Intervention de Thomas Veyrenc

Réunion du jeudi 28 octobre 2021 à 14h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Thomas Veyrenc, directeur exécutif chargé de la stratégie, de la prospective et de l'évaluation, RTE :

‑ Le scénario de réindustrialisation procède d'un véritable travail de modélisation. Ce n'est pas du wishful thinking, ce n'est pas : « tiens, on va mettre 100 térawattheures en plus pour regarder ce qu'il se passe si on réindustrialise ». C'est une analyse conduite branche industrielle par branche industrielle, que nous avons menée d'abord indépendamment puis en concertation avec les fédérations industrielles – mais c'est bien notre modèle de réindustrialisation, qui a lui-même beaucoup de variantes, que nous avons retenu dans la prospective énergétique. Je vous renvoie au chapitre trois du rapport, qui évoque « la relocalisation d'une partie des importations et la relance d'une dynamique industrielle en ce qui concerne certains secteurs stratégiques », qui pourraient être la chimie, l'automobile, l'électronique et un peu d'industrie lourde.

En disant cela, je vous montre le débat qui a eu lieu lors de la concertation : l'industrie lourde est probablement le secteur responsable des fuites carbone ; si l'on en relocalisait une partie, on pourrait réduire beaucoup l'empreinte. C'est donc un scénario de relocalisation plutôt que de réindustrialisation. Mais l'industrie lourde est très difficile à relocaliser et consomme beaucoup d'électricité, alors qu'une telle perspective est peut-être plus réaliste pour les secteurs stratégiques, ceux sur lesquels il peut y avoir des paliers technologiques dans les prochaines années. Par contre, cela a moins d'impact sur la réduction de notre empreinte carbone. Nous avons dosé les contributions respectives de ces deux secteurs, puis nous avons réalisé des variantes, la relocalisation ne concernant alors que les secteurs stratégiques ou que l'industrie lourde.

Certains secteurs, comme le textile, ont un impact important sur notre empreinte carbone. Pourtant, on ne les relocalise pas car ce serait très difficile. C'est aussi le cas pour certains secteurs chimiques, parce que ce ne sont pas que des considérations économiques qui ont présidé à leur délocalisation, ou en tout cas à la construction de circuits mondiaux. Voilà comment nous avons traité la question de la réindustrialisation.

Sur la stratégie hydrogène, nous avons beaucoup de variantes, notamment sur la production de l'hydrogène en France ou son importation. Dans nos scénarios, il est produit en France, et le système hydrogène est efficace. L'hydrogène importé pourrait être moins cher mais ce n'est pas certain. Plusieurs opérateurs, notamment du secteur pétrolier et gazier, sont en train d'étudier cette possibilité. Nous nous sommes conformés aux orientations publiques actuelles, prévoyant de produire l'hydrogène majoritairement en France, avec néanmoins des échanges avec l'Europe. Nous avons fait des variantes avec de l'hydrogène importé et des variantes où le système hydrogène pouvait fonctionner moins bien, puisqu'il faut tenir compte du stockage de l'hydrogène. C'est une vraie question. Il existe peu de réservoirs de capacité saline en France. Est-ce qu'on en construit de nouveaux ? Est-ce qu'on s'appuie sur un stockage mutualisé au niveau européen ? Si oui, avec quels impacts en matière d'indépendance ? Ce sont des questions lourdes que nous avons testées.

De la même façon, l'étude compare ce qui se passe si l'on prend de l'hydrogène, du biométhane ou du gaz de synthèse. La solution « hydrogène », avec potentiellement un complément de biométhane, est moins chère que si l'on passe par du méthane de synthèse qui ajoute une étape à la chaîne de transformation. La question de la localisation fait plutôt partie des prolongements qui seront publiés en 2022, parce que ce n'est pas le facteur d'ordre premier. Elle sera regardée dans la variante « hydrogène plus », au titre des prolongements.

Enfin, sur les analyses économiques et en lien avec les compléments, la méthode utilisée pour ce rapport n'est une surprise pour personne : nous l'avons détaillée en janvier, nous l'avons écrite dans le bilan de la consultation publique publié en juin, et nous avons bien expliqué que pour octobre, nous ferions les comparaisons entre scénarios dans le cadre de la trajectoire de référence. La raison principale de ce choix est que nous pensons que c'est la bonne façon de faire. Par exemple, il est possible que le scénario M0 dans la trajectoire de réindustrialisation soit plus coûteux que le scénario M1 dans la trajectoire de référence. Pourtant, on ne peut tirer de cette comparaison qu'un indice sur le fait qu'il y a plus d'électricité à fournir dans la trajectoire de réindustrialisation. Cela ne veut absolument pas dire que le scénario M0 est plus cher. En réalité, le scénario M0 est plutôt moins cher que le scénario M1. C'est pour cela que nous voulons comparer les mix par rapport à une trajectoire de consommation donnée. C'est ce qui permet d'en tirer un enseignement sur le coût de la production d'électricité. Cependant, pour répondre à la demande d'un certain nombre de parties prenantes, nous avons ajouté, dès le 25 octobre, des éléments sur les différents scénarios, notamment dans la trajectoire « sobriété », pour qu'ils soient à la disposition de tous. Nous avons déjà dit que la sobriété faisait baisser le coût complet du système d'environ une dizaine de milliards d'euros. Nous avons dit aussi que lorsque les mix seraient comparés dans le cadre de cette trajectoire ou de la trajectoire de réindustrialisation profonde, cela ne changerait pas en première approximation le classement des scénarios. Nous avons documenté ce point. Nous avons documenté la sobriété, qui a un certain nombre d'avantages importants quant aux prélèvements de matière et au rythme de la transition.

Le premier enseignement de l'étude est assurément qu'agir sur la consommation donne des marges de manœuvre supplémentaires. C'est un point qui est totalement assumé par RTE. Nous avons fortement documenté le scénario « sobriété » et nous pouvons affirmer que ce scénario n'est pas le retour à la bougie et au Moyen Âge. Il implique de profondes transformations des modes de vie, et pas seulement des messages où l'on explique que l'énergie la moins chère est celle qu'on ne consomme pas. C'est aller plus loin : moins de véhicules, des petits véhicules, la re-cohabitation, plus de télétravail et une alimentation différente. Levier par levier, nous avons chiffré cela en térawattheure. Ce travail est à disposition de tout le monde. J'ai animé une concertation de deux ans et je peux vous dire que le thème de la sobriété est de loin le plus clivant. Il n'y a aucune évidence, ni d'un côté ni de l'autre. Certains considèrent que la sobriété est une obligation, d'autres que c'est une atteinte aux libertés individuelles. RTE ne tranchera jamais ce débat. Nous avons documenté ces éléments pour que le débat puisse avoir lieu dans une arène plus large que celle de RTE.

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