Intervention de Jean-Louis Bourlanges

Réunion du mardi 30 juin 2020 à 9h30
Mission d'information sur l'adaptation de la politique familiale française aux défis du xxie siècle

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Bourlanges :

Chacun, ici, trouverait étrange que je ne félicite pas la rapporteure comme il se doit ; à ceux qui ne verraient là qu'un passage obligé de la part d'un membre du MoDem, je dirai qu'il n'en est rien ! Ce rapport est très riche et ses propositions reflètent la position de notre groupe, pour lequel la politique familiale est un sujet fondamental.

Il s'agit d'abord d'un enjeu de civilisation. La façon dont le patrimoine spirituel, moral, physique accumulé par les générations précédentes est transmis aux générations suivantes est essentielle, mais elle est en crise. Hannah Arendt, dans La Crise de la culture (Between Past and Future) montre combien nous souffrons de vivre dans un présent coupé du passé et de l'avenir et cite Alexis de Tocqueville : « le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres ». Nous vivons aujourd'hui, à différents niveaux, l'expression de cette carence. Il nous revient de transmettre, en méditant les mots d'André Malraux : il faut que les jeunes puissent nier et reconquérir l'héritage. Il ne s'agit pas de leur imposer un menu, mais de leur livrer ce que nous avons fait, charge à eux de le réinventer.

La politique familiale est une politique sociale comme les autres – rassurez-vous, madame la rapporteure, je me contredirai bientôt –, puisqu'elle vise à assurer l'égalité des chances entre tous les enfants. C'est la base de l'action sociale, telle qu'initiée à la Libération. En ce sens, des mesures comme le dédoublement des classes de CP, qui donnent à tous les enfants les mêmes chances, quelle que soit leur origine, s'apparentent à la politique familiale.

S'agissant de l'universalisation et du refus de la modulation, la question se pose de savoir si une augmentation des allocations familiales combinée à une fiscalisation ne serait pas une mesure souhaitable. Certes, la modulation, très brutale, a abouti à des ségrégations inacceptables, mais il faut tout de même tenir compte des différences de revenus.

Je l'ai laissé entendre, la politique familiale n'est pas une politique sociale comme les autres, qu'il s'agisse des enjeux ou des moyens qui y sont consacrés. Il ne s'agit pas simplement d'assurer l'égalité sociale, mais aussi de veiller au bon équilibre de la société. Pour favoriser la cogitation, la proportion de jeunes doit être suffisamment élevée – à 74 ans, je peux vous dire que le cerveau fonctionne beaucoup moins bien ! L'équilibre de la pyramide doit être assuré, c'est l'une des conditions du dynamisme et du rayonnement de la société française.

Je salue la proposition concernant le quotient familial. Avec d'autres, nous avons défendu une suppression du plafonnement, mais progressive, pour préserver les finances publiques – je sais qu'en ce moment, chacun fait semblant de croire que cela n'a aucune importance ! D'aucuns diront qu'un quotient familial élevé est injuste car il profite nettement aux hauts revenus. Ce n'est pas ainsi qu'il faut poser le problème. Le quotient familial est simplement une mesure d'équité fiscale, car le revenu qui doit être taxé n'est pas celui du foyer, mais celui du foyer divisé par le nombre de personnes qui le composent. C'est un peu la même chose entre le PIB et le PIB par tête d'habitant : qui est le plus riche, d'un Chinois ou d'un Luxembourgeois ? On pourra toujours discuter pour savoir si un enfant représente en dépenses la moitié ou les deux tiers d'un adulte, mais la norme, c'est fondamental à nos yeux, est que le revenu doit être ramené au nombre de personnes qui composent le foyer. Un couple sans enfant dont les revenus sont de 10 000 euros ne vivra pas de la même façon qu'un couple dont les revenus sont équivalents mais qui doit élever cinq enfants ! Or ce dernier assure un service public – transmission, paiement des indemnités, des retraites. Tout cela doit être pris en compte.

L'objet de la politique familiale est d'accompagner les transformations de la société. Depuis la Libération, nous avons choisi de favoriser la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle, choix que n'ont pas fait l'Allemagne ou l'Italie, avec des conséquences catastrophiques sur la natalité – qui demeure très faible –, et l'insertion des femmes sur le marché du travail – qui reste difficile. Malgré les modifications importantes et contestées introduites par Ursula Von der Leyen lorsqu'elle était ministre, nos voisins ont perdu sur les deux plans. Nous devons être fiers du modèle français, le défendre, le maintenir et le développer.

S'agissant de la répartition des rôles au sein du foyer, nous devons composer avec un héritage millénaire et le remettre en cause. Mais la spécialisation des tâches perdure, et pour certaines, comme la grossesse, cela a peu de chances de changer. Il est tout à fait normal que s'y attachent, comme le propose le rapport, un certain nombre de droits.

Pour le MoDem qui, sans être un parti démocrate chrétien, est très sensible à la doctrine sociale et morale de l'Église, il est primordial de réfléchir à l'articulation entre les mécanismes de procréation et les mécanismes d'éducation. Au sein de notre famille, les approches sont différentes, mais nous nous accordons désormais, et ce n'était pas évident au départ, sur le fait que des enfants peuvent être éduqués dans des conditions très satisfaisantes, même sans différentiation et sexuation des rôles, du moment que l'amour et la volonté du couple de fonder un foyer sont présents.

En revanche, la distinction accrue et volontaire entre la fonction de procréation et la fonction d'éducation a des conséquences dangereuses pour la civilisation, qu'aucune loi n'est susceptible de résoudre. Dissocier les responsables de la procréation des responsables de l'éducation nous expose à des risques importants, notamment à l'introduction d'une logique de marché fondée sur l'argent et la recherche de la qualité. Lorsque vous choisissez non pas la personne avec qui vous faites un enfant mais l'enfant que vous élèverez avec cette personne, vous entrez dans une logique dont on voit très bien les dérives aux États-Unis. La tendance à monnayer l'acquisition des enfants prend en France. Au-delà, si vous achetez cher un produit, vous souhaitez qu'il soit de qualité. Notre groupe vit avec beaucoup d'inquiétude la perspective d'une dérive eugéniste, même si nous sommes absolument étrangers à toute approche sectaire et dogmatique des solutions à apporter, tant ce problème dépasse les lois que nous pouvons voter.

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