C'est très intéressant. Premièrement, la séance publique. Comme beaucoup, je n'étais pas du tout emballé par les mesures de limitation du droit d'amendement qui ont été proposées dans une première version du projet du Gouvernement. Néanmoins, il est important que nous trouvions ensemble des moyens de rendre la séance plus efficace. Mais, comme cela a bien été rappelé durant le séminaire constitutionnel, le Parlement n'est pas la principale cause de la longueur du processus d'adoption d'un texte, si l'on prend en compte le temps de préparation du projet de loi et sa mise en œuvre réglementaire. Le débat parlementaire ne représente qu'une fraction, qui n'est même pas majoritaire – elle est peut-être de 30 % –, de l'ensemble du processus. Il ne faut donc pas croire qu'on accélérera celui-ci de façon significative en se focalisant sur le Parlement.
Ce qui me préoccupe davantage, ce sont la longueur des débats et nos conditions de travail. Un jour, un amendement a été adopté à deux heures du matin, après une minute ou deux de débat ; le lendemain matin, nous nous sommes aperçus que nous avions fait une erreur et qu'il fallait revenir sur cet amendement en séance publique. Évidemment, à deux heures du matin, ce genre de choses peut arriver ! Cette semaine, la séance a été levée chaque jour à une heure du matin, et le bruit a commencé à se répandre, hier, que la séance pourrait se terminer à sept heures du matin, samedi, ou que nous devrions siéger tout samedi, voire dimanche. Bien entendu, certains d'entre nous, qui ont pris des engagements de longue date dans leur circonscription, ne pourront être présents. Du point de vue de sa vie personnelle, familiale, pratique, voir son week-end s'écrouler d'un coup n'a rien de réjouissant et ne vous donne pas d'ardeur à la discussion. Bref, ce ne sont pas des conditions de travail raisonnables.
Ce n'est donc pas tant la longueur de la procédure d'examen d'un texte qui me gêne que les conditions dans lesquelles nous travaillons et l'ambiance dans laquelle nos travaux se déroulent. Par exemple, je crois que notre institution est en train de se discréditer auprès d'une partie de ceux de nos concitoyens qui suivent les débats actuels. Ce matin, plusieurs articles de presse évoquaient les manœuvres d'obstruction de l'opposition et le fait qu'une ministre avait un peu perdu son sang-froid à minuit face à des députés très bien organisés, très actifs, qui ont joué le jeu dans leur meilleur intérêt et avec expertise. Il faut trouver le moyen de sortir de ce genre de situations.
Par ailleurs, on est parfois content de pouvoir approfondir, grâce à la séance, un point qui avait été abordé en commission. Ce fut le cas notamment lors du débat sur les données personnelles, qui était technique et délicat. En effet, l'examen en commission permet parfois d'identifier la tension qui se crée entre deux positions. On peut alors avoir le temps de ré-instruire la question avant la séance publique. Nous l'avons fait sur le point très précis de l'utilisation des données dans le cadre de projets de santé, selon que ces projets ont ou non une finalité liée à la recherche. Avec Paula Forteza, nous avons pu organiser une nouvelle audition, qui a permis une discussion un peu contradictoire entre la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et les entreprises, et nous avons pu ainsi affermir notre position qui, du reste, allait contre l'opinion du Gouvernement, ce qui montre que le Parlement, lorsqu'il a pris le temps de bien s'informer, peut affirmer toute sa force.
Enfin, avoir un pied en circonscription et un pied au niveau national, c'est très compliqué mais très enrichissant. Cela permet de discuter avec des interlocuteurs privilégiés. C'est essentiel. C'est pourquoi, quelle que soit l'option retenue dans le cadre de la réforme des institutions, je trouverais dommage qu'elle aboutisse à créer deux catégories de députés, selon qu'ils auront été élus dans une circonscription ou sur une liste nationale. Des solutions existent, même dans le cadre de la proportionnelle : on peut, par exemple, repêcher des gens qui ont fait campagne en circonscription. On peut y travailler, y réfléchir. En tout état de cause, avoir un pied de chaque côté permet un va-et-vient entre les élus locaux et le Gouvernement qui est précieux sur bien des sujets.
J'ai la chance ou la complication d'être élu d'une circonscription, celle de Paris-Saclay, extrêmement riche et complexe, dont les problématiques ont trait aussi bien aux transports qu'aux constructions universitaires, à l'aménagement du territoire ou au lien entre urbain et rural puisqu'elle comprend une vallée et un plateau rural, où les élus, les réflexes, les interlocuteurs sont de types différents. L'enjeu de la cohésion s'y manifeste même d'un point de vue physique, puisque nous envisageons sérieusement d'installer des téléphériques pour assurer la liaison entre la vallée et le plateau. En tout cas, dans bien des domaines, le fait de pouvoir me pencher, y compris dans les menus détails, sur les problèmes de ma circonscription m'a été d'une grande aide pour mon travail au plan national.