Intervention de Bruno Maquart

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 16h00
Groupe de travail sur l'ouverture de l'assemblée nationale à la société et son rayonnement scientifique et culturel

Bruno Maquart, Président d'Universcience :

En partenariat avec un grand groupe français, nous avons développé une petite application très simple grâce à laquelle nous interrogeons en direct l'auditoire, qui nous répond. La personne qui fait la conférence adapte donc en permanence son propos à la manière dont réagit la salle. Notre idée est de faire participer le public. Le temps est révolu où l'on entrait en silence dans un établissement culturel, ébloui par la majesté du lieu. Nous encourageons les curieux à poser des questions. Les jeunes générations veulent interagir sur les contenus. L'avenir de nos établissements repose donc sur la question de savoir comment faire entrer la parole du public très en amont.

Nous concevons d'ailleurs nos expositions avec nos publics. Quand nous avons organisé notre première grande exposition temporaire sur le big data, intitulée Terra data, nos vies à l'ère du numérique, nous avons réuni un panel de personnes autour d'un spécialiste de la concertation sur les projets d'équipements locaux, ce qui nous a permis de mieux cerner ce que les visiteurs pouvaient attendre d'une exposition comme celle que nous voulions faire. On se fait toujours une représentation de ce que le public va demander. Or, nous étions un peu à côté de la plaque. Si je fais un micro-trottoir et que je demande aux gens ce qu'ils attendent de la Cité des sciences et de l'industrie, ils me regarderont d'un air effaré mais aujourd'hui, on sait interroger le public intelligemment. On fait souvent des enquêtes une fois que les gens sortent des lieux mais c'est trop tard car on a déjà produit des contenus, ce qui coûte de l'argent, et l'on ne peut redresser la barre que la fois suivante. Ce type d'enquêtes nous fournit un avis sur ce qu'on n'a pas encore fait alors qu'en s'appuyant sur des relais, on peut co-construire les expositions.

Nous utilisons aussi des plateformes de ressources et de services. La Cité des sciences et de l'industrie a la troisième bibliothèque publique de France après la Bibliothèque nationale de France (BNF) et la Bibliothèque publique d'information (BPI) du Centre Georges-Pompidou. Comme toutes les bibliothèques « à livres », la bibliothèque de la Cité des sciences et de l'industrie voit sa fréquentation baisser, mais nous avons développé un nouveau modèle qui va prendre de l'ampleur puisque nous allons faire de la bibliothèque une plateforme de ressources cognitives. Nous avons déjà sur place depuis plusieurs années la Cité des métiers et la Cité de la santé. Le public peut y venir anonymement, gratuitement et sans rendez-vous pour s'informer sur les métiers et la santé. Ces structures s'intègrent dans un réseau de partenariats car il faut aujourd'hui éviter de tout faire tout seul et créer un écosystème. La Cité des métiers travaille donc, entre autres, avec l'éducation nationale, Pôle Emploi, des associations d'accueil de migrants et des associations travaillant avec les jeunes des quartiers. C'est en tricotant des offres plurielles qu'on a le plus de chances de s'adresser de manière pertinente aux populations dans leur diversité. Il n'y a plus un public – c'est une commodité de langage – mais des publics très divers, sans parler de toutes les personnes qui ne viennent pas et qu'il faut aller chercher.

Les espaces dédiés aux échanges se trouvent donc aussi sur internet. Les réseaux sociaux sont désormais l'espace par lequel on accède à l'information. Les jeunes ne regardent plus la télévision – l'âge moyen du téléspectateur et de l'auditeur des canaux publics étant situé entre 50 et 59 ans. Leur consommation culturelle n'a plus rien à voir avec celle que nous avions à leur âge. Nous devons donc nous adapter à ces générations, à leurs usages et aller chercher les gens sur ces réseaux sociaux. Nous voulons devenir des établissements conversationnels, le défi étant de faire venir les publics dans nos murs – surtout chez Universcience car si les publics ne viennent pas, ils n'achètent pas de billets d'entrée et j'ai des problèmes d'équilibre économique. Le numérique est donc un complément du physique : ce n'est pas l'un ou l'autre mais l'un et l'autre. Le numérique induit des besoins d'incarnation. On ne fait pas les mêmes choses dans un lieu que sur un écran, ce qui veut dire qu'il faut éviter que les lieux offrent la même chose que les écrans. Si vous ne faites que des salles avec des écrans, vous n'apporterez rien de plus au public. Il faut donc être à la fois en lien avec et dans le prolongement du numérique, tout en proposant autre chose. Le besoin d'incarnation à l'heure du numérique fait que les lieux physiques ont encore un avenir dans le nouveau monde. Vous avez donc raison d'ouvrir des salles et d'avoir des murs.

J'en viens au parcours. Construire un parcours est toujours un casse-tête, surtout dans un aussi grand bâtiment qui n'a pas été conçu au départ pour être un musée. En général, les publics font autre chose que ce à quoi on s'attendait. Ce sont donc eux qui dessinent les parcours. Ils n'entrent pas toujours par la porte principale. Je connais donc de nombreux établissements qui ont été obligés de faire bouger leur entrée pour la mettre là où les gens arrivaient. La Cité des sciences et de l'industrie a été conçue pour que les gens arrivent par le parc, c'est-à-dire par le sud. Or, ils viennent par le nord. Il a donc fallu que l'établissement se retourne sans pouvoir évidemment le faire physiquement. Nous avons donc réaménagé des accueils. D'ailleurs, une séquence d'accueil s'organise : il faut gérer les files d'attente, dématérialiser les réservations, la billetterie et les informations et faire en sorte que l'information sur place soit très qualitative et pointue. Nous orientons le public dans une maison comprenant la Géode, un planétarium 8K, des expositions permanentes, un programme de conférences, une bibliothèque et mille autres choses.

Nous n'avons pas de parcours imposé mais des parcours. Si vous venez avec un enfant de cinq ans, on vous proposera tel parcours ; un autre parcours si vous venez en famille ; un autre parcours encore si vous vous intéressez à la physique ou au numérique. Nous sommes aussi en train de développer des dispositifs embarqués d'aide à la visite. Cela étant, il ne faut pas fétichiser l'outil. Les contenus sont importants et les applications simples sont souvent les meilleures. Il ne faut pas chercher à faire sophistiqué sur des smartphones : les meilleures applications que je connaisse sont toutes simples. Je prendrai l'exemple de l'application du musée d'art de Brooklyn qui permet d'interroger en direct le musée. Une équipe est là pour répondre via un système de messagerie instantanée. Les répondants savent géolocaliser la personne qui les interroge. Ce système de médiation instantanée, qui utilise le numérique, permet de ne pas mettre dix personnes par salle, mais plutôt de n'en mobiliser que dix pour tout le musée. C'est très efficace et simple.

D'autres exemples montrent qu'il faut trouver la bonne solution d'accompagnement numérique mais que l'humain reste important, surtout pour des gens qu'intimident les lieux culturels. Un lieu culturel dédié à l'Assemblée nationale peut même susciter une double intimidation car le lieu est impressionnant par nature, par son architecture. Il faut donc que vous réfléchissiez à la manière de faire tomber cette barrière symbolique pour que les gens osent poser des questions. Souvent, les gens n'osent pas le faire car ils ont peur de se trouver bêtes. Un des fondateurs du Centre Georges-Pompidou disait qu'il voulait mettre dans les salles des mères de famille, car elles seraient capables de parler à tout le monde. On ne le ferait plus aujourd'hui mais l'idée est de trouver des gens capables de se mettre à la place des visiteurs qu'on accueille. Ces visiteurs, divers, seront intimidés et ne sauront pas forcément ce qu'ils viennent faire chez vous.

Quant à l'accueil des étrangers, il ne posera plus de problème de traduction dans une dizaine d'années, car nous aurons des systèmes d'interfaçage plurilingues automatiques. N'importe qui pourra converser avec une personne parlant une autre langue sans aucune difficulté. Nous appliquons la « loi Toubon », qui permet une expression en plusieurs langues : le français, l'anglais et l'espagnol, sans oublier la langue des signes et le braille car nous menons une grande politique en direction des personnes porteuses de handicap. Nous animons, depuis les origines, le groupe de bonnes pratiques des établissements culturels en matière d'accessibilité, groupe intitulé Réunion des établissements culturels pour l'accessibilité. Nous avons en la matière un savoir-faire et sommes consultés dans le monde entier sur ces sujets. L'attention qu'on porte aux gens qui voient mal, qui entendent mal ou qui ont des difficultés à se déplacer bénéficie à tout le monde. Il faut penser à prévoir des sièges, des lieux de repos et des endroits où l'on ne fait rien, où l'on respire et où l'on regarde par la fenêtre. Les lieux culturels ne sont pas que des distributeurs de contenu mais aussi des lieux de vie où les gens doivent se sentir bien. Il faut donner aux gens à manger, à boire et de quoi s'asseoir. Il faut prévoir des services d'information adéquats. C'est aussi en portant attention à ces petites choses que l'on crée un contexte d'accueil.

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