Intervention de Jean-Christophe Dumont

Réunion du jeudi 2 juillet 2020 à 11h10
Mission d'information sur l'émergence et l'évolution des différentes formes de racisme et les réponses à y apporter

Jean-Christophe Dumont, chef de la division des migrations internationales à l'OCDE :

Je vais prendre pour ma présentation un angle assez différent. Je représente la division des migrations internationales de l'OCDE et mon angle est donc celui de la migration, mais il peut y avoir d'autres formes de racisme. Je vais essayer d'éviter l'écueil de l'ambiguïté entre qui est migrant et qui n'est pas migrant.

Ce qui est sûr, d'après les enquêtes nombreuses dont nous disposons, c'est que la perception de la question de la discrimination en France est très forte. Quand on demande à la population générale si elle pense que la discrimination selon l'origine ethnique est un problème très courant, 74 % des Français répondent oui. C'est nettement plus que dans d'autres pays européens. De même, lorsque l'on pose la même question sur la couleur de peau, c'est encore la France qui arrive en premier, avec 80 % des Français qui pensent que la discrimination selon la couleur de peau est fréquente. Dans les autres pays, ces pourcentages sont beaucoup plus faibles. Cela signifie que, indépendamment de la réalité du problème qui est difficile à mesurer clairement, la perception de ce problème est très forte dans la société française.

Les études qui permettent de révéler des phénomènes de discrimination sont très nombreuses mais elles posent évidemment des problèmes de comparabilité. Elles posent des problèmes de représentativité et posent des problèmes d'interprétation. Nous avons fait à l'OCDE en 2013 une sorte de revue de littérature qui permettait notamment de comparer les résultats des études de testing sur l'accès à l'emploi. Il en ressort effectivement que, en France, il faut envoyer deux à quatre fois plus de CV pour avoir un entretien si l'on est de certaines origines ethniques ou de couleur. Ce chiffre est à peu près comparable à celui des autres pays. D'après ces études, il ne semble pas y avoir sur ce sujet de l'emploi un risque de discrimination plus élevé en France qu'ailleurs, même si ces études révèlent que ce risque existe et est très important. Évidemment, ces questions se posent dans d'autres domaines. Celui des contrôles de police a été évoqué. Il y a également le problème de l'accès au logement qui est beaucoup plus difficile à mesurer encore. Il y a également d'autres perceptions de la discrimination qui peuvent être liées par exemple à l'accès à certains services publics ou même à l'éducation. C'est, encore une fois, extrêmement difficile à mesurer.

D'une certaine manière, la question n'est pas de connaître l'intensité de ce risque. Nous savons qu'il existe et nous n'avons finalement pas besoin de le mesurer plus précisément, car il est extrêmement fort.

Dans l'étude Eurobaromètre se trouvent des éléments intéressants et plus positifs. On demande aux gens s'ils seraient gênés d'avoir un dirigeant politique ou un collègue d'origine ethnique différente ou de couleur, s'ils seraient gênés que leur enfant tombe amoureux d'une personne de couleur ou d'une autre origine ethnique. Entre 70 % et 90 % des Français répondent que cela ne les gênerait pas ce qui est plutôt rassurant d'un point de vue individuel. En comparaison des autres pays, la France se situe plutôt dans la fourchette haute.

Où se situe donc le problème ? Où le bât blesse-t-il ? En prenant encore une fois un angle très réduit, je voudrais partager avec vous quelques résultats à propos de la situation sur le marché du travail des enfants d'immigrés et des enfants nés en France de parents immigrés. La première chose qui vaut la peine d'être rappelée est que l'immigration n'est pas un phénomène particulièrement important en France. Selon que l'on inclut ou non les gens nés français à l'étranger, nous avons entre 10 et 12 % de personnes nées à l'étranger ou de personnes nées étrangères à l'étranger. Par contre, quand on inclut les enfants des immigrés, la population concernée est beaucoup plus importante. Cela tient au fait que, même si l'immigration n'a pas été particulièrement importante ces dernières années si on compare à la situation internationale, elle a été historiquement importante. Environ un quart de la population française est donc immigrée ou d'origine immigrée, ce qui est plutôt important par rapport aux autres pays européens.

Les immigrés ont des difficultés pour s'insérer sur le marché de l'emploi. Ce n'est pas forcément une question de discrimination mais les taux d'emploi des immigrés, des personnes nées à l'étranger – qui peuvent ou non être françaises selon le fait qu'elles aient ou non accédé à la nationalité – sont systématiquement inférieurs à ceux des personnes qui sont nées en France, même à niveau équivalent d'éducation. L'écart est même plus important pour ceux qui sont diplômés du supérieur puisqu'il atteint 15 points de pourcentage comme différence par rapport aux natifs diplômés du supérieur. Ce qui est particulièrement frappant est ce second graphique qui compare le taux d'emploi des enfants nés en France d'un ou de deux parents immigrés à celui des enfants nés en France de parents nés en France. On retrouve dix points d'écart. Évidemment, puisque ce sont des gens nés en France, ils ont suivi leur scolarité en France et leur diplôme vaut la même chose que celui des autres, leur maîtrise du français doit être équivalente. Beaucoup de phénomènes peuvent expliquer ces écarts. Cela peut être les filières, cela peut être les réseaux. Ce n'est pas forcément de la discrimination ou du racisme, il faut être clair, mais cet écart est extrêmement fort. Comme vous pouvez le voir en comparaison internationale, il est plus fort qu'ailleurs.

Ces inégalités se construisent très tôt dans l'enfance. Le programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) le montre. Quand nous comparons les résultats scolaires des enfants à l'âge de 15 ans en France, selon le lieu de naissance des parents, nous observons et ce n'est évidemment pas une surprise que les enfants nés à l'étranger ont des résultats plus faibles, avec deux ans de retard en moyenne à 15 ans. Mais les enfants qui sont nés en France de parents nés à l'étranger ont aussi plus d'une année scolaire de retard à l'âge de 15 ans. C'est également vrai en Allemagne, la France n'est pas le seul pays dans cette situation. Toutefois, si vous comparez au total de l'Union européenne, c'est deux fois plus en France qu'ailleurs. En comparant à l'OCDE, il y a même un certain nombre de pays où le phénomène est inversé, comme en Australie, au Canada et même au Royaume-Uni où ces écarts n'existent pas. Cela pose évidemment une question importante.

Un autre élément qu'il faut avoir à l'esprit est que l'exposition au risque de pauvreté est aussi beaucoup plus forte selon le lieu de naissance des parents. Les enfants de moins de 16 ans qui vivent dans un ménage avec des parents nés en France ont un taux de pauvreté à peu près comparable à celui de la population générale et nous voyons bien, en comparant à la situation internationale, l'impact des politiques publiques qui protègent de la pauvreté. Mais les enfants nés dans un ménage où les parents sont immigrés ont un taux de pauvreté proche de 50 %. L'inégalité des chances s'est donc construite très tôt dans le système.

En dépit de cela, le pourcentage de personnes immigrées en France qui se déclarent comme faisant partie de la communauté nationale est extrêmement élevé. C'est le chiffre le plus élevé de l'ensemble des pays de l'OCDE avec près de 90 % des personnes qui se sentent françaises, qu'elles soient ou non françaises. Pour les enfants d'immigrés, ce chiffre est sans doute aussi très élevé.

Cela explique sans doute en partie que la perception de discrimination des enfants nés en France de parents immigrés est très forte, beaucoup plus forte qu'ailleurs. Environ 30 % des personnes déclarent être sujettes de discrimination. Ce graphique montre finalement que ce sentiment de discrimination s'accroît par rapport aux immigrés eux-mêmes. C'est un phénomène que l'on retrouve ailleurs et qui s'explique par ce que je viens de dire : à partir du moment où l'on a le sentiment de faire partie de la communauté nationale, les écarts que j'ai mentionnés auparavant deviennent insupportables, qu'ils soient le fait d'une discrimination réelle ou non.

L'autre élément qu'il faut regarder dans ce graphique est que, finalement, cette situation n'est pas une fatalité. Aux États-Unis ou au Canada, ce phénomène n'existe pas. Nous constatons une baisse du sentiment de discrimination d'une génération à l'autre alors qu'en France, il y a une augmentation, à un niveau qui est particulièrement élevé.

Je voudrais revenir sur l'étude Eurobaromètre qui montre un jugement très sévère des Français vis-à-vis de l'efficacité des politiques de lutte contre les discriminations. C'est cohérent avec ce que nous avons dit précédemment. 40 % des gens pensent que c'est totalement inefficace et c'est le chiffre le plus élevé en Europe. Seuls 16 % des Français, et c'est le chiffre le plus faible, pensent que les politiques de lutte contre les discriminations sont efficaces. Il y a aussi, et c'est peut-être positif, une amélioration dans la perception du cadre législatif et de ce qui est autorisé ou non par la loi. Toutefois, pas plus de 50 % des gens déclarent connaître le cadre législatif sur les discriminations alors que, dans certains pays, notamment en Europe du Nord, cette connaissance du cadre légal est beaucoup plus importante.

Pour conclure, la question doit, à mon avis, se poser dans le contexte beaucoup plus large de l'égalité des chances. Effectivement, il y a du racisme, de manière importante en France, mais pas forcément plus qu'ailleurs. Il y a des discriminations indiscutablement et nous avons des éléments qui nous le prouvent mais il y a surtout une inégalité des chances dans laquelle ce débat doit s'inscrire.

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