Lorsque nous sommes intervenus dans les centres sociaux, c'était auprès de publics en très grande précarité, de gens qui souvent vivaient dans la rue, et étaient hébergés avec difficultés. Des populations qui ne restaient pas forcément très longtemps, venaient dans nos ateliers pendant une heure et repartaient, mais la réponse que je ferais à leur sujet vaut pour tous les cas : si nous l'organisons, ça marche.
Nous travaillions pendant plusieurs mois dans un même centre social, et une visite des expositions du Grand Palais a été organisée, la chose était la même lorsque nous travaillions dans des centres d'accueil des migrants. Donc cela fonctionne très bien, et c'est toujours une joie pour nous de voir le plaisir des publics migrants en précarité, des habitants de Gonesse, lorsqu'ils visitent le Grand Palais pour la première fois, et que nous les accueillons bien.
Mais il faut préparer ces visites, organiser les transports des visiteurs, ce que je crois que mes collègues des autres musées font ; je pense notamment au directeur du Musée du Quai Branly, qui est beaucoup intervenu à Clichy‑Montfermeil et a affrété des bus pour faire venir les visiteurs. Dans ces conditions, le succès est au rendez-vous, et la question est toujours un peu la même, très humaine, il faut tisser un lien, il faut qu'il y ait de la confiance, il faut que ça crée du sens, alors la visite en est d'autant plus utile.
La dernière question que vous avez posée est très intéressante, nous-mêmes sommes en train de réfléchir à la dématérialisation totale ou partielle d'une exposition.
Nous avons ainsi organisé une exposition virtuelle de sensibilisation aux œuvres et patrimoine en péril ; c'était au moment où Palmyre était très menacée ; Khorsabad, le Krak des Chevaliers, la grande mosquée de Damas étaient aussi évoqués. Dans une grande salle, semblable à celle dans laquelle nous nous trouvons, située dans une des galeries du Grand Palais, étaient projetés de courts films en relief de trois minutes, présentant chacun des sites avec très peu d'explications.
Cette manifestation avait été organisée avec le Musée du Louvre, et présentait un propos scientifique très fort. Cinq œuvres seulement étaient montrées, mais l'essentiel résidait dans ce que nous avions appelé le lieu universel où les films étaient projetés, accompagnés d'une musique créée pour l'occasion et diffusée à faible volume, ce qui rendait un effet spectaculaire. L'exposition n'a malheureusement duré que trois semaines, ce qui fait que malgré son succès, elle n'a pas enregistré un nombre très important de visiteurs.
La question est de savoir comment il est possible, à travers ce type d'environnement, à travers des choses qui sont de l'ordre de l'exposition, mais sans artefacts concrets, d'organiser un événement. Car cela demeure de l'ordre de l'exposition parce que vous demandez au visiteur de déplacer son corps physiquement, d'y passer un certain temps, d'avoir une certaine latitude de déplacement et de points de vue. À cet égard, les choses diffèrent du cinéma, où vous êtes fixe et attendez, et êtes dépendant de la temporalité qui se présente à vous.
Comment concevoir des environnements de ce type ? Il me semble que les musées consacrés aux sciences sont beaucoup plus avancés dans ce domaine. Nous avons travaillé avec un concepteur multimédia franco-allemand, actif dans le monde entier, qui à mon sens est un des meilleurs dans cette discipline, il s'adresse principalement aux musées de sciences ; et son objet est véritablement la question de l'image dans l'espace.
Votre propos est plutôt celui de ce que l'on appelle une exposition de société ; je pense au musée des Confluences, qui constitue une très belle réalisation. Un travail de commissariats à plusieurs a été retenu, qui fonctionne bien – à partir d'une collection qui n'était pas évidente, car elle va dans plusieurs directions –, et a permis de tenir un discours anthropologique tout à la fois très profond et très sensible. Ce musée présente certes des artefacts, mais les objets servent un propos, il n'y a donc pas que des artefacts. Certains objets sont plus symboliques, parfois agrandis et projetés, mais je considère qu'il faut aller vers le spectaculaire, et raconter une histoire ; ce que l'on fait toujours dans une exposition, mais certaines histoires peuvent être plus ou moins faciles à comprendre, plus ou moins perceptibles.
De fait, l'histoire ainsi racontée procède toujours des intentions du commissaire ; qui a toujours envie de raconter une histoire. Nous interrogeons souvent les visiteurs en sortie de l'exposition, et nous réalisons que le visiteur a compris une histoire totalement différente, ce qui est sa liberté, bien sûr, mais peut-être est-ce lorsque le visiteur a compris l'histoire que l'on souhaitait raconter qu'il est possible de considérer que l'exposition est d'une certaine manière plutôt réussie.
Dans le domaine des arts, la question de raconter une histoire est peut-être moins indispensable puisque, à l'exposition Kupka, on peut considérer que l'histoire est racontée par les œuvres avant tout ; cela, même si on essaye de faire comprendre pourquoi cet homme a connu ce parcours artistique.
Mais lorsqu'il s'agit de thématiques de société, je pense à notre exposition Sites éternels, il me semble qu'il faut trouver de nouveaux moyens, se libérer de l'artefact ou qu'à un moment donné il vienne porter un chemin sémantique sur lequel on peut s'appuyer. Il me semble donc que des musées de société, des expositions de société, des musées de sciences, vous aideront certainement à trouver les façons de créer l'exposition ; de donner du sens et de l'explication sans forcément se fonder sur des objets. L'objet ramène à une ambiance plus muséale, moins facile au premier abord, l'objet étant très riche de sens, il faut se pencher sur lui, le considérer, et son sens n'est pas toujours perceptible sans explications.
L'autre possibilité, si vous présentez une sorte d'exposition multimédia, consiste à jouer sur de cordes plus émotionnelles, ainsi pouvez-vous utiliser le son ; dans une exposition muséale classique, il n'y en a pas. Or, on le sait très bien, dès que l'on supprime la musique d'un film de suspense, tout à coup on n'a plus peur. La musique, en tout cas le son, constitue un élément très important.
Ce que vous souhaitez présenter relève du discours, le travail politique est un travail de la parole, de langage, ce qui implique aussi les archives. La question de la citoyenneté transparaît à travers le discours politique, qui lorsqu'il est élevé donne aussi beaucoup de sens, et révèle le poids de l'histoire et du parcours historique. Ce type de contenu se prête très bien à l'itinérance et la modularité.
Vous connaissez l'exemple du parlement anglais, qui a créé un dispositif multimédia adaptable à différents lieux d'une dimension allant de 150 m2 à 200 m2 ou 500 m2, qui peut se déplacer, aller dans des mairies ou des salles communales, etc. C'est un peu ce que fait la Micro-folie, cela peut être décliné en cahier des charges de conception multimédia, sur la base d'un lieu de 500 m2, qui devrait pouvoir s'adapter à d'autres espaces, et être relativement simple à réutiliser.
L'association Bibliothèques sans frontières, aujourd'hui très connue, et que nous avons rencontrée, a conduit un travail de packaging avec Philippe Starck pour intervenir dans des camps de réfugiés ou en France dans des écoles et des centres sociaux, et mettre à disposition des sources numériques ou physiques.
Cette initiative n'est pas exactement transposable, mais, si on souhaite toucher un large public, du spectaculaire est nécessaire, et la pédagogie doit faire appel à la sensibilité et donner envie. La question du commissariat demeure certes posée, mais l'artiste doit conserver toute sa place, ainsi, pour l'organisation de l'exposition Sites éternels, avons-nous fait appel à un cinéaste. Et le concepteur franco-allemand que j'ai évoqué était au départ un homme de cinéma. Ce sont des gens habitués à se poser la question de savoir comment raconter une histoire avec une image.
Certes, le multimédia est désormais partout et peut sembler déjà bien connu, mais la mise en scène à l'aide des gestionnaires de contenu disponibles, avec la meilleure qualité d'image possible, les dispositifs sonores, offre de nouvelles possibilités qu'il faut saisir. Votre particularité est que l'institution est sérieuse alors que le lieu que vous souhaitez créer doit être très ouvert : comment respecter cette exigence de sérieux tout en rendant la forme attractive ?