Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Réunion du mardi 19 novembre 2019 à 18h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • allocation
  • assistante
  • maternelle
  • pauvreté
  • rupture

La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Mardi 19 novembre 2019

La séance est ouverte à dix-huit heures cinq.

(Présidence de M. Stéphane Viry, président de la mission d'information de la Conférence des présidents)

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Après une longue interruption de nos travaux due à un calendrier particulièrement chargé en cette période de l'année, et après discussion et examen du Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) et du budget, notre mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIème siècle reprend ses cycles d'auditions.

Nous avons commencé par une approche générale en auditionnant sur la notion de famille et ses évolutions. Nous avons auditionné des sociologues, des économistes, des philosophes et nous poursuivons aujourd'hui ce cycle d'auditions en accueillant des acteurs de la politique familiale. Monsieur Villac, vous qui êtes président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge – entité qui a été créée en 2016 – vous êtes aujourd'hui venu pour nous éclairer de votre regard. L'entité que vous présidez a pour mission d'animer le débat public. Vous êtes donc ici chez vous. Elle a également pour objet d'apporter aux pouvoirs publics une expertise prospective et transversale sur les questions liées à la famille, à l'enfance et à l'adaptation de la société au vieillissement. C'est une approche intergénérationnelle. Vous émettez des avis ainsi que des recommandations sur des objectifs qui vous paraissent prioritaires par rapport aux politiques de la famille. C'est donc logiquement que Mme la rapporteure et moi-même avons souhaité, avec les membres de la mission, vous recevoir aujourd'hui pour que nous puissions échanger sur les évolutions et les orientations de la politique de la famille.

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Vous avez parfaitement résumé le cadre de nos travaux et de nos missions : l'adaptation de la politique familiale aux grands défis du XXIème, et ils sont nombreux.

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Vous avez rappelé la fonction du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge. Pour rappel, nous avons trois formations à l'intérieur du Haut Conseil :

- une sur la famille, que je préside ;

- une sur l'enfance, qui prend les mêmes sujets, mais du point de vue des enfants, présidée par Sylviane Giampino ;

- une sur les questions d'âge, présidée par Bertrand Fragonard.

Nous avons une présidence tournante. C'est mon tour, cette année.

Par ailleurs, dans sa formule actuelle, le Haut Conseil est relativement jeune. Il a trois ans. Il avait des prédécesseurs qui ont beaucoup travaillé. Votre questionnement étant assez général et remontant à assez loin, je vais aborder des points qui seront basés sur des réflexions propres du Haut Conseil. Je me permettrai donc peut-être quelques digressions, à titre d'« expert » de ce sujet.

Vos questions remontent à assez loin, puisqu'elles démarrent au début du XXème siècle, sur les évolutions et les politiques de la famille depuis ce moment-là. Personnellement, je trouve pertinent de remonter et d'essayer de comprendre d'où nous partons, puisque c'est un moyen de comprendre un certain nombre de spécificités de la politique familiale française. Cela a été un sujet permanent d'attention, de débats politiques et sociaux depuis assez longtemps. C'est peut-être une particularité par rapport à un certain nombre de nos voisins, ces derniers n'en faisant généralement pas beaucoup moins que nous – et même parfois plus concernant un certain nombre de nos voisins européens – mais sans avoir tout un discours construit autour de cela. C'est important de remonter pour voir d'où cela vient.

Au début du XXème siècle, la France avait une forte composante rurale, avec une composante urbaine autour du développement de l'industrie. Dans la France rurale, qui avait quand même un poids politique important, les questions d'activité féminine ne se posaient pas. Tout le monde travaillait. Quand on parle d'activité féminine, on parle du salariat. Au début du siècle, les femmes travaillaient mais elles étaient avec leurs familles sur l'exploitation. A l'époque, il y avait aussi une certaine importance de tous les sujets liés au patrimoine et à la transmission sur longue période, qui sont plutôt passés derrière nous avec le développement d'une société de salariat.

Dans les années 50, nous sommes sur un modèle de famille patriarcal. Monsieur est au travail et madame s'occupe des enfants à la maison. Elle travaillait peut-être avant et retravaillera peut-être après, mais le modèle dominant à l'époque est celui-ci. Il y avait alors une allocation aussi importante que les allocations familiales : l'allocation de salaire unique, qui répondait à ce besoin. Progressivement, nous avons eu un passage à une famille avec des couples de biactifs. Nous pouvons penser que c'est aux alentours des années 80 que les couples biactifs sont devenus majoritaires. Aujourd'hui, le modèle dominant est celui de la famille biactive. Nous sommes passés d'une famille traditionnelle hiérarchisée – y compris entre hommes et femmes – à une famille dite contractuelle – d'après les dires des sociologues des années 80 – dans laquelle l'union est plus un contrat passé entre conjoints. Il peut être dénoncé par chacun des deux co-contractants.

À partir des lois de 1975 qui entérinaient une pression de la société, nous avons assisté à une augmentation importante des divorces. Maintenant, ce sont des ruptures d'unions, puisque le mariage n'est plus obligatoirement le modèle dominant. Il faut avoir en tête qu'il s'agit pour la plus grande partie de ruptures d'unions libres. Viennent ensuite les ruptures de couples mariés, puis les ruptures de PACS, ces dernières pouvant correspondre à des reprises sous forme de mariage, ou autre. L'autre phénomène important est le grand nombre de ruptures. Cela n'indique pas obligatoirement une crise du couple en tant qu'institution. Derrière une rupture d'union, il y a souvent – plus ou moins tard – un enchaînement de différentes unions. Les hommes se remettent généralement en couple plus vite que les femmes. Cela entraîne donc le développement de familles recomposées. D'après les données récentes de l'INSEE, il y a environ 350 000 enfants concernés par une rupture d'union sur l'année de l'étude. Nous ne sommes pas loin de la moitié d'une génération. Cela veut dire que ce n'est plus du tout un phénomène marginal. Dans la vie des enfants, le fait d'être amené à vivre une rupture d'union de ses parents et éventuellement une recomposition de la famille, n'est plus du tout un élément anecdotique. C'est un élément qui devient important et qui a encore tendance à croître.

Il est également à noter qu'historiquement, concernant les ruptures d'unions, la loi a fortement encadré tout ce qui est relatif au mariage, notamment avec l'évolution du divorce par consentement mutuel. Nous voyons aujourd'hui que la majorité des unions qui se rompent sont en dehors de ce cadre protecteur, y compris au moment de la rupture. Cela correspond certainement à l'idée que si les gens font le choix de ne pas avoir une union entérinée par des formes, il faut qu'ils en assument toutes les conséquences. Néanmoins, cela peut poser question en ce qui concerne les enfants et les conséquences de la rupture sur ces derniers. Sur le papier, la loi est protectrice s'agissant de l'obligation alimentaire vis-à-vis de l'ensemble des enfants, quelle que soit la situation maritale de leurs parents. Ceci dit, elle prévoit qu'en cas de rupture, la convention fixe les choses relatives à l'autorité parentale, à la contribution à l'éducation et à l'entretien des enfants. C'est bien contrôlé dans le cadre des ruptures de mariage, puisqu'il faut passer devant le juge ou faire entériner une convention devant notaire. Dans les autres cas, l'application de cette disposition est probablement soumise à la bonne volonté des parties. Avec la nouvelle loi sur le divorce, chacun doit avoir un avocat qui défend ses intérêts. Il n'y a pas cette protection pour les ex-conjoints, ni pour les enfants. Cela peut nous amener à nous demander s'il ne faudrait pas, bien que nous soyons dans un cadre non-régulé, réfléchir à l'adaptation des réglementations ou des législations en la matière.

Pour revenir un peu sur l'historique, ce sont des travaux que nous avions faits avec Jacques Commaille et Pierre Strobel. Nous avions publié un petit opuscule dans la collection La découverte, sur les origines et les caractéristiques de la politique familiale française. Nous mettions en évidence le fait que notre politique familiale s'est bâtie au cours du temps dès la fin du XIXème siècle, sur un équilibre entre trois conceptions. La première est une conception traditionnelle de la famille, sans y mettre un caractère péjoratif. La famille est un lieu de socialisation des enfants et de transmission des valeurs, s'appuyant sur une organisation assez hiérarchisée, dans laquelle les parents – plutôt le père – ont une fonction forte autour de cette transmission des valeurs. C'était un courant très fort à la fin du XIXème siècle, autour de l'éloge de la famille nombreuse, avec 6 ou 7 enfants, porteuse de valeurs parce qu'il fallait assumer le fait d'élever et d'éduquer des familles nombreuses. C'est un premier courant que l'on retrouve dans les débats que nous avons aujourd'hui, en nous demandant ce que nous faisons quand la famille et les parents n'assument pas leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants. Par exemple, faut-il leur enlever les allocations familiales ?

La deuxième conception héritière de la Révolution française, repose sur l'affirmation de la primauté de l'individu (liberté, égalité…). Cette liberté de l'individu s'opère dans la famille et contre l'ordre familial. Tous les membres de la famille – y compris les enfants, maintenant – ont des droits équivalents. Ceci s'est traduit dans les dernières périodes par la montée du féminisme, et toutes les questions autour du droit des enfants, et aujourd'hui, par toutes les réflexions autour des droits des personnes dites LGBT, etc. En tant qu'individu, j'ai des droits qui doivent être affirmés indépendamment de la famille elle-même. Cela se traduit aussi par l'avancée des idées féministes, concernant l'égalité des droits des parents, ou des droits à l'activité professionnelle, cela étant vu comme un droit équivalent des deux conjoints.

La troisième conception est plutôt issue du traumatisme qu'a constitué la défaite de 1870, dans laquelle tout un courant de pensée en France a vu les conséquences de la dénatalité française. Un siècle avant ses voisins, elle a connu ce qu'on appelle la transition démographique, la baisse de la fécondité liée au contrôle des naissances, y compris dans les campagnes, alors que c'était le pays le plus peuplé d'Europe au début du XIXème siècle. Nous avons ensuite assisté à l'essor des thèses natalistes, qui se sont exprimées autour de l'idée de la famille « normale », c'est-à-dire une famille où il faut au minimum trois enfants : un pour remplacer la mère, un pour remplacer le père et un troisième pour les aléas de la vie.

Cette origine historique explique probablement l'accent particulier que nous avons sur le troisième enfant, qui est une spécificité française dans nos politiques. Nous appelons aussi cela le courant des besoins sociaux, nous demandant plutôt maintenant quelle politique construire pour répondre aux besoins de la population. Au cours du temps, notre politique familiale est liée à un équilibre entre ces trois composantes, que nous avons tous dans des proportions différentes, selon nos sensibilités.

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Vous avez parlé des différences de traitement pour l'ex-conjoint et l'enfant dans le cas de rupture d'une union libre. C'est un sujet qui nous préoccupe beaucoup, notamment à travers la protection de l'enfance. J'aimerais savoir si vous avez déjà des pistes de réflexion à nous fournir. Il existe de nombreux dispositifs autour de la famille – prestations, allocations – pas forcément très lisibles. Selon vous, serait-il pertinent de les reprendre pour les simplifier ? Pensez-vous qu'il serait aujourd'hui pertinent de repenser complètement les allocations familiales, imaginer qu'elles puissent être reversées dès le premier enfant, et éventuellement forfaitisées ? Selon vous, quelle est l'évolution qui serait adaptée à la famille ?

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Je m'exprimerai plutôt à titre personnel, parce que le Haut Conseil n'a pas spécifiquement travaillé sous cet angle précis. Vous avez demandé si les trois axes de la politique familiale – l'ensemble des familles, lutte contre la pauvreté et aide à la conciliation – doivent rester. Je pense que oui, mais ils s'expriment dans des sujets de nature différente. Aujourd'hui, le cœur de la partie « soutien à l'ensemble des familles », le côté universel de la politique familiale concerne plutôt les politiques autour des enfants, notamment l'accueil du jeune enfant. Il faudrait probablement avoir une vision plus large des activités de socialisation, de développement – y compris pour les enfants plus grands – autour d'une logique d'investissement social. Ce que nous faisons pour les enfants est très important car c'est un investissement pour l'avenir. Il ne faut donc pas rater les choses que l'on fait pour les enfants, en sachant qu'aujourd'hui, il y a encore beaucoup de difficultés à dépasser, notamment en termes d'égalité des chances. Nous savons bien que les inégalités sociales se reproduisent et que l'école est potentiellement un vecteur important d'égalité des chances, mais elle n'y arrive pas complètement. Il y a probablement tout un ensemble de choses à faire en termes de politique familiale. Il y a eu beaucoup de réflexions ces derniers temps pour penser l'accueil des jeunes enfants sous cet angle-là. Les premières années des enfants sont des années fondamentales dans le développement et l'acquisition d'éveil, de vocabulaire et il est important de pouvoir offrir les meilleures options de socialisation et d'éveil à l'ensemble des enfants. Nous savons que ceci est assez inégal. Par exemple, les crèches sont plutôt situées dans les communes aisées. Toutefois, il ne faut pas abandonner l'objectif d'égalité, d'accès au travail pour les deux conjoints, et la priorité sur les couples dits actifs, mais il faut aussi prioriser l'aide à l'intégration des enfants de familles moins favorisées, ce qui suppose probablement tout un ensemble de dispositifs d'accompagnement.

L'objectif de conciliation vie familiale et vie professionnelle est aussi un objectif important. Cela passe aussi par l'aide aux enfants. Le troisième aspect porte sur l'aide financière, le côté redistributif de la politique familiale. Tout le monde cotise. Nous allons plutôt donner cet argent en direction d'un certain nombre de personnes. Les niveaux de vie moyens se sont améliorés. Nous n'avons plus de problème de très bas niveau de vie moyen de l'ensemble de la population comme en 1945. Les priorités ne sont plus les mêmes. Cela paraît assez légitime de progressivement en faire plus pour les familles moyennement modestes et les familles modestes, et d'avoir un accent particulier sur la lutte contre la pauvreté. L'une de nos caractéristiques est un taux de pauvreté des enfants élevé, défini avec des indicateurs internationaux. Il est pratiquement d'un enfant sur cinq. Cela fait 2,8 millions d'enfants de moins de 18 ans, c'est quand même beaucoup. Ils sont concentrés dans deux types de familles : les familles monoparentales, notamment à partir du deuxième enfant ; les familles nombreuses, notamment à partir du quatrième enfant. Là-dessus, nous sommes un peu en porte-à-faux avec notre barème des allocations familiales, parce que pour les familles monoparentales, c'est avant le troisième enfant, et pour les familles nombreuses, c'est plutôt à partir du quatrième. Il y a vraiment à réfléchir là-dessus.

Pour aller plus loin, je pense que par rapport aux fondements de notre politique qui était basée sur la logique du ménage et du couple durables avec le père, la mère et les enfants, l'imposition et les allocations familiales ont été construites autour de ce modèle. Aujourd'hui, dans nos modèles, les choses sont de plus en plus mobiles. L'affirmation des individus devant l'impôt est de plus en plus forte, et les thèses défendant un impôt individualisé prenant en compte a posteriori les charges de famille sous forme de dégrèvements sont en train de gagner. C'est probablement une évolution vers laquelle nous irons, mais qui fera beaucoup de perdants au moment de la bascule, avec sûrement des gagnants d'un autre côté. Ce sont des évolutions qui sont complexes à entreprendre.

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En matière de petite enfance et par rapport à la lutte contre la pauvreté, avec le quatrième enfant dans la famille, pensez-vous que c'est plus une question de barème que de dispositif ?

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Je pense qu'il y a un sujet structurel. En amont, nous nous demandons pourquoi ces familles sont dans cette situation-là. C'est le point le plus important pour intervenir préventivement dans la mesure du possible, ensuite, il y a l'intervention curative. Nous nous apercevons que globalement, notre système socio fiscal – au sens large – a un effet important de réduction des taux de pauvreté, entre la situation avant prélèvement et redistribution, et la situation qui suit, y compris pour les familles que j'évoquais tout à l'heure. Il faut avoir en tête que parmi les prestations qui ont un effet important, il y a les prestations de logement. Elles ne sont pas faites pour cela, mais à part les revenus minimums, les minima sociaux sont les prestations les plus redistributives vers les familles modestes. Les prestations ont un effet important, mais insuffisant. Il apparaît paradoxal que les minima sociaux jouent assez peu, en particulier parce que le seuil du RSA est en dessous du taux de pauvreté. Par conséquent, une bonne part des familles qui sont pauvres sont en dessous du seuil de pauvreté mais au-dessus du seuil du RSA, ce qui explique qu'elles n'en bénéficient pas. Nous avions essayé de réfléchir à plusieurs options dans notre rapport sur la pauvreté : jouer sur le barème du RSA pour obtenir un résultat qui soit plus favorable pour les familles ; jouer sur la prime d'activité mais c'était compliqué, et mettre en place une prestation sous conditions de ressources par enfant en situation très modeste. Nous avions calibré cela à des niveaux assez bas, autrement les chiffres montent assez vite. C'est la prestation par enfant qui améliore le plus la situation. Les autres n'étant pas ciblées spécifiquement sur les familles les plus modestes, il y a toute une série de personnes qui en bénéficient qui ne sont pas les plus en situation de pauvreté. Améliorer les prestations par enfant serait certainement l'une des voies pour diminuer le degré de la pauvreté.

En effet, quand vous êtes sous le seuil de pauvreté, vous pouvez en être plus ou moins éloigné. Plus vous en êtes éloigné, plus l'effet de prestations de ce type ciblé pour les enfants, n'améliore pas le taux de pauvreté, mais diminue l'intensité de la pauvreté, et améliore le niveau de vie des familles, les rapprochant du seuil de pauvreté.

Pour les familles monoparentales, la question de l'activité est centrale. Quand nous avons fait ce travail, j'ai été frappé par le fait que nous avons des taux d'activité faible, un taux de chômage significatif, mais surtout une proportion importante de femmes qui se déclarent inactives. Elles ne sont donc plus au chômage, ce qui veut dire qu'elles sont très éloignées de l'emploi, probablement pour des questions d'existence et d'éloignement durable, mais aussi parce que quand vous avez des enfants à charge, si vous n'avez pas de solution pour que quelqu'un s'en occupe, il est compliqué de chercher un emploi. En ce moment, nous avons été chargés d'une mission par plusieurs ministres pour faire des propositions à ce sujet, et voir comment offrir des solutions d'accueil. Pour les familles monoparentales, il y a un vrai sujet de rapprochement de l'emploi, qui nécessite certainement des politiques sociales spécifiques.

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Quels sont actuellement les chantiers prioritaires de votre Haut Conseil, par rapport à ces thématiques ? Avez-vous des commandes ? Avez-vous des sujets qui vont sortir pour alimenter notre réflexion ?

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

J'y reviens. Concernant le deuxième type de famille concerné par la grande pauvreté, on trouve les couples qui sont plutôt mono-actifs. Vous avez un homme qui a un emploi peu qualifié et peu rémunérateur, et une femme inactive. La question de l'activité des deux conjoints se formule ici différemment.

Par ailleurs, depuis la mise en place du Haut Conseil, nous avons travaillé collectivement avec les trois conseils sur l'accueil, et sur les congés parentaux. Nous avons travaillé avec le conseil de l'enfance sur l'accueil du jeune enfant, et sur le congé parental d'éducation, notamment sur la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE).

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

. Effectivement, cette affaire est un gâchis. L'idée, du côté de ceux qui tiennent les cordons de la bourse, était de faire des économies. Il ne faut pas se leurrer ; au nom de l'objectif d'égalité entre hommes et femmes, la réforme vise à faire en sorte que l'indemnisation du congé parental – qui peut aller jusqu'aux trois ans de l'enfant – ne puisse pas durer trois ans pour l'un des deux parents. Si les parents veulent avoir une interruption professionnelle jusqu'à l'entrée à l'école maternelle de l'enfant, il faut qu'ils prennent le congé parental chacun leur tour, à savoir deux ans au maximum pour la mère et le complément pour le père avec des possibilités de cumul entre les deux. Cela avait une chance de faire évoluer les comportements masculins, de faire en sorte que ce ne soient pas toujours les femmes qui s'arrêtent et pas leurs conjoints. En pratique, rien n'a évolué là-dessus, et comme il y a de moins en moins de bénéficiaires de cette prestation, il y a plutôt moins d'hommes qui prennent ce congé parental aujourd'hui. Ensuite, aux deux ans de l'enfant, celui qui s'est arrêté n'a plus d'indemnisation. Or à cet âge, vous ne trouvez pas une solution de garde pour votre enfant. Nous le voyons avec les chiffres. Il y avait déjà une tendance à la diminution des prestations qui existaient avant la PreParE, mais cette tendance s'est très fortement accélérée depuis la mise en place de cette prestation.

Par rapport à cela, nous avons essayé de réfléchir aux options que nous pourrions proposer. Nous partons du premier constat qu'il y a plusieurs types de modèles familiaux. Il y a un modèle familial minoritaire – environ un couple sur cinq – où l'on se dit que quand il y a un jeune enfant, la mère doit s'arrêter et le père continue à travailler. Mais 80 % pensent que les deux doivent pouvoir continuer à travailler, même si parmi eux, 50 % pensent que la mère peut travailler à temps partiel. Il y a un modèle plutôt résiduel de gens qui veulent un congé long, les autres voulant plutôt pouvoir continuer à travailler. Toutefois, dans les enquêtes qui sont passées auprès des parents, nous voyons qu'il y a une demande de pouvoir s'arrêter plus longtemps pendant la première année. Le congé maternité, au moins pour les deux premiers enfants, apparaît trop court. Il y a le souhait de pouvoir s'occuper de l'enfant – plutôt pour les mères – au moins jusqu'à ses six mois, voire jusqu'à son premier anniversaire, notamment en cas d'allaitement. Par rapport à cela, nous proposions d'avoir une option congé court mieux rémunéré. Si nous voulons que les pères puissent le prendre, comme ils ont les rémunérations les plus élevées, il faut quand même qu'ils soient mieux rémunérés. Nous proposions de maintenir en parallèle une option congé long moins bien rémunéré pour les autres, avec deux points complémentaires. Il y a une demande forte pour le temps partiel dans ses premières années, qu'il paraît légitime de vouloir accompagner. Dans ce cadre-là, il faudrait permettre à ceux qui prennent l'option congé court mieux rémunéré de pouvoir le prendre plus longtemps à temps partiel. Cela donne un même nombre de droits à des mois d'indemnisation, mais si vous le prenez à mi-temps, vous pouvez les avoir pendant plus longtemps. Par ailleurs, si l'on veut inciter les pères à s'arrêter, ce n'est pas l'indemnisation du congé parental qui sera le meilleur outil. C'est plutôt l'allongement du congé paternité, parce que si nous améliorons assez fortement l'indemnisation du congé parental, nous aurons l'effet inverse. En effet, les mères continueront éventuellement à le prendre plus longtemps en étant mieux indemnisées, et cela ne concernera finalement pas les pères.

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Un chiffre m'a frappé : 350 000 enfants vivent une rupture d'union chaque année. Cela rejoint un peu le constat que nous avons de l'augmentation des familles monoparentales. Dans la mesure où il y a une évolution dans la société et une implication forte des femmes dans la vie active, je voudrais aborder le sujet de l'inadaptation des dispositifs d'accueil pour les gardes d'enfants. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas démultiplier le nombre de crèches et micro-crèches. Il y a un travail qui est fait avec le relais d'assistantes maternelles, mais cela ne suffit pas. Par rapport aux communes riches et les autres que nous retrouvons dans le monde rural, avez-vous réfléchi à favoriser des accueils qui sortent de l'ordinaire pour pouvoir répondre à la demande dans ces territoires ?

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

. Nous l'avons abordé dans le cadre de notre rapport sur l'accueil des jeunes enfants. Nous partions du constat qu'il n'y avait pas une offre de places d'accueil pour tous les parents qui en avaient besoin pour leurs enfants. Nous avons chiffré à environ 230 000 le besoin de places d'accueil, individuel ou collectif, qu'il faudrait créer pour répondre aux besoins des parents qui en ont besoin pour pouvoir travailler. Ensuite, il y a une répartition très inégale de l'offre d'accueil. Les crèches sont plutôt concentrées dans les métropoles, les grandes villes et les communes aisées qui ont des ressources. Les assistantes maternelles sont plutôt réparties dans les périphéries des villes. Après, il y a un certain nombre d'endroits dans lesquels l'offre d'accueil est très faible.

Traditionnellement, quand nous parlions des politiques d'accueil, l'accent était toujours mis sur l'accueil collectif. Or, nous voyons bien que ce n'est pas celui qui est le plus utilisé. L'accueil le plus important est fait par les parents eux-mêmes. Viennent ensuite les assistantes maternelles, puis les crèches. Si nous voulons développer l'accueil, il faut utiliser l'accueil collectif et l'accueil individuel.

La convention d'objectifs et de gestion qui avait été signée entre l'Etat et la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) pour les cinq ans précédents, avait fixé des objectifs ambitieux, de l'ordre de 200 000 à 300 000 places nouvelles à créer. Elle avait mis les moyens en termes de financement, du côté du fonds d'action sociale de la CNAF. La création de places a été très limitée. Le sujet était donc de voir quels étaient les problèmes en amont qui faisaient que cela ne marchait pas si bien. Nous avons fait toute une analyse sur les modalités de financement pour les établissements d'accueil, qui comportaient un certain nombre de biais, en insistant sur le fait qu'il fallait probablement introduire – ce qui a été fait – des critères liés au potentiel financier des communes, dans l'attribution des subventions en investissement.

Par ailleurs, nous avons beaucoup insisté sur l'accueil individuel, qui présente un paradoxe. En effet, il n'y a qu'environ 70 % des places agréées qui sont utilisées. C'est peut-être parce que les assistantes maternelles ne sont pas toujours situées dans le même secteur que les besoins. Il y a quand même un écart important.

Les parents disent que ce qui les intéresse dans la crèche est la qualité de l'accueil. Les assistantes maternelles parlent plutôt de disponibilité, commodité et adaptation aux besoins. Nous nous sommes dit qu'il fallait essayer de doper les possibilités de recours aux assistantes maternelles, en favorisant la mise en réseau, avec l'idée d'améliorer l'image de l'accueil par une assistante maternelle, dans une optique de qualité, mais aussi de manière à pouvoir développer la formation, développer les relais assistantes maternelles au niveau local, donc faire en sorte qu'à terme, l'ensemble du territoire soit couvert par ces relais. Cela vise également à développer des modes d'exercice plus collectifs sous forme de maisons d'assistantes maternelles. C'est la possibilité de regrouper dans un même local jusqu'à quatre assistantes maternelles. Cela peut être pour des communes rurales une possibilité, un peu comme les maisons de santé. Je finance ou j'aide au financement d'un local et je favorise l'émergence d'une offre. Bien entendu, les professionnels estampillés disent que nous créons des crèches au rabais, mais que nous répondons à la demande.

Enfin, les restes à charge pour les familles sont plus importants quand vous avez recours à une assistante maternelle que quand vous avez recours à une crèche. Les tarifs des crèches sont évalués en fonction des revenus. Les familles modestes paient donc des sommes qui ne sont pas très élevées, ce qui n'est pas le cas pour les assistantes maternelles. C'est un gros dossier, en termes financiers. Nous ne nous en sortirons pas si nous n'avançons pas vers une évolution du tarif du Complément de libre choix du mode de garde (CMG), pour qu'il prenne en compte les ressources.

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Considérez-vous qu'il appartienne à la politique familiale de prendre en charge à terme des dépenses publiques liées au grand âge et à la dépendance, ou est-ce un champ qui ne veut pas dépendre de la politique familiale ?

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Michel Villac, président du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Surtout pas. Il n'échappe à personne que les besoins en termes de dépendance sont assez importants. Cela va accélérer la chute relative de ce qui sera consacré aux enfants et aux besoins des familles ayant des enfants. La nature ayant horreur du vide, il y aura un effet d'aspiration extrêmement important. Au cours du temps, la politique familiale a vu régulièrement son importance décroître, ceci étant lié à l'indexation sur les prix plutôt que sur les revenus, des barèmes de la base mensuelle des allocations familiales. Il y a une tendance historique à la diminution. Aujourd'hui, nous sommes dans une phase où ils ne sont même pas indexés sur les prix. Il y a un vrai sujet de ce côté.

D'un autre côté, j'ai été pendant un moment de ma carrière responsable de la recherche des études statistiques à la CNAF, et nous financions les questions dans une enquête régulière du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC), sur les aspirations des Français. Nous les interrogions sur les différentes politiques sociales. Nous demandions par exemple quels étaient selon eux les postes de dépenses à augmenter et ceux qu'il fallait diminuer, et la politique familiale arrivait en tête. L'universalité est extrêmement importante. Elle a une forte légitimité, parce qu'à un moment ou à un autre, chacun d'entre nous y a eu à faire. L'effet Matthieu est un principe documenté par les sociologues sur les politiques sociales. L'idée est que les gens accepteront plus facilement de payer pour financer cette politique s'ils pensent qu'un jour ils peuvent en bénéficier. Si nous focalisons la politique familiale uniquement sur les plus pauvres, elle va perdre en légitimité et les gens accepteront moins de la financer. De ce point de vue, les politiques d'ultra-ciblage ne sont pas les plus efficaces.

Nous sommes en train de travailler sur des ruptures familiales. Le sujet du paiement des pensions alimentaires est à l'agenda politique. Nous avons mis le doigt un peu par hasard sur un problème. Si un père ne paie pas sa pension alimentaire, la mère a à ce moment-là droit à un certain nombre de prestations. Si pour les ménages les plus modestes, le père paie sa pension alimentaire, le revenu de la mère sera plus faible à terme, parce que le cumul entraîne la diminution ou suppression de différentes prestations sociales. La pension alimentaire vient en déduction – du côté de la mère, si c'est le cas majoritaire – soit de son RSA, soit de sa prime d'activité. D'un certain point de vue, il y a bénéfice nul de ce côté-là. La pension alimentaire arrive, mais elle est annulée parce qu'elle diminue une autre prestation.

En même temps, vous allez perdre sur les aides au logement et éventuellement sur d'autres prestations, sous conditions de ressources. Par conséquent, in fine, votre revenu sera plus bas, alors que l'objectif était l'inverse. Nous ne pouvons pas faire cela sans a minima toucher à ces règles. Nous allons proposer des choses assez ambitieuses et assez coûteuses, mais il faut au minimum dans cette opération que le paiement de la pension alimentaire soit sans incidence sur les primes d'activité, il faudrait au moins annuler cet effet, et si possible faire en sorte que les bénéficiaires gagnent un peu plus, surtout pour les enfants.

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C'est le rôle et la responsabilité de votre Haut Conseil de proposer des avis et des recommandations. Il me semble que cela va dans la bonne direction. Nous vous lirons avec beaucoup d'attention.

La séance s'achève à dix-neuf heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Présents. – Mme Nathalie Elimas, M. Olivier Gaillard, M. Gilles Lurton, M. Stéphane Viry