Intervention de Dominique Schnapper

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Dominique Schnapper, sociologue et politologue, directrice d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), membre honoraire du Conseil constitutionnel, ancienne présidente du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) :

Je souhaite revenir sur un point qui a été abordé à deux occasions, d'une part lorsque vous avez dit qu'il ne faut pas hiérarchiser et d'autre part, lors de la question sur ce qui a été fait pour les juifs dans le cas de l'affaire Halimi et qui n'a pas été fait pour les Chinois dans l'affaire Zhang. Je crois qu'il faut reconnaître que le problème de l'antisémitisme dans le monde chrétien est très différent des relations avec le monde chinois parce que le monde chinois est « l'étranger » par excellence. Emmanuel Levinas disait toujours : le christianisme, c'est une secte juive qui a réussi. Historiquement, c'est vrai. Comme j'ai essayé de montrer dans mon livre La citoyenneté à l'épreuve : la démocratie et les juifs, les relations des sociétés chrétiennes avec les juifs – et donc l'antisémitisme – sont très différentes des relations avec les autres peuples. Les sociétés chrétiennes ne se sortent pas de ce rapport originaire de concurrence en quelque sorte, du rapport très particulier avec l'antisémitisme.

Ce qui vous donne aujourd'hui l'impression d'être « deux poids, deux mesures » ne fait que traduire une histoire complètement différente de l'histoire des relations entre les Européens et les Chinois. C'est la relation de l'étranger par excellence, avec toute l'ambiguïté de l'étranger, que l'on admire et que l'on déteste à la fois. Alors que l'histoire de l'antisémitisme est une histoire interne, profonde, organisatrice et structurante de l'histoire de l'Europe. C'est la raison fondamentale de la distinction entre le racisme et l'antisémitisme.

Bien sûr, il y a cette part de racisation dont a parlé Michel Wieviorka. J'ai parlé d'essentialisation. On dit que les Chinois sont riches maintenant, comme on disait que les juifs sont riches alors que les deux tiers de la population sont pauvres. Ces phénomènes d'essentialisation caractérisent toutes les relations avec des populations minoritaires. La Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) s'est demandé après la guerre si elle devait garder les termes antisémitisme et racisme et a conservé les deux au motif que, dans les sociétés chrétiennes, l'antisémitisme a une forme qui est très structurante, ancienne, profonde, ce qui le rend différent malgré le caractère commun de la racisation. Le rapport aux juifs est très différent. Ce n'est pas une hiérarchisation, c'est simplement une histoire très différente qui a pour conséquence que les deux phénomènes sont très différents. Dans les sociétés démocratiques, toutes les différences sont traduites en inégalités alors on dit « deux poids, deux mesures ». Or ce n'est pas l'un plus et l'autre moins, ce sont deux relations extrêmement différentes.

Vous retrouvez cela avec l'islam. L'islam, c'est quand même l'extérieur, même si c'est déjà beaucoup plus proche que la Chine. C'est tout de même l'histoire de la Méditerranée, le Livre, Charles Martel… Il s'agit donc d'une histoire beaucoup plus ancienne que celle avec la Chine qui était très éloignée. Mais, malgré tout, cela n'a pas ce caractère structurant de la relation avec le judaïsme.

Rappelez-vous que le christianisme n'est jamais qu'une secte juive qui a réussi : cette formule, qui est historiquement vraie, est une formule très profonde parce qu'elle explique la force, la permanence et le rôle structurant qui impliquent qu'il faut conserver ce qui est commun, comme l'a rappelé Michel Wieviorka, mais en même temps rappeler que c'est une relation très particulière.

En ce qui concerne la proposition de M. Sylvain Maillard, est-elle une proposition de loi et est-elle passée ?

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