Intervention de Michel Wieviorka

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Michel Wieviorka, président de la fondation Maison des sciences de l'Homme, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) :

Tout d'abord, je rappelle que l'antisémitisme est apparu comme un racisme à la fin du XIXe siècle. Auparavant, ce qui régnait était l'antijudaïsme. La haine des juifs était religieuse dans la plupart des cas L'antisémitisme c'était : « Les Juifs sont un peuple déicide. Les Juifs ne veulent pas rejoindre le christianisme. »

Ensuite, je pense que, parmi les mobilisations antiracistes, il faut distinguer celles qui en appellent aux valeurs universelles et exercent une pression pour obtenir certaines choses, pour que s'ouvrent des négociations, des logiques qui veulent institutionnaliser le différent, des logiques de rupture et de guerre. Dans ce dernier cas, on ne peut plus discuter. C'est peut-être ainsi qu'on peut regarder les différents courants qui traversent ces phénomènes antiracistes.

Sur le thème des discriminations, la loi prévoit plus de vingt formes de discrimination, Celle qui renvoie à l'idée de race n'est qu'une parmi les autres. Symétriquement, le racisme peut transiter par d'autres modalités que la discrimination : des rumeurs, des stéréotypes, des violences…. Par conséquent, les thématiques de la discrimination et du racisme se chevauchent, mais pas intégralement.

S'agissant des statistiques ethniques, il se trouve que j'ai écrit, avec Hervé Le Bras, un livre sur cette question, intitulé Diviser pour unir ?: France, Russie, Brésil, États-Unis face aux comptages ethniques Hervé Le Bras était au départ contre les statistiques ethniques tandis que j'y étais personnellement plutôt favorable. Nous nous sommes d'ailleurs retrouvés dans deux commissions opposées au moment où le Président Sarkozy a souhaité que cette question soit mise à l'étude. Lors de ce débat, Hervé Le Bras et moi sommes allés dans quatre ou cinq pays différents pour examiner le débat sur les statistiques ethniques. Nous sommes tombés assez d'accord sur la conclusion qu'il ne fallait pas de statistiques ethniques s'il s'agit du recensement, c'est-à-dire de donner une image complète de la société française mais que nous y étions favorables pour des enquêtes ponctuelles, limitées et faites de manière privée. Le problème sur lequel il y a débat concerne les grandes enquêtes faites par l'INSEE ou l'INED, comme l'enquête Trajectoires et Origines (TeO). Il y a débat parce que ce n'est pas le recensement mais ce n'est pas non plus une petite enquête limitée sur un problème. On peut arriver à des accommodements raisonnables.

Un point est très intéressant que j'ai relevé dans la discussion de ce matin est qu'en parlant de l'ethnicisation, monsieur le président, vous avez utilisé le mot « nation » tandis qu'en vous répondant, Dominique Schnapper a utilisé celui de « démocratie ». Personnellement, ce qui me semble au cœur de cet enjeu d'ethnicisation de la vie publique, c'est la crise du modèle d'intégration républicaine. Dominique Schnapper l'a déjà fait, bien sûr, mais je donnerai plus de poids à l'idée de République dans ce débat. C'est notre modèle républicain qui est interpellé et qui rentre encore plus en crise par ces interpellations. Tout ceci met en cause à la fois l'État, la nation, la démocratie et la République. C'est cet ensemble qui est en débat dans ces questions, qui, en France, remontent aux années 1980.Dans les années 1980, lorsque nous avons commencé à discuter de ces questions, le débat était très passionnel dès qu'il s'agissait de l'islam mais nous pouvions débattre, en tout cas dans un certain univers intellectuel, parce qu'il y avait vraiment la volonté de débattre. Je me souviens d'un article de Régis Debray qui avait fait beaucoup de bruit à la fin des années 1980 : « Êtes-vous démocrate ou républicain ? » Cela portait sur le foulard et il opposait deux façons d'envisager ce type de problème. Je pense que le débat aujourd'hui n'est plus du tout comme cela. On ne se demande pas si vous êtes républicain ou si vous êtes démocrate mais on se demande si vous êtes du côté de la guerre des races ou si vous êtes du côté d'un débat qui doit rester démocratique et donc aussi républicain.

Sur la question des courants hyper racialisants, je pense aussi que l'histoire tranchera. J'ai été étonné de voir qu'ils n'étaient pas au cœur de la bataille à propos de la mort d'Adama Traoré Ils sont dedans, ils sont présents mais ils ne sont pas le fer de lance. Dominique Schnapper a eu raison d'évoquer ce qui s'est passé à Paris 8. Il s'agit de phénomènes dus à des groupes d'intellectuels, présents dans quelques lieux universitaires. À Paris 8, je le sais d'autant mieux qu'une de mes anciennes étudiantes est un des protagonistes les plus actifs de combat. C'est un phénomène qui existe dans des milieux intellectuels et universitaires, peut-être plus que dans la réalité vécue de ceux qui se sont mobilisés en grand nombre ces derniers temps.

Ainsi, espérons, et surtout participons à poser ces questions et à ne pas laisser le débat déraper dans ce sens. Il me semble personnellement important de ne pas nier l'existence de tout cela.

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