l'Europe. Nous avons fait des variantes avec de l'hydrogène importé et des variantes où le système hydrogène pouvait fonctionner moins bien, puisqu'il faut tenir compte du stockage de l'hydrogène. C'est une vraie question. Il existe peu de réservoirs de capacité saline en France. Est-ce qu'on en construit de nouveaux ? Est-ce qu'on s'appuie sur un stockage mutualisé au niveau européen ? Si oui, avec quels impacts en matière d'indépendance ? Ce sont des questions lourdes que nous avons testées.
De la même façon, l'étude compare ce qui se passe si l'on prend de l'hydrogène, du biométhane ou du gaz de synthèse. La solution « hydrogène », avec potentiellement un complément de biométhane, est moins chère que si l'on passe par du méthane de synthèse qui ajoute une étape à la chaîne de transformation. La question de la localisation fait plutôt partie des prolongements qui seront publiés en 2022, parce que ce n'est pas le facteur d'ordre premier. Elle sera regardée dans la variante « hydrogène plus », au titre des prolongements.
Enfin, sur les analyses économiques et en lien avec les compléments, la méthode utilisée pour ce rapport n'est une surprise pour personne : nous l'avons détaillée en janvier, nous l'avons écrite dans le bilan de la consultation publique publié en juin, et nous avons bien expliqué que pour octobre, nous ferions les comparaisons entre scénarios dans le cadre de la trajectoire de référence. La raison principale de ce choix est que nous pensons que c'est la bonne façon de faire. Par exemple, il est possible que le scénario M0 dans la trajectoire de réindustrialisation soit plus coûteux que le scénario M1 dans la trajectoire de référence. Pourtant, on ne peut tirer de cette comparaison qu'un indice sur le fait qu'il y a plus d'électricité à fournir dans la trajectoire de réindustrialisation. Cela ne veut absolument pas dire que le scénario M0 est plus cher. En réalité, le scénario M0 est plutôt moins cher que le scénario M1. C'est pour cela que nous voulons comparer les mix par rapport à une trajectoire de consommation donnée. C'est ce qui permet d'en tirer un enseignement sur le coût de la production d'électricité. Cependant, pour répondre à la demande d'un certain nombre de parties prenantes, nous avons ajouté, dès le 25 octobre, des éléments sur les différents scénarios, notamment dans la trajectoire « sobriété », pour qu'ils soient à la disposition de tous. Nous avons déjà dit que la sobriété faisait baisser le coût complet du système d'environ une dizaine de milliards d'euros. Nous avons dit aussi que lorsque les mix seraient comparés dans le cadre de cette trajectoire ou de la trajectoire de réindustrialisation profonde, cela ne changerait pas en première approximation le classement des scénarios. Nous avons documenté ce point. Nous avons documenté la sobriété, qui a un certain nombre d'avantages importants quant aux prélèvements de matière et au rythme de la transition.
Le premier enseignement de l'étude est assurément qu'agir sur la consommation donne des marges de manœuvre supplémentaires. C'est un point qui est totalement assumé par RTE. Nous avons fortement documenté le scénario « sobriété » et nous pouvons affirmer que ce scénario n'est pas le retour à la bougie et au Moyen Âge. Il implique de profondes transformations des modes de vie, et pas seulement des messages où l'on explique que l'énergie la moins chère est celle qu'on ne consomme pas. C'est aller plus loin : moins de véhicules, des petits véhicules, la re-cohabitation, plus de télétravail et une alimentation différente. Levier par levier, nous avons chiffré cela en térawattheure. Ce travail est à disposition de tout le monde. J'ai animé une concertation de deux ans et je peux vous dire que le thème de la sobriété est de loin le plus clivant. Il n'y a aucune évidence, ni d'un côté ni de l'autre. Certains considèrent que la sobriété est une obligation, d'autres que c'est une atteinte aux libertés individuelles. RTE ne tranchera jamais ce débat. Nous avons documenté ces éléments pour que le débat puisse avoir lieu dans une arène plus large que celle de RTE.
‑ Je vous remercie vivement pour l'exhaustivité avec laquelle vous avez cherché à répondre à toutes les questions. Une dernière petite question avant quelques mots de conclusion : dans tous les scénarios étudiés, y compris ceux comportant autant de nucléaire que la filière le permet, il y a une part très forte des énergies renouvelables ; c'est vrai en particulier de l'éolien, puisque la capacité du parc éolien terrestre est multipliée par un facteur 3 ou 4. Vous n'ignorez évidemment pas les débats sur l'éolien, qui portent sur la préservation des paysages, les nuisances de proximité, l'atteinte éventuelle à la biodiversité, les controverses sur le parc éolien offshore de Saint-Brieuc, etc. Cet élément n'est-il pas un autre signal d'alerte qu'il faut tirer de votre rapport ? Si, comme votre analyse l'indique, la trajectoire suppose une forte composante d'éolien, il y a un sujet d'acceptabilité qui va être important.
‑ Nous ne sommes pas fondés à décider que tel ou tel moyen de production d'électricité serait plus acceptable qu'un autre. C'est un débat de société.
La neutralité carbone a trois avantages.
Le premier est qu'elle est bonne pour le climat, mais aussi pour les pollutions, notamment la pollution atmosphérique, du fait de l'absence de particules, et le bruit.
Le deuxième est que la neutralité carbone est bonne pour la souveraineté, notion mise en avant par Madame Cariou. Aujourd'hui, 60 % de l'énergie consommée en France est fossile, importée pour l'essentiel de Russie, d'Algérie et des pays du Golfe. C'est donc un bénéfice gigantesque en termes de souveraineté, quand bien même le système électrique de demain serait un peu plus interconnecté qu'aujourd'hui. Il y a dix ordres de grandeur entre l'enjeu de souveraineté d'aujourd'hui et l'enjeu de souveraineté de demain.
Le troisième avantage est que la prédominance de l'électricité dans le mix de demain protégera les consommateurs du yoyo si souvent observé sur les marchés des énergies fossiles, comme l'augmentation actuellement observée sur le prix du gaz, donc aussi sur la facture d'électricité des Français. La production des 60 % d'énergies fossiles consommés en France ne se « voit » pas en termes d'émissions carbone. Celles-ci se font dans les pays étrangers, puisque les puits de production de pétrole et de gaz ne sont pas chez nous et qu'il n'y a presque plus de raffinerie en France, en tout cas beaucoup moins qu'avant. Les circuits d'approvisionnement en produits pétroliers ne se voient pas. Par contre, la neutralité carbone et la prédominance future de l'électricité supposent de nouvelles installations industrielles dans notre pays. Toutes ces installations – renouvelables, nouveau nucléaire ou futurs pylônes, puisqu'il faudra plus de réseaux – ont une empreinte et elles se verront.
Je ne suis pas sûr – c'est une question ouverte qu'il ne revient pas à RTE de trancher – que l'acceptabilité de nouvelles tranches nucléaires, dès lors qu'elles seront nombreuses, sera plus facile que celle des renouvelables dans le paysage ou, pour le solaire, en termes d'occupation des sols. Nous avons pris la peine de traduire l'impact de nos scénarios en nombre de mâts pour l'éolien et d'hectares pour le solaire : entre 1 500 et 4 200 mâts pour l'éolien offshore, entre 15 000 et 35 000 mâts pour l'éolien terrestre, contre 8 500 aujourd'hui, et entre 50 000 et 250 000 hectares, soit entre 0,1 % et 0,3 % du territoire national, pour le solaire.
Aujourd'hui, l'Allemagne compte 30 000 mâts d'éoliennes. Dans les scénarios qui tendent vers 100 % de renouvelables en France, le nombre maximal de mâts serait, compte tenu de l'efficacité des éoliennes, de 35 000, soit une densité moindre en France en 2050 qu'en Allemagne en 2020. Nous ne nions pas que la question de l'insertion paysagère est un enjeu. Ce que nous avons voulu mettre dans le débat, ce sont des questions de proportion : même dans les scénarios 100 % renouvelables, le nombre de mâts d'éoliennes terrestres serait demain presque égal, en tout cas absolument comparable, au nombre de mâts en Allemagne en 2020. Voilà l'ordre de grandeur. L'acceptabilité de l'appareil industriel de demain, que ce soit du nouveau nucléaire, peut-être des SMR, des éoliennes, du solaire, a fortiori de l' offshore, est une question politique. Nous la documentons, nous écrivons des ordres de grandeur et même des chiffres précis, mais bien évidemment cela relève d'un choix de société, comme la question de la consommation.
En conclusion, je voudrais attirer l'attention des parlementaires sur la discussion stratégique qui va s'organiser au Parlement, en 2022 et 2023, sur la nouvelle stratégie nationale bas carbone (SNBC) et surtout sur la future programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Vous savez que cette question fait l'objet d'un débat parlementaire. Je veux attirer votre attention sur le fait que l'objectif du « Fit for 55 » en 2030, qui sera dans l'horizon temporel de la PPE – environ 2035 – va être un défi absolument redoutable et que cela supposera un effort sur le système électrique décarboné. Aussi, avons-nous formulé des recommandations pour des politiques publiques efficaces de transfert des usages. Faute de telles politiques, combinées à un système électrique grossi et décarboné dès 2030, la France n'atteindra pas l'objectif de « moins 55 % nets » en 2030.
‑ Nous arrivons au terme de cette audition. J'adresse un grand merci à nos invités pour le soin qu'ils ont mis à répondre aux nombreuses questions et interrogations des parlementaires et des internautes.
Nous avons particulièrement apprécié le détail avec lequel vous avez décrit la méthodologie retenue, le souci de transparence, la volonté de ne vous appuyer que sur des sources vérifiables et contestables, etc. Vous n'étiez évidemment pas dans un exercice scientifique, mais vous avez cherché à vous approcher au plus près d'une démarche scientifique, avec des sources transparentes et des contestations possibles sur le terrain technique. Vous avez présenté quelque chose qui est une évaluation des choix possibles, ce que nous apprécions bien sûr par construction à l'OPECST. Votre approche en scénarios, avec différentes variantes et sous-variantes, des stress tests, des crash tests, etc. ne dédouane pas le politique de faire des choix, en fonction de projets de société, de débats sur les valeurs, de visions de la trajectoire du pays dans le paysage énergétique européen. Vous avez évoqué la question des comportements. Vous avez insisté – ce sont vos dernières recommandations – sur l'importance d'agir vite, et j'ai bien en tête qu'au-delà des choix, il y a des recommandations communes aux différents scénarios et des choses qui doivent être mises en place extrêmement rapidement, par exemple sur le stockage et les capacités de réseau, pour être aux rendez-vous de 2030 et de 2050.
Il y aura encore des débats, des analyses complémentaires et des documents que vous verserez sur votre site, en particulier au cours du premier trimestre 2022. L'OPECST continuera à suivre tout cela de très près même si, du côté de l'Assemblée nationale, l'horizon est borné à février 2022. L'Office restera bien sûr en contact avec vous si l'actualité l'exige ou que des questions se font jour.
Nous vous remercions, Monsieur le président, Monsieur le directeur exécutif, pour la très grande disponibilité dont vous et vos équipes avez fait preuve pour cette audition.
La réunion est close à 16 h 05.
Membres présents ou excusés
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
Réunion du jeudi 28 octobre 2021 à 14 heures
Députés
Présents. - M. Julien Aubert, M. Philippe Bolo, Mme Émilie Cariou, M. Loïc Prud'homme, M. Cédric Villani
Sénateurs
Présents. - M. André Guiol, M. Stéphane Piednoir, M. Bruno Sido
Excusés. - Mme Sonia de la Provôté, M. Gérard Longuet, Mme Michelle Meunier