Intervention de Michel Villac

Réunion du mardi 19 novembre 2019 à 18h05
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge :

Vous avez rappelé la fonction du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. Pour rappel, nous avons trois formations à l'intérieur du Haut Conseil :

- une sur la famille, que je préside ;

- une sur l'enfance, qui prend les mêmes sujets, mais du point de vue des enfants, présidée par Sylviane Giampino ;

- une sur les questions d'âge, présidée par Bertrand Fragonard.

Nous avons une présidence tournante. C'est mon tour, cette année.

Par ailleurs, dans sa formule actuelle, le Haut Conseil est relativement jeune. Il a trois ans. Il avait des prédécesseurs qui ont beaucoup travaillé. Votre questionnement étant assez général et remontant à assez loin, je vais aborder des points qui seront basés sur des réflexions propres du Haut Conseil. Je me permettrai donc peut-être quelques digressions, à titre d'« expert » de ce sujet.

Vos questions remontent à assez loin, puisqu'elles démarrent au début du XXème siècle, sur les évolutions et les politiques de la famille depuis ce moment-là. Personnellement, je trouve pertinent de remonter et d'essayer de comprendre d'où nous partons, puisque c'est un moyen de comprendre un certain nombre de spécificités de la politique familiale française. Cela a été un sujet permanent d'attention, de débats politiques et sociaux depuis assez longtemps. C'est peut-être une particularité par rapport à un certain nombre de nos voisins, ces derniers n'en faisant généralement pas beaucoup moins que nous – et même parfois plus concernant un certain nombre de nos voisins européens – mais sans avoir tout un discours construit autour de cela. C'est important de remonter pour voir d'où cela vient.

Au début du XXème siècle, la France avait une forte composante rurale, avec une composante urbaine autour du développement de l'industrie. Dans la France rurale, qui avait quand même un poids politique important, les questions d'activité féminine ne se posaient pas. Tout le monde travaillait. Quand on parle d'activité féminine, on parle du salariat. Au début du siècle, les femmes travaillaient mais elles étaient avec leurs familles sur l'exploitation. A l'époque, il y avait aussi une certaine importance de tous les sujets liés au patrimoine et à la transmission sur longue période, qui sont plutôt passés derrière nous avec le développement d'une société de salariat.

Dans les années 50, nous sommes sur un modèle de famille patriarcal. Monsieur est au travail et madame s'occupe des enfants à la maison. Elle travaillait peut-être avant et retravaillera peut-être après, mais le modèle dominant à l'époque est celui-ci. Il y avait alors une allocation aussi importante que les allocations familiales : l'allocation de salaire unique, qui répondait à ce besoin. Progressivement, nous avons eu un passage à une famille avec des couples de biactifs. Nous pouvons penser que c'est aux alentours des années 80 que les couples biactifs sont devenus majoritaires. Aujourd'hui, le modèle dominant est celui de la famille biactive. Nous sommes passés d'une famille traditionnelle hiérarchisée – y compris entre hommes et femmes – à une famille dite contractuelle – d'après les dires des sociologues des années 80 – dans laquelle l'union est plus un contrat passé entre conjoints. Il peut être dénoncé par chacun des deux co-contractants.

À partir des lois de 1975 qui entérinaient une pression de la société, nous avons assisté à une augmentation importante des divorces. Maintenant, ce sont des ruptures d'unions, puisque le mariage n'est plus obligatoirement le modèle dominant. Il faut avoir en tête qu'il s'agit pour la plus grande partie de ruptures d'unions libres. Viennent ensuite les ruptures de couples mariés, puis les ruptures de PACS, ces dernières pouvant correspondre à des reprises sous forme de mariage, ou autre. L'autre phénomène important est le grand nombre de ruptures. Cela n'indique pas obligatoirement une crise du couple en tant qu'institution. Derrière une rupture d'union, il y a souvent – plus ou moins tard – un enchaînement de différentes unions. Les hommes se remettent généralement en couple plus vite que les femmes. Cela entraîne donc le développement de familles recomposées. D'après les données récentes de l'INSEE, il y a environ 350 000 enfants concernés par une rupture d'union sur l'année de l'étude. Nous ne sommes pas loin de la moitié d'une génération. Cela veut dire que ce n'est plus du tout un phénomène marginal. Dans la vie des enfants, le fait d'être amené à vivre une rupture d'union de ses parents et éventuellement une recomposition de la famille, n'est plus du tout un élément anecdotique. C'est un élément qui devient important et qui a encore tendance à croître.

Il est également à noter qu'historiquement, concernant les ruptures d'unions, la loi a fortement encadré tout ce qui est relatif au mariage, notamment avec l'évolution du divorce par consentement mutuel. Nous voyons aujourd'hui que la majorité des unions qui se rompent sont en dehors de ce cadre protecteur, y compris au moment de la rupture. Cela correspond certainement à l'idée que si les gens font le choix de ne pas avoir une union entérinée par des formes, il faut qu'ils en assument toutes les conséquences. Néanmoins, cela peut poser question en ce qui concerne les enfants et les conséquences de la rupture sur ces derniers. Sur le papier, la loi est protectrice s'agissant de l'obligation alimentaire vis-à-vis de l'ensemble des enfants, quelle que soit la situation maritale de leurs parents. Ceci dit, elle prévoit qu'en cas de rupture, la convention fixe les choses relatives à l'autorité parentale, à la contribution à l'éducation et à l'entretien des enfants. C'est bien contrôlé dans le cadre des ruptures de mariage, puisqu'il faut passer devant le juge ou faire entériner une convention devant notaire. Dans les autres cas, l'application de cette disposition est probablement soumise à la bonne volonté des parties. Avec la nouvelle loi sur le divorce, chacun doit avoir un avocat qui défend ses intérêts. Il n'y a pas cette protection pour les ex-conjoints, ni pour les enfants. Cela peut nous amener à nous demander s'il ne faudrait pas, bien que nous soyons dans un cadre non-régulé, réfléchir à l'adaptation des réglementations ou des législations en la matière.

Pour revenir un peu sur l'historique, ce sont des travaux que nous avions faits avec Jacques Commaille et Pierre Strobel. Nous avions publié un petit opuscule dans la collection La découverte, sur les origines et les caractéristiques de la politique familiale française. Nous mettions en évidence le fait que notre politique familiale s'est bâtie au cours du temps dès la fin du XIXème siècle, sur un équilibre entre trois conceptions. La première est une conception traditionnelle de la famille, sans y mettre un caractère péjoratif. La famille est un lieu de socialisation des enfants et de transmission des valeurs, s'appuyant sur une organisation assez hiérarchisée, dans laquelle les parents – plutôt le père – ont une fonction forte autour de cette transmission des valeurs. C'était un courant très fort à la fin du XIXème siècle, autour de l'éloge de la famille nombreuse, avec 6 ou 7 enfants, porteuse de valeurs parce qu'il fallait assumer le fait d'élever et d'éduquer des familles nombreuses. C'est un premier courant que l'on retrouve dans les débats que nous avons aujourd'hui, en nous demandant ce que nous faisons quand la famille et les parents n'assument pas leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants. Par exemple, faut-il leur enlever les allocations familiales ?

La deuxième conception héritière de la Révolution française, repose sur l'affirmation de la primauté de l'individu (liberté, égalité…). Cette liberté de l'individu s'opère dans la famille et contre l'ordre familial. Tous les membres de la famille – y compris les enfants, maintenant – ont des droits équivalents. Ceci s'est traduit dans les dernières périodes par la montée du féminisme, et toutes les questions autour du droit des enfants, et aujourd'hui, par toutes les réflexions autour des droits des personnes dites LGBT, etc. En tant qu'individu, j'ai des droits qui doivent être affirmés indépendamment de la famille elle-même. Cela se traduit aussi par l'avancée des idées féministes, concernant l'égalité des droits des parents, ou des droits à l'activité professionnelle, cela étant vu comme un droit équivalent des deux conjoints.

La troisième conception est plutôt issue du traumatisme qu'a constitué la défaite de 1870, dans laquelle tout un courant de pensée en France a vu les conséquences de la dénatalité française. Un siècle avant ses voisins, elle a connu ce qu'on appelle la transition démographique, la baisse de la fécondité liée au contrôle des naissances, y compris dans les campagnes, alors que c'était le pays le plus peuplé d'Europe au début du XIXème siècle. Nous avons ensuite assisté à l'essor des thèses natalistes, qui se sont exprimées autour de l'idée de la famille « normale », c'est-à-dire une famille où il faut au minimum trois enfants : un pour remplacer la mère, un pour remplacer le père et un troisième pour les aléas de la vie.

Cette origine historique explique probablement l'accent particulier que nous avons sur le troisième enfant, qui est une spécificité française dans nos politiques. Nous appelons aussi cela le courant des besoins sociaux, nous demandant plutôt maintenant quelle politique construire pour répondre aux besoins de la population. Au cours du temps, notre politique familiale est liée à un équilibre entre ces trois composantes, que nous avons tous dans des proportions différentes, selon nos sensibilités.

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