Intervention de Jean-Gabriel Contamin

Réunion du jeudi 15 mars 2018 à 14h05
Groupe de travail sur la procédure législative et l'organisation parlementaire et les droits de l'opposition

Jean-Gabriel Contamin, professeur de science politique à l'Université de Lille II :

Je reviendrai sur ce point, car j'ai l'impression que la question sous-jacente est plutôt celle de la professionnalisation. Quoi qu'il en soit, merci de nous faire part de votre vécu, c'est précieux pour nous.

Madame Buffet, vous avez eu l'occasion de vivre les transformations, mais il me semble que votre vécu est très lié à une famille politique particulière. Ce que vous disiez sur le rapport des électeurs au Parti communiste ne vaut pas nécessairement pour d'autres partis, le rapport fondé sur la proximité et l'ancrage local était déjà très présent dans d'autres partis – pour caricaturer, les partis de droite, partis de notables selon Duverger – et moins pour les partis de gauche, tout particulièrement le Parti communiste. Si bien que la transformation que vous avez vécue n'est pas forcément la norme.

Au sein de la norme, il y a une transformation du rapport au vote qui réduit l'importance de l'étiquette, même si en France, elle a toujours eu une importance moindre avec les changements de nom. De facto, il y a un rapport plus consommateur au vote, qui peut être un rapport de service. Il est vrai que ce n'est pas la même forme de proximité, ce n'est plus l'autochtonie, mais une proximité liée aux services que rendent les uns et les autres, et qui peut être liée à l'écoute.

Le deuxième point qui me semblait très intéressant, c'est de retrouver le temps du débat politique. Vous le vivez directement, et le temps que nous passons ici va à l'encontre de ce souhait, mais quand on vit des semaines de soixante-dix heures, que l'on a déjà plus le temps familial nécessaire, trouver le temps de lire, de prendre du recul, de réfléchir, ce n'est pas si simple.

D'où l'intérêt d'avoir différents moments dans une vie, avec des périodes plus intenses, et d'autres au cours desquelles l'investissement est moins intense, ce qui permet cette respiration qui est difficile lorsque l'on a l'obligation de gérer beaucoup de demandes individuelles. Nous parlions de la souffrance de ne pas pouvoir y répondre, mais écouter, c'est déjà répondre. Par ailleurs, s'il est difficile de faire avancer les choses dans le travail institutionnel, on peut voir des résultats directs sur des cas individuels. J'ai travaillé sur le pétitionnement, souvent les pétitions ne servent à rien, mais le militant qui a obtenu une signature est déjà content d'avoir obtenu quelque chose. De même, un ensemble d'élus peut certes ne pas avoir réussi à faire passer la loi qu'il voulait faire passer, mais ils auront résolu la situation individuelle d'une personne donnée. Quand on demande ce qui fait que l'on a passé une bonne ou une mauvaise journée, la bonne journée peut être celle où l'on a résolu un cas individuel.

Mais indépendamment de cela, il est essentiel de trouver le temps du débat politique. Nous avons beaucoup parlé des travaux d'Olivier Costa et d'Éric Kerrouche, qui ont mis en évidence le fait qu'au niveau local, le débat ne sera pas partisan, ce qui n'empêche pas une réflexion plus générale sur des enjeux politiques. Mais du fait des spécificités institutionnelles, l'aspect partisan est souvent évacué à l'échelon local.

J'ai beaucoup travaillé sur les réseaux sociaux, et je ne suis pas d'accord avec vous. Sur les réseaux sociaux, on ne trouve pas tout le monde. L'expérience que vous donnez est très intéressante : effectivement, plus de personnes participent, parce qu'il y a des personnes qui viennent de toute la France. Mais si vous aviez pu organiser au même moment une réunion à Strasbourg, à Reims et à Lyon, tous ces gens seraient venus. Ca ne veut pas dire que socialement, vous avez des profils différents.

Dans nos travaux, nous nous interrogeons sur une fracture numérique, qui viendrait s'ajouter à la fracture sociale traditionnelle, précisément parce que le fait de passer par l'écrit est très handicapant. Ce n'est pas simplement le fait de ne pas avoir internet et de ne pas maîtriser la technique, mais aussi le passage à l'écrit. Il est encore plus handicapant pour un ensemble de personnes qui ne vont pas oser, parce qu'elles ne maîtrisent pas bien l'orthographe ou la grammaire. À l'oral déjà, beaucoup s'autocensurent ou ne viennent pas, mais à l'écrit, les choses risquent d'être encore pires. Il faut vraiment se demander avec qui l'on interagit sur les réseaux sociaux.

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