Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • allocation
  • congé
  • familial
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Mardi 30 juin 2020

Présidence de M. Stéphane Viry, président de la mission d'information

– Examen du rapport par la mission.

La réunion commence à neuf heures trente-cinq.

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La famille, institution sociale, choix de vie, enjeu de solidarité et d'égalité des chances, ne peut manquer d'être affectée par l'évolution des mentalités, des aspirations individuelles et des pratiques sociales.

En choisissant de participer à cette réflexion, chacun d'entre nous était convaincu de l'importance de l'institution familiale, pour la place qu'elle y occupe et l'équilibre auquel elle contribue. Nous nous trouvons confortés dans cette conviction après ces semaines de confinement : par leur présence ou leur éloignement, la cellule et la solidarité familiales se sont rappelées à chacun. Ce qui semblait aller de soi a été ressenti, dans la présence ou le manque, par tous les âges de la vie.

Notre mission était de nous interroger sur la politique familiale – ses fondements, ses limites, ses changements au regard des évolutions de la structure et de la définition même de la famille – tout en distinguant bien, puisqu'il s'agit de visions et de choix politiques, le souhaitable du possible

Comment définir la famille aujourd'hui ? Quels objectifs donner à la politique familiale ? Devons-nous, pour les atteindre, faire évoluer les instruments et les moyens ou nous borner à quelques ajustements ?

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Je rappelerai brièvement le contexte dans lequel s'inscrit cette mission d'information.

Depuis 2012, la politique familiale a été marquée par des mesures d'économies importantes, la famille ayant servi de variable d'ajustement pour équilibrer les comptes de la sécurité sociale. À cette occasion, certains des grands objectifs de la politique familiale ont été perdus de vue, à commencer par le soutien à la natalité et le principe d'universalité de la politique familiale, qui implique une redistribution des familles sans enfant vers les familles avec enfants.

La crise sanitaire, suivie d'une crise économique et sociale, a touché les familles de plein fouet. Dans le même temps, la famille s'est imposée comme une valeur refuge.

Depuis plusieurs années, on assiste à la recomposition de la famille, des familles. Ces transformations se poursuivent avec l'examen, cette semaine, du projet de loi de bioéthique, qui place les questions de la filiation et du lignage au cœur des réflexions contemporaines.

C'est au regard de ces évolutions que nous devons réinterroger les trois objectifs de la politique familiale : le soutien à la natalité, la lutte contre la pauvreté et la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.

La première partie du rapport est consacrée aux différentes aides financières versées aux familles. Notre réflexion est axée sur la nécessité de rétablir l'universalité de la politique familiale, puisque l'objectif de compenser la charge liée à l'arrivée d'un enfant a été perdu de vue sous le précédent quinquennat avec la modulation des allocations familiales et l'abaissement, par deux fois, du plafond du quotient familial.

Les allocations familiales sont une prestation historique, versée à près de 5 millions de foyers et, jusqu'en 2015, de manière identique aux familles de plus de deux enfants. La modulation a entrainé une perte de revenus de près de 100 euros par mois pour les familles de deux enfants dont les revenus annuels se situent dans la troisième tranche de revenus et de 66 euros par mois pour les revenus de la deuxième tranche. En moyenne, pour les revenus de la classe intermédiaire, la perte est de 800 euros pour une famille de deux enfants, de 1 800 euros pour une famille de trois enfants, et de 2 600 euros pour une famille de quatre enfants.

En 2014, alors qu'il était question de raboter pour la deuxième fois le quotient familial, la modulation a été présentée comme une alternative. Elle a été rejetée dans un premier temps mais elle est revenue en 2015, par le biais d'un amendement de dernière minute. La modulation, en plus de mettre à bas l'universalité, pierre angulaire de la politique familiale française, contribue au manque de lisibilité de la politique familiale.

Je propose que toutes les familles éligibles bénéficient d'allocations à hauteur du montant aujourd'hui versé aux familles de la première tranche de revenu. Le coût de cette mesure, estimé à 760 millions par la CNAF, peut paraître élevé, mais il ne représente que 1,4 % des dépenses de la branche famille. Je rappelle que les mesures d'urgence, dont je ne nie pas l'utilité – aide exceptionnelle, aide aux jeunes précaires, aide alimentaire, vacances apprenantes – s'élèvent à plus de 1 milliard.

Les allocations familiales sont versées aux familles uniquement à partir du deuxième enfant, alors qu'elles constituent le principal outil permettant de compenser financièrement les charges de famille. Je souhaite que s'ouvre une réflexion sur le versement des allocations familiales dès le premier enfant. Leur montant pourrait être fixé à 85 euros pour le premier, 160 euros pour le deuxième, 250 euros pour le troisième enfant.

Le plafond du quotient familial doit être relevé afin de soulager la pression fiscale. Les familles contribuent largement à la solidarité nationale en cotisant, en acquittant leurs impôts et en assurant le renouvellement des générations. Le plafond doit être porté à 1 800 euros par demi-part. Le coût de cette mesure est estimé à environ 550 millions, soit 1,2 % des dépenses de la branche famille. Je rappelle que les deux coups de rabot apportés au quotient familial ont représenté, pour les familles de la classe intermédiaire, une augmentation de l'impôt de l'ordre de 790 euros.

En 2014-2015, on comptait moins de 70 000 naissances en France et 1,87 enfant par femme. Face à cette baisse de la natalité, il convient de réfléchir à la façon d'inciter les familles à avoir un deuxième enfant. J'invite à mener une réflexion sur la possibilité d'accorder une part fiscale supplémentaire à partir du deuxième enfant, et non du troisième comme aujourd'hui.

Il est nécessaire de renforcer les aides destinées aux familles fragiles, alors que la crise les touche de plein fouet et renforce encore les difficultés qu'elles connaissaient auparavant. L'horizon économique laisse à penser qu'en l'absence d'intervention, ces problèmes s'aggraveront et que d'autres familles basculeront dans la pauvreté et le surendettement.

Il convient de pérenniser le dispositif de plafonnement des frais bancaires, annoncé par le Gouvernement le 11 mai, et de l'étendre à toutes les familles rencontrant des difficultés financières.

Les jeunes connaissaient des taux de pauvreté bien supérieurs à la moyenne nationale. La crise, qui les a frappés avec une vigueur particulière, s'annonce pour eux particulièrement longue, rendant plus difficile encore leur insertion sur le marché du travail. Dans ce contexte, il convient de réfléchir à la mise en place d'une allocation destinée aux jeunes de 18 à 24 ans, puisqu'ils ne bénéficient pas du revenu de solidarité active (RSA).

S'agissant des femmes, je salue l'introduction dans le projet de réforme des retraites d'une bonification dès le premier enfant afin de compenser les aléas de carrière liés à la naissance et à l'éducation des enfants. Plutôt qu'une bonification de 5 % par enfant, avec une majoration à partir du troisième enfant, je propose que la majoration soit de 5 % pour le premier, 6 % pour le deuxième et 7 % pour les enfants suivants. Alors que la natalité est en baisse, il convient de promouvoir tous les mécanismes permettant de favoriser l'accueil d'enfants dans les foyers français.

Par ailleurs, ce système pourrait désavantager les femmes, puisque le principe d'une majoration en pourcentage du total de la pension contribue à favoriser celui dont le salaire est le plus élevé. En cas de séparation ou de divorce, le montant de la retraite de la femme risque de baisser. Je propose donc que la moitié de la majoration soit réservée à la mère, au titre notamment de la période de grossesse – qui n'a pas vocation à être partagée entre les deux parents.

La réforme de l'indemnisation du congé parental et la mise en place de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PreParE) est un échec. Un congé parental plus court et mieux rémunéré contribuerait à augmenter les ressources financières des allocataires et à réduire l'éloignement du marché du travail pour les mères.

Toutefois, la réussite d'une telle réforme est fortement conditionnée à l'existence de modes de garde accessibles et en nombre suffisant. Cela doit donc s'accompagner d'une politique ambitieuse visant à développer l'accueil des jeunes enfants.

Le foisonnement des aides, dû à une succession de réformes menées sans vision d'ensemble, nuit à la lisibilité de la politique familiale. Il existe aujourd'hui une dizaine d'aides familiales, dont bon nombre sont conditionnées à la composition du foyer. Les « rendez-vous des droits » mis en place depuis quelques années dans les CAF permettent d'améliorer l'information. Ce devrait être aussi l'objet des maisons France Service qui se développent sur l'ensemble du territoire. Ces mesures sont évidemment bienvenues, mais la lutte contre le non-recours aux droits ne peut se limiter à une amélioration de l'information des bénéficiaires potentiels. L'amélioration de l'accès aux droits suppose de réfléchir à la mise en œuvre d'une réforme ambitieuse des prestations, allant dans le sens d'une plus grande rationalisation et d'une simplification des aides.

Il convient de mener une réflexion sur le versement d'un montant identique de prestations familiales pour chaque enfant. À cet égard, je souligne que l'aide exceptionnelle de solidarité, versée le 15 mai aux familles les plus modestes, ne tient pas compte de la composition des familles : celles-ci ont reçu 100 euros par enfant à charge, dès le premier enfant. Dans son plan de relance, l'Allemagne a aussi fait le choix d'une aide dont le montant est identique pour chaque enfant, dès le premier enfant.

La deuxième partie du rapport est intitulée « vie familiale ». Elle se construit autour du concept, cher à Stéphane Viry et à moi-même, de « l'épanouissement ». La crise a remis la famille au cœur de la vie sociale, rappelant qu'elle constitue la cellule de base de la société et le lieu de développement et d'épanouissement des individus. « Entraide », « soutien », « coopération », « partage », « sécurité »… ces mots ont retrouvé tout leur sens dans une période où le partage d'un même toit prenait une ampleur inédite.

La famille, bien souvent le premier et le principal cadre de vie des individus, a une fonction socialisatrice. Solidité des liens interpersonnels, activités familiales, temps de vie en famille, solidarité intrafamiliale, le quotidien en famille joue un rôle d'épanouissement individuel et collectif qui doit être davantage compris et mieux reconnu. Il s'agit sans doute là d'une des clefs de la cohésion sociale de demain.

Dans ce domaine, je formule plusieurs recommandations. La vie culturelle et sportive, une part importante du quotidien, ne doit pas être négligée : je propose de réformer le dispositif de la carte famille nombreuse pour faciliter l'accès des familles aux loisirs et à la culture en créant un « pass famille », plus moderne et délivré automatiquement à la naissance du troisième enfant.

Le logement est souvent le premier poste de dépenses des familles. Sa qualité, ses équipements, sa salubrité, sa localisation, sa taille et bien d'autres facteurs influent directement sur le quotidien. Refuge pour la famille, il constitue de fait son premier lieu de vie et d'échanges, façonnant les repères et le savoir-vivre de chacun.

Les marges de progrès dans ce domaine sont importantes. Nous devons évaluer l'efficacité, le pilotage et l'articulation des aides au logement, et mieux soutenir l'accès à la propriété. Je propose de réfléchir à un « prêt garanti par l'État Immobilier Famille », destiné aux familles modestes souhaitant acquérir leur résidence principale – à l'arrivée, pourquoi pas, du deuxième enfant.

La conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle est clairement identifiée comme un objectif de la politique familiale. Elle ne peut être comprise sans un questionnement en profondeur sur l'égalité entre les sexes.

En effet, les inégalités du quotidien, notamment liées à la répartition déséquilibrée des tâches domestiques et parentales, nuisent majoritairement à la carrière des femmes. Le temps consacré aux tâches – trois heures et quarante-huit minutes contre deux heures et trente-six minutes en moyenne – et la charge mentale pèsent sur l'articulation avec la vie professionnelle. La crise sanitaire et les difficultés rencontrées pour télétravailler tout en gérant le quotidien et en s'occupant des enfants a pu mettre en avant ces inégalités.

Nous pouvons progresser dans ce domaine et encourager une meilleure conciliation entre ces sphères. Le télétravail constitue sans aucun doute une opportunité, mais il faut procéder avec parcimonie et mettre en place un encadrement adapté pour éviter toute dérive.

Il convient d'allonger le congé paternité car sa brièveté peut entraîner, dès les premiers jours de l'enfant, un déséquilibre dans le rapport à la parentalité qui se répercutera tout au long de la vie familiale. En outre, cela a de fortes conséquence sur la perception de la parentalité dans la sphère professionnelle. Dans ce domaine, nous devons faire bouger les mentalités !

J'ajoute que la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle est une problématique qui doit être prise en compte tout au long de la vie de famille, jusqu'au moment où se pose la question de la prise en charge des aînés.

La situation, souvent difficile, des aidants familiaux est mieux reconnue et le Gouvernement a présenté récemment une grande stratégie nationale pour les soutenir dans leur quotidien. Il est nécessaire d'accroître nos efforts pour leur faciliter la vie et leur permettre de porter assistance à leurs proches sans remettre en cause leur quotidien. Nous pourrions allonger la durée du congé « proche aidant » et augmenter son indemnisation, ou encore développer les maisons de répit sur l'ensemble du territoire.

La politique d'accueil du jeune enfant est un sujet fondamental pour l'égalité professionnelle et l'épanouissement de chacun dans le quotidien familial. Ce sujet, fort complexe, pourrait faire l'objet de très longs développements. Je me contenterai de signaler que les auditions ont permis de faire remonter de nombreuses difficultés. Malgré de réels efforts, les résultats de cette politique demeurent insuffisants et des inquiétudes subsistent quant à la réalisation des objectifs de création de places en crèches fixés par la convention d'objectifs et de gestion (COG) conclue entre la CNAF et l'État pour la période 2018- 2022.

Il faut simplifier, développer et harmoniser les modes de garde. Nous devons augmenter le nombre de places en crèche mais aussi revaloriser le travail des assistantes maternelles. La politique familiale doit permettre à chaque parent de trouver un mode de garde adapté. Une attention particulière doit être portée à l'accueil des jeunes enfants en situation de handicap.

Pour gagner en efficacité, en uniformité, en cohérence mais aussi en équité, nous devons améliorer l'organisation de la politique du jeune enfant. Sans doute cela passe-t-il par la mise en place d'un service public de la petite enfance, qui rassemblerait tous les dispositifs de garde avec pour objectif que chaque enfant bénéficie d'un mode de garde jusqu'à l'âge de 3 ans. Cela suppose de valoriser les assistantes maternelles, d'organiser la gouvernance et de désigner clairement un chef de file.

Devenir parent n'est pas toujours une période évidente, cela implique des droits et des devoirs. De nombreux acteurs sont susceptibles de soutenir les parents dans l'exercice de ces nouvelles responsabilités. Les travaux conduits par le Gouvernement pour créer un parcours familial autour des mille premiers jours sont l'occasion de rénover, d'amplifier et de clarifier la politique de soutien à la parentalité. Sans aller jusqu'à s'immiscer dans la vie privée, cette réforme doit être l'occasion de permettre à tout parent de mieux vivre sa parentalité et de mieux « faire famille ».

Une telle politique est un investissement pour le présent, en ce qu'elle permet l'apaisement des situations, l'amélioration de l'équilibre émotionnel et le bien-être de chacun, et un investissement pour l'avenir, en ce qu'elle prévient des difficultés futures et permet d'améliorer la cohésion sociale.

Les débats sur la bioéthique nous occupant à nouveau, je serai plus brève sur la troisième partie du rapport. L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (AMP) aux femmes vivant avec une autre femme ou seules est un progrès. Il faut néanmoins prêter une attention particulière à ces dernières, compte tenu de la difficulté sociale dans laquelle se trouvent de nombreuses familles monoparentales.

Il convient surtout de lutter autant que possible contre l'hypofertilité, qui constitue un enjeu de natalité mais aussi de santé publique. La bonne information, spécialement des jeunes gens, doit leur permettre une meilleure maîtrise de leur fécondité. Un plan national de lutte contre les causes d'infertilité viendrait compléter les progrès que nous effectuons en faveur de l'extension de l'AMP.

Enfin, l'interdiction de la gestation pour autrui (GPA) doit être maintenue. Il y va de la capacité de notre nation à préserver l'éthique de la conception. La GPA, interdite à tous sur le territoire français, heurte de nombreux principes éthiques et impose une violence aux corps des femmes qu'il faut continuer de dénoncer. C'est dans cette perspective que je propose, à la suite de plusieurs rapports, que la France prenne une initiative internationale pour lutter contre l'exploitation du corps des femmes que représente la GPA. Un certain nombre de concitoyens contournent en effet la loi française en ayant recours à cette technique à l'étranger.

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Je vous adresse toutes mes félicitations pour ce rapport, qui serait tout à fait complet si la question du soutien des familles avec des enfants en situation de handicap y avait tenu une plus grande part.

Je voudrais saluer quelques-unes des propositions, à commencer par la proposition n° 18, qui vise au respect effectif de l'obligation d'éducation à la sexualité et à l'égalité. Je retiendrai aussi la proposition n° 31, qui est d'étendre aux couples de femmes et aux femmes seules l'accès à l'AMP, ainsi que la proposition n° 32, qui est de garantir le maintien des modalités actuelles de reconnaissance des actes de naissance pour les enfants nés de GPA pratiquées à l'étranger. La proposition n° 38, qui vise à encourager, par le biais de projets pilotés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), les projets de recherche sur les conséquences de l'ouverture de l'AMP aux couples de femmes et aux femmes seules est intéressante car l'on se réfère souvent aux études réalisées à l'étranger, notamment dans les pays anglo-saxons, faute d'études nationales. Monsieur le président, vous avez expliqué que ce rapport avait vocation à tracer les contours de la famille d'aujourd'hui. Alors que le projet de loi de bioéthique revient en discussion, pourriez-vous livrer votre définition de la famille ?

Enfin, la proposition n° 9, qui est de réfléchir à la possibilité de mettre en place un congé parental plus court et mieux rémunéré, semble entrer en contradiction avec la proposition n° 19, qui est d'envisager, à l'instar de ce qui se fait dans d'autres pays européens, l'allongement du congé dédié au second parent. Le membre du couple qui n'a pas porté l'enfant doit pouvoir créer un lien fort avec le nourrisson et décharger la mère : le congé qui lui est destiné est limité à onze jours, ce qui est très court.

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Je vous remercie pour ce projet de rapport intéressant et complet. Il aurait été judicieux de l'introduire par quelques rappels historiques et démographiques et de souligner les objectifs de la politique familiale. Il aurait été opportun, aussi, de décaler de quelques mois sa remise, les travaux de la mission d'information ayant été perturbés par la crise sanitaire.

Je suis ravi de constater que certaines des propositions que nous faisons depuis le début du quinquennat sont reprises dans ce rapport : nous sommes favorables au rétablissement de l'universalité des allocations familiales, nous appelons au relèvement du plafond du quotient familial et nous demandons, par l'entremise de Gilles Lurton, que la prime à la naissance soit versée avant la naissance.

En revanche, je suis surpris de voir une si grande place consacrée à la révision des lois de bioéthique. Votre parti pris, certes compréhensible, nuit à la dimension consensuelle que pourrait revêtir ce rapport. Je rappelle que les couples homosexuels représentent 1 % de la population, que seuls un quart d'entre eux vivent avec des enfants et que l'AMP est à l'origine de 3 % des naissances seulement. La place réservée à ces questions dans le rapport est manifestement disproportionnée et une réflexion sur l'adaptation de la politique familiale aux défis du XXIe siècle ne peut se réduire à ces questions sociétales.

Je ne suis pas certain qu'il soit prioritaire d'améliorer la lisibilité des prestations familiales. À choisir, j'arbitrerais en faveur de l'efficacité. L'enjeu est bien de conduire une politique nataliste qui permette que les couples qui travaillent ne voient pas leur pouvoir d'achat diminuer à la naissance de leurs enfants. Il faut davantage soutenir les familles des classes moyennes. Si cela était possible, il faudrait prolonger cette mission d'information pour qu'elle puisse identifier les freins : pourquoi les femmes des classes moyennes retardent-elles leur projet de maternité, alors que l'on sait que la fertilité baisse avec l'âge ? Pourquoi la natalité chute-t-elle en France depuis plusieurs année ? Notre système social, on le voit avec le débat sur la réforme des retraites, dépend du renouvellement des générations. Il faut encourager et soutenir les familles nombreuses.

Le taux d'emploi des femmes chute considérablement à l'arrivée du troisième enfant – il est deux fois moindre que dans les familles de deux enfants. La politique familiale doit redevenir une force, un atout, une ambition pour notre pays. Il s'agit aussi de transmettre notre patrimoine. Or les jeunes générations ont peur de l'avenir, craignent de s'engager ; elles hésitent à donner la vie, retardent le moment de devenir parents, inquiètes des conditions matérielles – logement, emploi, cadre de vie – qui leur sont réservées. Il faut retrouver l'ambition nationale de la politique familiale.

Le pouvoir d'achat d'un couple qui accueille un enfant ne doit pas diminuer par rapport à celui d'un couple sans enfant à revenu du travail équivalent. Cela doit passer par le quotient familial, par les allocations familiales, ou par les deux leviers à la fois. L'essentiel est de ne pas pénaliser la femme qui a fait le choix de travailler. Lorsque les femmes optent pour l'activité partielle ou quittent leur emploi pour assurer l'éducation des enfants, en particulier dans leurs premières années, leur pouvoir d'achat ne doit pas diminuer : le congé parental devrait être mieux valorisé, et ce, quel que soit le niveau de revenu de la femme.

Le besoin d'un logement plus grand, donc plus coûteux en fonctionnement et en fiscalité, devrait être pris en compte dans les dispositifs de soutien à l'accession à la propriété. Je vais plus loin que vos propositions en estimant que l'APL accession et le PTZ pourraient être renforcés pour les couples avec enfants, quel que soit le zonage. Il faut approfondir ces éléments dans la perspective des discussions sur le PLFSS.

Alors que le confinement a révélé la place et le rôle central de la famille élargie et mis en lumière l'isolement et les difficultés rencontrées par les mères célibataires, il convient plus que jamais de faire à la famille la place qui devrait être la sienne. Nous devons nous y employer dans cette deuxième moitié de quinquennat.

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Chacun, ici, trouverait étrange que je ne félicite pas la rapporteure comme il se doit ; à ceux qui ne verraient là qu'un passage obligé de la part d'un membre du MoDem, je dirai qu'il n'en est rien ! Ce rapport est très riche et ses propositions reflètent la position de notre groupe, pour lequel la politique familiale est un sujet fondamental.

Il s'agit d'abord d'un enjeu de civilisation. La façon dont le patrimoine spirituel, moral, physique accumulé par les générations précédentes est transmis aux générations suivantes est essentielle, mais elle est en crise. Hannah Arendt, dans La Crise de la culture (Between Past and Future) montre combien nous souffrons de vivre dans un présent coupé du passé et de l'avenir et cite Alexis de Tocqueville : « le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres ». Nous vivons aujourd'hui, à différents niveaux, l'expression de cette carence. Il nous revient de transmettre, en méditant les mots d'André Malraux : il faut que les jeunes puissent nier et reconquérir l'héritage. Il ne s'agit pas de leur imposer un menu, mais de leur livrer ce que nous avons fait, charge à eux de le réinventer.

La politique familiale est une politique sociale comme les autres – rassurez-vous, madame la rapporteure, je me contredirai bientôt –, puisqu'elle vise à assurer l'égalité des chances entre tous les enfants. C'est la base de l'action sociale, telle qu'initiée à la Libération. En ce sens, des mesures comme le dédoublement des classes de CP, qui donnent à tous les enfants les mêmes chances, quelle que soit leur origine, s'apparentent à la politique familiale.

S'agissant de l'universalisation et du refus de la modulation, la question se pose de savoir si une augmentation des allocations familiales combinée à une fiscalisation ne serait pas une mesure souhaitable. Certes, la modulation, très brutale, a abouti à des ségrégations inacceptables, mais il faut tout de même tenir compte des différences de revenus.

Je l'ai laissé entendre, la politique familiale n'est pas une politique sociale comme les autres, qu'il s'agisse des enjeux ou des moyens qui y sont consacrés. Il ne s'agit pas simplement d'assurer l'égalité sociale, mais aussi de veiller au bon équilibre de la société. Pour favoriser la cogitation, la proportion de jeunes doit être suffisamment élevée – à 74 ans, je peux vous dire que le cerveau fonctionne beaucoup moins bien ! L'équilibre de la pyramide doit être assuré, c'est l'une des conditions du dynamisme et du rayonnement de la société française.

Je salue la proposition concernant le quotient familial. Avec d'autres, nous avons défendu une suppression du plafonnement, mais progressive, pour préserver les finances publiques – je sais qu'en ce moment, chacun fait semblant de croire que cela n'a aucune importance ! D'aucuns diront qu'un quotient familial élevé est injuste car il profite nettement aux hauts revenus. Ce n'est pas ainsi qu'il faut poser le problème. Le quotient familial est simplement une mesure d'équité fiscale, car le revenu qui doit être taxé n'est pas celui du foyer, mais celui du foyer divisé par le nombre de personnes qui le composent. C'est un peu la même chose entre le PIB et le PIB par tête d'habitant : qui est le plus riche, d'un Chinois ou d'un Luxembourgeois ? On pourra toujours discuter pour savoir si un enfant représente en dépenses la moitié ou les deux tiers d'un adulte, mais la norme, c'est fondamental à nos yeux, est que le revenu doit être ramené au nombre de personnes qui composent le foyer. Un couple sans enfant dont les revenus sont de 10 000 euros ne vivra pas de la même façon qu'un couple dont les revenus sont équivalents mais qui doit élever cinq enfants ! Or ce dernier assure un service public – transmission, paiement des indemnités, des retraites. Tout cela doit être pris en compte.

L'objet de la politique familiale est d'accompagner les transformations de la société. Depuis la Libération, nous avons choisi de favoriser la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, choix que n'ont pas fait l'Allemagne ou l'Italie, avec des conséquences catastrophiques sur la natalité – qui demeure très faible –, et l'insertion des femmes sur le marché du travail – qui reste difficile. Malgré les modifications importantes et contestées introduites par Ursula Von der Leyen lorsqu'elle était ministre, nos voisins ont perdu sur les deux plans. Nous devons être fiers du modèle français, le défendre, le maintenir et le développer.

S'agissant de la répartition des rôles au sein du foyer, nous devons composer avec un héritage millénaire et le remettre en cause. Mais la spécialisation des tâches perdure, et pour certaines, comme la grossesse, cela a peu de chances de changer. Il est tout à fait normal que s'y attachent, comme le propose le rapport, un certain nombre de droits.

Pour le MoDem qui, sans être un parti démocrate chrétien, est très sensible à la doctrine sociale et morale de l'Église, il est primordial de réfléchir à l'articulation entre les mécanismes de procréation et les mécanismes d'éducation. Au sein de notre famille, les approches sont différentes, mais nous nous accordons désormais, et ce n'était pas évident au départ, sur le fait que des enfants peuvent être éduqués dans des conditions très satisfaisantes, même sans différentiation et sexuation des rôles, du moment que l'amour et la volonté du couple de fonder un foyer sont présents.

En revanche, la distinction accrue et volontaire entre la fonction de procréation et la fonction d'éducation a des conséquences dangereuses pour la civilisation, qu'aucune loi n'est susceptible de résoudre. Dissocier les responsables de la procréation des responsables de l'éducation nous expose à des risques importants, notamment à l'introduction d'une logique de marché fondée sur l'argent et la recherche de la qualité. Lorsque vous choisissez non pas la personne avec qui vous faites un enfant mais l'enfant que vous élèverez avec cette personne, vous entrez dans une logique dont on voit très bien les dérives aux États-Unis. La tendance à monnayer l'acquisition des enfants prend en France. Au-delà, si vous achetez cher un produit, vous souhaitez qu'il soit de qualité. Notre groupe vit avec beaucoup d'inquiétude la perspective d'une dérive eugéniste, même si nous sommes absolument étrangers à toute approche sectaire et dogmatique des solutions à apporter, tant ce problème dépasse les lois que nous pouvons voter.

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Je vous remercie pour ce rapport. Je souhaite revenir sur la proposition n° 6 et la mise en place d'une allocation pour les jeunes de 18 à 24 ans. Cela fait longtemps que l'on pose la question du revenu des jeunes, dont on sait qu'ils entrent dans la vie active et quittent le domicile familial de plus en plus tard. Il convient de faire un recensement des dispositifs d'accompagnement car le manque de visibilité, de lisibilité et d'équité est patent. Il faut aller jusqu'au bout de la réflexion, sans exclure ce qui concerne l'information et l'orientation vers les droits. Il est primordial de ne pas décorréler les prestations financières du suivi du jeune jusqu'à l'autonomie et l'emploi, et cela devrait être signalé dans le rapport.

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Le champ de la mission était vaste, en effet ! Une notion me semble très importante dans le contexte actuel, celle de l'éducation à la citoyenneté, tant il est vrai que faire des enfants, c'est mettre au monde des citoyens. Or ils arrivent dans un pays fracturé. Le service public de la petite enfance, que vous appelez de vos vœux, doit être aussi un service public de la citoyenneté. Il est important de lier l'encadrement de la petite enfance, totalement déterminant pour la vie adulte, avec le système éducatif. Nos concitoyens peuvent hésiter à faire des enfants, leurs craintes sont liées aux modes de garde et à ce que sera l'école de demain, dans une société fracturée où le parcours éducatif est moins fluide. Il n'est pas question de continuer sur ce chemin. La puissance publique a un rôle particulier dans l'accueil éducationnel des enfants.

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Je signale que la commission des affaires sociales examinera ce rapport le 8 juillet.

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Madame Vanceunebrock-Mialon, vous avez raison, nous ne sommes pas allés assez loin s'agissant du handicap, mais nous ne pouvions, à moins d'y travailler deux ans durant, embrasser toutes les questions. La proposition n° 25 est d'encourager le développement des structures d'accueil de jeunes enfants en situation de handicap. Si la loi de 2005 a beaucoup fait évoluer les choses en faveur d'une société plus inclusive, elle ne prévoit pas une obligation mais une incitation, ce qui peut se comprendre compte tenu de la lourdeur de certaines prises en charge. Il faudrait se pencher sur les résultats de l'expérimentation d'un dispositif, dans les Hauts-de-Seine, qui permet d'accueillir les enfants souffrant de troubles dys, depuis leur toute petite enfance jusqu'à leurs 6 ans. Ce dispositif pourrait être déployé dans d'autres départements, j'ai alerté Sophie Cluzel sur cette question ; elle requiert toute notre vigilance.

Le congé paternité et le congé parental sont deux choses différentes. Beaucoup appellent à l'allongement de la durée du congé paternité, qui est de onze jours actuellement – il est de huit semaines en Espagne et d'un mois, obligatoire, au Portugal. En outre, le congé naissance, de trois jours, pourrait utilement être porté à cinq jours. Il faut parfois imposer les choses – si nous sommes là aujourd'hui, mesdames, c'est que l'on a forcé la parité… je suis donc favorable à l'allongement du congé paternité, mais je n'ai pas d'idée arrêtée concernant la durée, qui sera aussi discutée avec les partenaires sociaux. Pour le congé parental, c'est l'inverse. La PreParE, instaurée en 2015, est un échec. Généralement, ce sont les mères qui prennent un premier congé de deux ans – ce qui les éloigne d'autant de l'emploi – et les pères, qui y sont fortement incités, ne prennent pas le relais. Il faut reconnaître que ce congé est mal indemnisé.

Je répondrai aux questions de M. Bazin en commission. Monsieur Bourlanges, vous suggérez de combiner l'universalisation des allocations familiales et leur fiscalisation – nous avons eu ce débat au sein de notre groupe. Je n'y suis pas opposée, mais je m'interroge sur l'effet de seuil, car cela risquerait de faire entrer certaines familles dans l'impôt.

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Pour ma part, j'estime que tout le monde devrait s'acquitter de l'impôt sur le revenu !

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Madame Cloarec-Le Nabour, votre remarque sur l'accompagnement des jeunes est pertinente. L'universalité de la politique familiale doit être pleine et entière, elle doit concerner tous les âges de la vie, pas seulement la petite enfance, mais aussi les jeunes, les ados, les grands parents. C'est aussi pour garantir cette universalité que je propose de verser les allocations familiales au premier enfant.

Monsieur Eliaou, je partage votre point de vue, nous devons faire de nos enfants des citoyens. Cela relève de la responsabilisation. Si j'ai bien compris, vous voudriez appeler le service public « de la petite enfance et de la citoyenneté ».

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Je salue à mon tour l'engagement et l'investissement de Nathalie Elimas, qui a pris ce sujet à bras le corps, restant à l'écoute de chacun, sans préjugés. Je reconnais là son attitude prospective et constructive.

C'eût été une erreur que de ne pas créer de mission sur ce sujet pendant cette législature. Je forme le vœu que la prochaine majorité, quelle qu'elle soit, puisse se nourrir de ce que nous aurons semé.

La mission d'information adopte, à l'unanimité, l'autorisation de publication.

La réunion s'achève à dix heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis de la société du XXIe siècle

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 9 h 35

Présents. - M. Thibault Bazin, M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Christine Cloarec-Le Nabour, M. Jean-François Eliaou, Mme Nathalie Elimas, Mme Laurence Vanceunebrock, M. Stéphane Viry

Excusée. - Mme Pascale Boyer