Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 14h40
Groupe de travail sur la procédure législative et l'organisation parlementaire et les droits de l'opposition

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, premier vice-président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) :

Première remarque : je partage largement ton opinion. Il est vrai que certains débats s'apparentent à du théâtre ; celui-ci est parfois très plaisant, du reste, et peut sembler légitime, mais cela ne correspond pas à ce que ce que d'autres attendent. Moi, j'aime bien voir un peu de théâtre, mais pas tous les jours jusqu'à une heure du matin ! Hier, une de nos collègues récemment élue disait espérer ne pas devoir supporter ce spectacle pendant les quatre années à venir : ce n'est pas pour cela qu'elle a signé. Encore une fois, l'aspect théâtral des débats peut être légitime, mais il répugne à beaucoup de gens qui n'ont pas envie de travailler ainsi, avec des horaires dont l'amplitude ressemble à celle qu'on trouve dans les grandes entreprises internationales de conseil, le salaire en moins. L'impossibilité de planifier les choses, les difficultés que nous avons pour fixer un simple rendez-vous sont très déplaisantes. La prévisibilité est une véritable question ; il y va aussi de notre crédibilité vis-à-vis de l'extérieur.

Ensuite, il est important que le débat ait lieu, mais je suis très frappé par la redondance des discours. Par exemple, je le dis sans porter de jugement de valeur, nos collègues non-inscrits apparentés au Front national considèrent le débat actuel comme un événement très important de leur temps parlementaire ; or, on ne les a pas entendus en commission. En revanche, dans l'hémicycle, où les débats sont plus médiatisés, ils s'expriment avec le souhait que l'on passe autant de temps que possible sur ce texte. Pour ceux de nos collègues Républicains qui se sont spécialisés dans les questions de sécurité, c'est aussi un enjeu important que d'être le plus possible entendus et visibles. Et, de l'autre côté de l'hémicycle, on a la volonté de ne pas être en reste sur le temps de parole. On se retrouve ainsi dans un jeu qui produit presque irrésistiblement une inflation de la parole, de sorte que les mêmes arguments reviennent en boucle sur chaque article. Hier, nous avons examiné des dispositions qui, si elles peuvent représenter un enjeu important au regard de certaines situations individuelles, ne concernent pas une grande masse de population et ne sont pas celles dont la presse a parlé, comme la durée de la rétention ou le droit de recours. Elles ont pourtant servi de tribune aux uns et aux autres, qui en ont profité pour exprimer, encore et encore, leurs positions. Il y a là quelque chose qui, à mon avis, ne contribue pas à la qualité du débat et qui le ralentit, tant et si bien que, pour l'instant, nous ne votons même pas un article par jour.

Par ailleurs, je veux relever le rôle ambivalent des indicateurs quantitatifs qui permettent d'établir un classement des députés en fonction du nombre de leurs prises de parole, du nombre d'amendements qu'ils défendent… J'ai vu, en tant que scientifique, les ravages que pouvait provoquer ce type d'indicateurs concernant notamment les publications scientifiques, dont ils ont en partie provoqué l'inflation puisque la quantité des publications participe de la promotion des chercheurs. Or, je retrouve ici quelques-unes de ces problématiques. De fait, on ne peut pas se contenter de tels indicateurs, compte tenu de la variété des tâches qui nous incombent en tant que représentants de la nation. Je pense au travail en circonscription, à la participation aux missions parlementaires et aux rapports, où beaucoup d'échanges sont informels, ou au travail d'influence, qui peut être considérable. Tout le temps que nous passons dans l'hémicycle, nous ne le passons pas dans un cabinet ministériel à tenter d'influer sur les décisions ou à participer au rapport de force entre les institutions, ni à utiliser ses compétences propres. Une partie des discours sont interchangeables, ce qui est dommage dans un Parlement qui devrait s'honorer de la variété des regards apportés par les uns et les autres.

Il est très difficile de résoudre ces problèmes d'indicateurs qui font appel à des quantités. Quand on essaie, en pratique, de compliquer les recettes pour prendre en compte tel ou tel élément, on peut se retrouver avec des indicateurs encore plus complexes qui ne sont pas forcément plus représentatifs – on l'a vu à propos du classement des universités, par exemple. À la fin des fins, cela nous ramène aux clichés culturels : l'absentéisme parlementaire, par exemple. Après en avoir tâté, je peux témoigner auprès de nos concitoyens que député, ce n'est pas un métier de feignant : c'est avoir des horaires de givré ! Si l'on fait bien son boulot, tout le temps que l'on ne passe pas dans l'hémicycle, on le passe à travailler ailleurs. Bien entendu, certains se faufilent, mais c'est la vie.

Il doit y avoir une façon d'organiser la discussion entre groupes pour maîtriser le temps du débat et faire en sorte que celui-ci s'inscrive dans une durée prédéfinie. Jean-Luc Warsmann a utilisé l'argument des comparaisons internationales, dans l'introduction de son rapport. On ne peut pas dire que nos homologues britanniques, dont les discussions durent peu de temps, aient une tradition démocratique moins développée que la nôtre.

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