Je rappelerai brièvement le contexte dans lequel s'inscrit cette mission d'information.
Depuis 2012, la politique familiale a été marquée par des mesures d'économies importantes, la famille ayant servi de variable d'ajustement pour équilibrer les comptes de la sécurité sociale. À cette occasion, certains des grands objectifs de la politique familiale ont été perdus de vue, à commencer par le soutien à la natalité et le principe d'universalité de la politique familiale, qui implique une redistribution des familles sans enfant vers les familles avec enfants.
La crise sanitaire, suivie d'une crise économique et sociale, a touché les familles de plein fouet. Dans le même temps, la famille s'est imposée comme une valeur refuge.
Depuis plusieurs années, on assiste à la recomposition de la famille, des familles. Ces transformations se poursuivent avec l'examen, cette semaine, du projet de loi de bioéthique, qui place les questions de la filiation et du lignage au cœur des réflexions contemporaines.
C'est au regard de ces évolutions que nous devons réinterroger les trois objectifs de la politique familiale : le soutien à la natalité, la lutte contre la pauvreté et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
La première partie du rapport est consacrée aux différentes aides financières versées aux familles. Notre réflexion est axée sur la nécessité de rétablir l'universalité de la politique familiale, puisque l'objectif de compenser la charge liée à l'arrivée d'un enfant a été perdu de vue sous le précédent quinquennat avec la modulation des allocations familiales et l'abaissement, par deux fois, du plafond du quotient familial.
Les allocations familiales sont une prestation historique, versée à près de 5 millions de foyers et, jusqu'en 2015, de manière identique aux familles de plus de deux enfants. La modulation a entrainé une perte de revenus de près de 100 euros par mois pour les familles de deux enfants dont les revenus annuels se situent dans la troisième tranche de revenus et de 66 euros par mois pour les revenus de la deuxième tranche. En moyenne, pour les revenus de la classe intermédiaire, la perte est de 800 euros pour une famille de deux enfants, de 1 800 euros pour une famille de trois enfants, et de 2 600 euros pour une famille de quatre enfants.
En 2014, alors qu'il était question de raboter pour la deuxième fois le quotient familial, la modulation a été présentée comme une alternative. Elle a été rejetée dans un premier temps mais elle est revenue en 2015, par le biais d'un amendement de dernière minute. La modulation, en plus de mettre à bas l'universalité, pierre angulaire de la politique familiale française, contribue au manque de lisibilité de la politique familiale.
Je propose que toutes les familles éligibles bénéficient d'allocations à hauteur du montant aujourd'hui versé aux familles de la première tranche de revenu. Le coût de cette mesure, estimé à 760 millions par la CNAF, peut paraître élevé, mais il ne représente que 1,4 % des dépenses de la branche famille. Je rappelle que les mesures d'urgence, dont je ne nie pas l'utilité – aide exceptionnelle, aide aux jeunes précaires, aide alimentaire, vacances apprenantes – s'élèvent à plus de 1 milliard.
Les allocations familiales sont versées aux familles uniquement à partir du deuxième enfant, alors qu'elles constituent le principal outil permettant de compenser financièrement les charges de famille. Je souhaite que s'ouvre une réflexion sur le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Leur montant pourrait être fixé à 85 euros pour le premier, 160 euros pour le deuxième, 250 euros pour le troisième enfant.
Le plafond du quotient familial doit être relevé afin de soulager la pression fiscale. Les familles contribuent largement à la solidarité nationale en cotisant, en acquittant leurs impôts et en assurant le renouvellement des générations. Le plafond doit être porté à 1 800 euros par demi-part. Le coût de cette mesure est estimé à environ 550 millions, soit 1,2 % des dépenses de la branche famille. Je rappelle que les deux coups de rabot apportés au quotient familial ont représenté, pour les familles de la classe intermédiaire, une augmentation de l'impôt de l'ordre de 790 euros.
En 2014-2015, on comptait moins de 70 000 naissances en France et 1,87 enfant par femme. Face à cette baisse de la natalité, il convient de réfléchir à la façon d'inciter les familles à avoir un deuxième enfant. J'invite à mener une réflexion sur la possibilité d'accorder une part fiscale supplémentaire à partir du deuxième enfant, et non du troisième comme aujourd'hui.
Il est nécessaire de renforcer les aides destinées aux familles fragiles, alors que la crise les touche de plein fouet et renforce encore les difficultés qu'elles connaissaient auparavant. L'horizon économique laisse à penser qu'en l'absence d'intervention, ces problèmes s'aggraveront et que d'autres familles basculeront dans la pauvreté et le surendettement.
Il convient de pérenniser le dispositif de plafonnement des frais bancaires, annoncé par le Gouvernement le 11 mai, et de l'étendre à toutes les familles rencontrant des difficultés financières.
Les jeunes connaissaient des taux de pauvreté bien supérieurs à la moyenne nationale. La crise, qui les a frappés avec une vigueur particulière, s'annonce pour eux particulièrement longue, rendant plus difficile encore leur insertion sur le marché du travail. Dans ce contexte, il convient de réfléchir à la mise en place d'une allocation destinée aux jeunes de 18 à 24 ans, puisqu'ils ne bénéficient pas du revenu de solidarité active (RSA).
S'agissant des femmes, je salue l'introduction dans le projet de réforme des retraites d'une bonification dès le premier enfant afin de compenser les aléas de carrière liés à la naissance et à l'éducation des enfants. Plutôt qu'une bonification de 5 % par enfant, avec une majoration à partir du troisième enfant, je propose que la majoration soit de 5 % pour le premier, 6 % pour le deuxième et 7 % pour les enfants suivants. Alors que la natalité est en baisse, il convient de promouvoir tous les mécanismes permettant de favoriser l'accueil d'enfants dans les foyers français.
Par ailleurs, ce système pourrait désavantager les femmes, puisque le principe d'une majoration en pourcentage du total de la pension contribue à favoriser celui dont le salaire est le plus élevé. En cas de séparation ou de divorce, le montant de la retraite de la femme risque de baisser. Je propose donc que la moitié de la majoration soit réservée à la mère, au titre notamment de la période de grossesse – qui n'a pas vocation à être partagée entre les deux parents.
La réforme de l'indemnisation du congé parental et la mise en place de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) est un échec. Un congé parental plus court et mieux rémunéré contribuerait à augmenter les ressources financières des allocataires et à réduire l'éloignement du marché du travail pour les mères.
Toutefois, la réussite d'une telle réforme est fortement conditionnée à l'existence de modes de garde accessibles et en nombre suffisant. Cela doit donc s'accompagner d'une politique ambitieuse visant à développer l'accueil des jeunes enfants.
Le foisonnement des aides, dû à une succession de réformes menées sans vision d'ensemble, nuit à la lisibilité de la politique familiale. Il existe aujourd'hui une dizaine d'aides familiales, dont bon nombre sont conditionnées à la composition du foyer. Les « rendez-vous des droits » mis en place depuis quelques années dans les CAF permettent d'améliorer l'information. Ce devrait être aussi l'objet des maisons France Service qui se développent sur l'ensemble du territoire. Ces mesures sont évidemment bienvenues, mais la lutte contre le non-recours aux droits ne peut se limiter à une amélioration de l'information des bénéficiaires potentiels. L'amélioration de l'accès aux droits suppose de réfléchir à la mise en œuvre d'une réforme ambitieuse des prestations, allant dans le sens d'une plus grande rationalisation et d'une simplification des aides.
Il convient de mener une réflexion sur le versement d'un montant identique de prestations familiales pour chaque enfant. À cet égard, je souligne que l'aide exceptionnelle de solidarité, versée le 15 mai aux familles les plus modestes, ne tient pas compte de la composition des familles : celles-ci ont reçu 100 euros par enfant à charge, dès le premier enfant. Dans son plan de relance, l'Allemagne a aussi fait le choix d'une aide dont le montant est identique pour chaque enfant, dès le premier enfant.
La deuxième partie du rapport est intitulée « vie familiale ». Elle se construit autour du concept, cher à Stéphane Viry et à moi-même, de « l'épanouissement ». La crise a remis la famille au cœur de la vie sociale, rappelant qu'elle constitue la cellule de base de la société et le lieu de développement et d'épanouissement des individus. « Entraide », « soutien », « coopération », « partage », « sécurité »… ces mots ont retrouvé tout leur sens dans une période où le partage d'un même toit prenait une ampleur inédite.
La famille, bien souvent le premier et le principal cadre de vie des individus, a une fonction socialisatrice. Solidité des liens interpersonnels, activités familiales, temps de vie en famille, solidarité intrafamiliale, le quotidien en famille joue un rôle d'épanouissement individuel et collectif qui doit être davantage compris et mieux reconnu. Il s'agit sans doute là d'une des clefs de la cohésion sociale de demain.
Dans ce domaine, je formule plusieurs recommandations. La vie culturelle et sportive, une part importante du quotidien, ne doit pas être négligée : je propose de réformer le dispositif de la carte famille nombreuse pour faciliter l'accès des familles aux loisirs et à la culture en créant un « pass famille », plus moderne et délivré automatiquement à la naissance du troisième enfant.
Le logement est souvent le premier poste de dépenses des familles. Sa qualité, ses équipements, sa salubrité, sa localisation, sa taille et bien d'autres facteurs influent directement sur le quotidien. Refuge pour la famille, il constitue de fait son premier lieu de vie et d'échanges, façonnant les repères et le savoir-vivre de chacun.
Les marges de progrès dans ce domaine sont importantes. Nous devons évaluer l'efficacité, le pilotage et l'articulation des aides au logement, et mieux soutenir l'accès à la propriété. Je propose de réfléchir à un « prêt garanti par l'État Immobilier Famille », destiné aux familles modestes souhaitant acquérir leur résidence principale – à l'arrivée, pourquoi pas, du deuxième enfant.
La conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle est clairement identifiée comme un objectif de la politique familiale. Elle ne peut être comprise sans un questionnement en profondeur sur l'égalité entre les sexes.
En effet, les inégalités du quotidien, notamment liées à la répartition déséquilibrée des tâches domestiques et parentales, nuisent majoritairement à la carrière des femmes. Le temps consacré aux tâches – trois heures et quarante-huit minutes contre deux heures et trente-six minutes en moyenne – et la charge mentale pèsent sur l'articulation avec la vie professionnelle. La crise sanitaire et les difficultés rencontrées pour télétravailler tout en gérant le quotidien et en s'occupant des enfants a pu mettre en avant ces inégalités.
Nous pouvons progresser dans ce domaine et encourager une meilleure conciliation entre ces sphères. Le télétravail constitue sans aucun doute une opportunité, mais il faut procéder avec parcimonie et mettre en place un encadrement adapté pour éviter toute dérive.
Il convient d'allonger le congé paternité car sa brièveté peut entraîner, dès les premiers jours de l'enfant, un déséquilibre dans le rapport à la parentalité qui se répercutera tout au long de la vie familiale. En outre, cela a de fortes conséquence sur la perception de la parentalité dans la sphère professionnelle. Dans ce domaine, nous devons faire bouger les mentalités !
J'ajoute que la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est une problématique qui doit être prise en compte tout au long de la vie de famille, jusqu'au moment où se pose la question de la prise en charge des aînés.
La situation, souvent difficile, des aidants familiaux est mieux reconnue et le Gouvernement a présenté récemment une grande stratégie nationale pour les soutenir dans leur quotidien. Il est nécessaire d'accroître nos efforts pour leur faciliter la vie et leur permettre de porter assistance à leurs proches sans remettre en cause leur quotidien. Nous pourrions allonger la durée du congé « proche aidant » et augmenter son indemnisation, ou encore développer les maisons de répit sur l'ensemble du territoire.
La politique d'accueil du jeune enfant est un sujet fondamental pour l'égalité professionnelle et l'épanouissement de chacun dans le quotidien familial. Ce sujet, fort complexe, pourrait faire l'objet de très longs développements. Je me contenterai de signaler que les auditions ont permis de faire remonter de nombreuses difficultés. Malgré de réels efforts, les résultats de cette politique demeurent insuffisants et des inquiétudes subsistent quant à la réalisation des objectifs de création de places en crèches fixés par la convention d'objectifs et de gestion (COG) conclue entre la CNAF et l'État pour la période 2018- 2022.
Il faut simplifier, développer et harmoniser les modes de garde. Nous devons augmenter le nombre de places en crèche mais aussi revaloriser le travail des assistantes maternelles. La politique familiale doit permettre à chaque parent de trouver un mode de garde adapté. Une attention particulière doit être portée à l'accueil des jeunes enfants en situation de handicap.
Pour gagner en efficacité, en uniformité, en cohérence mais aussi en équité, nous devons améliorer l'organisation de la politique du jeune enfant. Sans doute cela passe-t-il par la mise en place d'un service public de la petite enfance, qui rassemblerait tous les dispositifs de garde avec pour objectif que chaque enfant bénéficie d'un mode de garde jusqu'à l'âge de 3 ans. Cela suppose de valoriser les assistantes maternelles, d'organiser la gouvernance et de désigner clairement un chef de file.
Devenir parent n'est pas toujours une période évidente, cela implique des droits et des devoirs. De nombreux acteurs sont susceptibles de soutenir les parents dans l'exercice de ces nouvelles responsabilités. Les travaux conduits par le Gouvernement pour créer un parcours familial autour des mille premiers jours sont l'occasion de rénover, d'amplifier et de clarifier la politique de soutien à la parentalité. Sans aller jusqu'à s'immiscer dans la vie privée, cette réforme doit être l'occasion de permettre à tout parent de mieux vivre sa parentalité et de mieux « faire famille ».
Une telle politique est un investissement pour le présent, en ce qu'elle permet l'apaisement des situations, l'amélioration de l'équilibre émotionnel et le bien-être de chacun, et un investissement pour l'avenir, en ce qu'elle prévient des difficultés futures et permet d'améliorer la cohésion sociale.
Les débats sur la bioéthique nous occupant à nouveau, je serai plus brève sur la troisième partie du rapport. L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes vivant avec une autre femme ou seules est un progrès. Il faut néanmoins prêter une attention particulière à ces dernières, compte tenu de la difficulté sociale dans laquelle se trouvent de nombreuses familles monoparentales.
Il convient surtout de lutter autant que possible contre l'hypofertilité, qui constitue un enjeu de natalité mais aussi de santé publique. La bonne information, spécialement des jeunes gens, doit leur permettre une meilleure maîtrise de leur fécondité. Un plan national de lutte contre les causes d'infertilité viendrait compléter les progrès que nous effectuons en faveur de l'extension de l'AMP.
Enfin, l'interdiction de la gestation pour autrui (GPA) doit être maintenue. Il y va de la capacité de notre nation à préserver l'éthique de la conception. La GPA, interdite à tous sur le territoire français, heurte de nombreux principes éthiques et impose une violence aux corps des femmes qu'il faut continuer de dénoncer. C'est dans cette perspective que je propose, à la suite de plusieurs rapports, que la France prenne une initiative internationale pour lutter contre l'exploitation du corps des femmes que représente la GPA. Un certain nombre de concitoyens contournent en effet la loi française en ayant recours à cette technique à l'étranger.