Merci de ces exposés. J'aimerais avoir vos réactions sur cinq points.
Premièrement, vous mentionnez dans votre exposé les passerelles entre l'activité en circonscription et l'activité parisienne. Mon expérience de huit mois en tant que député me laisse penser que ces liens existent encore. À titre d'exemple, j'essaie de porter une proposition de loi sur la responsabilité pénale du dirigeant associatif. J'ai écrit aux associations pour les informer que j'allais travailler sur ce texte et les inviter à une journée de travail. Cent onze associations sont venues passer la journée, de huit heures à vingt heures. Et je suis ravi qu'il n'y ait plus d'enveloppe, car ces cent onze associations sont venues de manière totalement désintéressée, pour essayer de contribuer à l'élaboration d'une loi. Cette logique de circuit court entre les citoyens et l'élaboration de la loi est un enjeu plus important que jamais. J'espère que ça restera le cas, et même que cette logique prendra de l'importance.
Deuxièmement, le devoir d'expliquer l'action de la majorité ou du Gouvernement prend un aspect particulier. Chacun choisit la forme qui lui convient, moi j'organise des afterwork, pour lesquels j'ai inventé un outil qui s'appelle le « transformoscope ». C'est un point de l'avancée de la transformation de la société française appliqué à la circonscription. S'agissant de la limitation à douze élèves du nombre d'enfants par classe dans les réseaux d'éducation prioritaire renforcés, nous avons dressé la liste des dix écoles bénéficiaires dans la circonscription, estimé le nombre d'enseignants en plus, et les effectifs en septembre, après extension de la mesure aux réseaux d'éducation prioritaire. Nous traduisons ainsi dans la vie des habitants de la circonscription les lois que nous votons à Paris.
C'est le lien en sens inverse : comment les lois influent sur la vie des gens, dans un sens ou un autre ? Beaucoup de débats portent sur le pouvoir d'achat ; nous refaisons les calculs du ministère en prenant en compte la taxe d'habitation de Strasbourg. Par chance pour nous, elle est très élevée – 1 045 euros – et le calcul dépasse tous les modèles, c'est parfait ! Ces circuits courts avec les citoyens, dans les deux sens, me semblent constituer un enjeu sur lequel j'aimerais vous entendre.
Troisièmement, je suis très sensible à vos propos sur la volonté d'ubiquité, mais vous n'avez pas mentionné les réseaux sociaux. Pour moi, ils transforment radicalement les choses.
Vous disiez – je résume à grands traits – que l'attachement au niveau local et au territoire est peut-être moins prégnant qu'on ne l'imagine, mais la proximité ne se mesure pas forcément en ancrage local, plutôt en ancrage dans la « vraie vie ». Cette notion de vraie vie est évidemment un peu marketée, mais il naît aussi une forme de proximité du fait que je ne suis pas dans la politique depuis quarante ans, que j'avais un salaire et un bureau comme mes électeurs, et que comme eux, j'allais au travail tous les matins. N'y a-t-il pas un transfert de l'ancrage territorial, qui imposait d'avoir été maire, conseiller général et conseiller régional avant de devenir député, vers l'ancrage dans la « vraie vie », qui concerne plus la proximité avec le quotidien des gens ?
Cela crée d'ailleurs une pression lorsque l'on voit des images de l'hémicycle vide. Quand je vais au bureau le matin, je ne me pose pas la question de savoir si j'y vais ou pas, j'y vais. De même, quand je suis député, je ne me pose pas la question de savoir si je dois aller voter une loi ou pas, j'y vais. Cette proximité par rapport à la vie des gens créée aussi une attente plus forte, et des attitudes que nous pouvons rationaliser ou expliquer ne tiennent pas au regard de cette proximité nouvelle.
Quatrièmement, je voulais échanger avec vous sur la notion des temps courts. J'ai trouvé votre analyse de la nouvelle sociologie des députés très juste ; je suis tombé de haut quand au bout de trois mois, un ancien député m'a dit ce que je devais faire pour ma réélection. En toute bonne foi, c'était de la science-fiction pour moi : je venais d'être élu. Cette anecdote traduit ce que vous disiez, nous ne sommes pas forcément dans des temps politiques longs, nous avons mis entre parenthèses une vie qui marchait bien – en général, parce que si l'on a été investi, c'est parce que nous étions engagés, nous n'avons pas fait cela par désœuvrement ! Cette idée de s'investir pendant cinq ans et de ne pas être sûr d'être candidat à sa propre succession me semble très présente dans l'esprit des députés.
En revanche, vous avez peu parlé de l'accélération des cycles de temps. Emmanuel Macron nous a prouvé qu'il était possible de ne pas être dans le radar dix-huit mois plus tôt et d'être élu Président de la République. À notre très modeste échelle, c'est le 18 avril que je me suis porté candidat à l'investiture, et une cinquantaine de jours plus tard, j'étais au perchoir. C'est fou, même si le fait d'avoir été dix ans maire d'un village me donnait un ancrage territorial. Ce temps court, le fait que nous ayons changé d'implication rapidement et que nous ne nous projetions pas au-delà de cinq ans fait que nous souhaitons réformer vite. Notre rapport au temps est différent.
Enfin, cinquièmement, je pense que tous les nouveaux députés trouvent la gestion de notre temps absurde, et beaucoup d'autres partagent cette opinion. Prévoir cinq réunions obligatoires en même temps, tenir six réunions pendant que le président de la Cour des comptes vient présenter son rapport, être censés travailler de 9 h 30 à 13 heures, de 15 heures à 20 heures et de 21 h 30 à 1 h du matin – et nous avons très mauvaise conscience quand nous n'y sommes pas ! Tout semble tellement absurde que la volonté de changer cela est très forte. Mais cette volonté se heurte parfois au principe de réalité, parce que c'est compliqué.
Le droit d'amendement est un très bon exemple : il accorde à tout député un temps de parole illimité dans l'hémicycle. Si un député dépose 2 000 amendements, il aura 4 000 minutes de temps de parole. Heureusement, nous échappons au blocage systématique, mais de fait, un député a un temps de parole illimité. Ce rapport au temps est un élément majeur, et on ne peut pas traiter l'un sans l'autre lorsque l'on parle de l'organisation de la semaine du parlementaire. Si nous continuons à organiser des réunions indispensables simultanément, à travailler jusqu'à une heure du matin – c'est physiquement impossible, on ne peut pas assister aux sessions du lundi au vendredi, donc nous organisons un roulement par tiers – si nous ne parvenons pas à changer cela radicalement, nous serons à côté du sujet.
Quelle est votre opinion sur cette gestion du temps court, sur cette organisation du temps ? Est-ce seulement le regard nouveau qui la fait sembler absurde, même si je suis rassuré de constater que Mme Buffet partage ce point de vue ? Comment pouvons-nous agir ?