Intervention de Michel Wieviorka

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 9h00
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Michel Wieviorka, président de la fondation Maison des sciences de l'Homme, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS), membre du conseil scientifique de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH) :

Je crois que toutes ces questions appellent un regard historique, ne serait-ce que sur les années qui commencent après la Seconde Guerre mondiale. Jusque dans les années 1970, on ne parle pas des juifs. Ensuite arrivent Robert Paxton, Michael Marrus et on se met à en parler parce qu'il y a une mobilisation du monde juif. Cela commence au début des années 1970, dans un contexte de surgissement d'identités bafouées, niées et meurtries. C'est aussi le contexte du mouvement corse ou un peu plus tard du mouvement occitan et, aux États-Unis, du mouvement Roots, d'après un livre (Racines) qui connait un énorme succès aux États-Unis, etc. Auparavant, non seulement on n'en parlait pas, mais on ne voulait pas en parler. Ma sœur Annette Wieviorka, qui a beaucoup travaillé sur ces questions, a montré de manière lumineuse qu'après la Seconde Guerre mondiale, beaucoup de juifs qui revenaient des camps de concentration et avaient eu des expériences terribles, voulaient parler, ont parlé et ont écrit. Or la société n'était pas en état de les écouter. Pourquoi dis-je cela ? Parce que je pense que les choses évoluent à partir du moment où des combats se construisent, où des organisations se mettent en place, où des formes de structuration institutionnelle existent. Je pense qu'une grande question est là : la capacité de certains acteurs, plus que d'autres, à se structurer, à créer et à imposer le débat. Je note, et c'est la raison pour laquelle je trouve que la situation actuelle est très importante et très intéressante, qu'aujourd'hui on parle de la colonisation et de la décolonisation autrement que dans les années 1970, 1980 et 1990, parce qu'il existe des mouvements qui veulent qu'on en parle.

Je suis donc un peu plus optimiste. Je trouve intéressant que l'on rappelle que la République a été coloniale Évidemment je ne suis pas du côté de ceux qui déboulonnent les statues. Je vous donne un petit exemple politique. Quand François Hollande a été élu Président de la République, pour son premier grand discours, il voulait parler très longuement de Jules Ferry. Il en a parlé mais moins que ce qui était prévu au départ parce que des conseillers lui ont dit : « Écoutez, faites attention. Jules Ferry, ce n'est pas seulement l'école. »

Ainsi, les choses bougent, les choses évoluent. Le problème est quand des groupes ne peuvent pas se faire entendre, quand des problèmes restent. Il faut alors des intellectuels, il faut des églises, il faut des organisations généralistes, mais c'est beaucoup plus difficile.

On ne parle pas que des juifs en ce moment. On parle d'autres sujets. Le mouvement MeToo a mis la question des violences subies par les femmes au milieu du débat public avec une violence et une force inouïes. Je voudrais insister là-dessus.

Je pense que la conscience mondiale du génocide doit être présente, la justice doit être internationale, mais c'est très difficile. Vous savez que beaucoup de gens considèrent que Nuremberg n'est pas une justice internationale mais la justice des vainqueurs, qu'on reproche au tribunal de La Haye de juger beaucoup d'Africains et de ne pas s'intéresser à d'autres parties du monde, etc. Je crois vraiment que ce sont des questions qui appellent une action mondiale mais que ce n'est pas si facile.

J'ai été très sensible à ce qu'a dit Dominique Schnapper sur ce qui est réalisé au mémorial de la Shoah. C'est très intéressant parce que, à partir d'un génocide, on demande une réflexion sur le phénomène génocidaire.

Un dernier mot : je trouve que ce n'est pas un très bon choix d'utiliser le suffixe « phobie » dans islamophobie, judéophobie, négrophobie, etc. Je pense que ce n'est pas un bon mot. Nous revenons à chaque fois sur les mots, les catégories et nos catégories méritent que nous nous y arrêtions un instant. Pourtant, le mot négrophobie est intéressant : qui oserait aujourd'hui employer le mot nègre ? Et on se met pourtant à utiliser l'expression négrophobie.

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