Intervention de Michel Wieviorka

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Michel Wieviorka, président de la fondation Maison des sciences de l'Homme, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) :

Sur le premier point de l'antisémitisme et l'antisionisme, je précise que l'on peut être antisémite et pro-sioniste si je puis dire. Les évangélistes américains qui soutiennent profondément la politique israélienne sont ainsi capables de tenir des propos très antisémites. Ce n'est donc pas un bon débat, voilà ce que j'en pense. Je trouve que ce n'est pas utile et que cela n'apporte rien à la compréhension de ces questions.

Un deuxième point, évoqué par deux d'entre vous, est très important. C'est l'idée que nous aimerions tous pouvoir partager, mais qui malheureusement ne suffit pas, que si nous résolvions les questions sociales, nous résoudrions en même temps les questions de racisme, de sexisme et beaucoup d'autres de ce genre. Je pense que, malheureusement, cela n'est jamais si simple. On ne passe pas directement d'un registre à un autre. Je crois que résoudre des problèmes d'intégration sociale, des problèmes d'emploi, des problèmes de revenus évite à certains de déraper ou de basculer, mais cela ne suffit pas. Il n'y a donc pas de réponse précise.

Je voudrais dire un mot sur le fait qu'il faut connaître l'autre. Je pense que nous n'avons pas assez de recherches ou d'évaluations de ce qui se fait ou de ce qui pourrait se faire pour lutter contre le racisme ou l'antisémitisme. Je vous raconte une anecdote qui est à mon avis très révélatrice. Ma sœur Annette Wieviorka a accompagné un des tout premiers voyages d'élèves français qui allaient visiter Auschwitz. Après avoir pris l'avion, les jeunes arrivent en Pologne, ils visitent et reviennent le soir même. Assise dans l'avion du retour à côté d'un de ces jeunes, ma sœur lui a demandé: « Alors, c'était intéressant ? » et il a répondu : « C'était formidable ! J'ai eu mon baptême de l'air. » C'est anecdotique mais cela nous invite à réfléchir. Il faut des évaluations parce que certaines choses sont peut-être contre-productives. Il faut évaluer tout ce qui relève des pratiques antiracistes, de la lutte antiraciste et de la lutte contre les discriminations. Il faut des travaux sur ces sujets et il faut étudier les acteurs. Je pense que nous avons besoin de toujours plus de recherche.

Ensuite, je voudrais vous faire une réponse très générale. J'ai fait une grande enquête à la fin des années 1980 et dans les années 1990 sur le racisme en France. J'ai rencontré essentiellement, explicitement du racisme anti-maghrébin. Il n'y avait pratiquement pas, en métropole en tout cas, de racisme anti-Noir chez ceux que je rencontrais. Il y avait un racisme dont on ne parlait pas spontanément mais qui était très virulent : le racisme anti-Tzigane, qui est un vrai problème en soi parce que c'est un racisme qui est mal traité dans le débat général. Enfin, il y avait l'antisémitisme. Aujourd'hui, on parle beaucoup de racisme anti-Noir, mais aussi de toutes sortes d'autres formes de racisme. Nous sommes dans une période historique de fragmentation de la société. Lorsque la société se fragmente, les groupes susceptibles d'être victimes ou cibles de racisme sont nombreux. Non seulement ils sont victimes du racisme du groupe dominant mais il peut aussi y avoir des formes de racisme entre groupes. C'est tout cela qu'il faut regarder.

Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'a dit Dominique Schnapper quant au traitement singulier des juifs « bénéficieraient », si je puis dire. Cela est lié à cette histoire au poids énorme et aussi, il faut le dire, à une capacité de mobilisation, pas seulement juive bien entendu. Je crois que le combat antiraciste est d'autant plus efficace qu'il y a de la capacité à poser les problèmes et les mettre en débat. Avec ce qui s'est passé, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale, la question de l'antisémitisme reste nécessairement très prégnante.

Enfin, quels seraient les meilleurs garde-fous face aux dérives qui pourraient naître de statistiques ethniques ? C'est un problème compliqué parce que les statistiques ethniques peuvent être utilisées pour le bien mais aussi pour le mal. Je ne vais pas être trop polémique, mais je me souviens que, il y a trois ou quatre ans, Robert Ménard, maire de Béziers, comptait les élèves musulmans dans sa ville. Je ne suis pas certain que c'était pour le bien de la lutte anti-discrimination dans les écoles de sa ville. Cela peut servir à toutes sortes d'usages. Je crois vraiment que c'est une question proprement politique mais je n'ai rien contre des enquêtes limitées et précises. D'ailleurs, vous le savez, elles existent. Y compris sur les juifs. Une de nos collègues, Doris Bensimon, avait fait dans des revues de démographie très sérieuses des enquêtes sur le nombre de juifs en France.

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